CA Orléans, ch. civ., 30 septembre 2025, n° 23/01123
ORLÉANS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 30/09/2025
la SCP ROBILIARD
la SCP REFERENS
ARRÊT du : 30 SEPTEMBRE 2025
N° : - 25
N° RG 23/01123 - N° Portalis DBVN-V-B7H-GY6K
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8] en date du 09 Mars 2023
PARTIES EN CAUSE
APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265297747780357
Monsieur [S] [C]
né le 16 Mars 1971 à [Localité 9]
Chez Monsieur et Madame [C] - [Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Denys ROBILIARD de la SCP ROBILIARD, avocat au barreau de BLOIS
D'UNE PART
INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265297412808996
Monsieur [G] [X]
né le 09 Mai 1957 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Me Laurent LALOUM de la SCP REFERENS, avocat au barreau de BLOIS
Madame [T] [R] épouse [X]
née le 08 Mars 1964 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Laurent LALOUM de la SCP REFERENS, avocat au barreau de BLOIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 23 Avril 2023.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 03 février 2025
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 08 Avril 2025 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.
Lors du délibéré, au cours duquel Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles a rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 30 septembre 2025 (délibéré prorogé, initialement fixé au 24 juin 2025) par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCÉDURE
M. [S] [C] est copropriétaire, selon acte notarié du 31 mars 2007, de divers lots de copropriété, consistant notamment en un appartement de 57 m² situé au deuxième étage de l'un immeuble situé [Adresse 2], cadastré section DO n°[Cadastre 1] ; ces lots de copropriété ont appartenu, du 30 juillet 1987 au 30 mai 1989 à M. [G] [X].
A la suite d'une infiltration d'eau, constatée au cours de l'été 2007 par la mère de M. [C] alors qu'il se trouvait à l'étranger pour des raisons professionnelles, il est apparu que le sinistre provenait d'une vanne mal fermée d'un sani-broyeur dans l'appartement du troisième étage appartenant à Mme [B] [N], qui en avait fait l'acquisition selon acte notarié du 3 avril 1995 ; cet appartement avait appartenu, du 18 août 1982 au 22 décembre 1987 à M. [G] [X].
Le 21 novembre 2007, M. [C] faisait dresser constat par un huissier de justice, tant de son appartement que de celui de Mme [N] ; il apparaissait que le sol du salon séjour de l'appartement du troisième étage présentait une surface concave extrêmement marquée tandis que la charpente du plafond haut de celui du deuxième étage était renforcée par des pièces métalliques, tordues au droit de la poutre maîtresse qui sonnait creux ; des artisans présents lors du constat estimaient que le plafond de l'appartement de M. [C] était extrêmement fragile et dangereux, rendant le logement inhabitable en l'état.
Au vu du rapport d'expertise réalisé par M. [W] [H], par jugement rendu le 22 février 2018, le tribunal de grande instance de Blois a, notamment, condamné M. [G] [X] à payer à M. [C] les sommes suivantes :
- 90 015,46 euros hors taxes, indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction, au titre des travaux de réparation de l'appartement,
- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- 500 euros par mois à compter du jugement tant que les condamnations prononcées contre lui pour la remise en état de l'appartement n'auront pas été acquittées,
- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ce jugement est devenu définitif, la péremption de l'instance d'appel introduite par M. [X] ayant été constatée.
Reprochant à M. [X] d'avoir, de concert avec son épouse, organisé son insolvabilité, par actes d'huissier délivrés les 2 avril 2021 et 11 mars 2022, M. [C] a fait assigner M. [X] et son épouse Mme [T] [E] devant le tribunal judiciaire de Blois en paiement des condamnations prononcées par le jugement du 22 février 2018.
Par jugement rendu le 9 mars 2023, le tribunal judiciaire de Blois a :
- débouté M. [S] [C] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [S] [C] à payer à M. [G] [X] et Mme [T] [E] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [S] [C] aux entiers dépens.
Par déclaration du 23 avril 2023, M. [S] [C] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.
