Livv
Décisions

CA Riom, 1re ch., 7 octobre 2025, n° 23/00837

RIOM

Arrêt

Autre

CA Riom n° 23/00837

6 octobre 2025

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [J] [P] est propriétaire d'une parcelle de terrain située au lieudit [Localité 11] dans la commune de [Localité 14] (Cantal), sur laquelle il a fait construire une maison d'habitation sur deux niveaux avec une surface au sol de 150 m². Dans le cadre des travaux réalisés, le lot afférent à la couverture a été confié à la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY, assurée auprès de la SA GAN ASSURANCES. Les deux factures correspondant aux prestations de cette entreprise à hauteur de 7.000,00 € TTC du 19 octobre 2011 et à hauteur de 23.834,03€ TTC du 15 novembre 2011 ont été réglées. Cette couverture a été réalisée avec des tuiles du Brésil de type Brésil Mordoré fournies par la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et importées par la société de droit espagnol PIZZARA Y DERIVADOS.

Ayant constaté des désordres sur la toiture de sa maison du fait de nombreuses ardoises feuilletées ou cassées, M. [P] a fait diligenter une mesure d'expertise amiable SARETEC le 22 juin 2016. Par ordonnance de référé du 7 février 2017, le Président du tribunal judiciaire a ordonné une mesure d'expertise judiciaire, désignant M. [F] [T], expert en construction près la cour d'appel de Riom, pour y procéder. Après avoir réalisé sa mission, l'expert judiciaire commis a établi son rapport le 14 septembre 2017.

M. [P] a fait assigner les 19 et 21 mars 2018 la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et son assureur la SA GAN ASURANCES afin de voir ces derniers condamner solidairement à l'indemniser de son préjudice. La SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et la SA GAN ASSURVANCES ont appelé en cause la SAS QUINCAILLERIE ANGLES, fournisseur des tuiles, a'n d'obtenir la garantie de cette société, qui a elle-même appelé dans la cause la société de droit espagnol PIZARRAS Y DERIVADOS.

Par ordonnance du Juge de la mise en état du 19 juin 2019, une nouvelle mesure d'expertise judiciaire a été confiée à M. [F] [T], sachant toutefois qu'à cette date, la société PIZARRAS Y DERIVADOS n'était pas encore appelée à la procédure. Par ordonnance du 10 novembre 2020, les deux procédures ont été jointes et les opérations d'expertise ont été étendues à la société PIZZARAS Y DERIVADOS, un complément d'expertise étant par ailleurs ordonné. Dans cette même décision, M. [P] a été débouté d'une demande de provision. L'expert judiciaire commis a vaqué à ses opérations et établi son second rapport le 14 mai 2021.

C'est dans ces conditions que le tribunal judiciaire d'Aurillac a, suivant un jugement n°RG-18/00173 rendu le 6 mars 2023 :

- prononcé la nullité du rapport d'expertise judiciaire du 14 mai 2021 ;

- débouté M. [J] [P] de l'intégralité de ses demandes ;

- dit n'y avoir à exécution provisoire ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné chaque partie à supporter la charge de ses propres dépens ;

