Livv
Décisions

CA Orléans, ch. civ., 23 septembre 2025, n° 23/00260

ORLÉANS

Arrêt

Autre

CA Orléans n° 23/00260

23 septembre 2025

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/09/2025

la SELARL LX POITIERS-[Localité 15]

Me Caroline BOSCHER

ARRÊT du : 23 SEPTEMBRE 2025

N° : - 25

N° RG 23/00260 - N° Portalis DBVN-V-B7H-GW64

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 15] en date du 07 Décembre 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: [XXXXXXXXXX02]

S.A.R.L. AUDE ASSURIMMO, S.A.R.L immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le n° 530 205 517, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès-qualité au siège.

[Adresse 3]

[Localité 1]

ayant pour avocat postulant Me Sophie GATEFIN de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Loïc ALRAN de la SCP ALRAN PERES RENIER, avocat au barreau de TOULOUSE

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265287668028558

Madame [G] [U] épouse [W]

née le 04 Octobre 1973 à [Localité 18]

[Adresse 6]

[Localité 5]

ayant pour avocat postulant Me Caroline BOSCHER, avocat au barreau d'ORLEANS

ayant pour avocat plaidant Me Nathalie BERTRAND de la SCP BERTRAND ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN,

Monsieur [J] [W]

né le 25 Novembre 1971 à [Localité 17]

[Adresse 6]

[Localité 5]

ayant pour avocat postulant Me Caroline BOSCHER, avocat au barreau d'ORLEANS

ayant pour avocat plaidant Me Nathalie BERTRAND de la SCP BERTRAND ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN barreau D'ORLEANS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 18 Janvier 2023.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 22 avril 2025

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 24 Juin 2025 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant M. Laurent SOUSA, Conseiller, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel M. Laurent SOUSA, Conseiller a rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 23 septembre 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte du 10 décembre 2015, M. et Mme [W] se sont engagés à acquérir un bien immobilier, la négociation ayant été effectuée par la société Aude Assurimmo dont la commission était fixée à 50 000 euros, suivant mandat de vente du 1er septembre 2015. Les acquéreurs se sont ensuite désistés.

Le 26 octobre 2020, la société Aude Assurimmo a fait assigner M. et Mme [W] devant le tribunal judiciaire d'Orléans en paiement du montant restant dû au titre de sa commission.

Par jugement en date du 7 décembre 2022, le tribunal judiciaire d'Orléans a :

- déclare irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par la société Aude Assurimmo ;

- déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

- condamné la société Aude Assurimmo à payer à M. et Mme [W] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé les dépens à la charge de la société Aude Assurimmo.

Par déclaration en date du 18 janvier 2023, la société Aude Assurimmo a interjeté appel de tous les chefs du jugement.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2023, la société Aude Assurimmo demande à la cour de :

- la déclarer bien fondée en son appel ;

- réformer dans son intégralité le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

- déclarer ses demandes recevables ;

- condamner les consorts [W] au paiement de la somme de 49 800 € outre les intérêts de droit à compter du 10 mars 2020, date de la mise en demeure ;

- débouter les consorts [W] de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

- condamner in solidum les consorts [W] au paiement de la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et de la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de l'avocat soussigné.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 18 juillet 2023, M. et Mme [W] demandent à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions et, en conséquence :

- déclarer irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par la société Aude Assurimmo ;

A titre subsidiaire,

- débouter la société Aude Assurimmo de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

- la condamner à leur verser une somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