Les parties ont conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 février 2025.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 19 juillet 2023, M. [S] [C] demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement du 9 mars 2023,
- STATUANT à nouveau,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] au versement de la somme de 20.213,21 euros HT, soit 24.255,85 euros à M. [C] devant être réévaluée à la date du jugement en fonction de l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction sur la base de l'indice en vigueur au 10 juin 2009 plus la TVA conformément au jugement rendu le 22 février 2018 par le Tribunal Judiciaire en réparation du préjudice financier du requérant,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] à verser à M. [C] 30 000 euros de dommages-intérêts,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] à verser à M. [C] une indemnité de 500 euros par mois à compter du jugement intervenu le 22 février 2018 jusqu'à la remise en état de l'appartement litigieux, soit 24.000 euros à la date des présentes,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 CPC,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 4 août 2023 M. [G] [X] et Mme [T] [E] demandent à la cour de :
CONFIRMER le jugement du 9 mars 2023 en ce qu'il :
- DÉBOUTE Monsieur [C] de l'ensemble de ses demandes,
- CONDAMNE Monsieur [S] [C] à payer à Monsieur [X] et Madame [X], ensemble, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- DÉBOUTE Monsieur [C] de sa demande au titre de l'article 700 du CPC.
CONDAMNE Monsieur [C] aux entiers dépens,
DIRE ET JUGER Monsieur [C] mal fondé en son appel et LE DÉBOUTER de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Y AJOUTANT :
CONDAMNER Monsieur [C] au paiement au profit de Monsieur et Madame [X] d'une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile eu égard aux frais engagés en appel,
CONDAMNER Monsieur [C] aux dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
MOTIFS
Sur la faute reprochée à M. et Mme [X]
Moyens des parties
M. [C] expose que M. et Mme [X] se sont mariés sous le régime de la séparation de biens selon contrat de mariage du 24 septembre 1991 ; alors qu'ils étaient propriétaires indivis par moitié d'une maison située [Adresse 7], le 23 octobre 2009, M. [X] réalisait une donation avec réserve d'usufruit au profit de son épouse de la moitié indivise en nue-propriété ; ce bien a été vendu selon acte notarié du 21 octobre 2016 au prix de 433 500 euros, réparti en la moitié en usufruit pour M. [X], soit 108 375 euros, la moitié en usufruit pour Mme [X] et le reste en pleine propriété soit 108 375 euros + 216 750 euros ; le même jour, M. et Mme [X] ont acquis un bien immobilier situé à [Adresse 10], selon la même répartition, moyennant un prix de 260 000 euros, payé comptant.
Il indique que les poursuites contre M. [X] ont débuté en 2007 et précise que lors des assignations en vue de la présente procédure, les actes du 2 avril 2021 ont été délivrés selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, M. et Mme [X] étant partis à la cloche de bois, la réassignation du 11 mars 2022 étant délivrée à Mme [X] sur son lieu de travail afin qu'elle lui soit remise à personne.
Il considère que M. [X] a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle en organisant son insolvabilité qui procède d'une succession d'actes, le dernier étant la vente de l'immeuble situé à [Adresse 10], le 31 août 2019, Mme [X] s'étant rendue complice de ce fait par fourniture de moyens.
En réponse aux intimés, il soutient que leur comportement fautif serait pénalement répréhensible pour avoir organisé leur insolvabilité ; à la lecture du courrier du 26 juin 2009 de son conseil, M. [X] savait que sa responsabilité pouvait être recherchée, le rapport de l'expert la mettant en exergue ; l'exercice de sa profession sous forme sociale protégeait le patrimoine de M. [X], l'EURL Azzura piscines 41 ayant été immatriculée le 5 août 2010, rien ne démontrant qu'elle était envisagée une année auparavant et la donation au profit de son épouse n'était pas nécessaire ; la chronologie des faits établit l'intention frauduleuse de M. [X] et la complicité de son épouse qui a accepté la donation.
Il ajoute que n'ayant pu faire exécuter le jugement du 22 février 2018 condamnant M. [X] à lui payer les frais de réparation des parties privatives de son bien et des dommages et intérêts, il subit un dommage en lien de causalité avec l'organisation de son insolvabilité.
M. et Mme [X] répondent que l'appelant ne justifie d'aucune condamnation pénale à leur encontre pour organisation frauduleuse d'insolvabilité ou complicité de ce fait ; après le dépôt du rapport de l'expert [H], le conseil de M. [X] le lui a transmis le 26 juin 2009 en lui indiquant que sa responsabilité ne pouvait être recherchée et il n'avait donc aucune raison d'organiser son insolvabilité ; en revanche, étant au chômage, suite à un licenciement économique au début de l'année 2009, il envisageait une reconversion professionnelle et notamment un changement de statut puisqu'il souhaitait se mettre à son compte et créer sa société ; il lui a paru indispensable de protéger sa famille en lui assurant un toit en cas d'échec de son projet professionnel et c'est dans ce contexte qu'il a créé l'EURL Azzura piscines en août 2010, laquelle a acheté le fonds de commerce de vente de piscines le 1er septembre 2010 et que, préalablement, en septembre 2009, il a donné à son épouse la nue-propriété de la maison en conservant l'usufruit.
Ils prétendent que la complicité de Mme [X] ne saurait être déduite de sa seule qualité d'épouse puisque, si elle a accepté la donation, il revient à M. [C] de prouver sa volonté de s'associer à l'organisation frauduleuse par l'acceptation de la donation.
Réponse de la cour
Il importe peu que M. [X] n'ait pas fait l'objet d'une condamnation pénale, M. [C] ayant choisi de l'attraire devant la juridiction civile sur le fondement de l'article 1240 du code civil selon lequel, Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le 26 juin 2009, son ancien conseil lui écrivait en ces termes, ci-joint le rapport de l'Expert qui vous est réellement défavorable.
Il n'empêche cependant que sauf à prouver votre intention de nuire, votre responsabilité civile personnelle ne peut pas être utilement recherchée et pas davantage la nullité des ventes auxquelles vous avez procédé pour un vice du consentement qui vous serait imputable (pièce intimés n°1).
L'on constate que ce conseil attirait son attention sur le caractère 'réellement défavorable' du rapport d'expertise et que ce rapport permettait à M. [X] de connaître précisément le montant des travaux de reprise auquel il pouvait être tenu, étant précisé que l'expert précisait, page 17 du rapport, que M. [C] se trouvait dans l'impossibilité d'occuper son logement depuis septembre 2007 et proposait de l'indemniser, outre les travaux de remise en état, par le paiement d'une somme mensuelle de 500 euros depuis cette date et jusqu'à la fin des travaux de reprise.
Il est donc certain que c'est, dûment informé, dès la réception du rapport d'expertise et du courrier de son conseil à la fin du mois de juin 2009, du montant des sommes qu'il devrait débourser, que pour échapper au paiement, il a, sans attendre la décision du tribunal, organisé son insolvabilité en consentant à son épouse, dès le 23 octobre 2009, une donation avec réserve d'usufruit de sa moitié indivise en nue-propriété sur un bien immobilier leur appartenant en indivision [Adresse 7].
En effet, si les intimés prétendent que la donation réalisée au profit de l'épouse avait pour seul but de la protéger en raison de la création de l'EURL Azzura piscine 41, il apparaît que celle-ci a été immatriculée le 5 août 2010, soit près d'un an après la donation du 23 octobre 2009 et qu'elle a été créée pour permettre l'acquisition du fonds de commerce de piscine selon acte notarié du 1er septembre 2010 ; de plus, cette donation n'était pas nécessaire, l'exercice de sa profession sous forme sociale protégeant le patrimoine de M. [X], étant précisé que les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
En l'absence de preuve d'une utilité quelconque de la donation, l'épouse avait nécessairement connaissance de sa finalité frauduleuse.
Après la donation, l'immeuble qui en était l'objet a été vendu selon acte notarié du 21 octobre 2016 au prix de 433 500 euros, réparti entre les indivisaires en une moitié en usufruit pour M. [X], soit 108 375 euros, une moitié en usufruit pour Mme [X] et le reste en pleine propriété soit 108 375 euros + 216 750 euros ; le même jour, M. et Mme [X] ont acquis un bien immobilier situé à [Adresse 10], selon la même répartition, moyennant un prix de 260 000 euros, payé comptant ; ce bien a été revendu le 31 août 2019.
La donation est un acte auquel celui qui veut diminuer son actif patrimonial pour organiser son insolvabilité a fréquemment recours. Il est certain que l'organisation de l'insolvabilité peut être antérieure à la décision judiciaire qui assoit la créance et la jurisprudence, comme la doctrine, proposent de fixer la période suspecte au jour de l'acte ou du fait générateur de responsabilité, les agissements répréhensibles prenant alors place dès l'apparition de la faute génératrice des réparations.
Il est certain, par ailleurs, qu'en acceptant la donation du 23 octobre 2009, alors qu'elle ne prétend pas avoir ignoré que son époux faisait l'objet de procédures judiciaires en raison des appartements qu'il possédait, et avait revendu, dans l'immeuble situé [Adresse 2], ensuite en acceptant de vendre le bien objet de la donation, situé [Adresse 7] leur servant de domicile, en encaissant la majorité du prix de vente, en achetant le même jour, 21 octobre 2016, un autre bien à [Adresse 10], bien qui sera vendu le 31 août 2019, Mme [X] a participé à l'organisation de l'insolvabilité de son ménage.
Le jugement est donc infirmé.
La faute commise tant par M. [X] que par Mme [X] ayant causé un dommage à M. [C], qui n'a pu faire exécuter le jugement du 22 février 2018, il y a lieu de les condamner à le réparer.
Sur la réparation du préjudice de M. [C]
M. [C] sollicitant la condamnation de M. [X] et de Mme [X], in solidum, au paiement des sommes allouées par le jugement du 22 février 2018, il sera fait droit à cette demande, uniquement en ce qui concerne Mme [X], M. [X] étant déjà condamné.
Sur les demandes annexes
M. et Mme [X] qui succombent seront déboutés de leur demande d'indemnité de procédure au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamnés in solidum au paiement des entiers dépens tant de première instance que d'appel et à verser à M. [C] une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code précité.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, par décision mise à disposition au greffe rendue en dernier ressort ;
Infirme le jugement, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Vu le jugement rendu le 22 février 2018 par le tribunal judiciaire de Blois ;
Condamne Mme [T] [R] épouse [X], in solidum avec M. [G] [X], déjà condamné, à payer à M. [S] [C] les sommes suivantes :
- 90 015,46 euros hors taxes, réévaluée à la date du jugement en fonction de l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction, sur la base de l'indice en vigueur au 10 juin 2009, plus la TVA au titre des travaux de réparation de l'appartement,
- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- 500 euros par mois à compter du jugement tant que les condamnations prononcées contre lui pour la remise en état de l'appartement n'auront pas été acquittées ;
Déboute Mme [T] [R] épouse [X] et M. [G] [X] de leur demande d'indemnité de procédure ;
Les condamne, in solidum, au paiement des entiers dépens tant de première instance que d'appel et à verser à M. [S] [C] une indemnité de procédure de 4 000 euros.
Arrêt signé par Monsieur Laurent SOUSA, conseiller ayant participé au délibéré, et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE CONSEILLER
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 30/09/2025
la SCP ROBILIARD
la SCP REFERENS
ARRÊT du : 30 SEPTEMBRE 2025
N° : - 25
N° RG 23/01123 - N° Portalis DBVN-V-B7H-GY6K
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8] en date du 09 Mars 2023
PARTIES EN CAUSE
APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265297747780357
Monsieur [S] [C]
né le 16 Mars 1971 à [Localité 9]
Chez Monsieur et Madame [C] - [Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Denys ROBILIARD de la SCP ROBILIARD, avocat au barreau de BLOIS
D'UNE PART
INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265297412808996
Monsieur [G] [X]
né le 09 Mai 1957 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Me Laurent LALOUM de la SCP REFERENS, avocat au barreau de BLOIS
Madame [T] [R] épouse [X]
née le 08 Mars 1964 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Laurent LALOUM de la SCP REFERENS, avocat au barreau de BLOIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 23 Avril 2023.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 03 février 2025
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 08 Avril 2025 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.
Lors du délibéré, au cours duquel Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles a rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 30 septembre 2025 (délibéré prorogé, initialement fixé au 24 juin 2025) par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCÉDURE
M. [S] [C] est copropriétaire, selon acte notarié du 31 mars 2007, de divers lots de copropriété, consistant notamment en un appartement de 57 m² situé au deuxième étage de l'un immeuble situé [Adresse 2], cadastré section DO n°[Cadastre 1] ; ces lots de copropriété ont appartenu, du 30 juillet 1987 au 30 mai 1989 à M. [G] [X].
A la suite d'une infiltration d'eau, constatée au cours de l'été 2007 par la mère de M. [C] alors qu'il se trouvait à l'étranger pour des raisons professionnelles, il est apparu que le sinistre provenait d'une vanne mal fermée d'un sani-broyeur dans l'appartement du troisième étage appartenant à Mme [B] [N], qui en avait fait l'acquisition selon acte notarié du 3 avril 1995 ; cet appartement avait appartenu, du 18 août 1982 au 22 décembre 1987 à M. [G] [X].
Le 21 novembre 2007, M. [C] faisait dresser constat par un huissier de justice, tant de son appartement que de celui de Mme [N] ; il apparaissait que le sol du salon séjour de l'appartement du troisième étage présentait une surface concave extrêmement marquée tandis que la charpente du plafond haut de celui du deuxième étage était renforcée par des pièces métalliques, tordues au droit de la poutre maîtresse qui sonnait creux ; des artisans présents lors du constat estimaient que le plafond de l'appartement de M. [C] était extrêmement fragile et dangereux, rendant le logement inhabitable en l'état.
Au vu du rapport d'expertise réalisé par M. [W] [H], par jugement rendu le 22 février 2018, le tribunal de grande instance de Blois a, notamment, condamné M. [G] [X] à payer à M. [C] les sommes suivantes :
- 90 015,46 euros hors taxes, indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction, au titre des travaux de réparation de l'appartement,
- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- 500 euros par mois à compter du jugement tant que les condamnations prononcées contre lui pour la remise en état de l'appartement n'auront pas été acquittées,
- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ce jugement est devenu définitif, la péremption de l'instance d'appel introduite par M. [X] ayant été constatée.
Reprochant à M. [X] d'avoir, de concert avec son épouse, organisé son insolvabilité, par actes d'huissier délivrés les 2 avril 2021 et 11 mars 2022, M. [C] a fait assigner M. [X] et son épouse Mme [T] [E] devant le tribunal judiciaire de Blois en paiement des condamnations prononcées par le jugement du 22 février 2018.
Par jugement rendu le 9 mars 2023, le tribunal judiciaire de Blois a :
- débouté M. [S] [C] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [S] [C] à payer à M. [G] [X] et Mme [T] [E] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [S] [C] aux entiers dépens.
Par déclaration du 23 avril 2023, M. [S] [C] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.
Les parties ont conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 février 2025.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 19 juillet 2023, M. [S] [C] demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement du 9 mars 2023,
- STATUANT à nouveau,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] au versement de la somme de 20.213,21 euros HT, soit 24.255,85 euros à M. [C] devant être réévaluée à la date du jugement en fonction de l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction sur la base de l'indice en vigueur au 10 juin 2009 plus la TVA conformément au jugement rendu le 22 février 2018 par le Tribunal Judiciaire en réparation du préjudice financier du requérant,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] à verser à M. [C] 30 000 euros de dommages-intérêts,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] à verser à M. [C] une indemnité de 500 euros par mois à compter du jugement intervenu le 22 février 2018 jusqu'à la remise en état de l'appartement litigieux, soit 24.000 euros à la date des présentes,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 CPC,
- CONDAMNER in solidum Monsieur et Madame [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 4 août 2023 M. [G] [X] et Mme [T] [E] demandent à la cour de :
CONFIRMER le jugement du 9 mars 2023 en ce qu'il :
- DÉBOUTE Monsieur [C] de l'ensemble de ses demandes,
- CONDAMNE Monsieur [S] [C] à payer à Monsieur [X] et Madame [X], ensemble, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- DÉBOUTE Monsieur [C] de sa demande au titre de l'article 700 du CPC.
CONDAMNE Monsieur [C] aux entiers dépens,
DIRE ET JUGER Monsieur [C] mal fondé en son appel et LE DÉBOUTER de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Y AJOUTANT :
CONDAMNER Monsieur [C] au paiement au profit de Monsieur et Madame [X] d'une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile eu égard aux frais engagés en appel,
CONDAMNER Monsieur [C] aux dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
MOTIFS
Sur la faute reprochée à M. et Mme [X]
Moyens des parties
M. [C] expose que M. et Mme [X] se sont mariés sous le régime de la séparation de biens selon contrat de mariage du 24 septembre 1991 ; alors qu'ils étaient propriétaires indivis par moitié d'une maison située [Adresse 7], le 23 octobre 2009, M. [X] réalisait une donation avec réserve d'usufruit au profit de son épouse de la moitié indivise en nue-propriété ; ce bien a été vendu selon acte notarié du 21 octobre 2016 au prix de 433 500 euros, réparti en la moitié en usufruit pour M. [X], soit 108 375 euros, la moitié en usufruit pour Mme [X] et le reste en pleine propriété soit 108 375 euros + 216 750 euros ; le même jour, M. et Mme [X] ont acquis un bien immobilier situé à [Adresse 10], selon la même répartition, moyennant un prix de 260 000 euros, payé comptant.
Il indique que les poursuites contre M. [X] ont débuté en 2007 et précise que lors des assignations en vue de la présente procédure, les actes du 2 avril 2021 ont été délivrés selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, M. et Mme [X] étant partis à la cloche de bois, la réassignation du 11 mars 2022 étant délivrée à Mme [X] sur son lieu de travail afin qu'elle lui soit remise à personne.
Il considère que M. [X] a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle en organisant son insolvabilité qui procède d'une succession d'actes, le dernier étant la vente de l'immeuble situé à [Adresse 10], le 31 août 2019, Mme [X] s'étant rendue complice de ce fait par fourniture de moyens.
En réponse aux intimés, il soutient que leur comportement fautif serait pénalement répréhensible pour avoir organisé leur insolvabilité ; à la lecture du courrier du 26 juin 2009 de son conseil, M. [X] savait que sa responsabilité pouvait être recherchée, le rapport de l'expert la mettant en exergue ; l'exercice de sa profession sous forme sociale protégeait le patrimoine de M. [X], l'EURL Azzura piscines 41 ayant été immatriculée le 5 août 2010, rien ne démontrant qu'elle était envisagée une année auparavant et la donation au profit de son épouse n'était pas nécessaire ; la chronologie des faits établit l'intention frauduleuse de M. [X] et la complicité de son épouse qui a accepté la donation.
Il ajoute que n'ayant pu faire exécuter le jugement du 22 février 2018 condamnant M. [X] à lui payer les frais de réparation des parties privatives de son bien et des dommages et intérêts, il subit un dommage en lien de causalité avec l'organisation de son insolvabilité.
M. et Mme [X] répondent que l'appelant ne justifie d'aucune condamnation pénale à leur encontre pour organisation frauduleuse d'insolvabilité ou complicité de ce fait ; après le dépôt du rapport de l'expert [H], le conseil de M. [X] le lui a transmis le 26 juin 2009 en lui indiquant que sa responsabilité ne pouvait être recherchée et il n'avait donc aucune raison d'organiser son insolvabilité ; en revanche, étant au chômage, suite à un licenciement économique au début de l'année 2009, il envisageait une reconversion professionnelle et notamment un changement de statut puisqu'il souhaitait se mettre à son compte et créer sa société ; il lui a paru indispensable de protéger sa famille en lui assurant un toit en cas d'échec de son projet professionnel et c'est dans ce contexte qu'il a créé l'EURL Azzura piscines en août 2010, laquelle a acheté le fonds de commerce de vente de piscines le 1er septembre 2010 et que, préalablement, en septembre 2009, il a donné à son épouse la nue-propriété de la maison en conservant l'usufruit.
Ils prétendent que la complicité de Mme [X] ne saurait être déduite de sa seule qualité d'épouse puisque, si elle a accepté la donation, il revient à M. [C] de prouver sa volonté de s'associer à l'organisation frauduleuse par l'acceptation de la donation.
Réponse de la cour
Il importe peu que M. [X] n'ait pas fait l'objet d'une condamnation pénale, M. [C] ayant choisi de l'attraire devant la juridiction civile sur le fondement de l'article 1240 du code civil selon lequel, Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le 26 juin 2009, son ancien conseil lui écrivait en ces termes, ci-joint le rapport de l'Expert qui vous est réellement défavorable.
Il n'empêche cependant que sauf à prouver votre intention de nuire, votre responsabilité civile personnelle ne peut pas être utilement recherchée et pas davantage la nullité des ventes auxquelles vous avez procédé pour un vice du consentement qui vous serait imputable (pièce intimés n°1).
L'on constate que ce conseil attirait son attention sur le caractère 'réellement défavorable' du rapport d'expertise et que ce rapport permettait à M. [X] de connaître précisément le montant des travaux de reprise auquel il pouvait être tenu, étant précisé que l'expert précisait, page 17 du rapport, que M. [C] se trouvait dans l'impossibilité d'occuper son logement depuis septembre 2007 et proposait de l'indemniser, outre les travaux de remise en état, par le paiement d'une somme mensuelle de 500 euros depuis cette date et jusqu'à la fin des travaux de reprise.
Il est donc certain que c'est, dûment informé, dès la réception du rapport d'expertise et du courrier de son conseil à la fin du mois de juin 2009, du montant des sommes qu'il devrait débourser, que pour échapper au paiement, il a, sans attendre la décision du tribunal, organisé son insolvabilité en consentant à son épouse, dès le 23 octobre 2009, une donation avec réserve d'usufruit de sa moitié indivise en nue-propriété sur un bien immobilier leur appartenant en indivision [Adresse 7].
En effet, si les intimés prétendent que la donation réalisée au profit de l'épouse avait pour seul but de la protéger en raison de la création de l'EURL Azzura piscine 41, il apparaît que celle-ci a été immatriculée le 5 août 2010, soit près d'un an après la donation du 23 octobre 2009 et qu'elle a été créée pour permettre l'acquisition du fonds de commerce de piscine selon acte notarié du 1er septembre 2010 ; de plus, cette donation n'était pas nécessaire, l'exercice de sa profession sous forme sociale protégeant le patrimoine de M. [X], étant précisé que les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
En l'absence de preuve d'une utilité quelconque de la donation, l'épouse avait nécessairement connaissance de sa finalité frauduleuse.
Après la donation, l'immeuble qui en était l'objet a été vendu selon acte notarié du 21 octobre 2016 au prix de 433 500 euros, réparti entre les indivisaires en une moitié en usufruit pour M. [X], soit 108 375 euros, une moitié en usufruit pour Mme [X] et le reste en pleine propriété soit 108 375 euros + 216 750 euros ; le même jour, M. et Mme [X] ont acquis un bien immobilier situé à [Adresse 10], selon la même répartition, moyennant un prix de 260 000 euros, payé comptant ; ce bien a été revendu le 31 août 2019.
La donation est un acte auquel celui qui veut diminuer son actif patrimonial pour organiser son insolvabilité a fréquemment recours. Il est certain que l'organisation de l'insolvabilité peut être antérieure à la décision judiciaire qui assoit la créance et la jurisprudence, comme la doctrine, proposent de fixer la période suspecte au jour de l'acte ou du fait générateur de responsabilité, les agissements répréhensibles prenant alors place dès l'apparition de la faute génératrice des réparations.
Il est certain, par ailleurs, qu'en acceptant la donation du 23 octobre 2009, alors qu'elle ne prétend pas avoir ignoré que son époux faisait l'objet de procédures judiciaires en raison des appartements qu'il possédait, et avait revendu, dans l'immeuble situé [Adresse 2], ensuite en acceptant de vendre le bien objet de la donation, situé [Adresse 7] leur servant de domicile, en encaissant la majorité du prix de vente, en achetant le même jour, 21 octobre 2016, un autre bien à [Adresse 10], bien qui sera vendu le 31 août 2019, Mme [X] a participé à l'organisation de l'insolvabilité de son ménage.
Le jugement est donc infirmé.
La faute commise tant par M. [X] que par Mme [X] ayant causé un dommage à M. [C], qui n'a pu faire exécuter le jugement du 22 février 2018, il y a lieu de les condamner à le réparer.
Sur la réparation du préjudice de M. [C]
M. [C] sollicitant la condamnation de M. [X] et de Mme [X], in solidum, au paiement des sommes allouées par le jugement du 22 février 2018, il sera fait droit à cette demande, uniquement en ce qui concerne Mme [X], M. [X] étant déjà condamné.
Sur les demandes annexes
M. et Mme [X] qui succombent seront déboutés de leur demande d'indemnité de procédure au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamnés in solidum au paiement des entiers dépens tant de première instance que d'appel et à verser à M. [C] une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code précité.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, par décision mise à disposition au greffe rendue en dernier ressort ;
Infirme le jugement, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Vu le jugement rendu le 22 février 2018 par le tribunal judiciaire de Blois ;
Condamne Mme [T] [R] épouse [X], in solidum avec M. [G] [X], déjà condamné, à payer à M. [S] [C] les sommes suivantes :
- 90 015,46 euros hors taxes, réévaluée à la date du jugement en fonction de l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction, sur la base de l'indice en vigueur au 10 juin 2009, plus la TVA au titre des travaux de réparation de l'appartement,
- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- 500 euros par mois à compter du jugement tant que les condamnations prononcées contre lui pour la remise en état de l'appartement n'auront pas été acquittées ;
Déboute Mme [T] [R] épouse [X] et M. [G] [X] de leur demande d'indemnité de procédure ;
Les condamne, in solidum, au paiement des entiers dépens tant de première instance que d'appel et à verser à M. [S] [C] une indemnité de procédure de 4 000 euros.
Arrêt signé par Monsieur Laurent SOUSA, conseiller ayant participé au délibéré, et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE CONSEILLER