- dit n'y avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de leurs demandes à ce titre.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 25 mai 2023, le conseil de M. [J] [P] a interjeté appel de la décision susmentionnée. L'effet dévolutif de cet appel y est ainsi libellé : « Objet/Portée de l'appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués Interjeter appel du jugement rendu par le Tribunal Judiciaire d'AURILLAC le 6 mars 2023 sous le numéro de rôle 18/00173 et tend à l'annulation ou à tout le moins la réformation ou/ et l'infirmation des chefs de jugement ci-après énoncés en ce qu'ils ont : prononcé la nullité du rapport d'expertise de M. [T] du 14 mai 2021, débouté Monsieur [J] [P] de l'intégralité de ses demandes aux fins : - condamner solidairement ou in solidum la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY, la société anonyme GAN ASSURANCES, la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS Y DERIVADOS SL à payer et à porter à Monsieur [X] [P] : . la somme de 45.002 € 54 TTC au titre de travaux en reprise matérielle des désordres, qui sera réévaluée en tenant compte de l'évolution de l'indice national du coût de la construction entre le 8 décembre 2022, date du devis et de la décision définitive à intervenir, ou toute autre somme fixée à dire d'expert, . la somme de 10.000,00 € au titre des dommages-intérêts complémentaires pour tracas subis par Monsieur [X] [P] et autres préjudices immatériels dont préjudice de jouissance, - condamner ou in solidum la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY, la société anonyme GAN ASSURANCES, la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS Y DERIVADOS SL à payer et à porter à Monsieur [X] [P] la somme de 10.000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, - condamner les mêmes sous la même solidarité ou in solidum aux dépens engagés au titre de la procédure de référé ayant donné lieu à l'ordonnance du 7 février 2017 comprenant les frais d'expertise confiée à M. [T] ayant donné lieu au premier rapport du 14 septembre 2017 et arbitrés à 2.000 €, . ainsi que les dépens relatifs aux deux ordonnances du juge de la mise en état des 19 juin 2019 et 10 novembre 2020 ayant désigné à nouveau Monsieur [T] comprenant les frais de la seconde expertise ayant donné lieu au rapport du 14 mai 2021 et arbitrés à 2.000 €, outre les dépens de la présente instance, dont distraction au profit de la SELARL AURIJURIS pour ceux dont elle aurait l'avance, . rejeter toutes demandes, fins et conclusions en sens contraire, condamné Monsieur [J] [P] à supporter le charge de ses propres dépens, dit n'y a avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit Monsieur [J] [P]('). ».

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 20 novembre 2023, M. [J] [P] a demandé de :

- annuler, d'infirmer on de reformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Aurillac le 6 mars 2023 en ses dispositions qui ont :

* prononcé la nullité du rapport d'expertise de M. [T] du 14 mai 2021 ;

* débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes aux fins :

- condamner solidairement ou in solidum la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY, la SA GAN ASSURANCES, la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS Y DERIVADOS à payer à M. [P] :

' la somme de 45.002,54 € TTC au titre de travaux en reprise matérielle des désordres, qui sera réévaluée en tenant compte de l'évolution de l'indice national du coût de la construction entre le 8 décembre 2022, date du devis et de la décision définitive à intervenir, ou toute autre somme fixée à dire d'expert ;

' la somme de 10.000,00 € au titre des dommages-intérêts complémentaires pour tracas subis par M. [P] et autres préjudices immatériels dont préjudice de jouissance ;

- condamner les mêmes sous la même solidarité ou in solidum aux dépens :

' engagés au titre de la procédure de référé ayant donné lieu à l'ordonnance du 7 février 2017 comprenant les frais d'expertise confiée à M. [T] ayant donné lieu au premier rapport du 14 septembre 2017 et arbitrés à 2.000,00 € ;

' ainsi que les dépens relatifs aux deux ordonnances du juge de la mise en état des 19 juin 2019 et 10 novembre 2020 ayant désigné à nouveau M. [T] comprenant les frais de la seconde expertise ayant donné lieu au rapport du 14 mai 2021 et arbitrés à 2.000,00 €,

' outre les dépens de la présente instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL AURIJURIS, avocats au barreau d'Aurillac ;

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions en sens contraire [et notamment les demandes tendant à] ;

' [condamner] M. [P] à supporter la charge de ses propres dépens ;

' [dire] n'y a avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit M. [P] ;

- statuant à nouveau sur les chefs querellés ;

- déclarer valable le rapport d'expertise judicaire du 14 mai 2021 de M. [T] et rejeter toute demande visant à voir déclarer nul ;

- ordonner en tant que de besoin toute mesure d'expertise qu'il convient notamment pour tenir compte des objections de la société PIZARRAS Y DERIVADOS dans son dire du 10 mai 2021 à l'expert M. [T] ;

