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Décisions

CA Toulouse, ch. 02, 3 février 2016, n° 14/03884

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

M..., C...

Défendeur :

CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE MIDI PYRÉNÉES (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. P. PELLARIN

Conseillers :

M. SONNEVILLE, V. SALMERON

Avocats :

Me GLORIES, Me De Lamy

CA Toulouse n° 14/03884

2 février 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du16 juin 2009, la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées a consenti à l'EURL LM 82, représentée par son gérant Pierre C., un prêt professionnel d'un montant de 45 000 € au taux de 4,65 % remboursable en 84 mensualités de 644,40 €.

Par acte séparé du 18 septembre 2009, Pierre C. s'est porté caution solidaire de l'EURL L M 82 dans la limite de la somme de 58 500 € pour une durée de 120 mois.

Suivant acte sous seing privé réalisé le 8 juillet 2009, la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées a consenti à l'EURL LM 82 une ouverture de compte courant, numéro 08000467141. Par acte sous seing privé du 8 décembre 2010, ce compte courant a bénéficié d'une autorisation de découvert d'un montant maximum de 15 000 €.

Par acte séparé sous seing privé du 8 décembre 2010, Pierre C. s'est porté caution solidaire de I'EURL LM 82 dans la limite de la somme de 19 500 € pour une durée de 27 mois.

Par décision du 7 février 2012, le Tribunal de Commerce de Montauban a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de l'EURL LM 82. Par LRAR du 28/2/2012, la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées a déclaré sa créance entre les mains du mandataire liquidateur.

Par courrier du 30/1/2012, Me Enjalbert es qualité informait la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées du caractère définitivement irrécouvrable de sa créance à |'encontre de I'EUR LM 82.

Malgré deux mises en demeure adressées par LRAR le 29 février 2012 et le 15 mars 2013, la banque n'a pu obtenir le règlement de sa créance par la caution.

Par acte extrajudiciaire en date du 13 juin 2013, la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées a fait assigner Pierre C. devant le tribunal de commerce de Montauban en paiement des sommes dues au titre de ces deux cautionnements.

Par jugement du 21 mai 2014, le tribunal a':

- dit qu'aux dates de leurs signatures (18/09/2009 et 08/12/2010) les deux engagements souscrits par Pierre C. étaient parfaitement proportionnés à sa situation financière sincère;

- condamné Pierre C. à payer à la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées les sommes de :

* 32.019,49 €, augmentée des intérêts au taux conventionnel à compter du 8 février 2012,

* 15.000 €, augmentée des intérêts au taux conventionnel à compter du 7 février 2012,

- dit en application de l'article 1244-1 du code civil et compte tenu de la situation du débiteur, que Pierre C. s'acquittera de sa dette en 23 mensualités égales, outre une dernière devant solder la dette en principal, intérêts et frais à compter du jugement,

- dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité à son échéance, la totalité de la dette deviendra immédiatement exigible sans mise en demeure préalable,

- condamné Pierre C. à payer à la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées la somme de 800 e en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration en date du 1er juillet 2014, Pierre C. a relevé appel du jugement.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 28 novembre 2015.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES.

* Par conclusions notifiées le 30 octobre 2015, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, Pierre C. demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- constater que les engagements de caution des 18 septembre 2009 et 8 décembre 2010 étaient, lors de leur conclusion, manifestement disproportionnés à ses biens et revenus,

- constater que son patrimoine ne lui permet pas à ce jour de faire face à ses engagements de caution,

- dire que les actes de caution des 18 septembre 2009 et 8 décembre 2010 sont, de ce fait, dépourvus d'efficacité et que la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées devra être déchue du droit de le poursuivre en sa qualité de caution,

- débouter la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées de l'intégralité de ses prétentions,

- la condamner aux dépens,

A titre subsidiaire, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit qu'en application de l'article 1244-1 du Code civil, Pierre C. s'acquittera de sa dette en 23 mensualités égales, outre une dernière devant solder la dette en principal, intérêts et frais à compter du jugement.

L'appelant fait essentiellement valoir que:

- ses seuls revenus en 2009 étaient de 769,50 € mensuels, de 687,66 € mensuels en 2010,

- à ce jour, ils sont de l'ordre de 1.000 € mensuels et il n'a pas acquis de patrimoine,

- il a rempli avec sincérité la fiche patrimoniale,

- l'épargne de 60.000 € qu'il a déclaré dans cette fiche a été injectée dans la société débitrice principale et ne peut être prise en compte,

- sa situation justifie qu'il puisse s'acquitter du paiement de sa dette de manière échelonnée.

