CA Montpellier, 2e ch. soc., 1 octobre 2025, n° 22/05382
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 01 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
F N° RG 22/05382 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PSYV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 SEPTEMBRE 2022
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00172
APPELANTE :
Madame [U] [A]
née le 12 Avril 1970 à [Localité 4] (01)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée sur l'audience par Me Thomas DES PREZ DE LA MORLAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
S.A.S. JACQUES COEUR DIFFUSION
Prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social, sis
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Fabrice BABOIN de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Assistée sur l'audience par Me Sophie MEISSONNIER-CAYEZ de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 13 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 JUIN 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère
Madame Magali VENET, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
La société Jacques Coeur Diffusion exerce une activité de commerce de détail d'habillement.
Elle exploitait un magasin sous l'enseigne 'Tamise' situé à [Localité 2] ainsi que deux autres boutiques sous l'enseigne 'Cork' et 'Casamance' situées dans la même ville.
Le 10 septembre 2004, Mme [U] [A] a été engagée par la société Jacques Coeur Diffusion selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de vendeuse catégorie 3 de la convention collective nationale du commerce et de l'habillement et des articles textiles commerce de détail (IDCC 1482) qui s'applique au contrat, au sein du magasin exploité sous l'enseigne Tamise.
En dernier lieu, elle exerçait les fonctions de vendeuse , catégorie 6, au sein du même magasin.
Le 9 novembre 2017 Mme [A] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement.
Le 24 novembre 2017, la salariée a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.
Le 27 décembre 2017, Mme [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier aux fins de voir condamner l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 6 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :
'Déboute Mme [U] [A] de sa demande de requalification au statut de cadre ou agent de maîtrise.
Dit que le licenciement de Mme [A] est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Déboute Mme [U] [A] de l'intégralité de ses demandes.
Rejette toute autre demande.
Condamne Mme [U] [A] à payer à la Sas Jacques Coeur Diffusion la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [U] [A] aux entiers dépens.'
Par déclaration du 24 octobre 2022, Mme [A] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions en date du 8 décembre 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mmes [A] demande à la cour de :
Réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
Dire et juger que le licenciement de Mme [U] [A] est non seulement sans cause réelle et sérieuse, mais surtout abusif, nul car discriminatoire.
Dire et juger que Mme [U] [A] exerçait en réalité des fonctions qui allaient bien au-delà des prévisions contractuelles et lui permet aujourd'hui de prétendre à la qualification de cadre, sinon agent de maîtrise.
Ordonner le réajustement de son salaire depuis les trois dernières années pour un montant mensuel d'environ 500 euros soit 18000 euros au total.
Condamner l'employeur au paiement de la somme de 30 400 euros au titre du licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse.
Condamner l'employeur au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le tout avec intérêts au taux égal , ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions en date du 7 mars 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Jacques Coeur Diffusion demande à la cour de :
A titre principal :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter Mmes [A] de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire :
Réduire à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et/ou nul de Mme [A].
A titre reconventionnel :
Condamner Mme [A] à payer à la société Jacques Coeur Diffusion la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 13 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la classification professionnelle :
Il appartient à l'employeur de déterminer la position du salarié dans la classification professionnelle prévue par la convention collective qui lui est applicable.
S'il s'estime sous classé, le salarié conserve la faculté d'exercer une action contre son employeur pour être placé au niveau auquel son poste correspond.
Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.
Lorsqu'il est saisi d'une contestation sur la catégorie professionnelle qui doit être attribuée à un salarié, le juge ne peut se fonder sur les seules définitions de poste résultant du contrat de travail ou de la convention collective ; il doit rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par le salarié et se prononcer au vu des fonctions réellement exercées.
En l'espèce, Mme [A] a été engagée en qualité de vendeuse, statut employée catégorie 3. Elle a évolué le 1er novembre 2007 au poste d'employé catégorie 4 puis depuis le 1er janvier 2016 à celui d'employé catégorie 6 de la convention collective nationale habillement et articles textiles, commerce de détail : lequel correspond à la définition suivante :
'Filière Vente/Etalagisme
Vendeur très qualifié
- possède une très bonne maîtrise des techniques de vente
- participe à la restauration de la vitrine
- apte à transmettre un savoir-faire à un salarié moins qualifié
- sait épingler toutes les retouches nécessaires et en assure le suivi.
Etalagiste qualifié titulaire du CAP :
- capable de réaliser une vitrine suivant des directives précises.'
Mmes [A] revendique la classification de 'cadre' et à défaut celle 'd'agent de maîtrise', sans plus de précision , et sollicite à ce titre un rappel de salaire à hauteur de 500 euros par mois, soit sur une durée de 3 ans, la somme de 18000 euros.
La classification professionnelle des cadres est organisée comme suit en application des dispositions de la convention collective applicable :
Cadre, catégorie C :
Filière Vente/Achats
Directeur de magasin, Chef de rayon acheteur
Dispose d'une large délégation de pouvoir notamment en matière de :
' gestion du personnel et recrutement ;
' gestion financière ;
' gestion commerciale ; est chargé de constituer la collection, doit connaître le marché et les conditions d'achat, est capable de négocier au meilleur coût, place et transmet les commandes, peut décider des actions promotionnelles.
Cadre, catégorie D :
Cadre de direction générale, par délégation permanente (ou sous les ordres directs) du chef d'entreprise, est responsable de l'élaboration, du contrôle et de la direction de la politique générale de l'entreprise dans les domaines commercial, financier, technique, administratif.
La classification des agents de maîtrise est organisée comme suit :
Catégorie :
A1 : filière vente , emploi: chef de magasin, chef de rayon.
A2 :
- filière étalagisme: emploi : chef étalagiste
- filière retouches/confection : emploi : chef d'atelier de retouches
- filière administrative : emploi : assistant de direction générale ; comptable confirmé
- services généraux : emploi : personnel distribuant et contrôlant le travail d'autres employés sous les ordres de son supérieur hiérarchique ou de l'employeur (nécessite une compétence technique hautement qualifiée).
B :
Filière vente/achats: emploi : responsable de magasin, responsable de rayon
filière retouche/confection : emploi : chef d'atelier de retouches.
Pour solliciter son classement dans la catégorie cadre et à défaut agent de maîtrise Mme [A] soutient qu'elle exerçait, outre ses missions de vendeuse, les attributions suivantes :
- échange et réassort en entrée de collection auprès des différentes marques
- retour 'partenariat' (chiffrés par rapport aux achats initiaux en fin de collection,)
- formation de nouveaux collaborateurs
- participation aux achats des collections depuis janvier 2013 (2 périodes d'achats dans l'année, janvier pour automne hiver et en juillet pour printemps été)
- participation à la communication de Tamise pour rajeunir son image
- création d'une page facebook, incitation à communiquer dans 'focus', collaboration avec des journalistes de 'Elle' et 'Grizette'.
Concernant des attributions liées à l'échange et au réasssort d'articles, ainsi qu'au retour partenariat, la salariée produit aux débats de nombreux mails envoyés et reçus par entre le 04 avril 2013 et le 18 juillet 2016, rédigés en grande majorité par 'l'équipe Tamise' avec l'adresse mail et la signature du magasin Tamise, et dont 5 messages sur 22 ont été rédigés en 2014 par '[U]' au sujet de demandes de réassort ou de retour de certains articles.
La salariée ajoute que suite au départ d'une collègue en 2015, elle était seule en boutique avec de nouveaux collaborateurs.
Concernant sa participation à la communication de la boutique ainsi qu' aux achats, à la création d'une page facebook, et la collaboration avec des journalistes les magazines 'Elle' et 'Grizette', elle produit des publications de messages Facebook issus de son compte personnel '[U] [A]' attestant de sa présence lors de l'achat de collections auquel elle a participé en 2013 et 2015, un encart de quelque lignes paru dans les pages régionales du magazine 'Elle' en 2015 citant la boutique, et dans lequel elle est présentée comme 'la propriétaire des lieux', ainsi que la publication de photographies d'articles vendus dans la boutique et ses messages invitant à partager ses photographies.
Elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations concernant la découverte de la marque 'Parajumper.'
L'employeur fait valoir que Mme [A] n'a jamais exercé la mission 'd'échange et réassort' en entrée de collection, qui relevait de la compétence exclusive de la responsable de boutique Mme [DL] [LR] tel que cela ressort de son contrat de travail produit aux débats. Il justifie en outre que cette dernière traitait directement certains des mails produits par Mme [A], et que d'autres messages de ' l'équipe Tamise' étaient échangés lorsque Mmes [A] était en vacances.
Concernant le 'retour partenariat', l'employeur précise que cette mission consiste, en accord avec le fournisseur, à lui renvoyer une partie de la marchandise qui n'a pas été vendue. Il implique de faire le choix des marchandises à retourner et à en négocier les conditions de retour avec les fournisseurs. Il précise que cette mission relevait de la compétence de Mme [LR] et qu'il incombait uniquement à Mme [A] de préparer la mise sous colis, leur expédition, et l'inscription des retours sous la responsabilité de la responsable de boutique qui assurait la majorité de ces missions. Il produit en ce sens le cahier de retour partenariat dont 9 pages comportent l'écriture de Mme [A] et 17 pages celle de Mme [LR].
L'employeur ajoute qu'il entrait dans les missions de Mmes [A], dans le cadre de la classification qui était la sienne, de transmettre son savoir à de nouveaux salariés avec lesquels elle travaillait en boutique et précise qu'elle n'a jamais participé à leur recrutement.
La société mentionne également que les achats ont toujours été de la seule responsabilité de Mme [LR], et que Mme [A], pendant la totalité de la relation contractuelle, n'a été invitée que 3 ou 4 fois, en qualité d'accompagnatrice, à participer aux achats de collections auprès de deux fournisseurs pour l'intéresser à la vie de la boutique, et qu'elle n'a participé à aucun des achats en juillet 2017.
L'employeur précise encore que Mme [A] ne disposait d'aucun pouvoir de décision en matière commerciale ou de marketing, qu'elle ne lui avait donné aucune directive concernant la parution de messages en lien avec l'activité de l'entreprise sur sa page facebook personnelle alors même que la boutique Tamise dispose de sa propre page facebook qui n'a pas été créée ni gérée par elle.
Enfin, l'employeur produit une attestation de Mme [UW], déléguée du personnel, qui témoigne que suite à la demande exprimée par Mme [A], cette dernière a obtenu en janvier 2016 son changement de la catégorie 4 à la catégorie 6, et précise qu'elle n'avait nullement revendiqué le statut de cadre à cette occasion.
Il énonce également que Mmes [A], qui en tout état de cause n'était pas chargée de développer l'activité de la société, ni rechercher de nouvelles marques , ne justifie pas avoir découvert une nouvelle marque.
Enfin il fait valoir que Mme [A] n'exerçait que des fonctions de vendeuse et qu'elle ne peut revendiquer le statut d'agent de maîtrise attribué aux seuls responsables de boutiques, sachant qu'en l'espèce, une autre salariée, Mme [LR] était engagée en qualité de responsable de la boutique.
Il ressort de la grille de classification de la convention collective applicable que le statut de cadre implique de disposer d'une large délégation de pouvoir en matière de gestion du personnel et recrutement, gestion financière et gestion commerciale.
Or, les quelques mails professionnels adressés par Mme [A] à des fournisseurs au sujet du réassort ou du retour de quelques articles n'établissent pas qu'elle disposait d'une large autonomie ou qu'elle était impliquée dans la gestion financière et commerciale de l'entreprise, ni qu'elle disposait du choix des marchandises à retourner, ni même qu'elle était en capacité de négocier les conditions de retour avec les fournisseurs, alors qu'au contraire, l'employeur établit qu'il entrait dans les attributions de la responsable de boutique, Mme [LR] d'exercer ces attributions.
Par ailleurs, les publications facebook de messages issus du compte personnel de Mme [A], dont rien ne justifie qu'elle relevaient d'une mission confiée par l'employeur, et dont le contenu relatif à la publication dans le journal 'Elle' est mensonger, puisqu'elle est désignée comme étant la propriétaire de la boutique 'Tamise' n'établissent pas non plus que cette dernière était impliquée par l'employeur dans la politique commerciale ou promotionnelle de la société, ni même qu'elle exerçait la fonction d'acheteur, mais uniquement qu'elle a été présente, pendant la totalité de l'exécution de son contrat de travail, lors de l'achat de quelques collections par la société.
Il en découle que Mme [A] échoue à démontrer qu'elle relevait du statut de cadre.
Par ailleurs, le statut d'agent de maîtrise est utilisé au sein de la société Jacques Coeur Diffusion au bénéfice des responsables de boutique, de sorte que Mme [A] qui exerçait les fonctions de vendeuse sous l'autorité de la responsable de boutique Mme [LR] n'établit pas non plus qu'elle aurait dû relever de cette classification.
Enfin, il ressort de la grille de classification que les attributions liées à la transmission d'un savoir-faire à un salarié moins qualifié relevaient de la définition du poste d'employé catégorie 6 auquel appartenait Mme [A] et qu'il lui appartenait en conséquence de former les nouveaux collaborateurs avec lesquels elle travaillait en boutique.
Il apparaît ainsi que Mme [A] ne rapporte pas la preuve qu'elle assurait, de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification de cadre ou de celle d'agent de maîtrise qu'elle revendique.
La décision sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de la salariée afférentes à un changement de classification.
Sur la rupture du contrat de travail :
En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, Mme [A] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 24 novembre 2017 libellée en ces termes :
'[...] Nous vous reprochons de longue date de n'avoir pas été en mesure de travailler sereinement avec vos collègues de travail.
Vous avez une nouvelle fois soutenu que les jeunes qui arrivaient ne vous respectaient pas.
Il vient pourtant au vendeur en place de favoriser une collaboration de qualité avec tout nouvel arrivant.
Il est normal que dans notre activité nous nous attendions des vendeuses expérimentées un effort important pour faciliter une répartition équitable du travail entre les différents vendeurs, sans appel maladroit d'un faux principe hiérarchique qui ne résulterait que d'une différence d'ancienneté entre les uns et les autres.
Une telle répartition des ventes doit donc résulter de la mise en 'uvre d'un 'modus vivendi' intelligent et non d'une préséance d'autorité ou d'ancienneté.
Depuis plusieurs années vous vous trouvez en situation d'échec de ce point de vue.
Dans l'entretien préalable vous avez d'ailleurs admis cette situation de fait en vous victimisant, comme si vous n'aviez obtenu aucun soutien de notre part.
Vous avez reconnu l'existence 'd'esclandres' revendiquant le droit de vous énerver.
Vous avez reconnu la dégradation de vos relations avec [F].
Vous avez reconnu que [XM] avait fondu en larmes.
Nous n'avons pas fait l'inventaire de toutes les difficultés que vous avez rencontrées avec vos collègues, mais à chaque fois les problèmes, selon vous, provenaient d'eux ou de votre hiérarchie.
Vous vous êtes tue lorsque nous avons évoqué vos rapports avec [U] ([U] [W]) que vous désignez comme une jeune qui arrive.
Nous vous rappelons que [U] [W], [HW] [JX], [WA] [MN] relève de la même tranche d'âge que vous-même et du même capital d'expérience.
Cette situation dure depuis 2015 et vous n'avez pas su la résoudre malgré notre écoute et notre soutien, quoi que vous en disiez.
Votre responsabilité est entière.
Je vous rappelle que Madame [IT] [TC] a préféré quitter au bout de sept mois, que [U] a dû être transférée dans une autre boutique ainsi que [HW].
Je n'entends pas dénier vos qualité de vendeuse encore que vous avez, à plusieurs reprises, manqué de prudence notamment lors de l'incident du vol de blouson qui aurait pu être évité si vous aviez suivi nos recommandations.