- condamner solidairement ou in solidum la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY, la SA GAN ASSURANCES, la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS Y DERIVADOS à payer à M. [P] :

o la somme de 45.002,54 € TTC au titre de travaux en reprise matérielle des désordres, qui sera réévaluée en tenant compte de l'évolution de l'indice national du coût de la construction entre le 8 décembre 2022, date du devis et de la décision a intervenir, ou toute autre somme fixée à dire d'expert ;

o la somme de 10.000,00 € au titre des dommages-intérêts complémentaires pour tracas subis par M. [P] et autres préjudices immatériels dont préjudice de jouissance ;

o une indemnité de 10.000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement ou in solidum la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY, la SA GAN ASSURANCES, la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS Y DERIVADOS aux dépens :

' engagés au titre de la procédure de référé ayant donné lieu à l'ordonnance du 7 février 2017 comprenant les frais d'expertise con'ée à M. [T] ayant donné lieu au premier rapport du 14 septembre 2017 et arbitrés à 2.000,00 € ;

' relevant de l'instance au fond devant le tribunal judicaire intégrant ceux relatifs aux deux ordonnances du juge de la mise en état des 19 juin 2019 et 10 novembre 2020 ayant désigné à nouveau M. [T] comprenant les frais de la seconde expertise ayant donné lieu au rapport du 14 mai 2021 et arbitrés à 2.000,00 € ;

' relevant de la présente instance devant la Cour, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL Aurijuris, avocats au barreau d'Aurillac ;

- mettre à néant les dispositions du jugement qui ont condamné M. [P] à supporter le charge de ses propres dépens, et dit n'y a avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au pro't de M. [P] ;

- rejeter toutes demandes en sens contraire.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 20 septembre 2023, la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et la SA GAN ASSURANCES ont demandé de :

- au visa des articles 1231-1, 1640 et 1240 du Code civil ;

- [à titre principal] ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la nullité du rapport d'expertise du 14 mai 2021 ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes ;

- rejeter la demande de nullité des opérations d'expertise ;

- rejeter les demandes formées à l'encontre de la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et de la SA GAN ASSURANCES ;

- rejeter le devis excessif et non contradictoire de l'entreprise [N] du 8 décembre 2022 et limiter le montant des condamnations à la somme de 37.876,30 € à dire d'expert judiciaire ;

- à titre subsidiaire ;

- rejeter les demandes au titre du préjudice de jouissance ;

- condamner in solidum la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS Y DERIVADOS à garantir les concluantes de toute condamnation prononcée ;

- ordonner la déduction de la franchise de la SA GAN ASSURANCES au titre des garanties facultatives de toute condamnation éventuellement prononcée au titre des dommages immatériels ;

- [en tout état de cause], condamner les sociétés QUINCAILLERIE ANGLES et PIZZARAS Y DERIVADOS :

o à payer à la SA GAN ASSURANCES une indemnité de 3.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

o aux entiers dépens de l'instance.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 31 octobre 2023, la SAS QUINCAILLERIE ANGLES a demandé de :

- au visa de l'article 1626 du Code civil et des articles 331 et suivants du code de procédure civile ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les parties adverses de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de la SAS QUINCAILLERIE ANGLES ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la SAS QUINCAILLERIE ANGLES de ses demandes visant à :

o condamner la société PIZARRAS Y DERIVADOS à garantir la SAS QUINCAILLERIE ANGLES de toutes condamnations à venir ;

o condamner la société PIZARRAS Y DERIVADOS à payer à la SAS QUINCAILLERIE ANGLES une indemnité de 2.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamner la société PIZARRAS Y DERIVADOS aux dépens ;

- rejeter toutes prétentions contraires comme injustes et infondées ;

- statuant à nouveau sur les chefs querellés ;

- à titre principal, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire, infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, condamner la société PIZARRAS Y DERIVADOS SL, en sa qualité d'importatrice d'ardoises du Brésil non-conformes à la réglementation européenne, à garantir la SAS QUINCAILLERIE ANGLES de toutes condamnations à venir ;

- [en tout état de cause] ;

- condamner la société PIZARRAS Y DERIVADOS à payer à la SAS QUINCAILLERIE ANGLES une indemnité de 3.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société PIZARRAS Y DERIVADOS aux dépens ;

- rejeter toutes prétentions contraires comme injustes et infondées.

' Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par le RPVA le 13 novembre 2023, la société de droit espagnol PIZARRAS Y DERIVADOS a demandé de :

- au visa des articles 237, 238 et 276 du code procédure civile ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité du rapport d'expertise judiciaire du 14 mai 2021 de M. [T] ;

- [à titre principal] ;

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société PIZARRAS Y DERIVADOS ;

- débouter les sociétés PARATIAS THIERRY et GAN de leurs demandes d'appel en garantie en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société PIZARRAS Y DERIVADOS ;

- à titre subsidiaire, recevoir la société PIZARRAS Y DERIVADOS en son appel incident et, réformant le jugement entrepris, prononcer la mise hors de cause de la société PIZARRAS Y DERIVADOS pour n'avoir pris aucune part de responsabilité dans les désordres dénoncés par M. [P] ;

- [en tout état de cause] ;

- condamner toute partie succombante :

* à payer à la société PIZARRAS Y DERIVADOS une indemnité de 5.000,00 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* à supporter les dépens de l'instance en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Sébastien Rahon, avocat au barreau de Clermont-Ferrand ;

- débouter la SAS QUINCAILLERIE ANGLES de son appel incident concernant sa demande d'appel en garantie en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de la société PIZARRAS Y DERIVADOS ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l'appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie Motifs de la décision.

Par ordonnance rendue le 24 mars 2025, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l'audience civile collégiale du 24 mars 2025 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré ses précédentes écritures. La décision suivante a été mise en délibéré au 7 octobre 2025, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1/ Sur la demande d'annulation du second rapport d'expertise judiciaire

L'article 237 du code de procédure civile dispose que « Le technicien [expert judiciaire] commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. » tandis que l'article 238 du code de procédure civile dispose que « Le technicien [expert judiciaire] doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis. / Il ne peut répondre à d'autres questions, sauf accord écrit des parties. / Il ne doit jamais porter d'appréciation d'ordre juridique. ». Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 276 alinéas 1er et 4 du code de procédure civile que « L'expert [judiciaire] doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. / (') / L'expert [judiciaire] doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura données aux observations ou réclamations présentées. ».

M. [P] demande l'infirmation du jugement de première instance en ce qu'il a prononcé l'annulation du second rapport d'expertise judiciaire du 14 mai 2021 de M. [F] [T]. Les sociétés PARATIAS et GAN s'associent à cette demande tandis que la société PIZARRAS demande la confirmation de cette décision d'annulation d'expertise judiciaire, considérant que l'expert judiciaire a manqué d'objectivité et d'impartialité. Enfin, la société ANGLES ne se prononce pas sur cette question.

En l'occurrence, le grief formulé par la société PIZARRAS en allégation d'absence d'exhaustivité de la part de l'expert judiciaire en ce qui concerne l'ensemble des vérifications techniques nécessaires afin de déterminer le plus précisément possible la cause des désordres invoqués ne relève que de défaillances éventuelles de la méthodologie et des connaissances techniques utilisées et non de manquements à l'objectivité et à l'impartialité. La sanction pouvant être le cas échéant prononcée du fait de l'absence d'analyse des ardoises sur les causes du feuilletage ou d'un achèvement prématuré des opérations expertales ne peut dès lors relever que du rejet de tout ou partie des conclusions et développements de l'expert judiciaire, avec pour corollaire possible la mise en 'uvre d'une seconde mesure d'expertise judiciaire ou la communication par la partie qui en fait la critique d'autres éléments d'expertise amiable ou d'autres éléments techniques permettant une lecture croisée avec le travail d'expertise judiciaire, et non de l'annulation en elle-même de l'entier travail de l'expert judiciaire. Par ailleurs, il n'apparaît pas que l'expert judiciaire se soit abstenu de répondre aux différents dires des parties et de leurs conseils.

Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a prononcé l'annulation du rapport d'expertise judiciaire du 14 mai 2021 de M. [F] [T], cette demande d'annulation formée par la société PIZARRAS devant au contraire être rejetée.

2/ Sur les demandes principales de M. [P] à l'encontre des sociétés Paratias et Gan

Compte tenu des dates respectives du 15 novembre 2011 de seconde facturation des travaux avec prise de possession de l'ouvrage en l'état, pouvant dès lors valoir réception tacite des travaux en application des dispositions de l'article 1792-6 alinéa 1er du Code civil, du 7 février 2017 de l'ordonnance de référé ordonnant la première mesure d'expertise judiciaire (la date d'assignation en référé n'étant pas communiquée), du 14 septembre 2017 d'établissement du premier rapport d'expertise judiciaire, des 19 et 21 mars 2018 d'assignation au fond en lecture du premier rapport d'expertise, du 19 juin 2019 de l'ordonnance de mise en état ordonnant la seconde mesure d'expertise judiciaire et du 14 mai 2021 d'établissement du second rapport d'expertise judiciaire, M. [P] se trouve dans le délai décennal d'épreuve prévu à l'article 1792-4-3 pour agir à l'encontre des sociétés PARIETAS et GAN, ANGLES et PIZARRAS en application des dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil sur la responsabilité civile décennale du constructeur.

L'examen des rapports d'expertise judiciaire du 14 septembre 2017 et du 14 mai 2021 de M. [F] [T] amène notamment à constater et à retenir que :

' les travaux litigieux de couverture de la maison d'habitation de M. [P] ont consisté en la fourniture et la pose d'ardoises du Brésil avec poses de fenêtres de toit, de gouttières et de descentes d'eaux pluviales ;

' les griefs de M. [P], suivant lesquels les ardoises posées se délitent en présentant des tâches de rouille (pyrite) et se détachent avec des chutes au sol lors de changements de température, plus particulièrement lorsque les températures s'élèvent, sont avérés ;

' les ardoises litigieuses, de type mordoré, sont atteintes de pyrite (disulfite de fer) qui rouille sous l'effet de l'eau et peuvent finir par devenir transversantes, ces pyrites étant connues et documentées pour être la signature d'ardoises de mauvaise qualité du fait que l'eau se transforme en période hivernale en gel dans les strates des ardoises, les effeuille et les fait chuter au sol (un tournevis pouvant se glisser aisément entre les feuillets de l'épaisseur d'une ardoise en de nombreux points) ;

' parmi les caractéristiques principales des ardoises de couverture en lecture de la certification européenne obligatoire EN 12 326.1 + NF P 32-302, le critère de tenue au gel n'est pas rempli, compromettant dès lors les autres critères de durabilité, d'imperméabilité et de résistance mécanique ;

' c'est l'ensemble l'ensemble de la toiture qui est impacté par ces désordres, ces ardoises ne résistant pas aux différentes températures que l'on observe couramment en région Auvergne à cette altitude de 1200 mètres, alors par ailleurs que ce problème de délitement d'ardoises du Brésil s'avère manifestement récurrent du fait de plusieurs sinistres similaires dans le département du Cantal ;

' les chutes d'ardoises présentent un réel danger pour la sécurité des occupants de la maison alors que l'ensemble de cette maison va devenir à terme impropre à sa destination d'habitation, selon une probabilité certaine, du fait de l'absence de solidité de cette partie de l'ouvrage constitué par la toiture ;

' ces travaux de toiture ont été réalisés conformément aux documents contractuels et aux règles de l'art habituellement admis en la matière, seul le choix du matériau étant problématique et sinistrant ;

