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Cass. com., 15 octobre 2025, n° 23-21.370

COUR DE CASSATION

Autre

Rejet

PARTIES

Demandeur :

syndicat Les Chirurgiens-dentistes de France

Cass. com. n° 23-21.370

14 octobre 2025

COMM.

MB

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 15 octobre 2025

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 507 FS-B

Pourvoi n° D 23-21.370

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 OCTOBRE 2025

Le syndicat Les Chirurgiens-dentistes de France, dont le siège est [Adresse 8], a formé le pourvoi n° D 23-21.370 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant :

1°/ au président de l'Autorité de la concurrence, domicilié [Adresse 2],

2°/ au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté de la France, domicilié [Adresse 9],

3°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général [Adresse 7],

4°/ à la fédération des syndicats dentaires libéraux, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [Adresse 3], pris en la personne de son président,

6°/ au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de l'Isère, dont le siège est [Adresse 4], pris en la personne de son président,

7°/ au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Dordogne, dont le siège est [Adresse 12], pris en la personne de sa présidente,

8°/ au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Bas-Rhin, dont le siège est [Adresse 11], pris en la personne de sa présidente,

9°/ au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Haut-Rhin, dont le siège est [Adresse 1], pris en la personne de sa présidente,

10°/ au conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, dont le siège est [Adresse 6], pris en la personne de son président,

11°/ à la société Santéclair, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Regis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du syndicat Les Chirurgiens-Dentistes de France, de la SCP Duhamel, avocat du président de l'Autorité de la concurrence, de la SCP Spinosi, avocat de la société Santéclair, et l'avis écrit de M. Douvreleur et l'avis oral de M. Lecaroz, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 2 septembre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Regis, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, Sabotier, Tréfigny, M. Bailly, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, Jallut, de Naurois, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et M. Doyen, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte au syndicat Les chirurgiens-dentistes de France du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Fédération des syndicats dentaires libéraux, le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Bouches du-Rhône, le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de l'Isère, le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Dordogne, le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Bas-Rhin, le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Haut-Rhin, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 septembre 2023), par une décision n° 20-D-17 du 12 novembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie dentaire (la décision), l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a dit que la Confédération nationale des syndicats dentaires, devenue le syndicat Les chirurgiens-dentistes de France (le CDF), avait enfreint les dispositions de l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et de l'article L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une entente visant à entraver l'activité des réseaux de soins dentaires, et en particulier celui de la société Santéclair, et ayant pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés de l'assurance complémentaire santé et des services relevant de la pratique de l'art dentaire.

3. L'Autorité a prononcé à l'encontre du CDF une sanction pécuniaire de 680 000 euros, outre la publication à ses frais de la décision dans plusieurs médias.

4. Le CDF a formé un recours en annulation, subsidiairement en réformation, de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