L'ensemble de ces difficultés relationnelles génèrent un climat conflictuel quasi permanent, dans lequel les uns et les autres (vous compris) perdent beaucoup d'énergie. Les autres ne peuvent être systématiquement désignés comme les responsables de ces difficultés, que je vous impute et qui constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement[...]'
Pour l'essentiel, l'employeur reproche ainsi à Mme [A] d'être à l'origine de difficultés relationnelles avec d'autres salariées de nature à créer un climat conflictuel quasi permanent.
Pour preuve des faits reprochés il produit les attestations suivantes, rédigée par les autres collaboratrices du magasin conformément aux mentions de l'article 202 du code de procédure civile :
- Mme [U] [W] :
'A mon arrivée, la responsable [DL] m'a annoncé que la vendeuse avec qui je dois travailler Mme [U] [A] est en arrêt maladie pour un mois. Elle m'a avoué lors de son retour qu'elle s'était mise en arrêt maladie , car elle était en colère et persuadée que j'avais été embauchée au poste de responsable et qu'il était hors de question que je prenne sa place. Je n'ai pas compris puisque j'ai été embauchée au même titre qu'elle en tant que vendeuse et qu'il y avait déjà une responsable en place. Malgré une discussion entre nous dès le départ, afin de la rassurer et la mettre en confiance, sa parano a continué à s'amplifier.
Immédiatement, des tensions se sont installées, elle instaurait un comportement autoritaire et constamment désagréable à mon égard. Elle me répétait tous les jours je cite : « je suis là depuis 10 ans, tu es pire que la personne que tu remplaces, tu ne m'empêcheras pas de vendre !! Tu prendras pas ma place !!! ».
Difficile de travailler en bon esprit d'équipe car Madame [U] [A] me reprochait de lui prendre ses clients comme la précédente vendeuse qu'elle critiquait en permanence. Elle me disait en hurlant, je cite : « tu es pire que [F], tu me voles mes clientes, tu veux ma place !!! »
- Mme. [S] [G], secrétaire-comptable :
'De toutes les années pendant lesquelles j'ai occupé le poste de secrétaire / comptable, je n'ai jamais perçu autant d'agacement et de réprobation envers une collègue. Tous se plaignaient du comportement de [U] et de la mauvaise ambiance qu'elle provoquait . Elle s'était mis tous les vendeurs à dos , que ce soient les vendeurs en CDI ou en CDD, qu'ils soient affectés à la même boutique qu'elle ou pas. Les derniers temps j'entendais de plus en plus souvent les collègues se plaindre. Certains pensaient que son comportement relevait de la méchanceté. J'ai entendu des phrases comme 'elle est pas bien' ou 'elle est bipolaire'. L'exaspération de vendeur qui la côtoyaient s'amplifiait régulièrement . [F](27 ans chez Tamise) a déclaré à l'occasion de son départ à la retraite 'qu'elle serait volontiers resté un an de plus s'il n'y avait pas [U]'(c'était en 2015).
Une vendeuse, [U] [W] a changé de boutique pour ne plus avoir à travailler avec elle.
[HW] était d'accord pour travailler dans nos deux autres magasins mais il était hors de question pour lui de retourner chez Tamise.
[U] a dégoûté de la vente et a même réussi à faire pleurer [XM], étudiante embauchée pour un remplacement d'été de deux mois.
[WA], qui avait travaillé chez Cork, a été sollicitée pour faire un remplacement chez Tamise. Alors qu'elle était demandeur d'emploi, elle a refusé disant que ayant vu l'attitude de [U], elle ne voulait absolument pas avoir affaire à elle.
Les vendeuses de la boutique Cork étaient régulièrement prises à partie. Entre autres, [U] ne supportait pas qu'elles prennent leur pause déjeuner chez Tamise alors que la responsable avait clairement donné son accord.
Lors de ses passages au bureau, elle lançait des critiques et remarques négatives. Rien n'était fait comme elle voulait, rien n'allait.[...].'
- Mme [Z] [GC], employée :
'J'ai été témoin à plusieurs reprises d'un climat très tendu entre [HW] [JX] et [U] [A] ('). Un jour il m'a annoncé avoir déposé une main courante de peur de représailles.
[U] [W] me relatait aussi régulièrement les tensions qu'elle pouvait avoir avec
[U] [A] qui ne supportait pas que l'on utilise ses toilettes de Tamise (plus accessibles que les nôtres) et que [M] [J] (responsable Cork) et moi-même allions manger là-bas.'
- [XM] [ZG] employée :
'Lors du mois d'août [U] [A] a fait une modification sur l'emplacement des vêtements. Elle me dit alors, je cite « c'est bien comme ça non ' ». Je me suis alors permise de donner mon avis sinon il ne fallait pas me le demander ; j'ai donc répondu « tu pourrais peut être les mettre plus en évidence en les déplaçant devant'. En me criant dessus avec un regard noir et en me pointant du doigt, elle me rétorque « non mais c'est mon métier tu ne vas pas m'apprendre ce que je dois faire, ça ne va pas du tout ! » j'ai alors fondu en larmes, elle m'a fait vraiment très peur (')'
Durant l'été [U] [A] me montait la tête en permanence contre [HW] [JX], un ancien employé, en me disant qu'il voulait prendre ma place que c'était une personne méchante et vicieuse.'
- [GZ] [RI], employée retoucheuse :
'[U] se plaignait des collaboratrice en critiquant leur façon de travailler, elle ne s'entendait avec personne au travail, les filles de chez Cork, Casamance, et les personnes qui travaillent avec elle chez Tamise.'
Par ailleurs, la société communique le témoignage rédigé, conformément aux mentions de l'article 202 du code de procédure civile par Mme [X] [O], vendeuse :
'Je soussignées Mme [O] [X], avoir été témoin de propos injurieux de la part de Mme [A] travaillant chez TAMISE à l'encontre de ses collègues que ce soit Mme [V] [F], Mme [L] [I] ou Mr [JX] [HW]. Des remarques dégradantes concernant le travail et même des propos sur le physique de ceux-ci. [...] De temps en temps, elle faisait d'irruption chez Cork et faisait des esclandres devant les clients, pour se plaindre de la direction en termes insultants..'
La société fait également valoir que à Mme [A] a eu un excès de colère inapproprié dans le cadre professionnel, en particulier lors d'un esclandre provoqué devant la boutique Casamance en septembre 2017.
Elle produit les témoignages suivants :
- M. [Y] [YR], gérant:
'C'était première quinzaine de septembre, j'ai été très étonné d'entendre des cris provenant de la rue à proximité de boutique. Du coup je suis sorti pour connaître la cause de ce tapage. J'en conserve un souvenir très net dans cette scène étais violente. C'était [U] chez Tamise qui hurlait sur le trottoir devant la porte de Casamance. Elle en avait après ses collègues et son employeur. Ses propos n'étaient pas vraiment aimables mais plutôt injurieux.
Je me souviens avoir entendu : « salaud », « connard » et encore d'autres noms d'oiseaux. Ce barouf troublait l'habituelle tranquillité de la rue, les passants ont dû croire'encore une folle'.[...]
- Mme [WA] [UW] :
'Je tiens à faite part de l'état de choc dans lequel j'ai retrouvé 2 de mes collaborateurs, Mme [U] [W] et Mr [HW] [JX] suite au scandale que [U] [A] a fait en mon absence devant la porte de Casamance (cela s'est passé début septembre 2017). Cela m'a également été rapporté par notre voisin de la boutique Sud Attitude.'
La société justifie que suite à l'incident de début septembre 2017, Monsieur [HW] [JX] a sollicité un entretien avec la Direction, par l'entreprise de la déléguée du personnel, Madame [UW], concernant ses difficultés relationnelles avec Madame [A] et l'envoi d'un courriel qu'elle lui avait adressé en ces termes : « Ce que tu as semé se retournera contre toi au centuple Et dire que j'ai appuyé ta candidature, pfffff »
La société précise que la découverte des motifs de cette réunion lui a permis de mesurer pleinement que le comportement de Madame [A] n'était désormais plus tolérable.