I- Sur la recevabilité de la demande en paiement

Moyens des parties

L'appelante soutient que l'article L. 218-2 du code de la consommation est inapplicable en l'espèce, car il ne s'applique qu'au consommateur ; que les époux [W] se sont portés acquéreurs d'un immeuble à usage professionnel, ainsi que cela résulte de la désignation des biens vendus dans le compromis de vente ; qu'à la date de la signature du compromis de vente, un bail commercial précaire avait été régularisé entre le vendeur et la société [Adresse 12] (CSBS) représentée par M. [W] ; que par voie de conséquence, le projet d'acquisition des époux [W] s'inscrivait bien dans un cadre professionnel ; que les consorts [W] doivent donc nécessairement être considérés comme des professionnels, agissant à des fins professionnelles, et non comme des consommateurs pour l'application de l'article L.218-2 du code de la consommation ; que le bien vendu était à usage mixte, mais en aucun cas il n'a été précisé qu'il était essentiellement à usage d'habitation ; que la qualité d'actionnaire de Mme [W] de la société CSBS vient confirmer le fait que les consorts [W] n'ont pas agi en qualité de consommateurs ; que la société CSBS a transféré son siège social dans les lieux acquis, selon procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire des associés du 23 mars 2015, ce qui prouve bien que ces locaux devaient être utilisés dans une finalité professionnelle ; que la société CSBS a déposé une demande de forage au lieu acquis et a obtenu un arrêté préfectoral le 30 mai 2018 autorisant ce forage dans le cadre de son activité, ce qui montre la réalité, et la continuité de la finalité professionnelle du site qui était alors acquis par les seuls actionnaires et dirigeants de la société commerciale ; que par voie de conséquence, le délai de prescription applicable en l'espèce était celui de cinq ans, prévu par l'article 2224 du code civil ; que le délai de prescription a en outre été interrompu ; que M. [W] a reconnu sa dette par son mail du 31 décembre 2018 ; que la reconnaissance de la dette envers les vendeurs qui est indiscutable, à rebours de ce qu'affirment les défendeurs, emporte implicitement reconnaissance de la dette envers Assurimmo ; que par ailleurs, le débiteur a réglé un acompte de 200 € qui a été encaissé le 27 janvier 2020 ; que ce règlement constitue une autre cause d'interruption de la prescription et il importe peu que ce paiement ait eu lieu à la suite d'une mise en demeure rédigée par un huissier de justice ; que dans son mail du 31 décembre 2018, M. [W] estimait payer à la fois sa dette à l'égard des vendeurs et celle à l'égard de Aude Assurimmo ; que le fait est que l'huissier mentionne spécifiquement le versement du débiteur, à l'étude, de la somme de 200 € au crédit de la société Aude Assurimmo ; qu'un an acompte ayant été payé par les intimés, il ne fait aucun doute qu'ils avaient par la même, reconnu la présente dette ; que de plus, le 13 février 2019, les consorts [W] ont régularisé un accord transactionnel avec les vendeurs avec l'intervention de Aude Assurimmo ; que par la signature de ce document, les époux [W] ont expressément reconnu leur dette de 50 000 € à leur égard ; qu'il était seulement prévu de ramener cette dette à 14 400 € en cas de paiement au plus tard le 31 décembre 2019 ; que ce paiement n'ayant pas été effectué dans le délai prévu, elle est fondée à agir en paiement de la totalité de sa créance ; que contrairement à ce qu'a pu retenir le tribunal, l'accord transactionnel signé comporte une reconnaissance de dette, puisque les intimés reconnaissent au moins devoir la somme de 12 000 euros HT ; que ce document constitue une cause d'interruption de la prescription au sens de l'article 2240 du code civil ; que les intimés prétendent que seul M. [W] aurait accompli un acte interruptif de prescription qui ne serait pas opposable à Mme [W], mais cette argumentation est contraire aux dispositions de l'article 1421 du code civil ; que dans tous les cas, la signature de l'accord du 13 février 2019, et le règlement de l'acompte de 200 € le 27 janvier 2020 sont interruptifs de prescription à l'égard des deux époux ; qu'en effet, l'acte du 10 décembre 2015 contient une clause de solidarité et l'article 2245 du code civil prévoit que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres ; que la cour infirmera le jugement et déclarera son action recevable.

