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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 8, 24 septembre 2025, n° 23/12131

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/12131

24 septembre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8

ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2025

(n° 2025/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/12131 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH6FE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 juin 2023 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2022056705

APPELANTE

S.A.S.U. DRAEGER, exerçant sous l'enseigne LA CARTERIE,

venant aux droits de TIE RACK, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le numéro 572 156 594

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L69, ayant pour avocat plaidant Me Jérôme GOY de la SELEURL JEROME GOY AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D2159

INTIMÉE

S.A. AXA FRANCE IARD,

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 722 057 460

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Sabine LIEGES de la SELARL COLBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : E279

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 mai 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Madame FAIVRE, Présidente de Chambre

Monsieur SENEL, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame CHAMPEAU-RENAULT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Madame CHANUT

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Madame RABITA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*******

Le 1er janvier 2020, la société TIE RACK a souscrit une police d'assurance multirisque N°10435632804 auprès de la SA AXA FRANCE IARD (ci-après dénommée AXA).

Le 2 juillet 2020, les actifs et les activités de la société TIE RACK ont été cédés à la SASU DRAEGER, qui exploite des boutiques de vente au détail de carterie et d'accessoires de mode, sous l'enseigne LA CARTERIE.

La société DRAEGER a souscrit auprès d'AXA à effet du 1er juillet 2020, une police d'assurance pour l'ensemble de ses activités, par l'intermédiaire du courtier en assurance SOFRAS CONSEIL.

Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire face à la crise du Covid 19, plusieurs décisions ont été prises par plusieurs autorités administratives.

Les magasins de la société DRAEGER ont fermé une première fois du 30 octobre au 28 novembre 2020, puis une seconde fois du 31 janvier au 19 mai 2021.

Le 23 juin 2022, la société DRAEGER a déclaré un sinistre à son assureur, exposant que les ralentissements et les fermetures dus à la crise sanitaire avaient généré des pertes d'exploitation.

Le 7 juillet 2022, la compagnie AXA lui a opposé un refus de garantie exposant en substance et au premier chef que la déclaration de sinistre lui était parvenue tardivement et, subsidiairement, que les dispositions du contrat s'opposaient à toute prise en charge.

C'est dans ce contexte que la société DRAEGER a assigné la compagnie AXA à bref délai, par acte du 17 novembre 2022, devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de condamnation à lui payer la somme totale d'un million d'euros en indemnisation de ses pertes d'exploitation consécutives à la fermeture de ses établissements pour la période du 30 octobre au 28 novembre 2020 et pour la période du 31 janvier au 19 mai 2021. A titre subsidiaire, elle a sollicité une provision de 500 000 euros ainsi qu'une expertise judiciaire afin d'évaluer ses préjudices. Elle a demandé, en outre, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 8 juin 2023, le tribunal a :

- rejeté toutes les demandes de la société DRAEGER ;

- condamné la société DRAEGER aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 104,31 euros dont 17,17 euros de TVA ;

- condamné la société DRAEGER à payer 1 500 euros à la société AXA en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit.

Par déclaration électronique du 7 juillet 2023, enregistrée au greffe le 25 juillet 2023, la société DRAEGER a interjeté appel, intimant la SA AXA, en précisant que l'appel tend à l'annulation, l'infirmation ou à la réformation du jugement déféré en ce qu'il a :

- rejeté toutes les demandes de la société DRAEGER ;

- condamné la société DRAEGER aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 104,31 euros dont 17,17 euros de TVA ;

- condamné la société DRAEGER à payer 1 500 euros à la société AXA en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Plus généralement, l'appel porte sur toutes les dispositions non visées au dispositif et faisant grief à la SASU DRAEGER.

Par conclusions d'appelante n°2 notifiées par voie électronique le 24 avril 2024, la société DRAEGER demande à la cour, au visa notamment des articles 1103, 1104, 1190 et suivants, et 1343-2 du Code civil et des articles L.141-5 et L.142-2 du Code de commerce, de :

- la recevoir en ses moyens, fins et conclusions, et y faisant droit de :

- la déclarer recevable en son appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 8 juin 2023 ;

En conséquence,

- INFIRMER le jugement en toutes ses dispositions en ce qu'il a notamment :

- rejeté toutes les demandes de la société DRAEGER ;

- condamné la société DRAEGER aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 104,31 euros dont 17,17 euros de TVA ;

- condamné la société DRAEGER à payer 1 500 euros à la société AXA en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit.

Statuant à nouveau,

A titre principal

- juger que la société DRAEGER est éligible au bénéfice de la garantie « Tous Risques Sauf » prévue au titre du contrat multirisques n°10435632804 ;

- juger que la garantie « Tous Risques Sauf » couvre le fonds de commerce de la société DRAEGER ;

- juger que la mesure d'interdiction d'accueil du public consécutive aux dispositions du décret n°2020-1310 en date du 29 octobre 2020 constitue un dommage matériel affectant le fonds de commerce de la société DRAEGER du 30 octobre au 28 novembre 2020 ;

- juger que la mesure d'interdiction d'accueil du public consécutive aux dispositions du décret n°2021-99 en date du 30 janvier 2021, du décret n°2021-296 du 19 mars 2021 et du décret n°2021-384 du 2 avril 2021 constitue un dommage matériel affectant le fonds de commerce de la société DRAEGER du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021 ;

- juger que la société DRAEGER a subi une perte d'exploitation du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020 et du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021 ;

En conséquence,

- fixer à 833 673 euros le montant du préjudice subi par la société DRAEGER au titre de la fermeture du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020 ;

- condamner AXA à payer à la société DRAEGER la somme de 500 000 euros en lien avec la fermeture du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020, avec intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2022 date de la mise en demeure ;

- fixer à 1 469 932 euros le montant du préjudice subi par la société DRAEGER au titre de la fermeture du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021 ;

- condamner AXA à payer à la société DRAEGER la somme de 500 000 euros en lien avec la fermeture du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021, avec intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2022 date de la mise en demeure.

A titre subsidiaire,

- juger que la société DRAEGER est éligible au bénéfice de la garantie « Tous Risques Sauf » prévue au titre du contrat multirisques n°10435632804 ;

- juger que la garantie « Tous Risques Sauf » couvre le fonds de commerce de la société DRAEGER ;

- juger que la mesure d'interdiction d'accueil du public consécutive aux dispositions du décret n°2021-99 en date du 30 janvier 2021, du décret n°2021-296 du 19 mars 2021 et du décret n°2021-384 du 2 avril 2021 constitue un dommage matériel affectant le fonds de commerce de la société DRAEGER du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021 ;

- juger que la société DRAEGER a subi une perte d'exploitation du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020 et du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021 ;

- juger que le montant des pertes d'exploitation subies par la société DRAEGER n'est pas définitivement fixé ;

En conséquence,

- ordonner une mesure d'expertise judiciaire aux fins d'établir le quantum des pertes d'exploitation subies par la société DRAEGER ;

- désigner tel expert qu'il plaira à la cour, aux frais avancés par la société AXA FRANCE IARD, avec pour mission de :

- déterminer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant les périodes d'indemnisation au vu des garanties accordées par la société AXA FRANCE IARD ;

- évaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation ;

- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile a sa mission ;

- entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

- mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaitre aux parties oralement ou par écrit l'état de ses avis et opinions, à chaque étape de sa mission, puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties ayant une date ultime qu'il fixera avant le dépôt du rapport ;

- condamner AXA à lui payer la somme de 700 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle à valoir sur les pertes d'exploitation subies en lien avec les décrets/arrêtés ministériels pris en lien avec la Covid-19 ;

En tout état de cause,

- condamner AXA à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procéduire civile.

Par conclusions 2 notifiées par voie électronique le 26 février 2025, la SA AXA demande à la cour, au visa notamment des articles 1101 et suivants et 1188 et suivants du code civil, de :

- la recevoir en ses écritures ;

- CONFIRMER le jugement dont appel ;

En conséquence,

- débouter la société DRAEGER de l'intégralité de ses demandes ;

Subsidiairement,

- limiter toute condamnation d'AXA à la somme maximum de 500 000 euros par sinistre, pour une période de 12 mois sous déduction de la franchise de 3 jours ouvrés de marge brute ;

Si une expertise judiciaire devait être ordonnée pour évaluer la perte d'exploitation de la société DRAEGER, donner la mission suivante à l'expert judiciaire :

- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par la demanderesse et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;

- entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

- examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, dans la limite de la durée garantie et sous réserve de la franchise.

- donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute, et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;

- donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'Assurée ;

- donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité strictement imputable au sinistre.

- condamner la société DRAEGER à payer à AXA la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société DRAEGER, aux entiers dépens dont le montant sera directement recouvré par COLBERT, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la mobilisation de la garantie TOUS RISQUES SAUF du contrat multirisques AXA

Le tribunal a jugé que la société DRAEGER n'est pas éligible au bénéfice de la garantie TOUS RISQUES SAUF et a rejeté toutes ses demandes. Il a considéré que les conditions de mobilisation de cette garantie ne sont pas réunies, que la clause Perte de la valeur vénale du fonds de commerce, claire et précise, subordonne l'indemnisation de la dépréciation de la valeur vénale du fonds de commerce à l'exigence d'un dommage matériel répondant à la définition prévue par la police et qu'en l'espèce un tel dommage fait défaut.

La société DRAEGER sollicite l'infirmation du jugement sur ce point, alléguant essentiellement que :

- s'agissant de la garantie AXA : outre qu'il s'agit d'un contrat d'adhésion rédigé par AXA, la police est un contrat « Tous Risques sauf », de sorte que le risque épidémique et/ou pandémique ne doit pas être expressément prévu pour être couvert mais, au contraire, doit faire l'objet d'une exclusion spécifique pour que ses conséquences ne soient pas indemnisées par AXA ; ce contrat couvre les pertes d'exploitation subies par DRAEGER sur le fondement de la garantie « Tous Risques Sauf » dans la mesure où toutes les conditions nécessaires à sa mobilisation sont réunies étant précisé que la mobilisation de la clause « Perte de valeur vénale du fonds de commerce » n'en fait pas partie contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ; d'abord, le fonds de commerce de DRAEGER est un bien assuré par cette garantie, ensuite les différentes mesures administratives prises dans le cadre de la lutte contre la propagation de la Covid-19 et impactant les établissements de DRAEGER détériorent et altèrent son fonds de commerce et enfin cette détérioration/altération du fonds de commerce et ses composantes par des mesures administratives constitue un dommage matériel ;

- s'agissant du quantum des pertes d'exploitation : AXA doit être condamnée à indemniser son assurée au titre des pertes d'exploitation subies en lien avec la Covid-19 ; les conditions particulières précisent que chaque période de fermeture couverte par le contrat doit être indemnisée dans la limite de douze mois pour un maximum de 500 000 euros par période de fermeture, étant précisé qu'une franchise de 3 jours ouvrés est applicable pour la garantie « Tous Risques Sauf » ; DRAEGER produit à cet égard l'intégralité des éléments financiers permettant d'obtenir le calcul des pertes qu'elle a subies durant les périodes de fermeture ; elle a suivi scrupuleusement les modalités contractuelles d'évaluation des pertes d'exploitation (conditions particulières, page 48) ; à titre subsidiaire, si le chiffrage présenté n'est pas suffisant pour caractériser l'intégralité des pertes d'exploitation subies, une mesure d'expertise judiciaire permettrait d'établir le quantum exact de ces pertes pendant les périodes susvisées, selon la méthode prévue par la police d'assurance, et suivant les modalités détaillées dans ses conclusions.

La SA AXA FRANCE IARD sollicite la confirmation du jugement sur ce point, faisant notamment valoir que :

- la police a été rédigée et négociée par le courtier mandataire de la société DRAEGER ; AXA n'a fait qu'accepter les clauses et conditions de garantie, de sorte que cette police ne peut être considérée comme un contrat d'adhésion, étant par ailleurs précisé que la société DRAEGER ne peut être considérée comme un consommateur devant bénéficier d'une protection spécifique et doit être considéré comme un grand risque au sens du code des assurances ; en tout état de cause, la police étant claire, elle ne saurait donner lieu à une interprétation en faveur de l'assuré, et même dans le cas contraire, l'interprétation devrait se faire au regard des articles 1188 et suivants du code civil ;

- la police d'assurance n'est pas une police 'Tous risques sauf', mais une police à périls dénommés comportant une garantie ' Tous risques sauf', tel que cela ressort de l'intercalaire SOFRAS ; la garantie tous risques sauf n'intervient qu'en cas de dommages matériels directs, y compris les pertes d'exploitations consécutives qui en découlent, causés aux biens assurés ; concernant par ailleurs la garantie « pertes d'exploitation », les pertes d'exploitation ne sont garanties que lorsqu'elles sont la conséquence directe d'un dommage matériel à un bien assuré à la suite d'un évènement garanti, c'est-à-dire d'un évènement listé en page 2 de l'intercalaire au chapitre « évènements garantis» ; les garanties « tous risques sauf » et « pertes d'exploitation » supposent donc, pour recevoir application, la survenance d'un dommage matériel à un bien assuré, or aucun des biens de la société DRAEGER n'a subi de dommages matériels à l'origine de la perte d'exploitation alléguée ; l'existence d'une garantie « Tous risques sauf » n'exclut pas la nécessité préalable pour l'assuré de démontrer la réunion de conditions de garantie ; en l'espèce, cette condition de garantie est l'existence d'un dommage matériel à un bien assuré et la société DRAEGER ne démontre pas remplir cette condition ; d'abord, le fonds de commerce n'est pas un bien au sens du contrat qui ne fait référence qu'à des biens matériels, physiques, corporels ; ensuite, les décisions administratives et les lois ne peuvent porter atteinte à un fonds de commerce ; par ailleurs, un fonds de commerce ne peut subir un dommage matériel et enfin, une perte d'exploitation ne peut être la conséquence de l'altération d'un fonds de commerce ; en toute hypothèse, le fonds de commerce de la société DRAEGER n'a pas été altéré, d'après l'analyse des experts financiers auxquels AXA a soumis les pièces financières et la réclamation de la société DRAEGER ; il ressort de l'ensemble de ces éléments que le fonds de commerce de la société DRAEGER n'est pas un bien assuré et qu'il n'a subi aucun dommage matériel au sens du contrat, si bien que la garantie n'est pas acquise ;

- très subsidiairement, sur les demandes pécuniaires, rien n'établit que l'évaluation de l'appelante a été réalisée conformément aux dispositions contractuelles et qu'elle correspond à la réalité du préjudice allégué ; en effet, les pièces versées au débat ne permettent pas de vérifier le bien-fondé de l'évaluation proposée ; il sera en outre relevé, en toute hypothèse, que les « pertes d'exploitation » relatives à la garantie « Tous risques sauf » sont soumises à une franchise correspondant à 3 jours ouvrés devant être évaluée et déduite des pertes relatives à chacune des deux périodes (page 8 de l'intercalaire) ; ainsi, aucune condamnation pécuniaire, même provisionnelle, ne pourra être prononcée à l'encontre d'AXA ; seule une expertise judiciaire serait à même d'évaluer les éventuelles pertes subies par la société DRAEGER en strict lien avec les interdictions de recevoir du public liées à la crise sanitaire pour les deux périodes considérées, et ce selon les modalités détaillées par l'intimée dans ses conclusions.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1103 du code civil, dans sa rédaction ici applicable, issue de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations : ' les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

L'article 1104 de ce même code ajoute que : ' Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public'.

L'article 1189 alinéa 1er dispose quant à lui que : ' Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier'.

S'agissant plus particulièrement du contrat d'assurance, l'article L 113-1 du code des assurances précise que :

' Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré'.

Toute personne qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver conformément aux dispositions de l'article 1315, devenu 1353 du code civil.

En matière d'assurance, il appartient à l'assuré, qui sollicite l'application de la garantie, d'établir que le sinistre répond aux conditions de cette garantie et à l'assureur, qui invoque une cause d'exclusion de garantie, d'établir que le sinistre répond aux conditions de l'exclusion.

La notion d'assurance « Tous Risques Sauf » ne signifie pas que tous les évènements sont garantis et ne constitue pas une « inversion de la charge de la preuve » s'agissant des conditions de garantie. Elle suppose uniquement que tous les évènements non-exclus tels que définis par les parties sont garantis. Aucun contrat d'assurance n'a en effet vocation à garantir tous les sinistres, quels qu'ils soient sans limites.

Ainsi le fait que l'une des clauses de la police invoquée soit « Tous Risques Sauf » ne dispense pas la société DRAEGER de rapporter la preuve que les conditions de garanties stipulées sont réunies conformément à l'article 1353 du code civil, que le sinistre qu'il a déclaré entre dans l'objet du contrat d'assurance qu'il a souscrit et ensuite que les conditions de mise en oeuvre de la garantie sont réunies.

La Police multirisques n°10435632804 qui lie les parties est constituée par :

- les conditions particulières (CP) à effet du 1er juillet 2020 ;

- les conditions générales n° 460645 de juillet 2020 ;

- l'intercalaire courtier SOFRAS CONSEIL de 55 pages ;

dont le souscripteur reconnaît avoir reçu un exemplaire et qui constituent le contrat d'assurance.

En page 2 des conditions générales (CG), il est précisé que le contrat 'Multirisques de l'Entreprise' est constitué par :

'- les présentes CG qui précisent les droits et obligations réciproques de l'assuré et de l'assureur ;

- les conventions spéciales qui définissent les biens, les évènements et les responsabilités assurables pour les garanties qui ont été souscrites ;

- les conditions particulières (CP) qui adaptent et complètent ces conditions générales et Conventions spéciales. Elles indiquent également la société d'assurance auprès de laquelle le contrat d'assurance est souscrit, dénommée l'assureur.

Les dispositions des CP prévalent sur celles des CG et des CS,

Par la signature des CP, l'assuré et l'assureur s'engagent mutuellement à respecter les termes du contrat.'

L'intercalaire ayant été rédigé et négocié par le courtier SOFRAS CONSEIL (à son en-tête) et non par l'assureur, il ne peut être qualifié de contrat d'adhésion, peu important l'existence de conditions générales précisant les obligations générales réciproques de l'assuré et de l'assureur rédigées par AXA. De plus, le groupe DRAEGER, qui doit être considéré comme un grand risque au sens du code des assurances, n'est pas un consommateur au sens du Code de la consommation.

Cet intercalaire établit que la police comprend une garantie DOMMAGES DIRECTS, visant notamment la perte de la valeur du fonds de commerce, ainsi qu'une garantie PERTES D'EXPLOITATION. Il prévoit également une garantie 'Tous risques sauf'.

La société DRAEGER indique qu'elle entend mobiliser la garantie dénommée 'Tous risques sauf'.

Il est précisé que la police d'assurance n'est pas une police « Tous risques sauf », mais une police à périls dénommés comportant une garantie ' Tous risques sauf'.

Il est prévu au chapitre PERTES D'EXPLOITATION (page 43)

ETENDUE DE LA GARANTIE

Le présent contrat a pour objet de garantir LA PERTE D'EXPLOITATION subie par l'assuré résultant pendant la période d'indemnisation de la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise ou de l'engagement des frais supplémentaires d'exploitation,

qui sont la conséquence directe des dommages matériels causés par un évènement garanti aux biens utilisés par l'assuré, tel que précisé au Chapitre II- tableaux synoptiques des garanties, capitaux et franchises.

La garantie PERTE DE LA VALEUR VENALE DU FONDS DE COMMERCE est, quant à elle, rédigée en ces termes (cf. annexe 8 page 41) :

« CE QUE NOUS GARANTISSONS.

Suite à un sinistre garanti au titre

- du chapitre « incendie, explosion et événement assimilé », « tempête, ouragan, cyclone, grêle et neige », « dégât des eaux »,

- d'une catastrophe naturelle (loi du 13 juillet 1982 et textes suivants)

- d'un attentat ou d'un acte de terrorisme (loi du 9 septembre 1986 et textes suivants)

- ou du chapitre « Acte de vandalisme et de sabotage, d'une émeute, d'un mouvement populaire »,

la dépréciation de la valeur vénale du fonds de commerce, constitué par la valeur marchande, des éléments incorporels de ce fonds (droit au bail, pas de porte, clientèle, achalandage, enseigne, marque de fabrique, brevet, licence, non commercial et ou raison sociale), se traduisant par :

une perte totale si vous êtes dans l'obligation de cesser votre commerce par suite de l'impossibilité de trouver des locaux appropriés ou par suite de l'impossibilité de déplacerle siège de l'activité sans perdre la totalité de votre clientèle, en raison de la nature de votre exploitation ;

une perte partielle si vous êtes dans l'obligation de réduire définitivement votre activité commerciale, ou de vous établir dans d'autres locaux, ou de supporter une augmentation définitive et permanente des charges et résultant des faits suivants :

si vous êtes locataire : en cas de destruction totale du local et résiliation de plein droit du bail en application des deux articles 1722 et 1741 du Code civil ;en cas de destruction partielle, du local et du refus du propriétaire de le remettre en état ;

si vous êtes exploitant propriétaire : lorsque vous êtes dans l'impossibilité de réparer ou de reconstruire le local, indépendamment de votre fait ou de votre volonté ».

L'intercalaire courtier SOFRAS CONSEILS contient également une extension TOUS RISQUES SAUF stipulée en ces termes (cf. intercalaire, page 49) :

« la GARANTIE TOUS RISQUES SAUF garantit tous les DOMMAGES MATERIELS DIRECTS et la PERTE D'EXPLOITATION CONSECUTIVE selon annexe jointe, causés aux biens assurés, quel que soit l'événement générateur, sauf ceux expressément exclus aux conditions particulières et aux autres annexes insérées au présent contrat, ainsi qu'aux Conditions Générales.

Cette extension ne s'applique pas aux garanties Vol, Bris de glace, Bris de machine,Tous Risques informatiques, pouvant être prévus par extension aux Condition Particulières »

Il en résulte clairement que la garantie « Tous risques sauf » comme la garantie

« pertes d'exploitation » n'ont vocation à recevoir application qu'en cas de dommages matériels directs, y compris les pertes d'exploitations consécutives qui en découlent, causés aux biens assurés.

La définition des biens est prévue en page 21 des Conditions Générales ainsi qu'il suit :'Toute détérioration ou destruction d'une chose ou d'une substance toute atteinte physique à des animaux'.

Une chose se définit comme tout objet concret, partie bien précise bien délimitée du monde matériel.

Il convient de noter à cet égard que la police AXA assure des magasins, tels que listés en page 3 de l'intercalaire, c'est-à-dire des sites physiques situés à des adresses précises. Aucune des définitions stipulées au chapitre III de l'intercalaire, en pages 10 et 11, ne mentionne le fonds de commerce lequel comporte des composantes incorporelles et immatérielles. Elles ne portent que sur des biens matériels, tels que bâtiments, mobiliers, marchandises, etc.

De la même façon, les conditions de la garantie « pertes d'exploitation » exigent que les pertes d'exploitation soient la conséquence de dommages matériels aux biens utilisés par l'assuré (page 43).

Un fonds de commerce n'est ni une chose, ni une substance. Sauf à dénaturer le contrat, il ne peut en soi subir un dommage matériel, c'est à dire une atteinte physique, et n'est donc pas un bien assuré au sens dudit contrat. La détérioration ou l'altération du fonds de commerce et ses composantes alléguée par des mesures administratives, à supposer qu'elle soit démontrée, ne saurait constituer un dommage matériel. Il en résulte qu'aucun des biens de l'assurée n'a subi de dommages matériels à l'origine de la perte d'exploitation qu'elle allègue.

De plus, les exclusions de la garantie « Tous risques sauf » visent toutes expressément des biens matériels, seuls ceux-ci étant assurés.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le fonds de commerce de la société DRAEGER n'est pas un bien assuré et qu'il n'a subi aucun dommage matériel au sens du contrat, si bien que la garantie n'est pas acquise.

La société DRAEGER sera déboutée de sa demande et le jugement confirmé par substitution de motifs.

Compte tenu du fait que la garantie n'est pas acquise, il n'y a pas lieu de répondre aux autres demandes de la SASU DRAEGER relatives notamment à l'expertise ou à la provision.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SASU DRAEGER à payer à AXA la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

En cause d'appel, la SASU DRAEGER sera condamnée aux entiers dépens et à payer à la compagnie AXA une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de ses propres demandes de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions dont appel ;

Y ajoutant,

Condamne la SASU DRAEGER aux entiers dépens de la procédure d'appel et à payer à la compagnie AXA FRANCE IARD une indemnité de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute la SASU DRAEGER de sa demande au titre des dépens et des frais irrépétibles ;

Déboute les parties de toutes autres demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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