* Par conclusions notifiées le 14 novembre 2014, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, la Caisse d'Epargne et de prévoyance de Midi Pyrénées demande à la cour :

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de condamner Pierre C. à lui payer une somme de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée développe principalement les observations suivantes :

- les déclarations faites dans la fiche patrimoniale engagent la caution, qui ne peut se prévaloir de déclarations qui seraient mensongères, déclarations que le créancier n'a pas à vérifier,

- le fait que l'épargne de 60.000 € ait été injecté dans la société était inconnu de la banque, et relève de la seule affirmation de Pierre C.,

- le montant de cette épargne déclarée permettait à la caution de faire face à ses engagements en cas de difficultés.

Motifs

MOTIFS DE LA DÉCISION.

L'article L341-4 du Code de la consommation dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Ces dispositions sont applicables en l'espèce aux cautionnements successivement souscrits par Pierre C., par une caution personne physique, qui s'est engagée envers la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées, créancier professionnel. Il importe peu qu'elle soit caution profane ou avertie, ni qu'elle ait ou non la qualité de dirigeant social.

L'engagement de caution ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude; la disproportion manifeste de l'engagement à la situation de patrimoine et de revenus de la caution doit être appréciée pour chaque acte de cautionnement successif.

La proportionnalité de l'engagement de caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie.

#1 cautionnement manifestement disproportionné

Le caractère manifestement excessif de l'engagement s'apprécie au regard de la situation de revenus et de patrimoine de la caution à la date de son engagement. Il appartient à celle ci de rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement à la date où l'engagement a été souscrit, mais il résulte de la combinaison des articles 1315 du code civil et L341-4 du code de la consommation qu'il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celui ci permet de faire face à son obligation.

La sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir de cet engagement.

Pierre C. a souscrit deux engagements de caution, le premier le 18 septembre 2009, dans la limite d'une somme de 58.500 €, destiné à garantir un prêt d'équipement de 45.000 € consenti le 16 juin 2009 à la société dont il était le gérant et qui débutait son activité, le second le 8 décembre 2010, dans la limite de 19.500 €, venant garantir une avance en compte courant autorisée le même jour à cette société.

Il a renseigné une fiche patrimoniale datée du 3 juin 2009, dont les renseignements lui sont opposables, dans laquelle il indique qu'il percevait un salaire mensuel de 1.600 € brut, mais avait été licencié et ne percevait plus que des allocations des ASSEDIC pour un montant non précisé, qu'il était célibataire et père d'un enfant pour lequel il versait une pension alimentaire mensuelle de 135 €.

Pierre C. précisait être détenteur de fonds d'épargne pour un montant de 60.000 €.

Il soutient que cette somme venait d'un héritage, aurait été injectée dans la société LM 82, ce qui n'aurait pas ignoré le banquier et ne pouvant donc garantir sa solvabilité.

Il apparaît, à la lecture des relevés de comptes, produits par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées, que Pierre C. avait ouvert en janvier 2008 un livret B, sur lequel a été viré à l'ouverture une somme de 67.000 €, compte clôturé en avril 2008, les sommes ayant alors été réparties sur quatre comptes d'épargne ouverts à son nom :

- un PEL, abondé pour 30.355 €, somme sur laquelle 30.000 € a été virée sur un compte d'épargne ouvert au nom de de l'EURL LM 82 le 30 juillet 2009, mais retirée le 8 août 2009, soit antérieurement à la souscription du premier cautionnement,

- un livret A, abondé pour 15.000 €, ayant fait l'objet d'opérations au crédit et au débit, pour présenter un solde créditeur de 150 € en septembre 2013,

- un CODEVI, abondé pour 6.000 €, qui fera également l'objets de mouvements au crédit et au débit, pour un solde créditeur de 18,39 € en septembre 2013,

- un compte ou livret épargne logement, abondé pour 15.300 €, sur lesquels 10.000 € ont été virés sur un compte ouvert au nom de LM 82 le 23 juin 2009, mais qui a été de nouveau crédité de ce même montant en janvier 2010, pour donner lieu ensuite à d'autres virements entre juillet et octobre 2010, puis être clôture en janvier 2012.

La preuve de la disproportion manifeste entre l'engagement, à la date à laquelle il est souscrit et les biens et revenus de la caution, est à la charge de cette dernière.

En l'espèce, les seuls éléments produits qui seraient susceptibles de la démontrer le sont par le créancier et ne viennent pas établir que l'épargne déclarée par Pierre C. dans sa fiche patrimoniale était destinée, ni même a été employée, au profit de la société qu'il venait garantir; elle ne l'a en tous cas pas été à court terme après la souscription de son engagement. Pierre C. ne démontre pas quel a été l'emploi des fonds dont il disposait lorsqu'il s'est engagé. L'annonce d'une épargne disponible de 60.000 € par la caution ne présentait aucune anomalie apparente et correspondait à la situation des comptes de Pierre C. auprès de l'établissement lorsqu'il s'est engagé; aucun élément n'indique qu'un emploi ultérieur de cette épargne au profit de l'emprunteur était directement prévisible pour le banquier, ni qu'il a réellement eu lieu.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que l'engagement souscrit le 18 septembre 2009 n'était pas manifestement disproportionné par rapport aux biens et revenus de Pierre C. et a condamné ce dernier à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées la somme de 30.019,49 €, majorée des intérêts au taux contractuel de 4,65% à compter du 8 février 2012, dont il est justifié du montant, lequel n'est pas contesté.

A la date du 8 décembre 2010, lorsqu'il s'est porté caution des sommes dues au titre du solde débiteur de la société LM 82 dans la limite de 19.500 €, Pierre C. s'était déjà engagé auprès du même établissement financier, sans être de nouveau interrogé sur l'étendue des garanties qu'il pouvait engager, alors que le montant de son premier engagement représentait pratiquement celui de l'épargne dont il disposait et qu'il avait été pour partie dissipé. Or, ses revenus mensuels étaient limités à 700 € et il faisait face à des charges pour un montant équivalent.

Le cautionnement souscrit pour garantie de l'autorisation de découvert accordé par la banque à la société était alors manifestement disproportionné; de ce fait, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées ne peut s'en prévaloir.

Elle ne vient pas en effet rapporter la preuve qui lui incombe que la caution, lorsqu'elle a été ensuite appelée, était en mesure de faire face avec son patrimoine et ses revenus à cet engagement, alors que ses revenus mensuels étaient pour l'année 2014 de 1.075 €, qu'ils étaient moindres en 2012 et 2013, que ses charges fixes s'élevaient à 800 € par mois et qu'enfin, elle ne dispose d'aucun patrimoine immobilier, ni de capitaux épargnés.

Le jugement sera infirmé sur ce chef et la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées déboutée de sa demande en paiement de la somme de 15.000 € en exécution du cautionnement donné le 8 décembre 2010.

Le premier juge a accordé à Pierre C. la possibilité de s'acquitter du paiement de sa dette en 23 mensualités égales, outre une dernière devant solder sa dette; la banque ne vient pas demander l'infirmation de ce chef du dispositif, qui sera confirmé, sauf à préciser que le montant de chacune des 23 premières mensualités sera fixé à la somme de 1.000 €.

Pierre C., qui succombe au principal, supportera la charge des dépens de la présente instance et ses propres frais; en raison de la disparité des situations économiques respectives des parties et de l'infirmation partielle, il apparaît équitable de ne pas faire application à l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a dit qu'à la date de la signature de l'engagement souscrit par Pierre C. le 8 décembre 2010, le cautionnement était parfaitement proportionné à sa situation financière sincère et a condamné Pierre C. à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées la somme de 15.000 €, majorée des intérêts au taux conventionnel à compter du 7 février 2012;

Et, statuant à nouveau sur le seul chef infirmé,

Dit que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi Pyrénées ne peut se prévaloir du cautionnement souscrit par Pierre C. le 8 décembre 2010, par application de l'article L. 341-4 du code de la consommation;

Déboute la Caisse d'Epargne de sa demande en paiement présentée à ce titre;

Confirme le jugement pour le surplus, sauf à préciser concernant les délais de paiement accordés par le tribunal, que Pierre C. pourra s'acquitter du paiement de sa dette en 24 mensualités de 1.000 € chacune, le solde étant exigible avec la dernière mensualité;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;

Condamne Pierre C. aux dépens.

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