6. Le CDF fait grief à l'arrêt de rejeter son recours dirigé contre la décision de l'Autorité, alors :

« 1°/ que le fait, pour un syndicat professionnel de médecins, de dénoncer des pratiques et des modes d'organisation de la profession médicale qu'il estime contraires aux intérêts de la profession et des patients et d'inciter les membres de celle-ci à s'en désolidariser, le cas échéant en s'abstenant de contracter avec un opérateur économique, relève du libre exercice de la liberté syndicale ; qu'un tel discours ne saurait être qualifié de pratique anticoncurrentielle qu'à la condition de caractériser son absence de toute base factuelle ou son absence de tout lien avec la défense des intérêts de la profession ; qu'en l'espèce, il était reproché au CDF d'avoir effectué diverses actions de communication visant les réseaux de soins, notamment la publication d'un manifeste dénonçant les dérives de certaines plateformes commerciales, lequel invitait les signataires à rejeter toute adhésion aux réseaux pratiquant la désinformation, le détournement systématique des patients, et le non-respect de la charte signée par les complémentaires santé", la publication de dossiers, articles, ou communiqués de presse critiques envers les réseaux de soins, l'édition d'un prospectus destiné à être remis aux patients afin d'informer ces derniers sur les risques associés aux pratiques de certains réseaux et la publication d'une lettre aux présidents incitant les membres de la profession à ne pas adhérer à certains réseaux ; que le CDF rappelait que ces actions militantes étaient motivées par la volonté de dénoncer la menace que de tels réseaux représentaient pour l'éthique de la profession et la santé des patients (augmentation des cadences aboutissant à une dégradation notable des soins ; perte d'indépendance des médecins notamment) ainsi que par les dénonciations de patients et de praticiens révélant le recours de certaines plateformes commerciales à des pratiques illégales ; qu'en jugeant que ces communications matérialisaient une entente anticoncurrentielle en ce qu'elles avaient eu pour objectif d'entraver l'activité de certains réseaux et qu'elles étaient constitutives d'une pratique anticoncurrentielle par leur objet même en ce qu'elles avaient pu s'analyser par moment en un appel au boycott, sans caractériser l'absence de base factuelle suffisante, ni l'absence de lien entre le discours mené et la défense des intérêts de la profession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ensemble l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le fait, pour un syndicat professionnel de médecins, de dénoncer des pratiques illégales et d'inciter les membres de la profession à s'en désolidariser, le cas échéant en s'abstenant de contracter avec un opérateur économique, relève en toutes circonstances de la défense des intérêts de la profession et ne saurait être qualifié de pratique anticoncurrentielle ; que le CDF faisait valoir que les actions qui lui étaient reprochées s'expliquaient aussi, et en premier lieu, par le constat du recours de certains réseaux de soins à des pratiques méconnaissant les règles légales et déontologiques régissant la profession, tels que le détournement avéré de patientèle, le démarchage et sollicitation personnelle, la violation du secret médical et détournement de données de santé à des fins commerciales et non sollicitées, et la désinformation des patients ; qu'en jugeant que ces actions matérialisaient une entente anticoncurrentielle en ce qu'elles avaient eu pour objectif d'entraver l'activité de certains réseaux, qu'elles étaient par leur objet même constitutives d'une pratique anticoncurrentielle en ce qu'elles avaient pu prendre la forme d'un appel au boycott, et que c'est en vain que le CDF entendait justifier cette action par le caractère illicite des pratiques constatées dès lors que les entreprises ne sauraient justifier une infraction aux règles de la concurrence en prétextant qu'elles y ont été poussées par le comportement d'autres opérateurs économiques", quand il lui appartenait précisément d'apprécier si les illicéités dénoncées par le CDF étaient établies pour déterminer si les pratiques reprochées au CDF relevaient de l'exercice légitime de la liberté syndicale ou avaient pu dégénérer en entente anticoncurrentielle, la cour d'appel a violé les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ensemble l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en se prononçant par ces mêmes motifs, sans tenir compte, en outre, du fait qu'au travers de la dénonciation du fonctionnement des réseaux et de certaines pratiques illégales et de l'invitation des membres de la profession à s'en désolidariser, le CDF avait également poursuivi la défense de l'intérêt des patients eux-mêmes, et donc poursuivi un objectif d'intérêt général, la cour d'appel a violé derechef les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ensemble l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que, de même, en jugeant que les propos tenus dans ces mêmes documents étaient insuffisamment modérés pour relever de l'exercice de la liberté d'expression syndicale et échapper à la qualification d'entente anticoncurrentielle, la cour d'appel a violé l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;

6°/ que constitue un détournement de patientèle ou une tentative de détournement de patientèle, le fait, pour une société commerciale exploitant un réseau de soins, d'adresser les coordonnées de praticiens membres de son réseau aux patients s'étant bornés à remettre le devis de leur praticien en vue de sa prise en charge, en leur promettant de réaliser des économies ; qu'en jugeant qu'aucun élément n'autorisait le CDF à affirmer que les réseaux de type Santéclair pratiquaient le détournement systématique de patientèle, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il ne résultait pas des dénonciations reçues par le CDF que certains réseaux, dont Santéclair, avaient recours à des pratiques de détournement de patientèle en ce qu'ils incitaient les patients s'étant bornés à transmettre un devis à leur mutuelle à se diriger vers des praticiens du réseau qui proposeraient des prestations de même nature à moindre coût, sans que ces derniers aient pour autant sollicité les coordonnées d'un autre praticien ou l'établissement d'un devis comparatif, et ce, à un stade où une relation avait déjà été nouée avec leur praticien habituel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 4127-262 et R. 4127-240 du code de la santé publique ;

7°/ qu'en jugeant que le CDF s'était également livré à des pratiques anticoncurrentielles en annonçant à un fournisseur qu'il dénoncerait leur partenariat s'il s'associait aux plateformes financières qu'il combattait, cependant que cette action n'était aussi que l'expression d'une action militante et syndicale, qui était légalement protégée, sauf à constater que ces actions ne reposaient pas sur des considérations légitimes tenant à la protection de l'intérêt de la profession et à la lutte contre des pratiques illicites, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE, ensemble l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

7. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, l'action d'une organisation professionnelle doit être considérée comme une association d'entreprises au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE lorsqu'elle tend à obtenir de ses membres qu'ils adoptent un comportement déterminé dans le cadre de leur activité économique (CJUE, arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, point 64 ; voir également, CJUE, arrêt du 18 janvier 2024, Lietuvos notar r mai e.a., C-128/21, point 84).

8. Il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour de justice que tout accord entre entreprises ou toute décision d'association d'entreprises qui limite la liberté d'action des entreprises parties à cet accord ou soumises au respect de cette décision ne tombe pas nécessairement sous le coup de l'interdiction édictée à l'article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, l'examen du contexte économique et juridique dans lequel s'inscrivent certains de ces accords et certaines de ces décisions peut conduire à constater, premièrement, que ceux-ci se justifient par la poursuite d'un ou de plusieurs objectifs légitimes d'intérêt général dénués, en soi, de caractère anticoncurrentiel, deuxièmement, que les moyens concrets auxquels il est recouru pour poursuivre ces objectifs sont véritablement nécessaires à cette fin et, troisièmement, que, même s'il s'avère que ces moyens ont pour effet inhérent de restreindre ou de fausser, à tout le moins potentiellement, la concurrence, cet effet inhérent ne va pas au-delà du nécessaire, en particulier en éliminant toute concurrence (CJUE, arrêts du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C-333/21, point 183 et jurisprudence citée du 21 décembre 2023, Royal Antwerp Football Club, C-680/21, point 113 ; du 18 janvier 2024, Lietuvos notar r mai e.a., C-128/21, point 97 ; du 25 janvier 2024, Em akaunt BG, C-438/22, point 30, et du 4 octobre 2024, FIFA, C-650/22, point 149). Toutefois, cette jurisprudence ne saurait trouver à s'appliquer en présence de comportements qui, loin de se borner à avoir pour « effet » inhérent de restreindre, à tout le moins potentiellement, la concurrence en limitant la liberté d'action de certaines entreprises, présentent, à l'égard de cette concurrence, un degré de nocivité justifiant de considérer qu'ils ont pour « objet » même de l'empêcher, de la restreindre ou de la fausser. En effet, le degré de nocivité de ces comportements à l'égard de la concurrence, donc le préjudice direct ou indirect qu'ils sont susceptibles de causer aux utilisateurs et aux consommateurs intermédiaires ou finals sur les différents secteurs ou marchés concernés, est trop important pour permettre de les considérer comme étant justifiés et proportionnés (CJUE, arrêts précités European Superleague Company, point 186 ; Em akaunt BG, point 32 et FIFA, point 150).

9. Selon les articles 10 § 2 et 11 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention), l'exercice de la liberté d'expression et des droits relevant de la liberté syndicale peuvent être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique.

10. Lorsqu'un syndicat allègue qu'il est porté atteinte à sa liberté d'expression, la Cour européenne des droits de l'homme se place sous l'angle de l'article 10 de la Convention, interprété à la lumière de l'article 11, dès lors que la liberté d'expression est l'une des composantes de la liberté syndicale (CEDH, Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], n° 28955/06 et 3 autres, § 52, CEDH 2011 ; Vellutini et Michel c. France, n° 32820/09, § 32, 6 octobre 2011 ; Ezelin c. France, n° 11800/85, § 37, 26 avril 1991).

11. La question de savoir si le comportement d'organisations professionnelles ou syndicales est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle au sens de l'article 101 TFUE s'apprécie au regard des seuls critères posés par ce texte, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne.

12. Cependant, si les articles 10 ou 11 de la Convention sont invoqués par ces organisations, la pratique anticoncurrentielle poursuivie ne peut faire l'objet d'une sanction que si cette sanction remplit les exigences des articles 10 § 2 ou 11 § 2 précités, à savoir qu'elle est prévue par la loi, inspirée par l'un des buts légitimes au regard desdits paragraphes et nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre, notamment au regard de sa nature et de son montant (CEDH, C8 (Canal 8) c. France, n° 58951/18 et 1308/19, §§ 72-82 et 97-104, 9 février 2023).

13. En premier lieu, le moyen, en tant qu'il postule qu'il ne saurait y avoir d'entente prohibée, au sens de l'article 101 TFUE, dès lors que le discours litigieux relève d'un débat d'intérêt général ou poursuit un tel objectif, présente une base factuelle suffisante et un caractère mesuré, manque en droit.

14. En second lieu, d'une part, l'arrêt relève que les réseaux de soins tels que ceux développés par la société Santéclair reposent sur des partenariats signés avec les chirurgiens-dentistes, comportant des engagements réciproques comme la mise en place d'une procédure de tiers-payant, des tarifs de soins plafonnés et une orientation des patients qui en font la demande vers les professionnels de santé membres du réseau. Il énonce que l'organisation de ce type de réseau de soins, et notamment le plafonnement conventionnel des coûts des prestations des chirurgiens-dentistes affiliés au réseau, a été consacrée par la loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014, qui a été jugée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel n° 2013-686 DC du 23 janvier 2014. Il retient ensuite qu'à la date du début de la pratique imputée au CDF, aucune instance disciplinaire de la profession de chirurgien-dentiste n'avait jugé les contrats de partenariat, auxquels donne lieu l'affiliation à ce type de réseau, non conformes aux règles et principes déontologiques applicables à cette profession, ni jugé que les usages ou pratiques d'un réseau, en particulier ceux de la société Santéclair, conduisaient le chirurgien-dentiste affilié à méconnaître ces règles.

15. L'arrêt ajoute que, par un arrêt du 4 mai 2000 (n° 189657), le Conseil d'État a annulé une délibération du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui avait pour objet d'adresser à tous les chirurgiens-dentistes ayant adhéré à un protocole comportant des clauses similaires à celles stipulées dans les contrats proposés par la société Santéclair, qu'il estimait contraire aux règles déontologiques, une lettre leur enjoignant de résilier cette adhésion, après avoir retenu que ce protocole ne méconnaissait pas les principes d'indépendance professionnelle, d'interdiction de tous procédés, directs ou indirects, de publicité, ni d'interdiction de détournement ou tentative de détournement de patientèle. L'arrêt relève encore que, par trois décisions rendues en 2016 et 2017, soit au cours des pratiques litigieuses, la chambre nationale de discipline de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté des plaintes de praticiens mettant en cause des confrères affiliés au réseau Santéclair vers lesquels certains de leurs patients avaient été dirigés, en retenant que l'information des patients, à leur demande, quant aux tarifs pratiqués par le signataire du contrat ne pouvait être regardée comme une tentative de détournement de patientèle.

16. L'arrêt en déduit qu'il n'existait pas, au moment des pratiques litigieuses, d'élément permettant aux instances ordinales et syndicales de considérer que les conventions unissant des chirurgiens-dentistes à des réseaux de soins tel que celui de la société Santéclair ainsi que les pratiques qu'elles imputaient à ces réseaux méconnaissaient les règles déontologiques de la profession.

17. D'autre part, l'arrêt relève que, si le CDF s'est dit favorable aux réseaux dont les modalités de fonctionnement sont négociées au niveau national ou départemental entre un organisme d'assurance maladie complémentaire (OCAM) et un ou plusieurs syndicats représentants des praticiens, il s'est en revanche déclaré opposé à toute autre forme de partenariat, et en particulier aux réseaux, tel celui de la société Santéclair, reposant sur des contrats conclus par un OCAM directement avec un praticien, sans l'intervention d'un syndicat. Se référant ensuite à plusieurs publications du CDF durant la période litigieuse, dont il cite précisément les termes, l'arrêt retient que cette opposition de principe s'est traduite par des actions et comportements visant à inciter les chirurgiens-dentistes à résilier leur adhésion ou ne pas signer d'accord de partenariat, et les patients à ne pas s'adresser à ces réseaux, ainsi que par des pressions exercées sur un fournisseur de la profession pour le dissuader de collaborer avec ces réseaux de soins et faire ainsi échec à la création d'un nouveau réseau. Il retient ensuite que la circonstance que le CDF a reçu de nombreux signalements ou témoignages de praticiens se plaignant de détournement de patientèle de la part de ces réseaux ne pouvait, en tout état de cause, l'autoriser à porter atteinte aux règles de la concurrence, tandis qu'aucun élément n'autorisait le syndicat à affirmer que les réseaux tels que celui de la société Santéclair pratiquaient des détournements systématiques de patients. L'arrêt ajoute que, loin de se borner à de simples mises en garde, ce syndicat a excédé sa mission de défense des intérêts de ses adhérents, en incitant ces derniers à adopter sur le marché concerné un comportement déterminé, celui de résilier leur convention de partenariat ou de refuser d'en signer. Il en déduit qu'en appelant au boycott des réseaux de soins, le CDF a commis des pratiques anticoncurrentielles, constitutives d'une infraction par objet au sens des articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

18. En cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée à la première branche et a procédé aux recherches prétendument omises visées aux sixième et septième branches, en a exactement déduit que le CDF avait enfreint les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une entente par décision d'association.

19. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le syndicat Les chirurgiens-dentistes de France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le syndicat Les chirurgiens-dentistes de France et le condamne à payer au président de l'Autorité de la concurrence la somme de 10 000 euros, et à la société Santéclair la somme de 5 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quinze octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par le président, le conseiller référendaire rapporteur et Mme Labat, greffière de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile.

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