M. et Mme [W] répliquent qu'un client peut se prévaloir de la qualité de consommateur peut opposer à un agent immobilier la prescription de deux ans prévue à l'article L 218-2 du code de la consommation ; que le seul fait que le domaine, objet du compromis, comprenne des « cuisines professionnelles » ou encore que le locataire à titre précaire du bien soit la société dont M. [W] est le seul et unique actionnaire ne suffit pas à caractériser le fait qu'ils auraient agi dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; qu'il importe peu qu'au jour de la signature du compromis le bien était occupé par la société CSBS, dès lors que les biens étaient vendus libres de toute occupation et que la société ne disposait d'aucun droit pour rester dans les lieux ; que la société n'occupait pas la totalité des biens acquis par eux en leur nom personnel dès lors que les propriétaires y séjournaient et les louaient à d'autres personnes ; que l'appelante ne peut dès lors affirmer que M. [W] achetait le bien dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, libérale ou agricole et non pas à des fins d'habitation comme mentionné dans le compromis ; que c'est d'ailleurs la qualité de consommateur qui a conduit le notaire à purger le droit de rétractation rappelant expressément que le bien objet du compromis est destiné à être affecté à l'habitation ; qu'il importe peu que Mme [W] ait été à un moment donné actionnaire de la société preneuse d'une partie des lieux au jour de la signature du compromis ; qu'indépendamment du fait qu'être actionnaire d'une société ne confère pas la qualité de commerçant ni même de professionnel, il sera relevé qu'au jour de la signature du compromis, Mme [W] n'avait plus cette qualité d'actionnaire ; que c'est ainsi par une exacte appréciation des faits que le tribunal a considéré que les époux [W] avaient signé le compromis de vente en qualité de consommateurs et qu'il convenait d'appliquer l'article L.218-2 du code de la consommation ; que la cour ne pourra dès lors que confirmer le jugement sur ce point et déclarer l'action de la société Aude Assurimmo prescrite ; qu'aucune interruption de prescription n'est intervenue, la société Aude Assurimmo ne justifiant d'aucun écrit émanant d'eux mentionnant de manière claire et non équivoque être redevables à son encontre d'une somme de 50 000 € au titre de sa commission d'agence ; que la société Aude Assurimmo ne peut, en effet, utilement se prévaloir du mail de M. [W] du 31 décembre 2018 qui ne comporte aucune reconnaissance de dette à son encontre, M. [W] manifestant tout au plus sa surprise de lire que la société Aude Assurimmo aurait été missionnée par les vendeurs alors que ces derniers avaient eu recours aux services d'un huissier ; qu'il n'existe ainsi aucune reconnaissance de dette certaine et non équivoque de leur part qu'il s'agisse de la dette des vendeurs ou de celle de la société Aude Assurimmo ; que celle-ci ne peut, pas davantage, se prévaloir de l'acte sous seing privé du 13 février 2019 qu'elle nomme « accord transactionnel » ; qu'indépendamment du fait que le document communiqué ne permet pas de vérifier s'ils ont chacun signé ledit document, la cour constatera qu'ils ne reconnaissent en aucun cas devoir à la société Aude Assurimmo la somme de 50 000 € TTC et ne prennent aucun engagement ; que les versements réalisés par M. [W] à l'huissier ne peuvent, pas davantage, caractériser une reconnaissance de dette puisque réalisés sous la contrainte d'un huissier et dans les seuls intérêts du vendeur, étant ici ajoutés que la société Assurimmo se contente de communiquer au débat la lettre de l'huissier du 27 janvier 2020 lui transmettant un chèque de 164 € dont aucune copie n'est produite ; qu'un tel paiement peut d'autant moins caractériser une reconnaissance de dette des époux [W] qu'il n'émane pas des deux époux mais d'un seul ; que si l'article 1421 du code civil permet à un époux commun en bien d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, il ne l'autorise aucunement à contracter des dettes dont les montants dépassent très largement les facultés contributives des époux ; que les dispositions de l'article 2245 du code civil sont étrangères à la reconnaissance de dette qui ne peut être que personnelle, peu importe l'existence d'une solidarité ; que dès lors, si la cour ne déclare pas la société Aude Assurimmo irrecevable en ses demandes à leur encontre, elle devra déclarer son action irrecevable envers Mme [W].

Réponse de la cour

L'article L.137-2 devenu l'article L.218-2 du code de la consommation dispose que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

L'article préliminaire du code de la consommation, dans sa version en vigueur au jour du mandat de vente, dispose qu'est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.

En l'espèce, le compromis de vente stipule :

« Les parties reconnaissent que les termes, prix et conditions des présentes ont été négociés par l'agence immobilière Aude Assurimmo sise [Adresse 4] titulaire d'un mandat sous le numéro 48 en date du 1er septembre 2015.

En conséquence, l'ACQUEREUR qui en aura seul la charge, s'engage à lui verser une rémunération de CINQUANTE MILLE EUROS (50 000.00 EUR), taxe sur la valeur ajoutée incluse.

Cette rémunération sera payée le jour ou la vente sera définitivement conclue ».

L'acte prévoyait que la vente devait être réitérée au plus tard le 28 février 2018. La vente portait sur le bien décrit comme suit :

« [Adresse 7] [Localité 16] (HERAULT), 34330

Un domaine situé lieudit '[Localité 10]' composé de plusieurs bâtiments, savoir

- un bâtiment dit '[Adresse 14]' composé d'un rez-de-chaussée élevé de deux étages

- un bâtiment en U, avec des cuisines professionnelles

- deux bâtiments annexes, ancien logement de garde

Des équipements de loisirs : courts de tennis, mur d'escalade, 12 box à chevaux, piscine, plateau omnisport, aire de tir à l'arc, trois cabanons à usage de stockage de matériels, bois et prairies autour

[']

L'ACQUEREUR sera propriétaire du BIEN à compter du jour de la réalisation de la vente par acte authentique.

Etant observé que la société dont il est seul et unique actionnaire fondateur en est actuellement locataire depuis le 12 mars 2015.

Le contrat de location résulte d'un bail précaire commercial sous seing privé demeuré ci-annexé après mention ».

La société Aude Assurimmo produit aux débats le bail précaire commercial conclu entre les vendeurs et la société CSBS représentée par M. [W], portant sur un immeuble de 2 400 m² à usage de restaurant et chambres d'hôtes et comprenant plusieurs bâtiments, affectés à l'exploitation d'une activité de formation de vente de produits naturels et d'une manière générale à toute activité de vente ou prestations commerciales, conclu pour la période du 12 mars 2015 jusqu'au 28 février 2018.

Il résulte du bail précaire commercial que la société CSBS devait quitter les lieux et transférer son siège social, à l'expiration du bail le 28 février 2018, date correspondant à la date maximale de réitération de la vente par acte authentique des lieux qui étaient occupés par ladite société.

L'acte de vente mentionne que M. [W] avait la profession de « président », et il est établi qu'il était le président de la société CSBS lors de la signature du compromis de vente. L'acte mentionne que Mme [W] avait la profession de « responsable pôle formation », sans précision sur le fait que cette activité s'exerçait également au sein de la société CSBS au sein de laquelle elle avait été actionnaire.

Par ailleurs, la description de l'immeuble objet de la vente, sa contenance de 14 hectares 90 ares, et son usage mixte professionnel et d'habitation, établissent que M. et Mme [W] n'agissaient pas dans leur intérêt privé, mais avec une finalité professionnelle, l'acquisition permettant de sauvegarder le lieu d'activité de la société CSBS dont M. [W] était alors le président. La cour relève par ailleurs que le compromis de vente comportait une clause de substitution permettant à M. et Mme [W] de se voir substituer un tiers pour l'acquisition de l'ensemble immobilier.

L'appelante produit d'ailleurs une attestation de Mme [I], employée de la société CSBS, dans laquelle elle affirme que les locaux professionnels, les logements pour les salariés et le domaine seraient acquis par la société CSBS dont M. [W] était le gérant.

Il y a enfin lieu de relever que le défaut de réitération de la vente immobilière par M. et Mme [W] est contemporain d'un changement de président au sein de la société CSBS, puisque lors d'une demande de forage déposée à la préfecture le 29 mai 2018, ladite société n'était plus représentée par M. [W] mais par M. [D].

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être considéré que M. et Mme [W] avaient la qualité de consommateur lors de l'établissement du compromis de vente ayant donné lieu à la prestation de la société Aude Assurimmo.

Les dispositions de l'article L.137-2 devenu l'article L.218-2 du code de la consommation sont donc inapplicables au présent litige.

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, la société Aude Assurimmo a eu connaissance des faits lui permettant d'agir à l'encontre de M. et Mme [W] le 28 février 2018, date à laquelle la vente n'a pas été réitérée, les acquéreurs ayant par la suite confirmé qu'ils souhaitaient se désister de la vente.

La société Aude Assurimmo ayant introduit son action en justice par acte du 26 octobre 2020, soit dans le délai quinquennal de prescription, celle-ci est recevable sans qu'il n'y ait lieu d'examiner la question d'un éventuel acte interruptif de prescription antérieur.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclare irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par la société Aude Assurimmo.

II- Sur le bien-fondé de la demande en paiement

Moyens des parties

L'appelante indique qu'il est mentionné dans le compromis de vente, qu'elle était bien titulaire d'un mandat parfaitement régulier et elle produit également un procès-verbal de constat en date du 29 novembre 2021 qui confirme la parfaite régularité du mandat de vente qui a été régulièrement inscrit sur le registre obligatoire prévu par l'article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ; que les époux [W] ont clairement reconnu sa créance dans le mail de M. [W] du 31 décembre 2018, par la signature de l'accord du 13 février 2019, et par le versement d'un acompte le 27 janvier 2020 ; qu'en application des articles 1383 et 1383-1 du code civil, il s'agit d'un aveu extrajudiciaire et les époux [W] ne peuvent plus aujourd'hui contester sa créance ; que s'agissant d'un compromis de vente conclu le 10 décembre 2015, l'argument selon lequel l'acte serait nul à défaut d'avoir été enregistré sera écarté, car l'article 1589-2 du code civil est inopérant, cette disposition n'étant applicable qu'en matière de promesse unilatérale ; que l'acte constituant un accord définitif sur la chose et sur le prix, le refus de réitérer la vente ne pouvait avoir pour effet de priver l'intermédiaire de son droit à rémunération ou à indemnisation ; que les acquéreurs ne peuvent se prévaloir du défaut de réalisation de conditions suspensives, dès lors qu'ils ont expressément reconnu le droit des vendeurs au paiement de la clause pénale ; que la preuve du refus de passer l'acte peut être établie par tous moyens ; que la réception d'une lettre recommandée mettant en demeure les acquéreurs d'entériner la vente est amplement suffisante ; que les époux [W] invoquent enfin la faculté de rétractation prévue à l'article [13]-1 du code de la construction et de l'habitation, qui n'était pas applicable en l'espèce, a pourtant été purgé par le notaire rédacteur de l'acte du 10 décembre 2015, de sorte que ce moyen est inopérant ; qu'il sera donc fait droit à sa demande en paiement.

M. et Mme [W] répliquent que la société Aude Assurimmo ne justifie d'aucun mandat régulier enregistré sur un registre de sorte qu'elle ne pourra qu'être déboutée de sa demande de rémunération ; que la société Aude Assurimmo produit finalement un mandat en date du 1er septembre 2015 comme mentionné dans le compromis de vente ; qu'il appartiendra à la cour d'appel d'apprécier la régularité de ce mandat dont on a du mal à cerner le numéro d'enregistrement, le procès-verbal d'huissier n'étant, par ailleurs, pas communiqué intégralement ; qu'aux termes de l'acte du 15 décembre 2015 que la société Aude Assurimmo qualifie de compromis de vente, ils ne se sont jamais engagés à acquérir ledit bien et n'ont pas même accepté l'engagement de vendre des vendeurs ; qu'ils n'ont de même jamais reconnu le droit des vendeurs au paiement de la clause pénale ni renoncé à se prévaloir de la caducité de la vente pour défaillance d'une condition suspensive stipulée dans leur intérêt ; que l'absence totale de versement de somme d'argent confirme l'absence de toutes obligations de leur part ; que le défaut de réalisation des conditions suspensives n'a pour effet que de rendre la promesse caduque ; que leur comportement confirme qu'ils considéraient avoir signé une simple promesse de vente ; que cette promesse unilatérale de vente n'ayant en outre pas été enregistrée est nulle et de nul effet ; que les parties ont expressément entendu faire de la signature de l'acte authentique de vente une condition de la vente de sorte qu'en l'absence de régularisation de celui-ci, l'agent immobilier ne peut revendiquer une quelconque rémunération ; que l'acte était subordonné à la réalisation de diverses conditions suspensives dont la réalisation n'est pas justifiée par la société Aude Assurimmo et de l'obtention d'un certificat d'urbanisme informatif ; que la cour constatera, à cet égard, qu'ils n'ont jamais été mis en demeure par le notaire d'avoir à se présenter à son étude pour signer la vente ; qu'ils n'ont à aucun moment, clairement reconnu la créance de la société Aude Assurimmo et qu'ils entendaient l'un ou l'autre lui verser la somme de 50 000 € TTC à l'agence au titre de sa commission ; que la cour ne pourra que débouter la société Aude Assurimmo de l'ensemble de ses demandes.

Réponse de la cour

L'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce dispose qu'aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif d'honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû aux personnes indiquées à l'article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu'une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties.

L'article 1er de ladite loi vise les personnes physiques ou morales qui, d'une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à l'achat, la vente, la recherche, l'échange, la location ou sous-location, saisonnière ou non, en nu ou en meublé d'immeubles bâtis ou non bâtis.

En l'espèce, le compromis de vente stipule :

« Les parties reconnaissent que les termes, prix et conditions des présentes ont été négociés par l'agence immobilière Aude Assurimmo sise [Adresse 4] titulaire d'un mandat sous le numéro 48 en date du 1er septembre 2015.

En conséquence, l'ACQUEREUR qui en aura seul la charge, s'engage à lui verser une rémunération de CINQUANTE MILLE EUROS (50 000.00 EUR), taxe sur la valeur ajoutée incluse.

Cette rémunération sera payée le jour ou la vente sera définitivement conclue ».

La société Aude Assurimmo justifie d'un mandat de vente n° 49 signé par les vendeurs le 1er septembre 2015 prévoyant le montant de sa rémunération, soit 50 000 euros TTC à la charge exclusive du vendeur. Si l'acte du 10 décembre 2015 mentionne le numéro de mandat 48, il s'agit d'une simple erreur matérielle qui ne peut priver le mandat d'effet, la date mentionnée à l'acte étant bien celle du 1er septembre 2015. M. et Mme [W] n'allèguent aucune irrégularité précise de ce mandat qui pourrait conduire à priver l'agence immobilière de sa rémunération.

L'acte authentique du 10 décembre 2015, comporte l'engagement synallagmatique des parties de vendre et d'acheter le bien décrit à l'acte, au prix convenu. Il est ainsi stipulé que le vendeur « vend, sous réserve de l'accomplissement des conditions stipulées aux présentes à l'acquéreur le bien dont la désignation suit ». Il s'agit donc d'un compromis de vente et non d'une promesse unilatérale de vente, de sorte que l'acte n'avait pas à être enregistré.

L'article 74 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 dispose que lorsque l'engagement des parties contient une clause de dédit ou une condition suspensive, l'opération ne peut être regardée comme effectivement conclue par l'application de l'avant-dernier alinéa du I de l'article 6 de la loi susvisée du 2 janvier 1970 s'il y a dédit ou tant que la faculté de dédit subsiste ou tant que la condition suspensive n'est pas réalisée.

En l'espèce, le compromis de vente comportait des conditions suspensives notamment liées à l'obtention d'un certificat d'urbanisme informatif ne révélant aucune contrainte ou servitude susceptible de déprécier la valeur de l'immeuble, et relative à l'obtention d'un prêt.

Le compromis de vente stipule :

« En conséquence la non-réalisation d'une seule de ces conditions ou réserves entraînera la caducité des présentes sauf si l'ACQUEREUR renonçait à se prévaloir de celles stipulées dans son seul intérêt.

Cette renonciation devra intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au notaire dans le délai prévu pour la réalisation de la condition dont il s'agit, ou postérieurement à la défaillance de la condition s'il s'agit d'une condition d'obtention d'un prêt ».

Le compromis de vente stipule que l'accord de prêt devait être obtenu avant le 31 décembre 2017. Aucun délai n'était stipulé s'agissant de la condition suspensive l'obtention d'un certificat d'urbanisme informatif, de sorte qu'elle pouvait se réaliser jusqu'à la date prévue pour la réitération de la vente par acte authentique, soit le 28 février 2018 au plus tard.

La société Aude Assurimmo ne se prévaut d'aucune lettre recommandée adressée par M. et Mme [W] au notaire afin de renoncer au bénéfice des conditions suspensives stipulées dans leur intérêt exclusif, en particulier celle liée au financement de l'acquisition.

L'appelante produit un « accord transactionnel » signé par M. et Mme [W], en date du 13 février 2019 intitulé « accord transactionnel indivision [E] / consorts [W] » ainsi rédigé :

« Suite à notre entretien avec Mr [F] [B] l'indivision [E] demande à Mr [W] et Madame la somme de 79.000 € soixante-dix-neuf mille euros suite à la clause pénale du sous-seing privé paiement au plus tard le 30 juin 2021

Comme convenu Les consorts [W] devront verser dès le 01/01/2020 1.000 € mille euros par mois jusqu'au 30 juin 2021 soit 18.000 € qui viendront en déduction des 79 000 € soixante dix neuf mille euros qu ils doivent. L'indivision [E] ne prendra pas d'intérêts si cet accord est respecté.

Par contre à un seul défaut de paiement cet accord sera caduc et des poursuites seront engagées.

Le cabinet Assurimmo sis à [Adresse 9] accepte de revoir son indemnité à 12 000 € HT soit 14 400 € quatorze mille quatre cent euros TTC suite à la non acquisition des locaux de l'indivision [E] clause de dédit qui était de 50.000 € suivant le sous-seing prive signé devant notaire Me [S] [H] notaire à [Localité 8] ce paiement devra être réalisé au plus tard le 31 décembre 2019.

Si ce paiement n'est pas effectué la SARL Aude Assurimmo reprendra ses droits et poursuivra les consorts [W] sur les fondements du sous-seing privé ».

Il convient de constater que dans cet acte, M. et Mme [W] ne se sont pas engagés à payer les honoraires de l'agent immobilier, l'accord ne comportant qu'une offre de remise partielle d'honoraires conditionnée à leur paiement avant le 31 décembre 2019.

Surtout, il est établi que dès lors que la date fixée par la promesse de vente pour la signature de l'acte authentique de vente constituait le point de départ de l'exécution forcée du contrat, la renonciation de l'acquéreur à la condition suspensive stipulée dans son intérêt exclusif devait intervenir avant cette date (3e Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-18.062, Bull. 2008, III, n° 211).

En l'espèce, il n'est pas démontré que M. et Mme [W] avaient obtenu un accord de prêt qui aurait été communiqué au vendeur, et la possibilité de renoncer à la condition suspensive après sa défaillance ne visait qu'à leur offrir la faculté d'acquérir le bien en l'absence de financement, et de signer l'acte authentique de vente dans le délai prévu au compromis de vente.

M. et Mme [W] n'ayant pas renoncé au bénéfice de la condition suspensive d'obtention d'un prêt avant le 28 février 2018, stipulée dans leur intérêt exclusif, le compromis de vente était devenu caduc à cette date, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'ils auraient renoncé au bénéfice de cette condition suspensive en signant l'accord transactionnel précité. En outre, si un versement a été effectué en application de cet accord auprès de l'huissier de justice en charge du recouvrement, la société Aude Assurimmo ne démontre pas que ce versement était destiné à payer ses honoraires et non une indemnité au profit du vendeur.

La société Aude Assurimmo n'allègue ni ne justifie que ces conditions suspensives ont été réalisées ou devraient être réputées accomplies, mais soutient que M. et Mme [W] ont renoncé à s'en prévaloir.

En l'absence de réalisation des conditions suspensives et de renonciation au bénéfice de celles-ci par M. et Mme [W], l'opération ne peut être regardée comme effectivement conclue par l'application de l'avant-dernier alinéa du I de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970, de sorte que la demande en paiement de la société Aude Assurimmo doit être rejetée.

III- Sur les frais de procédure

Le jugement sera confirmé en ses chefs statuant sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Aude Assurimmo sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à M. et Mme [W] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par la société Aude Assurimmo ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions critiquées ;

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

DÉBOUTE la société Aude Assurimmo de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la société Aude Assurimmo aux entiers dépens d'appel ;

CONDAMNE la société Aude Assurimmo à payer à M. et Mme [W] la somme complémentaire de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Laurent SOUSA, conseiller ayant participé aux débats et au délibéré, et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site