' compte tenu du caractère évolutif de ces désordres, la seule solution pour y remédier consiste à déposer l'intégralité des ardoises de la toiture afin de les remplacer, les ardoises du Brésil choisies étant gélives et n'étant donc ni conformes ni adaptées à des poses en climat de montagne ;

' ces désordres de délitements et de chutes des ardoises posées se sont aggravés entre les deux rapports d'expertise judiciaire de 2017 et de 2021, la toiture étant depuis lors caractérisée par des zones d'absence totale ou partielle d'ardoises et des éléments du bâti ayant été dégradés par les chutes d'ardoises (déformations d'une gouttière et du pare-pluie protégeant la structure bois).

En l'occurrence, il importe d'inférer des éléments expertaux qui précèdent, que les travaux litigieux de toiture réalisé par la société PARATIAS sous la garantie de la société GAN ne sont pas conformes dans leur ensemble conformes à leur destination de couverture et d'étanchéité de la maison d'habitation de M. [P] en raison du seul choix de ces matériaux non adaptés, même si le respect des règles de l'art en elles-mêmes (« pose avec des clous sur un double lattage ») et des documents contractuels ne sont pas en cause. En dépit de l'absence de faute constructive, le choix totalement inadapté par l'entrepreneur de pose de ces ardoises gélives en climat de montagne provoque en effet par des phénomènes généralisés et récurrents de délitements et de chutes de matériaux sous l'effet des différences de température au fil des saisons des risques pour la sécurité des personnes ainsi qu'une impropriété de l'ouvrage à sa destination d'habitation suivant un terme qui écherra de manière certaine à une date en-deçà du délai décennal d'épreuve. La société PARATIAS sous la garantie de son assureur la société GAN doivent en conséquence être déclarés civilement responsables envers M. [P] de l'ensemble des conséquences dommageables de ces désordres de construction par application des dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil. Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes.

En ce qui concerne le coût du préjudice de reprise de l'intégralité de la toiture litigieuse, M. [P] verse aux débats un devis d'entreprise spécialisée [N] [S] du 8 décembre 2022 de réfection de la couverture litigieuse en ardoises d'Espagne conforme aux diverses phases de l'art en la matière pour un montant total de 47.389,54 €, sur la base duquel il réclame la somme totale de 45.002 54 €. Les sociétés PARATIAS et GAN ne formulent aucune critique particulière sur ce chiffrage de réparation matérielle qui apparaît au demeurant raisonnablement établi. Ces dernières seront en conséquence solidairement condamnées à payer au profit de M. [P] la somme précitée de 45.002 54 € au titre du préjudice résultant des travaux matériels de reprise de la toiture litigieuse. Cette somme sera assortie du bénéfice de l'évolution de l'indice national du coût de la construction de la date précitée du 8 décembre 2022 d'établissement de ce devis à celle de parfait paiement.

Le préjudice moral de tracasseries souffert par M. [P] du fait de cette situation litigieuse compromettant à terme l'habitabilité de sa maison et le contraignant en outre à des attitudes permanentes de sécurité afin d'éviter des chutes de matériaux apparaît indéniable dans son principe et sera indemnisé par une allocation de dommages-intérêts à hauteur de la somme de 5.000,00 €, solidairement à l'encontre des sociétés PARATIAS et GAN. En revanche, aucun préjudice de jouissance ne peut être caractérisé, compte tenu de l'absence de rupture d'imperméabilité de la toiture litigieuse en l'état actuel de la procédure. Enfin, les autres préjudices immatériels invoqués par M. [P] dans le dispositif de ses conclusions revêtent une formulation beaucoup trop vague pour donner lieu à indemnisation.