Mme [A] conteste les faits qui lui sont reprochés, fait valoir qu'elle entretenait de bonnes relations avec certains de ses collaborateurs ainsi qu'avec la clientèle et que les difficultés évoquées concernant sa mésentente avec certains collègues étaient consécutifs au management inadapté de M. [LR].
Elle verse aux débats des attestations rédigées conformément aux mentions de l'article 202 du code de procédure civile par :
- des clientes régulières : Mme [WP], Mme [VT], Mme [H], Mme [NS], Mme [P], Mme [E], qui soulignent toutes son professionnalisme et le bon accueil qu'elle leur réservait.
- d'anciens salariés indiquant avoir entretenus avec elle des relations professionnelles de qualité et de confiance : Mme [NK] [EI], qui mentionne cependant avoir très peu travaillé avec elle,Mme [K] [TZ] qui a travaillé avec elle jusqu'en 2006, et Mme [D] [N] qui indique avoir travaillé de 2010 à 2013 avec elle.
- M. [XU] [FF] lequel a travaillé en CDD 6 mois en 2016 au sein de la boutique Tamise et reproche à l'employeur de lui avoir proposé de signer un CDI avant de lui indiquer que son contrat ne serait finalement pas renouvelé.
- son dossier AMETRA lequel mentionne notamment que cette dernière évoque une souffrance au travail en 2015 et 2016 liée à un management défaillant et des tensions avec des collègues, mais aussi ,en 2017 avoir pris du recul face à cette situation, ne plus être en souffrance , prendre du plaisir dans le contact avec la clientèle, indique que l'employeur lui aurait proposé une rupture conventionnelle e qu'elle aurait des projets pour la suite.
- un courrier du 6 octobre 2017 adressé par son conseil à l'employeur dans lequel il est reproché à ce dernier de ne pas lui avoir apporté de soutien alors qu'elle lui aurait signalé des conflits avec des collègues de la boutique Cork qui venaient déjeuner chez Tamise et qu'elle était seule avec de nouveaux collaborateurs depuis 2015.
- les chiffres d'affaires par vendeur mensuellement sur 2016 et par année depuis 2014.
Concernant les mauvaises relations qu'elle entretenait avec Mme [U] [W] et M. [JX], elle produit une attestation de leur ancien employeur Mme [OH] [T] [RB] laquelle mentionne que ces derniers avaient créé une ambiance délétère au sein de son équipe , ainsi que des attestations de Mme [R] [B], Mme [C] [BS], et Mme [KU] [YJ], salariées de Mme [RB] et anciens collègues de Mme [U] [W], mentionnant qu'elle adoptait un comportement harcelant à leur égard et qu'elle tenait des propos dénigrants à l'encontre de ses employeurs.
Les compétences de Mme [A] en qualité de vendeuse ne sont pas mises en cause. L'unique témoignage de M. [FF] dont le contrat à durée déterminée n'a pas abouti à la conclusion d'un contrat à durée indéterminée, ainsi que les seules allégations de Mme [A] retranscrites dans son dossier médical et dans le courrier de son conseil, rédigé peu de temps avant que le licenciement n'intervienne, qui font état de son appréciation subjective sur sa propre situation, ne sont corroborés par aucun élément objectif et n'établissent pas la réalité d'un management inadapté de l'employeur, ni d'une alerte de la salariée auprès de ce dernier concernant les mauvaises relations entretenues avec des collaborateurs.
Si le témoignage de Mme [U] [W] doit être abordé avec précaution, au regard des difficultés évoquées concernant son emploi précédent, et que Mme [A] établit avoir entretenu, avant 2015, de bonnes relations avec certains de ses collaborateurs, en revanche, cette dernière ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les nombreux autres témoignages produits par l'employeur qui établissent que depuis 2015 cette dernière a adopté une attitude verbalement agressive et tenu des propos humiliants et irrespectueux envers plusieurs de ses collègues de travail, ainsi qu'avec les vendeurs des deux autres boutiques appartenant à la société et tenus des propos injurieux et menaçants à leur égard, ainsi qu'à l'égard de ses employeurs, parfois même dans des lieux publics, de nature à attirer l'attention des autres commerçants et de la clientèle.
Ces faits objectifs imputables à la salariée sont d'une gravité certaine et rendent impossible sans dommage pour l'entreprise, la continuation du travail et rendent nécessaire (je dirais plutôt 'justifient') le licenciement.
Mme [A] soutient cependant que son licenciement repose en réalité sur des motifs économiques, et ajoute que l'employeur a détourné la procédure de licenciement économique à son égard.
En application de l'article L.1233-3, la cause économique peut consister en des difficultés économiques, en des mutations technologiques, en une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, ou en une cessation d'activité.
En l'espèce, Mmes [A] n'établit pas la réalité de difficultés économiques de l'entreprise conformes à cette définition au seul motif que l'établissement dans lequel elle travaillait a été cédé peu de temps après son départ de la société.
La salariée prétend également que l'employeur a cherché à contourner les règles impératives de transfert des contrats de travail, telles que rappelées par l'article L.1224-1 du code du travail, dans la mesure où la société a souhaité vendre le fond de commerce de la boutique Tamise peu de temps après avoir engagé la procédure de licenciement à son égard.
Elle produit un courrier non daté aux termes desquels la société employeur l'informe qu'elle envisage la cession de son fonds de commerce et lui propose de faire offre d'acquisition conformément à ses obligations.
La société fait valoir que la cession du fonds de commerce du magasin n'a aucun lien avec la rupture du contrat de travail de Mme [A] intervenue pour motif disciplinaire, et dont la procédure a été initiée avant qu'elle n'envisage cette cession.
La procédure de licenciement de Mme [A] a été engagée le 9 novembre 2017 et le 30 novembre 2017 les salariés ont été informés que la société Jacques Coeur diffusion envisageait de céder le fonds Tamise ; et la vente définitive du fonds est intervenue en février 2018.
Cependant, nonobstant la concomitance entre l'engagement de la procédure de licenciement et la vente du fond de commerce de la boutique Tamise, la réalité des motifs disciplinaires pour lesquels Mme [A] a été licenciée, s'agissant d'un comportement agressif à l'égard de ses collaborateurs dont certains ont même choisi de quitter l'entreprise pour ne plus travailler avec elle, était de nature à perturber le bon fonctionnement de la société. En revanche, l'allégation, selon laquelle l'employeur aurait détourné les règles du transfert d'entreprise n'est pas objectivée, de sorte que la salariée n'établit pas la réalité de ce qu'elle invoque.
Mme [A] soutient enfin que son licenciement repose sur un motif discriminatoire, au motif que l'employeur ne prouve pas qu'elle est à l'origine de la mésentente avec ses collègues. Les éléments précédemment développés établissent cependant que le climat conflictuel qui existait au sein de la société était consécutif au comportement de cette dernière, qui ne produit aucun autre élément matériel laissant supposer l'existence d'une discrimination.
En toute hypothèse, la salariée qui ne se prévaut qu'incidemment de ce moyen tiré d'une discrimination ne précise pas en outre à quel titre, c'est à dire en violation de quel principe fondamental énoncé à l'article L. 1132-1 du code du travail, elle serait caractérisée. Ce moyen qui n'est pas développé en droit par la salariée doit, en conséquence, être rejeté.
Il ressort de ce qui précède d'une part que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et d'autre part que Mme [A] échoue à démontrer que le licenciement repose sur une cause étrangère au comportement fautif pour lequel elle a été licenciée.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [A] formées au titre de la rupture du contrat de travail.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Mme [A] sera condamnée à verser à la société Jacques Coeur Diffusion la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montpellier le 6 septembre 2022.
Y ajoutant,
Condamne Mme [U] [A] à verser à la société Jacques Coeur Diffusion la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [U] [A] aux dépens de la procédure.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 01 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
F N° RG 22/05382 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PSYV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 SEPTEMBRE 2022
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00172
APPELANTE :
Madame [U] [A]
née le 12 Avril 1970 à [Localité 4] (01)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée sur l'audience par Me Thomas DES PREZ DE LA MORLAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
S.A.S. JACQUES COEUR DIFFUSION
Prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social, sis
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Fabrice BABOIN de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Assistée sur l'audience par Me Sophie MEISSONNIER-CAYEZ de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 13 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 JUIN 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère
Madame Magali VENET, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
La société Jacques Coeur Diffusion exerce une activité de commerce de détail d'habillement.
Elle exploitait un magasin sous l'enseigne 'Tamise' situé à [Localité 2] ainsi que deux autres boutiques sous l'enseigne 'Cork' et 'Casamance' situées dans la même ville.
Le 10 septembre 2004, Mme [U] [A] a été engagée par la société Jacques Coeur Diffusion selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de vendeuse catégorie 3 de la convention collective nationale du commerce et de l'habillement et des articles textiles commerce de détail (IDCC 1482) qui s'applique au contrat, au sein du magasin exploité sous l'enseigne Tamise.
En dernier lieu, elle exerçait les fonctions de vendeuse , catégorie 6, au sein du même magasin.
Le 9 novembre 2017 Mme [A] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement.
Le 24 novembre 2017, la salariée a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.
Le 27 décembre 2017, Mme [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier aux fins de voir condamner l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 6 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :
'Déboute Mme [U] [A] de sa demande de requalification au statut de cadre ou agent de maîtrise.
Dit que le licenciement de Mme [A] est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Déboute Mme [U] [A] de l'intégralité de ses demandes.
Rejette toute autre demande.
Condamne Mme [U] [A] à payer à la Sas Jacques Coeur Diffusion la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [U] [A] aux entiers dépens.'
Par déclaration du 24 octobre 2022, Mme [A] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions en date du 8 décembre 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mmes [A] demande à la cour de :
Réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
Dire et juger que le licenciement de Mme [U] [A] est non seulement sans cause réelle et sérieuse, mais surtout abusif, nul car discriminatoire.
Dire et juger que Mme [U] [A] exerçait en réalité des fonctions qui allaient bien au-delà des prévisions contractuelles et lui permet aujourd'hui de prétendre à la qualification de cadre, sinon agent de maîtrise.
Ordonner le réajustement de son salaire depuis les trois dernières années pour un montant mensuel d'environ 500 euros soit 18000 euros au total.
Condamner l'employeur au paiement de la somme de 30 400 euros au titre du licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse.
Condamner l'employeur au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le tout avec intérêts au taux égal , ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions en date du 7 mars 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Jacques Coeur Diffusion demande à la cour de :
A titre principal :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter Mmes [A] de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire :
Réduire à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et/ou nul de Mme [A].
A titre reconventionnel :
Condamner Mme [A] à payer à la société Jacques Coeur Diffusion la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 13 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la classification professionnelle :
Il appartient à l'employeur de déterminer la position du salarié dans la classification professionnelle prévue par la convention collective qui lui est applicable.
S'il s'estime sous classé, le salarié conserve la faculté d'exercer une action contre son employeur pour être placé au niveau auquel son poste correspond.
Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.
Lorsqu'il est saisi d'une contestation sur la catégorie professionnelle qui doit être attribuée à un salarié, le juge ne peut se fonder sur les seules définitions de poste résultant du contrat de travail ou de la convention collective ; il doit rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par le salarié et se prononcer au vu des fonctions réellement exercées.
En l'espèce, Mme [A] a été engagée en qualité de vendeuse, statut employée catégorie 3. Elle a évolué le 1er novembre 2007 au poste d'employé catégorie 4 puis depuis le 1er janvier 2016 à celui d'employé catégorie 6 de la convention collective nationale habillement et articles textiles, commerce de détail : lequel correspond à la définition suivante :
'Filière Vente/Etalagisme
Vendeur très qualifié
- possède une très bonne maîtrise des techniques de vente
- participe à la restauration de la vitrine
- apte à transmettre un savoir-faire à un salarié moins qualifié
- sait épingler toutes les retouches nécessaires et en assure le suivi.
Etalagiste qualifié titulaire du CAP :
- capable de réaliser une vitrine suivant des directives précises.'
Mmes [A] revendique la classification de 'cadre' et à défaut celle 'd'agent de maîtrise', sans plus de précision , et sollicite à ce titre un rappel de salaire à hauteur de 500 euros par mois, soit sur une durée de 3 ans, la somme de 18000 euros.
La classification professionnelle des cadres est organisée comme suit en application des dispositions de la convention collective applicable :
Cadre, catégorie C :
Filière Vente/Achats
Directeur de magasin, Chef de rayon acheteur
Dispose d'une large délégation de pouvoir notamment en matière de :
' gestion du personnel et recrutement ;
' gestion financière ;
' gestion commerciale ; est chargé de constituer la collection, doit connaître le marché et les conditions d'achat, est capable de négocier au meilleur coût, place et transmet les commandes, peut décider des actions promotionnelles.
Cadre, catégorie D :
Cadre de direction générale, par délégation permanente (ou sous les ordres directs) du chef d'entreprise, est responsable de l'élaboration, du contrôle et de la direction de la politique générale de l'entreprise dans les domaines commercial, financier, technique, administratif.
La classification des agents de maîtrise est organisée comme suit :
Catégorie :
A1 : filière vente , emploi: chef de magasin, chef de rayon.
A2 :
- filière étalagisme: emploi : chef étalagiste
- filière retouches/confection : emploi : chef d'atelier de retouches
- filière administrative : emploi : assistant de direction générale ; comptable confirmé
- services généraux : emploi : personnel distribuant et contrôlant le travail d'autres employés sous les ordres de son supérieur hiérarchique ou de l'employeur (nécessite une compétence technique hautement qualifiée).
B :
Filière vente/achats: emploi : responsable de magasin, responsable de rayon
filière retouche/confection : emploi : chef d'atelier de retouches.
Pour solliciter son classement dans la catégorie cadre et à défaut agent de maîtrise Mme [A] soutient qu'elle exerçait, outre ses missions de vendeuse, les attributions suivantes :
- échange et réassort en entrée de collection auprès des différentes marques
- retour 'partenariat' (chiffrés par rapport aux achats initiaux en fin de collection,)
- formation de nouveaux collaborateurs
- participation aux achats des collections depuis janvier 2013 (2 périodes d'achats dans l'année, janvier pour automne hiver et en juillet pour printemps été)
- participation à la communication de Tamise pour rajeunir son image
- création d'une page facebook, incitation à communiquer dans 'focus', collaboration avec des journalistes de 'Elle' et 'Grizette'.
Concernant des attributions liées à l'échange et au réasssort d'articles, ainsi qu'au retour partenariat, la salariée produit aux débats de nombreux mails envoyés et reçus par entre le 04 avril 2013 et le 18 juillet 2016, rédigés en grande majorité par 'l'équipe Tamise' avec l'adresse mail et la signature du magasin Tamise, et dont 5 messages sur 22 ont été rédigés en 2014 par '[U]' au sujet de demandes de réassort ou de retour de certains articles.
La salariée ajoute que suite au départ d'une collègue en 2015, elle était seule en boutique avec de nouveaux collaborateurs.
Concernant sa participation à la communication de la boutique ainsi qu' aux achats, à la création d'une page facebook, et la collaboration avec des journalistes les magazines 'Elle' et 'Grizette', elle produit des publications de messages Facebook issus de son compte personnel '[U] [A]' attestant de sa présence lors de l'achat de collections auquel elle a participé en 2013 et 2015, un encart de quelque lignes paru dans les pages régionales du magazine 'Elle' en 2015 citant la boutique, et dans lequel elle est présentée comme 'la propriétaire des lieux', ainsi que la publication de photographies d'articles vendus dans la boutique et ses messages invitant à partager ses photographies.
Elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations concernant la découverte de la marque 'Parajumper.'
L'employeur fait valoir que Mme [A] n'a jamais exercé la mission 'd'échange et réassort' en entrée de collection, qui relevait de la compétence exclusive de la responsable de boutique Mme [DL] [LR] tel que cela ressort de son contrat de travail produit aux débats. Il justifie en outre que cette dernière traitait directement certains des mails produits par Mme [A], et que d'autres messages de ' l'équipe Tamise' étaient échangés lorsque Mmes [A] était en vacances.
Concernant le 'retour partenariat', l'employeur précise que cette mission consiste, en accord avec le fournisseur, à lui renvoyer une partie de la marchandise qui n'a pas été vendue. Il implique de faire le choix des marchandises à retourner et à en négocier les conditions de retour avec les fournisseurs. Il précise que cette mission relevait de la compétence de Mme [LR] et qu'il incombait uniquement à Mme [A] de préparer la mise sous colis, leur expédition, et l'inscription des retours sous la responsabilité de la responsable de boutique qui assurait la majorité de ces missions. Il produit en ce sens le cahier de retour partenariat dont 9 pages comportent l'écriture de Mme [A] et 17 pages celle de Mme [LR].
L'employeur ajoute qu'il entrait dans les missions de Mmes [A], dans le cadre de la classification qui était la sienne, de transmettre son savoir à de nouveaux salariés avec lesquels elle travaillait en boutique et précise qu'elle n'a jamais participé à leur recrutement.
La société mentionne également que les achats ont toujours été de la seule responsabilité de Mme [LR], et que Mme [A], pendant la totalité de la relation contractuelle, n'a été invitée que 3 ou 4 fois, en qualité d'accompagnatrice, à participer aux achats de collections auprès de deux fournisseurs pour l'intéresser à la vie de la boutique, et qu'elle n'a participé à aucun des achats en juillet 2017.
L'employeur précise encore que Mme [A] ne disposait d'aucun pouvoir de décision en matière commerciale ou de marketing, qu'elle ne lui avait donné aucune directive concernant la parution de messages en lien avec l'activité de l'entreprise sur sa page facebook personnelle alors même que la boutique Tamise dispose de sa propre page facebook qui n'a pas été créée ni gérée par elle.
Enfin, l'employeur produit une attestation de Mme [UW], déléguée du personnel, qui témoigne que suite à la demande exprimée par Mme [A], cette dernière a obtenu en janvier 2016 son changement de la catégorie 4 à la catégorie 6, et précise qu'elle n'avait nullement revendiqué le statut de cadre à cette occasion.
Il énonce également que Mmes [A], qui en tout état de cause n'était pas chargée de développer l'activité de la société, ni rechercher de nouvelles marques , ne justifie pas avoir découvert une nouvelle marque.
Enfin il fait valoir que Mme [A] n'exerçait que des fonctions de vendeuse et qu'elle ne peut revendiquer le statut d'agent de maîtrise attribué aux seuls responsables de boutiques, sachant qu'en l'espèce, une autre salariée, Mme [LR] était engagée en qualité de responsable de la boutique.
Il ressort de la grille de classification de la convention collective applicable que le statut de cadre implique de disposer d'une large délégation de pouvoir en matière de gestion du personnel et recrutement, gestion financière et gestion commerciale.
Or, les quelques mails professionnels adressés par Mme [A] à des fournisseurs au sujet du réassort ou du retour de quelques articles n'établissent pas qu'elle disposait d'une large autonomie ou qu'elle était impliquée dans la gestion financière et commerciale de l'entreprise, ni qu'elle disposait du choix des marchandises à retourner, ni même qu'elle était en capacité de négocier les conditions de retour avec les fournisseurs, alors qu'au contraire, l'employeur établit qu'il entrait dans les attributions de la responsable de boutique, Mme [LR] d'exercer ces attributions.
Par ailleurs, les publications facebook de messages issus du compte personnel de Mme [A], dont rien ne justifie qu'elle relevaient d'une mission confiée par l'employeur, et dont le contenu relatif à la publication dans le journal 'Elle' est mensonger, puisqu'elle est désignée comme étant la propriétaire de la boutique 'Tamise' n'établissent pas non plus que cette dernière était impliquée par l'employeur dans la politique commerciale ou promotionnelle de la société, ni même qu'elle exerçait la fonction d'acheteur, mais uniquement qu'elle a été présente, pendant la totalité de l'exécution de son contrat de travail, lors de l'achat de quelques collections par la société.
Il en découle que Mme [A] échoue à démontrer qu'elle relevait du statut de cadre.
Par ailleurs, le statut d'agent de maîtrise est utilisé au sein de la société Jacques Coeur Diffusion au bénéfice des responsables de boutique, de sorte que Mme [A] qui exerçait les fonctions de vendeuse sous l'autorité de la responsable de boutique Mme [LR] n'établit pas non plus qu'elle aurait dû relever de cette classification.
Enfin, il ressort de la grille de classification que les attributions liées à la transmission d'un savoir-faire à un salarié moins qualifié relevaient de la définition du poste d'employé catégorie 6 auquel appartenait Mme [A] et qu'il lui appartenait en conséquence de former les nouveaux collaborateurs avec lesquels elle travaillait en boutique.
Il apparaît ainsi que Mme [A] ne rapporte pas la preuve qu'elle assurait, de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification de cadre ou de celle d'agent de maîtrise qu'elle revendique.
La décision sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de la salariée afférentes à un changement de classification.
Sur la rupture du contrat de travail :
En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, Mme [A] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 24 novembre 2017 libellée en ces termes :
'[...] Nous vous reprochons de longue date de n'avoir pas été en mesure de travailler sereinement avec vos collègues de travail.
Vous avez une nouvelle fois soutenu que les jeunes qui arrivaient ne vous respectaient pas.
Il vient pourtant au vendeur en place de favoriser une collaboration de qualité avec tout nouvel arrivant.
Il est normal que dans notre activité nous nous attendions des vendeuses expérimentées un effort important pour faciliter une répartition équitable du travail entre les différents vendeurs, sans appel maladroit d'un faux principe hiérarchique qui ne résulterait que d'une différence d'ancienneté entre les uns et les autres.
Une telle répartition des ventes doit donc résulter de la mise en 'uvre d'un 'modus vivendi' intelligent et non d'une préséance d'autorité ou d'ancienneté.
Depuis plusieurs années vous vous trouvez en situation d'échec de ce point de vue.
Dans l'entretien préalable vous avez d'ailleurs admis cette situation de fait en vous victimisant, comme si vous n'aviez obtenu aucun soutien de notre part.
Vous avez reconnu l'existence 'd'esclandres' revendiquant le droit de vous énerver.
Vous avez reconnu la dégradation de vos relations avec [F].
Vous avez reconnu que [XM] avait fondu en larmes.
Nous n'avons pas fait l'inventaire de toutes les difficultés que vous avez rencontrées avec vos collègues, mais à chaque fois les problèmes, selon vous, provenaient d'eux ou de votre hiérarchie.
Vous vous êtes tue lorsque nous avons évoqué vos rapports avec [U] ([U] [W]) que vous désignez comme une jeune qui arrive.
Nous vous rappelons que [U] [W], [HW] [JX], [WA] [MN] relève de la même tranche d'âge que vous-même et du même capital d'expérience.
Cette situation dure depuis 2015 et vous n'avez pas su la résoudre malgré notre écoute et notre soutien, quoi que vous en disiez.
Votre responsabilité est entière.
Je vous rappelle que Madame [IT] [TC] a préféré quitter au bout de sept mois, que [U] a dû être transférée dans une autre boutique ainsi que [HW].
Je n'entends pas dénier vos qualité de vendeuse encore que vous avez, à plusieurs reprises, manqué de prudence notamment lors de l'incident du vol de blouson qui aurait pu être évité si vous aviez suivi nos recommandations.
L'ensemble de ces difficultés relationnelles génèrent un climat conflictuel quasi permanent, dans lequel les uns et les autres (vous compris) perdent beaucoup d'énergie. Les autres ne peuvent être systématiquement désignés comme les responsables de ces difficultés, que je vous impute et qui constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement[...]'
Pour l'essentiel, l'employeur reproche ainsi à Mme [A] d'être à l'origine de difficultés relationnelles avec d'autres salariées de nature à créer un climat conflictuel quasi permanent.
Pour preuve des faits reprochés il produit les attestations suivantes, rédigée par les autres collaboratrices du magasin conformément aux mentions de l'article 202 du code de procédure civile :
- Mme [U] [W] :
'A mon arrivée, la responsable [DL] m'a annoncé que la vendeuse avec qui je dois travailler Mme [U] [A] est en arrêt maladie pour un mois. Elle m'a avoué lors de son retour qu'elle s'était mise en arrêt maladie , car elle était en colère et persuadée que j'avais été embauchée au poste de responsable et qu'il était hors de question que je prenne sa place. Je n'ai pas compris puisque j'ai été embauchée au même titre qu'elle en tant que vendeuse et qu'il y avait déjà une responsable en place. Malgré une discussion entre nous dès le départ, afin de la rassurer et la mettre en confiance, sa parano a continué à s'amplifier.
Immédiatement, des tensions se sont installées, elle instaurait un comportement autoritaire et constamment désagréable à mon égard. Elle me répétait tous les jours je cite : « je suis là depuis 10 ans, tu es pire que la personne que tu remplaces, tu ne m'empêcheras pas de vendre !! Tu prendras pas ma place !!! ».
Difficile de travailler en bon esprit d'équipe car Madame [U] [A] me reprochait de lui prendre ses clients comme la précédente vendeuse qu'elle critiquait en permanence. Elle me disait en hurlant, je cite : « tu es pire que [F], tu me voles mes clientes, tu veux ma place !!! »
- Mme. [S] [G], secrétaire-comptable :
'De toutes les années pendant lesquelles j'ai occupé le poste de secrétaire / comptable, je n'ai jamais perçu autant d'agacement et de réprobation envers une collègue. Tous se plaignaient du comportement de [U] et de la mauvaise ambiance qu'elle provoquait . Elle s'était mis tous les vendeurs à dos , que ce soient les vendeurs en CDI ou en CDD, qu'ils soient affectés à la même boutique qu'elle ou pas. Les derniers temps j'entendais de plus en plus souvent les collègues se plaindre. Certains pensaient que son comportement relevait de la méchanceté. J'ai entendu des phrases comme 'elle est pas bien' ou 'elle est bipolaire'. L'exaspération de vendeur qui la côtoyaient s'amplifiait régulièrement . [F](27 ans chez Tamise) a déclaré à l'occasion de son départ à la retraite 'qu'elle serait volontiers resté un an de plus s'il n'y avait pas [U]'(c'était en 2015).
Une vendeuse, [U] [W] a changé de boutique pour ne plus avoir à travailler avec elle.
[HW] était d'accord pour travailler dans nos deux autres magasins mais il était hors de question pour lui de retourner chez Tamise.
[U] a dégoûté de la vente et a même réussi à faire pleurer [XM], étudiante embauchée pour un remplacement d'été de deux mois.
[WA], qui avait travaillé chez Cork, a été sollicitée pour faire un remplacement chez Tamise. Alors qu'elle était demandeur d'emploi, elle a refusé disant que ayant vu l'attitude de [U], elle ne voulait absolument pas avoir affaire à elle.
Les vendeuses de la boutique Cork étaient régulièrement prises à partie. Entre autres, [U] ne supportait pas qu'elles prennent leur pause déjeuner chez Tamise alors que la responsable avait clairement donné son accord.
Lors de ses passages au bureau, elle lançait des critiques et remarques négatives. Rien n'était fait comme elle voulait, rien n'allait.[...].'
- Mme [Z] [GC], employée :
'J'ai été témoin à plusieurs reprises d'un climat très tendu entre [HW] [JX] et [U] [A] ('). Un jour il m'a annoncé avoir déposé une main courante de peur de représailles.
[U] [W] me relatait aussi régulièrement les tensions qu'elle pouvait avoir avec
[U] [A] qui ne supportait pas que l'on utilise ses toilettes de Tamise (plus accessibles que les nôtres) et que [M] [J] (responsable Cork) et moi-même allions manger là-bas.'
- [XM] [ZG] employée :
'Lors du mois d'août [U] [A] a fait une modification sur l'emplacement des vêtements. Elle me dit alors, je cite « c'est bien comme ça non ' ». Je me suis alors permise de donner mon avis sinon il ne fallait pas me le demander ; j'ai donc répondu « tu pourrais peut être les mettre plus en évidence en les déplaçant devant'. En me criant dessus avec un regard noir et en me pointant du doigt, elle me rétorque « non mais c'est mon métier tu ne vas pas m'apprendre ce que je dois faire, ça ne va pas du tout ! » j'ai alors fondu en larmes, elle m'a fait vraiment très peur (')'
Durant l'été [U] [A] me montait la tête en permanence contre [HW] [JX], un ancien employé, en me disant qu'il voulait prendre ma place que c'était une personne méchante et vicieuse.'
- [GZ] [RI], employée retoucheuse :
'[U] se plaignait des collaboratrice en critiquant leur façon de travailler, elle ne s'entendait avec personne au travail, les filles de chez Cork, Casamance, et les personnes qui travaillent avec elle chez Tamise.'
Par ailleurs, la société communique le témoignage rédigé, conformément aux mentions de l'article 202 du code de procédure civile par Mme [X] [O], vendeuse :
'Je soussignées Mme [O] [X], avoir été témoin de propos injurieux de la part de Mme [A] travaillant chez TAMISE à l'encontre de ses collègues que ce soit Mme [V] [F], Mme [L] [I] ou Mr [JX] [HW]. Des remarques dégradantes concernant le travail et même des propos sur le physique de ceux-ci. [...] De temps en temps, elle faisait d'irruption chez Cork et faisait des esclandres devant les clients, pour se plaindre de la direction en termes insultants..'
La société fait également valoir que à Mme [A] a eu un excès de colère inapproprié dans le cadre professionnel, en particulier lors d'un esclandre provoqué devant la boutique Casamance en septembre 2017.
Elle produit les témoignages suivants :
- M. [Y] [YR], gérant:
'C'était première quinzaine de septembre, j'ai été très étonné d'entendre des cris provenant de la rue à proximité de boutique. Du coup je suis sorti pour connaître la cause de ce tapage. J'en conserve un souvenir très net dans cette scène étais violente. C'était [U] chez Tamise qui hurlait sur le trottoir devant la porte de Casamance. Elle en avait après ses collègues et son employeur. Ses propos n'étaient pas vraiment aimables mais plutôt injurieux.
Je me souviens avoir entendu : « salaud », « connard » et encore d'autres noms d'oiseaux. Ce barouf troublait l'habituelle tranquillité de la rue, les passants ont dû croire'encore une folle'.[...]
- Mme [WA] [UW] :
'Je tiens à faite part de l'état de choc dans lequel j'ai retrouvé 2 de mes collaborateurs, Mme [U] [W] et Mr [HW] [JX] suite au scandale que [U] [A] a fait en mon absence devant la porte de Casamance (cela s'est passé début septembre 2017). Cela m'a également été rapporté par notre voisin de la boutique Sud Attitude.'
La société justifie que suite à l'incident de début septembre 2017, Monsieur [HW] [JX] a sollicité un entretien avec la Direction, par l'entreprise de la déléguée du personnel, Madame [UW], concernant ses difficultés relationnelles avec Madame [A] et l'envoi d'un courriel qu'elle lui avait adressé en ces termes : « Ce que tu as semé se retournera contre toi au centuple Et dire que j'ai appuyé ta candidature, pfffff »
La société précise que la découverte des motifs de cette réunion lui a permis de mesurer pleinement que le comportement de Madame [A] n'était désormais plus tolérable.
Mme [A] conteste les faits qui lui sont reprochés, fait valoir qu'elle entretenait de bonnes relations avec certains de ses collaborateurs ainsi qu'avec la clientèle et que les difficultés évoquées concernant sa mésentente avec certains collègues étaient consécutifs au management inadapté de M. [LR].
Elle verse aux débats des attestations rédigées conformément aux mentions de l'article 202 du code de procédure civile par :
- des clientes régulières : Mme [WP], Mme [VT], Mme [H], Mme [NS], Mme [P], Mme [E], qui soulignent toutes son professionnalisme et le bon accueil qu'elle leur réservait.
- d'anciens salariés indiquant avoir entretenus avec elle des relations professionnelles de qualité et de confiance : Mme [NK] [EI], qui mentionne cependant avoir très peu travaillé avec elle,Mme [K] [TZ] qui a travaillé avec elle jusqu'en 2006, et Mme [D] [N] qui indique avoir travaillé de 2010 à 2013 avec elle.
- M. [XU] [FF] lequel a travaillé en CDD 6 mois en 2016 au sein de la boutique Tamise et reproche à l'employeur de lui avoir proposé de signer un CDI avant de lui indiquer que son contrat ne serait finalement pas renouvelé.
- son dossier AMETRA lequel mentionne notamment que cette dernière évoque une souffrance au travail en 2015 et 2016 liée à un management défaillant et des tensions avec des collègues, mais aussi ,en 2017 avoir pris du recul face à cette situation, ne plus être en souffrance , prendre du plaisir dans le contact avec la clientèle, indique que l'employeur lui aurait proposé une rupture conventionnelle e qu'elle aurait des projets pour la suite.
- un courrier du 6 octobre 2017 adressé par son conseil à l'employeur dans lequel il est reproché à ce dernier de ne pas lui avoir apporté de soutien alors qu'elle lui aurait signalé des conflits avec des collègues de la boutique Cork qui venaient déjeuner chez Tamise et qu'elle était seule avec de nouveaux collaborateurs depuis 2015.
- les chiffres d'affaires par vendeur mensuellement sur 2016 et par année depuis 2014.
Concernant les mauvaises relations qu'elle entretenait avec Mme [U] [W] et M. [JX], elle produit une attestation de leur ancien employeur Mme [OH] [T] [RB] laquelle mentionne que ces derniers avaient créé une ambiance délétère au sein de son équipe , ainsi que des attestations de Mme [R] [B], Mme [C] [BS], et Mme [KU] [YJ], salariées de Mme [RB] et anciens collègues de Mme [U] [W], mentionnant qu'elle adoptait un comportement harcelant à leur égard et qu'elle tenait des propos dénigrants à l'encontre de ses employeurs.
Les compétences de Mme [A] en qualité de vendeuse ne sont pas mises en cause. L'unique témoignage de M. [FF] dont le contrat à durée déterminée n'a pas abouti à la conclusion d'un contrat à durée indéterminée, ainsi que les seules allégations de Mme [A] retranscrites dans son dossier médical et dans le courrier de son conseil, rédigé peu de temps avant que le licenciement n'intervienne, qui font état de son appréciation subjective sur sa propre situation, ne sont corroborés par aucun élément objectif et n'établissent pas la réalité d'un management inadapté de l'employeur, ni d'une alerte de la salariée auprès de ce dernier concernant les mauvaises relations entretenues avec des collaborateurs.
Si le témoignage de Mme [U] [W] doit être abordé avec précaution, au regard des difficultés évoquées concernant son emploi précédent, et que Mme [A] établit avoir entretenu, avant 2015, de bonnes relations avec certains de ses collaborateurs, en revanche, cette dernière ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les nombreux autres témoignages produits par l'employeur qui établissent que depuis 2015 cette dernière a adopté une attitude verbalement agressive et tenu des propos humiliants et irrespectueux envers plusieurs de ses collègues de travail, ainsi qu'avec les vendeurs des deux autres boutiques appartenant à la société et tenus des propos injurieux et menaçants à leur égard, ainsi qu'à l'égard de ses employeurs, parfois même dans des lieux publics, de nature à attirer l'attention des autres commerçants et de la clientèle.
Ces faits objectifs imputables à la salariée sont d'une gravité certaine et rendent impossible sans dommage pour l'entreprise, la continuation du travail et rendent nécessaire (je dirais plutôt 'justifient') le licenciement.
Mme [A] soutient cependant que son licenciement repose en réalité sur des motifs économiques, et ajoute que l'employeur a détourné la procédure de licenciement économique à son égard.
En application de l'article L.1233-3, la cause économique peut consister en des difficultés économiques, en des mutations technologiques, en une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, ou en une cessation d'activité.
En l'espèce, Mmes [A] n'établit pas la réalité de difficultés économiques de l'entreprise conformes à cette définition au seul motif que l'établissement dans lequel elle travaillait a été cédé peu de temps après son départ de la société.
La salariée prétend également que l'employeur a cherché à contourner les règles impératives de transfert des contrats de travail, telles que rappelées par l'article L.1224-1 du code du travail, dans la mesure où la société a souhaité vendre le fond de commerce de la boutique Tamise peu de temps après avoir engagé la procédure de licenciement à son égard.
Elle produit un courrier non daté aux termes desquels la société employeur l'informe qu'elle envisage la cession de son fonds de commerce et lui propose de faire offre d'acquisition conformément à ses obligations.
La société fait valoir que la cession du fonds de commerce du magasin n'a aucun lien avec la rupture du contrat de travail de Mme [A] intervenue pour motif disciplinaire, et dont la procédure a été initiée avant qu'elle n'envisage cette cession.
La procédure de licenciement de Mme [A] a été engagée le 9 novembre 2017 et le 30 novembre 2017 les salariés ont été informés que la société Jacques Coeur diffusion envisageait de céder le fonds Tamise ; et la vente définitive du fonds est intervenue en février 2018.
Cependant, nonobstant la concomitance entre l'engagement de la procédure de licenciement et la vente du fond de commerce de la boutique Tamise, la réalité des motifs disciplinaires pour lesquels Mme [A] a été licenciée, s'agissant d'un comportement agressif à l'égard de ses collaborateurs dont certains ont même choisi de quitter l'entreprise pour ne plus travailler avec elle, était de nature à perturber le bon fonctionnement de la société. En revanche, l'allégation, selon laquelle l'employeur aurait détourné les règles du transfert d'entreprise n'est pas objectivée, de sorte que la salariée n'établit pas la réalité de ce qu'elle invoque.
Mme [A] soutient enfin que son licenciement repose sur un motif discriminatoire, au motif que l'employeur ne prouve pas qu'elle est à l'origine de la mésentente avec ses collègues. Les éléments précédemment développés établissent cependant que le climat conflictuel qui existait au sein de la société était consécutif au comportement de cette dernière, qui ne produit aucun autre élément matériel laissant supposer l'existence d'une discrimination.
En toute hypothèse, la salariée qui ne se prévaut qu'incidemment de ce moyen tiré d'une discrimination ne précise pas en outre à quel titre, c'est à dire en violation de quel principe fondamental énoncé à l'article L. 1132-1 du code du travail, elle serait caractérisée. Ce moyen qui n'est pas développé en droit par la salariée doit, en conséquence, être rejeté.
Il ressort de ce qui précède d'une part que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et d'autre part que Mme [A] échoue à démontrer que le licenciement repose sur une cause étrangère au comportement fautif pour lequel elle a été licenciée.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [A] formées au titre de la rupture du contrat de travail.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Mme [A] sera condamnée à verser à la société Jacques Coeur Diffusion la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montpellier le 6 septembre 2022.
Y ajoutant,
Condamne Mme [U] [A] à verser à la société Jacques Coeur Diffusion la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [U] [A] aux dépens de la procédure.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT