CA Rennes, 2e ch., 23 septembre 2025, n° 24/05709
RENNES
Arrêt
Autre
2ème Chambre
ARRÊT N°312
N° RG 24/05709
N° Portalis DBVL-V-B7I-VJBC
(Réf 1ère instance : 11-24-193)
Mme [U] [S]
C/
SA INTRUM DEBT FINANCE AG
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me LE LUYER
- Me BOUCHER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Valérie PICOT-POSTIC, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Rozenn COURTEL, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 Mai 2025
devant Madame Valérie PICOT-POSTIC, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Septembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [U] [S]
née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent LE LUYER de la SELARL LEXARMOR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉE :
La SA INTRUM DEBT FINANCE AG représentée par la SAS INTRUM CORPORATE, venant aux droits de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DES PAYS DE LA LOIRE
[Adresse 7]
[Localité 3] SUISSE
Représentée par Me Alexandre BOUCHER de la SELARL QUESNEL DEMAY LE GALL-GUINEAU OUAIRY-JALLAIS BOUCHER BEUCHER-FLAMENT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé des 11 et 27 janvier 2003, la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bretagne (la Caisse d'épargne) a consenti à M. [X] [K] et Mme [U] [S] épouse [F] un prêt de 198 000 euros remboursable en 84 mensualités pour l'acquisition d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie.
M. [F] a été mis en liquidation judiciaire le 11 septembre 2007.
Par jugement du 3 octobre 2007, le juge aux affaires familiales de [Localité 6] a prononcé le divorce des époux [F].
Statuant sur l'assignation en paiement de la Caisse d'épargne du 27 mai 2011 à l'égard de Mme [F], le tribunal de grande instance de Brest a, par jugement du 18 janvier 2012 signifié le 4 mai 2012, condamné Mme [K] à payer à la Caisse d'épargne la somme de 61 347,19 euros, outre intérêts au taux de 7,75 % l'an postérieurement au 16 juin 2010.
Poursuivant l'exécution de cette décision, la Caisse d'épargne a, par acte du 3 décembre 2012, fait délivrer à Mme [S] un commandement aux fins de saisie-vente pour obtenir paiement d'une somme de 73 976,20 euros en principal, intérêts et frais.
Elle a ensuite, par acte signifié à la préfecture des Deux-[Localité 8] le 7 janvier 2013, fait dresser un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation d'un véhicule dont Mme [S] était propriétaire, cette mesure d'exécution ayant été dénoncée à Mme [S] par acte du 9 janvier 2013.
Puis, elle a, par requête du 8 janvier 2024, saisi le juge des contentieux de la protection, statuant en qualité de juge de l'exécution, du tribunal de proximité de Morlaix d'une saisie des rémunérations de Mme [S], aux fins de recouvrer une créance de 125 766,55 euros en principal, intérêts et frais.
Mme [S] a été citée, par acte du 5 février 2024, à comparaître à l'audience de conciliation.
Par courrier du 20 août 2024, le conseil de la Caisse d'épargne a actualisé le montant de la créance sollicitée composée comme suit :
61 347,19 euros en principal,
2 123,84 euros, incluant 737,88 euros de 'frais de procédure', sans plus de précision,
47 566,17 euros au titre des intérêts entre le 16 juin 2020 et le 20 août 2024,
déduction d'un acompte de 2 000 euros.
Par jugement du 7 octobre 2024, le juge des contentieux de la protection, statuant en qualité de juge de l'exécution, a :
autorisé la saisie des rémunérations de Mme [U] [S], à concurrence de la somme de 71 419,52 euros, au profit de la Caisse d'épargne Bretagne Pays de la Loire, composée comme suit :
- 61 347,19 euros en principal sur le fondement du titre exécutoire,
- 9 196,21 euros au titre des intérêts sur le fondement de l'article L. 218-1 du code de la consommation,
- 876,12 euros au titre des frais de procédure,
dit que cette somme ne produira pas d'intérêts,
rappelé qu'en cas de dépôt d'un dossier de surendettement déclaré recevable les modalités de traitement de la dette seront fixées par la commission de surendettement des particuliers et que les actes de saisie seront dès lors immédiatement interrompus,
condamné Mme [U] [S] aux entiers dépens de l'instance,
dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs demandes principales et accessoires.
Mme [S] a relevé appel de ce jugement le 17 octobre 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions du 3 mars 2025, elle demande à la cour de :
infirmer le jugement querellé,
débouter la Caisse d'épargne de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
débouter la société Intrum DEBT Finance AG de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
condamner solidairement la Caisse d'épargne et Intrum DEBT Finance AG à verser à Mme [S] les sommes suivantes :
- 2 000 euros en réparation son préjudice,
- 2000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la Caisse d'épargne et Intrum DEBT Finance AG aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 21 janvier 2025, la société Intrum DEBT Finance AG, déclarant venir aux droits de la Caisse d'épargne en vertu d'une cession de créance signifiée le 12 décembre 2024 à Mme [S], demande à la cour de :
juger que le créancier cédant est fondé à obtenir paiement de la créance cédée, dès lors que la cession n'est pas opposable au débiteur cédé,
juger que la Caisse d'épargne était bien fondée à procéder à une saisie des rémunérations entre les mains de l'employeur de Mme [S] antérieurement à la signification de la cession de créance,
juger que ladite signification a rendu la cession de créance opposable à Mme [S] à compter du 12 décembre 2024, et que la société Intrum DEBT Finance AG était bien fondée à en poursuivre l'exécution à son endroit postérieurement à cette date,
juger que les paiements partiels de Mme [S] ont entrainé un effet interruptif de prescription pour le tout et que la société Intrum DEBT Finance AG n'est pas prescrite en son action,
juger qu'il y a lieu de présumer que Mme [S] a contracté le prêt litigieux en qualité de professionnelle et qu'il n'y a lieu à application des dispositions du code de la consommation,
débouter Mme [U] [S] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le juge de l'exécution du tribunal de proximité de Morlaix,
condamner Mme [U] [S] à payer à la société Intrum DEBT Finance AG une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner Mme [U] [S] aux entiers dépens qui comprendront également ceux de l'exécution à intervenir.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité de la Caisse d'épargne à poursuivre l'exécution
Mme [S] soutient que la Caisse d'épargne ayant cédé sa créance le 11 juillet 2013 à la société Intrum DEBT Finance AG, et sachant que la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée, la Caisse d'épargne ne pouvait plus exercer en janvier 2024 les droits qu'elle avait cédés en 2013.
Cependant, aux termes des dispositions de l'article 1690 du code civil, applicable à la cause, le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.
Néanmoins le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique.
Il en résulte que jusqu'à sa signification au débiteur cédé ou son acceptation par celui-ci, la cession de créance n'a d'effet qu'entre les parties. Les tiers, et notamment le débiteur cédé, ne peuvent se la voir opposer ni s'en prévaloir.
La Caisse d'épargne, créancier cédant, demeurait donc toujours légitime à exercer le recouvrement forcé de sa créance contre son débiteur cédé, tant que la cession ne lui était pas opposable.
Le moyen sera donc rejeté.
Sur l'opposabilité de la cession de créance
Mme [S] soutient ensuite que dans la mesure où la saisie a été engagée par la Caisse d'épargne avant la signification de la cession de créance, cette dernière ne lui serait pas opposable aujourd'hui, alors qu'elle est reprise à son compte par la société Intrum DEBT Finance AG.
Cependant, cette cession est opposable au débiteur à la date de sa notification, réalisée par acte d'huissier du 12 décembre 2024, et il en résulte que l'action en saisie des rémunérations exercée par la Caisse d'épargne a été transférée à la société Intrum DEBT Finance AG, au titre des accessoires de sa créance.
Au surplus, le défaut d'accomplissement des formalités de l'article 1690 du code civil ne rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé l'exécution de son obligation quand cette exécution n'est susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance au débiteur cédé, soit audit débiteur cédé, soit à une autre personne étrangère à la cession.
Or, Mme [S] ne rapporte pas la preuve d'un grief ayant pour fondement l'absence de notification préalable de la cession de créance, la saisie des rémunérations pratiquée n'étant pas en lien causal avec l'absence de notification préalable de la cession de créance au débiteur cédé.
Le moyen sera également rejeté.
Sur la prescription du titre exécutoire
Mme [S] soutient de nouveau que le jugement a été signifié à personne le 4 mai 2012, qu'un commandement a été délivré le 3 décembre 2012, interrompant la prescription et faisant courir un nouveau délai de 10 ans à compter du 3 décembre 2012.
Elle affirme cependant qu'aucun acte interruptif de prescription ne serait intervenu entre le 3 décembre 2012 et le 4 janvier 2024, et que l'action engagée par la Caisse d'épargne serait prescrite, la mise en place d'un petit paiement échelonné de 20 euros par mois fait à la demande de l'huissier mandaté par la Caisse d'épargne ne constituant pas, selon elle, une reconnaissanse de dette et ne serait pas interruptif de prescription.
L'exécution était poursuivie sur le fondement d'une décision de justice, régie par la prescription trentenaire réduite à 10 ans par l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution issue de la loi du 17 juin 2008.
D'autre part, aux termes de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Or, il résulte du décompte de l'huissier du 16 janvier 2025 que Mme [S] a régularisé des paiements de 20 euros par voie postale ou par virement, échelonnés sur une période comprise entre le 10 octobre 2013 et le 11 janvier 2024.
Ces paiements effectués sous forme d'envoi postal ou par virements sur une période de neuf années constituent une reconnaissance non équivoque de sa dette, et ont valablement interrompu le délai de prescription, de sorte que l'action en recouvrement de la créance de la Caisse d'épargne, aux droits de laquelle se trouve la société Intrum DEBT Finance AG, n'était nullement prescrite au jour de la requête en saisie des rémunérations du 8 janvier 2024.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription du titre exécutoire.
Sur la nullité du prêt
Mme [S] soutient que le prêt souscrit auprès de la Caisse d'épargne, et au titre duquel elle a été condamnée par jugement du 18 janvier 2012, devrait être déclaré nul en application d'un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation résultant d'un arrêt de principe du 29 juin 2022, énonçant que si le prêt a été affecté à une destination professionnelle, sa validité est entachée par la présence d'un co-emprunteur non professionnel, et que cet arrêt de principe devrait s'appliquer à un prêt souscrit en '2011'.
Cependant, ce moyen tend à remettre en cause le jugement du tribunal de grande instance de Brest du 18 janvier 2012 passé en force de chose jugée et devenu irrévocable, faute de recours exercé à son encontre par Mme [S].
Par ailleurs, en application de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni connaître de demandes tendant à remettre en cause le titre dans son principe ou la validité des droits ou obligations qu'il constate.
C'est donc à juste titre que le juge de l'exécution a débouté Mme [S] de sa demande tendant à constater la nullité du contrat de prêt conclu le 11 janvier 2003 auprès de la Caisse d'épargne et déclaré le créancier bien fondé à poursuivre l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Brest du 18 janvier 2012.
Sur la prescription biennale du droit de la consommation
Il est de principe que les créances périodiques nées d'une créance en principal fixée par un titre exécutoire à la suite de la fourniture d'un bien ou d'un service par un professionnel à un consommateur, sont soumises au délai de prescription biennal prévu à l'article L. 137-2 devenu article L. 218-2 du code de la consommation.
Conformément à l'article L. 141-4 devenu article R. 632-1 du code de la consommation, il entre dans les pouvoirs du juge de soulever d'office ces dispositions.
Ainsi que l'a exactement relevé le juge de l'exécution, il n'est pas sérieusement contesté que Mme [S] n'avait pas la qualité de professionnelle lors de la souscription du prêt.
Les poursuites en recouvrement de la créance d'intérêts ne sont donc recevables que pour ceux échus depuis le 8 janvier 2022, deux ans avant la date de la requête en saisie des rémunérations, le surplus étant irrecevable comme prescrit.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a appliqué la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation.
Au demeurant, la société Intrum DEBT Finance AG ne conteste pas le jugement sur ce point, concluant, dans le dispositif de ses conclusions, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
La cour n'est par ailleurs saisie d'aucun moyen de réformation du jugement attaqué concernant la fixation des frais de procédures dus par Mme [S] à la somme de 876,12 euros.
Sur les autres demandes
Puisqu'il a été jugé que le créancier cédant était fondé à exercer une saisie des rémunérations entre les mains de l'employeur de Mme [S] et que la société Intrum DEBT Finance AG était bien fondée à en poursuivre l'exécution après signification de la cession de créance au débiteur cédé, la demande de Mme [S] de condamnation de la Caisse d'épargne et de la société Intrum DEBT Finance AG au paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et restitution des acomptes de 2 000 euros est dénuée de fondement et sera rejetée.
Les dispositions du jugement attaqué concernant les dépens et les frais irrépétibles étaient justifiées et seront maintenues.
Partie succombante en appel, Mme [S] supportera les dépens exposés devant la cour, sans qu'il y ait matière à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque, en cause d'appel.
Enfin, il résulte de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution ne peut, en cas d'exécution forcée, faire supporter par le débiteur la part des droits de recouvrement et d'encaissement de l'huissier à la charge du créancier qu'en cas de mauvaise foi constatée lors de l'exécution de la décision rendue.
La demande d'application de ce texte est donc prématurée et sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Rejette les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bretagne Pays de la Loire et de la société Intrum DEBT Finance AG ;
Confirme en l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le juge des contentieux de la protection, statuant en qualité de juge de l'exécution, du tribunal de proximité de Morlaix, sauf à dire que la saisie des rémunérations sera désormais poursuivie au bénéfice de la société Intrum DEBT Finance AG ;
Déboute Mme [U] [S] de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [U] [S] aux dépens d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
ARRÊT N°312
N° RG 24/05709
N° Portalis DBVL-V-B7I-VJBC
(Réf 1ère instance : 11-24-193)
Mme [U] [S]
C/
SA INTRUM DEBT FINANCE AG
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me LE LUYER
- Me BOUCHER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Valérie PICOT-POSTIC, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Rozenn COURTEL, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 Mai 2025
devant Madame Valérie PICOT-POSTIC, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Septembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [U] [S]
née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent LE LUYER de la SELARL LEXARMOR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉE :
La SA INTRUM DEBT FINANCE AG représentée par la SAS INTRUM CORPORATE, venant aux droits de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DES PAYS DE LA LOIRE
[Adresse 7]
[Localité 3] SUISSE
Représentée par Me Alexandre BOUCHER de la SELARL QUESNEL DEMAY LE GALL-GUINEAU OUAIRY-JALLAIS BOUCHER BEUCHER-FLAMENT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé des 11 et 27 janvier 2003, la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bretagne (la Caisse d'épargne) a consenti à M. [X] [K] et Mme [U] [S] épouse [F] un prêt de 198 000 euros remboursable en 84 mensualités pour l'acquisition d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie.
M. [F] a été mis en liquidation judiciaire le 11 septembre 2007.
Par jugement du 3 octobre 2007, le juge aux affaires familiales de [Localité 6] a prononcé le divorce des époux [F].
Statuant sur l'assignation en paiement de la Caisse d'épargne du 27 mai 2011 à l'égard de Mme [F], le tribunal de grande instance de Brest a, par jugement du 18 janvier 2012 signifié le 4 mai 2012, condamné Mme [K] à payer à la Caisse d'épargne la somme de 61 347,19 euros, outre intérêts au taux de 7,75 % l'an postérieurement au 16 juin 2010.
Poursuivant l'exécution de cette décision, la Caisse d'épargne a, par acte du 3 décembre 2012, fait délivrer à Mme [S] un commandement aux fins de saisie-vente pour obtenir paiement d'une somme de 73 976,20 euros en principal, intérêts et frais.
Elle a ensuite, par acte signifié à la préfecture des Deux-[Localité 8] le 7 janvier 2013, fait dresser un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation d'un véhicule dont Mme [S] était propriétaire, cette mesure d'exécution ayant été dénoncée à Mme [S] par acte du 9 janvier 2013.
Puis, elle a, par requête du 8 janvier 2024, saisi le juge des contentieux de la protection, statuant en qualité de juge de l'exécution, du tribunal de proximité de Morlaix d'une saisie des rémunérations de Mme [S], aux fins de recouvrer une créance de 125 766,55 euros en principal, intérêts et frais.
Mme [S] a été citée, par acte du 5 février 2024, à comparaître à l'audience de conciliation.
Par courrier du 20 août 2024, le conseil de la Caisse d'épargne a actualisé le montant de la créance sollicitée composée comme suit :
61 347,19 euros en principal,
2 123,84 euros, incluant 737,88 euros de 'frais de procédure', sans plus de précision,
47 566,17 euros au titre des intérêts entre le 16 juin 2020 et le 20 août 2024,
déduction d'un acompte de 2 000 euros.
Par jugement du 7 octobre 2024, le juge des contentieux de la protection, statuant en qualité de juge de l'exécution, a :
autorisé la saisie des rémunérations de Mme [U] [S], à concurrence de la somme de 71 419,52 euros, au profit de la Caisse d'épargne Bretagne Pays de la Loire, composée comme suit :
- 61 347,19 euros en principal sur le fondement du titre exécutoire,
- 9 196,21 euros au titre des intérêts sur le fondement de l'article L. 218-1 du code de la consommation,
- 876,12 euros au titre des frais de procédure,
dit que cette somme ne produira pas d'intérêts,
rappelé qu'en cas de dépôt d'un dossier de surendettement déclaré recevable les modalités de traitement de la dette seront fixées par la commission de surendettement des particuliers et que les actes de saisie seront dès lors immédiatement interrompus,
condamné Mme [U] [S] aux entiers dépens de l'instance,
dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs demandes principales et accessoires.
Mme [S] a relevé appel de ce jugement le 17 octobre 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions du 3 mars 2025, elle demande à la cour de :
infirmer le jugement querellé,
débouter la Caisse d'épargne de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
débouter la société Intrum DEBT Finance AG de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
condamner solidairement la Caisse d'épargne et Intrum DEBT Finance AG à verser à Mme [S] les sommes suivantes :
- 2 000 euros en réparation son préjudice,
- 2000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la Caisse d'épargne et Intrum DEBT Finance AG aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 21 janvier 2025, la société Intrum DEBT Finance AG, déclarant venir aux droits de la Caisse d'épargne en vertu d'une cession de créance signifiée le 12 décembre 2024 à Mme [S], demande à la cour de :
juger que le créancier cédant est fondé à obtenir paiement de la créance cédée, dès lors que la cession n'est pas opposable au débiteur cédé,
juger que la Caisse d'épargne était bien fondée à procéder à une saisie des rémunérations entre les mains de l'employeur de Mme [S] antérieurement à la signification de la cession de créance,
juger que ladite signification a rendu la cession de créance opposable à Mme [S] à compter du 12 décembre 2024, et que la société Intrum DEBT Finance AG était bien fondée à en poursuivre l'exécution à son endroit postérieurement à cette date,
juger que les paiements partiels de Mme [S] ont entrainé un effet interruptif de prescription pour le tout et que la société Intrum DEBT Finance AG n'est pas prescrite en son action,
juger qu'il y a lieu de présumer que Mme [S] a contracté le prêt litigieux en qualité de professionnelle et qu'il n'y a lieu à application des dispositions du code de la consommation,
débouter Mme [U] [S] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le juge de l'exécution du tribunal de proximité de Morlaix,
condamner Mme [U] [S] à payer à la société Intrum DEBT Finance AG une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner Mme [U] [S] aux entiers dépens qui comprendront également ceux de l'exécution à intervenir.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité de la Caisse d'épargne à poursuivre l'exécution
Mme [S] soutient que la Caisse d'épargne ayant cédé sa créance le 11 juillet 2013 à la société Intrum DEBT Finance AG, et sachant que la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée, la Caisse d'épargne ne pouvait plus exercer en janvier 2024 les droits qu'elle avait cédés en 2013.
Cependant, aux termes des dispositions de l'article 1690 du code civil, applicable à la cause, le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.
Néanmoins le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique.
Il en résulte que jusqu'à sa signification au débiteur cédé ou son acceptation par celui-ci, la cession de créance n'a d'effet qu'entre les parties. Les tiers, et notamment le débiteur cédé, ne peuvent se la voir opposer ni s'en prévaloir.
La Caisse d'épargne, créancier cédant, demeurait donc toujours légitime à exercer le recouvrement forcé de sa créance contre son débiteur cédé, tant que la cession ne lui était pas opposable.
Le moyen sera donc rejeté.
Sur l'opposabilité de la cession de créance
Mme [S] soutient ensuite que dans la mesure où la saisie a été engagée par la Caisse d'épargne avant la signification de la cession de créance, cette dernière ne lui serait pas opposable aujourd'hui, alors qu'elle est reprise à son compte par la société Intrum DEBT Finance AG.
Cependant, cette cession est opposable au débiteur à la date de sa notification, réalisée par acte d'huissier du 12 décembre 2024, et il en résulte que l'action en saisie des rémunérations exercée par la Caisse d'épargne a été transférée à la société Intrum DEBT Finance AG, au titre des accessoires de sa créance.
Au surplus, le défaut d'accomplissement des formalités de l'article 1690 du code civil ne rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé l'exécution de son obligation quand cette exécution n'est susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance au débiteur cédé, soit audit débiteur cédé, soit à une autre personne étrangère à la cession.
Or, Mme [S] ne rapporte pas la preuve d'un grief ayant pour fondement l'absence de notification préalable de la cession de créance, la saisie des rémunérations pratiquée n'étant pas en lien causal avec l'absence de notification préalable de la cession de créance au débiteur cédé.
Le moyen sera également rejeté.
Sur la prescription du titre exécutoire
Mme [S] soutient de nouveau que le jugement a été signifié à personne le 4 mai 2012, qu'un commandement a été délivré le 3 décembre 2012, interrompant la prescription et faisant courir un nouveau délai de 10 ans à compter du 3 décembre 2012.
Elle affirme cependant qu'aucun acte interruptif de prescription ne serait intervenu entre le 3 décembre 2012 et le 4 janvier 2024, et que l'action engagée par la Caisse d'épargne serait prescrite, la mise en place d'un petit paiement échelonné de 20 euros par mois fait à la demande de l'huissier mandaté par la Caisse d'épargne ne constituant pas, selon elle, une reconnaissanse de dette et ne serait pas interruptif de prescription.
L'exécution était poursuivie sur le fondement d'une décision de justice, régie par la prescription trentenaire réduite à 10 ans par l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution issue de la loi du 17 juin 2008.
D'autre part, aux termes de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Or, il résulte du décompte de l'huissier du 16 janvier 2025 que Mme [S] a régularisé des paiements de 20 euros par voie postale ou par virement, échelonnés sur une période comprise entre le 10 octobre 2013 et le 11 janvier 2024.
Ces paiements effectués sous forme d'envoi postal ou par virements sur une période de neuf années constituent une reconnaissance non équivoque de sa dette, et ont valablement interrompu le délai de prescription, de sorte que l'action en recouvrement de la créance de la Caisse d'épargne, aux droits de laquelle se trouve la société Intrum DEBT Finance AG, n'était nullement prescrite au jour de la requête en saisie des rémunérations du 8 janvier 2024.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription du titre exécutoire.
Sur la nullité du prêt
Mme [S] soutient que le prêt souscrit auprès de la Caisse d'épargne, et au titre duquel elle a été condamnée par jugement du 18 janvier 2012, devrait être déclaré nul en application d'un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation résultant d'un arrêt de principe du 29 juin 2022, énonçant que si le prêt a été affecté à une destination professionnelle, sa validité est entachée par la présence d'un co-emprunteur non professionnel, et que cet arrêt de principe devrait s'appliquer à un prêt souscrit en '2011'.
Cependant, ce moyen tend à remettre en cause le jugement du tribunal de grande instance de Brest du 18 janvier 2012 passé en force de chose jugée et devenu irrévocable, faute de recours exercé à son encontre par Mme [S].
Par ailleurs, en application de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni connaître de demandes tendant à remettre en cause le titre dans son principe ou la validité des droits ou obligations qu'il constate.
C'est donc à juste titre que le juge de l'exécution a débouté Mme [S] de sa demande tendant à constater la nullité du contrat de prêt conclu le 11 janvier 2003 auprès de la Caisse d'épargne et déclaré le créancier bien fondé à poursuivre l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Brest du 18 janvier 2012.
Sur la prescription biennale du droit de la consommation
Il est de principe que les créances périodiques nées d'une créance en principal fixée par un titre exécutoire à la suite de la fourniture d'un bien ou d'un service par un professionnel à un consommateur, sont soumises au délai de prescription biennal prévu à l'article L. 137-2 devenu article L. 218-2 du code de la consommation.
Conformément à l'article L. 141-4 devenu article R. 632-1 du code de la consommation, il entre dans les pouvoirs du juge de soulever d'office ces dispositions.
Ainsi que l'a exactement relevé le juge de l'exécution, il n'est pas sérieusement contesté que Mme [S] n'avait pas la qualité de professionnelle lors de la souscription du prêt.
Les poursuites en recouvrement de la créance d'intérêts ne sont donc recevables que pour ceux échus depuis le 8 janvier 2022, deux ans avant la date de la requête en saisie des rémunérations, le surplus étant irrecevable comme prescrit.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a appliqué la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation.
Au demeurant, la société Intrum DEBT Finance AG ne conteste pas le jugement sur ce point, concluant, dans le dispositif de ses conclusions, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
La cour n'est par ailleurs saisie d'aucun moyen de réformation du jugement attaqué concernant la fixation des frais de procédures dus par Mme [S] à la somme de 876,12 euros.
Sur les autres demandes
Puisqu'il a été jugé que le créancier cédant était fondé à exercer une saisie des rémunérations entre les mains de l'employeur de Mme [S] et que la société Intrum DEBT Finance AG était bien fondée à en poursuivre l'exécution après signification de la cession de créance au débiteur cédé, la demande de Mme [S] de condamnation de la Caisse d'épargne et de la société Intrum DEBT Finance AG au paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et restitution des acomptes de 2 000 euros est dénuée de fondement et sera rejetée.
Les dispositions du jugement attaqué concernant les dépens et les frais irrépétibles étaient justifiées et seront maintenues.
Partie succombante en appel, Mme [S] supportera les dépens exposés devant la cour, sans qu'il y ait matière à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque, en cause d'appel.
Enfin, il résulte de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution ne peut, en cas d'exécution forcée, faire supporter par le débiteur la part des droits de recouvrement et d'encaissement de l'huissier à la charge du créancier qu'en cas de mauvaise foi constatée lors de l'exécution de la décision rendue.
La demande d'application de ce texte est donc prématurée et sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Rejette les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Bretagne Pays de la Loire et de la société Intrum DEBT Finance AG ;
Confirme en l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le juge des contentieux de la protection, statuant en qualité de juge de l'exécution, du tribunal de proximité de Morlaix, sauf à dire que la saisie des rémunérations sera désormais poursuivie au bénéfice de la société Intrum DEBT Finance AG ;
Déboute Mme [U] [S] de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [U] [S] aux dépens d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT