Livv
Décisions

Cass. com., 15 octobre 2025, n° 24-10.651

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Paris, pôle 5, ch. 2, du 24 novembre 202…

24 novembre 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2023), un arrêt du 25 mars 2022, devenu irrévocable, a accueilli la demande formée par M. [D] le 25 décembre 2008 en revendication de la marque française n° 3 432 222 « Bébé Lilly », déposée le 1er juin 2006 à l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) par un tiers en fraude de ses droits. L'inscription au registre national des marques du transfert de cette marque à M. [D] a été effectuée le 9 mai 2022 et publiée le 10 juin suivant.

2. Par décision notifiée le 26 septembre 2022, le directeur général de l'INPI a déclaré irrecevable comme tardive la déclaration de renouvellement de la marque « Bébé Lilly » présentée par M. [D] le 27 juin 2022, postérieurement à l'expiration du délai imparti à l'article R. 712-24 du code de la propriété intellectuelle.

3. M. [D] a formé un recours contre cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [D] fait grief à l'arrêt de rejeter son recours à l'encontre de la décision en date du 26 septembre 2022 du directeur général de l'INPI, qui avait déclaré irrecevable sa déclaration de renouvellement de la marque n° 3 432 222, alors « que nul ne peut se voir opposer son inertie dans l'exercice de ses droits lorsqu'il est dans l'impossibilité juridique de les exercer ; que la demande de renouvellement d'enregistrement d'une marque doit, en principe, être présentée au cours d'un délai d'un an précédant immédiatement le jour d'expiration de l'enregistrement ou dans un délai supplémentaire de six mois à compter du lendemain du jour d'expiration de l'enregistrement ; que, néanmoins, la demande de renouvellement ne peut émaner que du titulaire inscrit au jour de cette demande ; qu'il en résulte qu'en cas de contentieux en cours relatif à l'identité du titulaire de la marque, en particulier en cas d'action en revendication en cours, le délai de présentation de la demande de renouvellement doit pouvoir être reporté à la date de l'inscription au registre des marques du transfert de propriété de la marque litigieuse résultant d'une décision de justice faisant droit à l'action en revendication, seule date à compter de laquelle le véritable titulaire de la marque a la possibilité juridique de déclarer le renouvellement ; qu'en l'espèce, au terme d'une procédure judiciaire initiée par un acte introductif d'instance du 25 décembre 2008, M. [D] a obtenu, par arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 mars 2022, le transfert à son profit de la marque litigieuse qui avait été déposée par un tiers en fraude de ses droits ; que la cour d'appel a également constaté que, dès le 20 avril 2022, M. [D] avait sollicité l'inscription de cet arrêt et le transfert de la marque à son profit au registre national des marques et avait demandé le renouvellement de ladite marque ; que la cour d'appel a néanmoins rejeté le recours de M. [D] à l'encontre de la décision du directeur général de l'INPI ayant retenu l'irrecevabilité de la demande de renouvellement, au motif que la marque avait été déposée le 1er juin 2006 et avait expiré le 1er juin 2016, de sorte que la demande de renouvellement de M. [D] était tardive ; qu'en statuant ainsi, quand elle avait pourtant constaté que M. [D] avait été contraint d'agir en revendication pour se voir reconnaître la qualité de titulaire de la marque, qu'il avait initié cette action le 25 décembre 2008 à une date où l'enregistrement de la marque n'avait pas encore expiré, et que ce n'était que par un arrêt du 25 mars 2022 qu'il avait obtenu transfert à son profit de la marque, ce dont il ressortait que M. [D] était dans l'impossibilité juridique de demander le renouvellement antérieurement à cette reconnaissance de sa qualité de titulaire de marque, de sorte que le délai habituel de demande de renouvellement ne pouvait pas lui être opposé, la cour d'appel a violé les articles L. 712-6, L. 712-9 et R. 712-24 du code de la propriété intellectuelle, ensemble le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, si un enregistrement a été demandé en fraude des droits d'un tiers, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

6. Il résulte des articles L. 712-9 et R. 712-24, 1°, du même code, dans leur rédaction antérieure à celle issue respectivement de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 et du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, que le propriétaire d'une marque peut déclarer la renouveler pour une nouvelle période de dix ans, au cours d'un délai de six mois expirant le dernier jour du mois au cours duquel prend fin la période de protection ou dans un délai supplémentaire de six mois à compter du lendemain du dernier jour du mois d'expiration de la protection.

7. Après avoir énoncé à bon droit que, dès lors que l'article R. 712-12 du code de la propriété intellectuelle l'exclut expressément, l'article L. 712-10 du même code, qui prévoit une procédure de relevé de déchéance pour le titulaire d'une marque qui, n'ayant pas respecté certains délais, justifie d'un empêchement qui n'est imputable ni à sa volonté, ni à sa faute, ni à sa négligence, n'est pas applicable au délai de déclaration de renouvellement fixé à l'article R. 712-24, 1°, dudit code et relevé que la marque déposée le 1er juin 2006 avait expiré le 1er juin 2016 et que le délai de six mois prévu par ce dernier texte avait commencé à courir le 2 juin 2016, la cour d'appel en a déduit, sans encourir le grief du moyen, que la demande de renouvellement de la marque formée par M. [D] ne pouvait qu'être rejetée en raison de sa tardiveté.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. M. [D] fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsqu'un acte ou une formalité doit être accompli avant l'expiration d'un délai, celui-ci a pour origine la date de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ; que cette règle est applicable aux délais dans lesquels les inscriptions et autres formalités de publicité doivent être opérées, ce qui inclut les délais de demande de renouvellement de l'enregistrement d'une marque ; qu'en l'espèce, au terme d'une procédure judiciaire initiée par un acte introductif d'instance du 25 décembre 2008, M. [D] a obtenu, par arrêt du 25 mars 2022, le transfert à son profit de la marque litigieuse qui avait été déposée par un tiers en fraude de ses droits ; que la cour d'appel a retenu que les dispositions relatives à la computation des délais ne pouvaient justifier que le point de départ du délai de grâce de six mois de l'article R. 712-24, 1°, du code de la propriété intellectuelle soit reporté au jour où M. [D] avait été inscrit sur le registre de l'INPI comme titulaire de la marque litigieuse, le point de départ de ce délai étant le lendemain du jour d'expiration de l'enregistrement ; qu'en statuant ainsi, au lieu de tenir compte de l'événement que constituait la décision de justice du 25 mars 2022 reconnaissant le droit de M. [D] en tant que titulaire de la marque, qui seule pouvait faire courir le délai de demande de renouvellement de l'enregistrement de la marque, la cour d'appel a violé les articles 640 et 642-1 du code de procédure civile et les articles L. 712-9 et R. 712-24 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

10. Le délai de déclaration de renouvellement de l'enregistrement d'une marque auprès de l'INPI n'est pas de nature contentieuse.

11. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que le délai prévu à l'article R. 712-24, 1°, du code de la propriété intellectuelle ne pouvait être prorogé en application des articles 640 et 642-1 du code de procédure civile.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

13. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention) :

14. Selon ce texte, tout individu a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

15. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une marque, y compris la demande d'enregistrement d'une marque, bénéficie de la protection de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention (CEDH, arrêts Anheuser-Busch Inc. c. Portugal, [GC], 11 janvier 2007, n° 73049/01, § 78, et Kamoy Radyo Televizyon Yayincilik ve Organizasyon A.S. c. Turquie, 16 avril 2019, n° 19965/06, § 37).

16. L'article R. 712-24 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, dispose :

« L'enregistrement peut être renouvelé pour une nouvelle période de dix ans par déclaration du propriétaire de la marque, établie dans les conditions prévues par la décision mentionnée à l'article R. 712-26. Il peut être précisé que le renouvellement ne vaut que pour certains produits ou services désignés dans l'acte d'enregistrement.

Le renouvellement prend effet le jour suivant la date d'expiration de l'enregistrement.

La déclaration doit à peine d'irrecevabilité :

1° Etre présentée au cours d'un délai de six mois expirant le dernier jour du mois au cours duquel prend fin la période de protection et être accompagnée de la justification du paiement de la redevance prescrite.

Toutefois, la déclaration peut encore être présentée ou la redevance acquittée dans un délai supplémentaire de six mois à compter du lendemain du dernier jour du mois d'expiration de la protection, moyennant le paiement d'un supplément de redevance dans le même délai.

2° Comporter la désignation de la marque à renouveler et émaner du titulaire inscrit, au jour de la déclaration, au Registre national des marques ou de son mandataire.

Si la déclaration ne satisfait pas à ces conditions, il est fait application de la procédure prévue au 1° de l'article R. 712-11.

L'irrecevabilité ne peut être prononcée sans que le déposant ait été mis en mesure de présenter des observations. »

17. Pour rejeter le recours de M. [D] contre la décision du directeur général de l'INPI ayant déclaré irrecevable la demande de renouvellement de la marque « Bébé Lilly » n° 3 432 222 formée par M. [D], l'arrêt, après avoir relevé que la marque déposée le 1er juin 2006 ayant expiré le 1er juin 2016, le délai de six mois prévu par ce dernier texte avait commencé à courir le 2 juin 2016, retient que la demande de renouvellement de la marque formée par M. [D] le 20 avril 2022 était tardive.

18. En statuant ainsi, alors que M. [D], qui avait fait diligence en introduisant son action en revendication dès le 25 décembre 2008, avait été, en raison de la durée de la procédure, de plus de treize ans, excédant celle de l'enregistrement de la marque, placé dans l'impossibilité d'exercer son droit légitime à obtenir le renouvellement de cette marque avant l'arrêt du 25 mars 2022, intervenu postérieurement à l'expiration du délai de renouvellement, de sorte que l'irrecevabilité opposée à la demande de renouvellement de M. [D], qui avait pour effet de le priver de son bien, sans dédommagement, constituait une atteinte excessive à son droit de propriété, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. Par décision du 25 mars 2022, devenue irrévocable, la demande en revendication de la marque « Bébé Lilly » n° 3 432 222 formée par M. [D] a été accueillie, après plus de treize années de procédure judiciaire, à une date à laquelle la marque était expirée.

22. Or, les délais pour déclarer le renouvellement d'une marque, prévus à l'article R. 712-24, 1°, du code de la propriété intellectuelle ne sont ouverts qu'au titulaire inscrit sur le registre national des marques.

23. L'inscription du transfert de propriété de la marque au profit de M. [D] a été effectuée le 9 mai 2022 et publiée le 10 juin 2022. Le 27 juin 2022, ce dernier a présenté auprès de l'INPI une déclaration de renouvellement de l'enregistrement de la marque n° 3 432 222.

24. Le renouvellement de la marque « Bébé Lilly » n° 3 432 222 par son titulaire légitime nouvellement inscrit a été déclaré irrecevable en raison de l'expiration des délais réglementaires, cependant que M. [D] était dans l'impossibilité d'agir avant l'inscription de son droit au registre national des marques.

25. Cette décision du directeur général de l'INPI entraîne la perte des droits de M. [D] sur la marque concernée et donc la privation de son bien, en violation de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention.

26. Compte tenu des effets disproportionnés de l'irrecevabilité de la demande de renouvellement de la marque dont M. [D] a été reconnu légitime propriétaire, au regard de l'objectif d'information et de sécurité juridique des tiers, qui sont informés de l'existence d'une action en revendication par une mention au registre national des marques, prévue à l'article R. 714-2 du code de la propriété intellectuelle, il y a lieu de dire que le point de départ du délai de six mois de présentation de la déclaration de renouvellement, édicté à l'article R. 712-24, 1°, du code de la propriété intellectuelle, a été reporté à la date de l'inscription au registre des marques du transfert de propriété de la marque litigieuse résultant de la décision de justice ayant accueilli sa demande en revendication, seule date à compter de laquelle M. [D], véritable titulaire de la marque, avait la possibilité juridique de déclarer le renouvellement.

27. Il convient, par conséquent, d'annuler la décision du directeur général de l'INPI.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ANNULE la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 26 septembre 2022 ;

Laisse les dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris, à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [D] ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quinze octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site