2/ Sur les demandes principales de M. [P] à l'encontre des sociétés Angles et Pizarras

En ce qui concerne ces mêmes chefs de demandes principales formés in solidum à l'encontre des sociétés ANGLEs et PIZARRIAS, les articles 1792 et suivants du Code civil ne peut évidemment pas s'appliquer à la société ANGLES qui est le grossiste fournisseur de la société PARATIAS ni à la société PIZARRAS qui est l'importateur en France des ardoises litigieuses provenant du Brésil. L'article 1792-4 concernant les éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire n'est pas mieux applicable concernant les ardoises dans la mesure où il est de jurisprudence constante que s'agissant de matériaux indifférenciés qui ne jouent aucun rôle défini dans la construction avant leur mise en 'uvre, ils ne relèvent pas de cette catégorie particulière. C'est donc sur le terrain de la responsabilité civile de droit commun que la question de sept recherches de responsabilités in solidum doit être réglée, au regard du fournisseur français et de l'importateur espagnol des ardoises du Brésil.

Concernant la société ANGLES, il n'est pas contestable que cette entreprise a fourni à la société PARATIAS un matériau de mauvaise qualité et affecté de défectuosités intrinsèques le rendant impropre à son usage normal en climat auvergnat. L'expertise de M. [F] [T] démontre parfaitement que ces ardoises poreuses et gélives sont inaptes à remplir leur office de protection des bâtiments sur lesquels elles sont posées, et ce dans un climat cantalien certes rude en saison d'hiver mais pas au point de nécessiter des équipements très spécifiques ou sophistiqués, alors que dans cette région les maisons traditionnelles couvertes d'ardoises sont légion. Or le fournisseur est tenu d'une obligation de résultat quant à la qualité des produits qu'il commercialise. La responsabilité de cette entreprise est donc pleinement engagée sur le plan contractuel à l'égard de M. [P].

La situation de la société PIZARRAS est un peu différente, en ce que celle-ci est liée par contrat uniquement avec son acheteur français la société ANGLES. Dans ce cadre précis, elle-même est donc soumise à une obligation de résultat quant à la qualité du produit importé du Brésil et revendu en France, et les arguments qu'elle soutient pour sa défense manquent de pertinence.

L'explication de la société PIZARRAS Y DERIVADOS tendant à dire qu'en réalité elle n'a pas importé des ardoises de couverture mais des « pierres », apparaît spécieuse et à tout le moins erronée en ce que sur les deux bons de commande qu'elle a émis le 3 octobre 2011 à destination de la SAS QUINCAILLERIE ANGLES renseignent le mot « Ardoise naturelle », sous son nom commercial « Pizarras y derivados ». Les termes désignant cette marchandise sont dès lors dépourvus de toute ambiguïté, ce qui clôt le débat sur la nature exacte du produit commercialisé par cette société d'importation.

Ence qui concerne ces matériaux particuliers il existe une norme européenne EN 12326-1, dont la société PIZARRAS Y DERIVADOS ne disconvient pas, celle-ci précisant que les produits qui ont obtenu cette marque « remplissent les conditions émises par la Directive Européenne des produits destinés au secteur de la construction », et qu'ils « constituent pour l'acheteur et l'utilisateur l'assurance de la qualité des produits concernés ». Elle précise encore : « Les toitures en ardoises ont une durabilité plus longue que celle des autres toitures construites avec d'autres matériaux car elles possèdent un revêtement formé par des pièces extraites de roches naturelles se présentant sous forme de lames ['] De plus, les toitures en ardoise offrent une imperméabilité sans égal et une étanchéité à toute épreuve » (cf. : annexes du second rapport d'expertise judiciaire de M. [F] [T]). Or, il est suffisamment démontré que les ardoises du Brésil acquises auprès de cet importateur étaient loin de réunir toutes ces qualités, en particulier concernant l'imperméabilité et l'étanchéité, en raison de son caractère gelif et objectivement inadapté à son utilisation en altitude. De plus, la société PIZARRAS ne conteste pas que les ardoises brésiliennes litigieuses n'étaient pas soumises à la norme européenne.

Sans qu'il soit dès lors nécessaire de s'interroger plus avant sur la certification des ardoises litigieuses, il apparaît que l'obligation de l'importateur concernant la qualité du produit vendu, que lui-même met en avant dans ses documents commerciaux, n'a pas été remplie par celui-ci à l'égard de son acheteur français la société ANGLES. De même, mais sur le plan cette fois-ci quasi-délictuel, il est manifeste qu'ayant importé des produits défectueux pour les revendre notamment en France 100 conformité à la certification européenne, la société PIZARRAS a également commis à l'égard de M. [P] une faute, ayant entraîné un préjudice dont elle lui doit réparation.

De tout ceci il se déduit que les sociétés ANGLES et PIZARRAS seront tenues in solidum entre elles de toutes les conséquences dommageables subies par M. [P] du fait de ces désordres de construction. Les sociétés ANGLES et PIZARRAS seront dès lors condamnées, in solidum avec les sociétés PARATIAS et GAN, à payer au profit de M. [P] les sommes principales précitées de 45.002,54 € au titre du préjudice matériel de reprise avec bénéfice de l'évolution de l'indice national du coût de la construction de la date du 8 décembre 2022 à celle de parfait paiement et de 5.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

3/ Sur les autres demandes des parties

En conséquence de l'ensemble des motifs précédemment énoncé à titre principal, la demande formée à titre subsidiaire par M. [P] aux fins de recours à une nouvelle mesure d'expertise judiciaire s'avère inutile et sera dès lors rejetée.

Pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés sur l'absence de vérification par l'importateur des conditions de conformité des ardoises litigieuses ainsi que sur les mentions trompeuses ayant accompagnées leur mise sur le marché en contrariété avec la législation européenne, il y a lieu de faire droit aux demandes de garanties formées par les sociétés PARATIAS et GAN ainsi que ANGLES à l'encontre de la société PIZARRAS pour toutes les condamnations pécuniaires prononcées à leur encontre à l'occasion de cette instance, en ce compris la charge définitive de l'intégralité des dépens de première instance et d'appel.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de M. [P] les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 10.000,00 € en tenant compte des frais à la fois des frais de première instance et d'appel, à la charge solidairement des sociétés PARATIAS et GAN et in solidum des sociétés ANGLES et PIZARRAS.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard des sociétés PARATIAS et GAN ainsi que ANGLES et PIZARRAS.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG-18/00173 rendu le 6 mars 2023 par le tribunal judiciaire d'Aurillac.

Statuant de nouveau.

REJETTE la demande formée par la société de droit espagnol PIZARRAS Y DERIVADOS aux fins d'annulation du rapport d'expertise judiciaire du 14 mai 2021 de M. [F] [T].

CONDAMNE solidairement la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et la SA GAN ASSURANCES et in solidum la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société de droit espagnol PIZARRAS Y DERIVADOS à payer au profit de M. [J] [P] :

- la somme de 45.002,54 € en réparation de son préjudice matériel de travaux de reprise de la toiture susmentionnée, avec bénéfice de l'évolution de l'indice national du coût de la construction de la date du 8 décembre 2022 à celle de parfait paiement ;

- la somme de 5.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

CONDAMNE la société PIZARRAS Y DERIVADOS à garantir la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et la SA GAN ASSURANCES ainsi que la SAS QUINCAILLERIE ANGLES de toutes les condamnations pécuniaires prononcées à leur encontre à l'occasion de cette instance.

RAPPELLE en tant que de besoin l'opposabilité contractuelle de droit des franchises de la SA GAN ASSURANCES.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE solidairement la SARL ENTREPRISE PARATIAS THIERRY et la SA GAN ASSURANCES et in solidum la SAS QUINCAILLERIE ANGLES et la société PIZARRAS y DERIVADOS :

- à payer au profit de M. [J] [P] une indemnité de 10.000,00 €, en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile ;

- à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel incluant les dépens et les frais afférents à la procédure de référé susmentionnée, aux deux mesures d'expertise judiciaire susmentionnées et aux ordonnances de mise en état de première instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL Aurijuris, avocats associés au barreau d'Aurillac.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site