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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 2 octobre 2025, n° 24/02251

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/02251

2 octobre 2025

N° RG 24/02251 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JWEP

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 02 OCTOBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2023005954

Tribunal de commerce de Rouen du 22 avril 2024

APPELANT :

Monsieur [Z] [B]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR, avocat au barreau de ROUEN et assisté par Me Franck GOMOND de la SELARL GOMOND AVOCATS D'AFFAIRES, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Pauline LYNCEE, avocat au barreau de ROUEN, plaidant.

INTIMEE :

S.A. BANQUE CIC NORD OUEST

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée et assistée par Me Philippe FOURDRIN de la SELARL PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 juin 2025 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme VANNIER, présidente de chambre

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT,greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 12 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 octobre 2025.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 02 octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SARL 3C a été créée par Monsieur [Z] [B] le 18 octobre 2016, unique associé et gérant de cette société, pour exercer une activité de charcuterie, traiteur, saladerie, restauration rapide et vente de produits d'épicerie fine.

Le 20 décembre 2016, la société CIC Nord-Ouest a consenti à la société 3C, une offre de prêt professionnel n°00020968702 de 127.445 euros, au taux nominal de 1,43% l'an, remboursable en 84 mensualités de 1.639,92 euros, du 25 janvier 2017 au 25 décembre 2023, destiné à financer l'achat d'un fonds de commerce de charcuterie traiteur sis [Adresse 2] à [Localité 6].

Ce contrat de prêt a prévu le cautionnement solidaire de M.[B] à hauteur de 60.000 euros.

Le 20 avril 2017, la société CIC Nord-Ouest a consenti à la société 3C, une offre de prêt professionnel n°00020968703 de 35.000 euros, au taux nominal de 1,60% l'an, remboursable au moyen de 60 mensualités de 614,37 €, assurance comprise, du 5 juin 2017 au 5 mai 2022, destiné à financer l'achat de matériel.

Ce second contrat a prévu le cautionnement solidaire de M.[B], à hauteur de 18.000 euros.

Par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 9 janvier 2018, la société 3C a été placée en liquidation judiciaire.

Par courriers du 1er février 2018, la société CIC Nord-Ouest a déclaré sa créance entre les mains de Maître [E] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire, à titre privilégié nanti pour la somme totale de 138.890,17 euros, outre intérêts et a mis M.[B] en demeure de lui payer la somme de 78.000 euros.

Par jugement du 21 mai 2019, le tribunal de commerce de Rouen a clôturé la procédure de liquidation judiciaire de la société 3C pour insuffisance d'actif.

Par courriers recommandés des 1er septembre 2021 et 19 juin 2023, la banque a mis M.[B] en demeure de payer la somme de 78 000 euros.

Par acte d'huissier du 18 août 2023, la société CIC Nord-Ouest a fait assigner M.[B] devant le tribunal de commerce de Rouen, aux fins de condamnation à lui payer les sommes de 58 691,69 euros et de 22 902,09 euros.

Par jugement du 22 avril 2024, le tribunal de commerce de Rouen a :

- condamné Monsieur [Z] [B], ès qualités de caution solidaire de la société 3C, à payer à la société CIC Nord-Ouest :

* au titre du prêt n°00020968702, la somme de 117.383,39 euros arrêtée au 10 juillet 2023, outre les intérêts au taux contractuel de 1,43% l'an à compter du 11 juillet 2023, limitée à la somme de 58.691,69 euros au titre de l'intervention de BPI France en qualité de contre-garant de 50% à l'encours ;

* au titre du prêt n°00020968703, la somme de 22.902,09 euros arrêtée au 10 juillet 2023, outre les intérêts au taux contractuel de 1,60% l'an à compter du 11 juillet 2023, limitée à la somme de 18.000 euros, au titre de son engagement de caution ;

- débouté Monsieur [Z] [B] dans sa demande d'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 76.691,19 euros ;

- dit que Monsieur [Z] [B] pourra s'acquitter de sa dette en 23 mensualités de 400 euros imputées d'abord sur le principal, la 24ème mensualité formant le solde avec les intérêts, que le paiement de la première mensualité devra intervenir au plus tard le premier jour ouvrable du mois suivant la signification du jugement rendu, qu'à défaut d'un seul règlement à bonne date d'échéance, le tout deviendra immédiatement exigible par déchéance du terme ;

- condamné Monsieur [Z] [B] à payer à la société CIC Nord-Ouest la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Monsieur [Z] [B] aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 70,91 euros.

Monsieur [Z] [B] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 25 juin 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 9 avril 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de Monsieur [Z] [B] qui demande à la cour de :

- déclarer Monsieur [Z] [B] recevable et bien fondé dans l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rouen, en date du 22 avril 2024, en ce qu'il a :

* condamné Monsieur [Z] [B], ès qualités de caution solidaire de la société 3C, à payer à la société CIC Nord-Ouest :

**au titre du prêt n°00020968702, la somme de 117.383,39 euros arrêtée au 10 juillet 2023, outre les intérêts au taux contractuel de 1,43% l'an à compter du 11 juillet 2023, limitée à la somme de 58.691,69 euros au titre de l'intervention de BPI France en qualité de contre-garant de 50% à l'encours ;

**au titre du prêt n°00020968703, la somme de 22.902,09 euros arrêtée au 10 juillet 2023, outre les intérêts au taux contractuel de 1,60% l'an à compter du 11 juillet 2023, limitée à la somme de 18.000 euros, au titre de son engagement de caution ;

* débouté Monsieur [Z] [B] dans sa demande d'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 76.691,19 euros ;

* dit que Monsieur [Z] [B] pourra s'acquitter de sa dette en 23 mensualités de 400 euros imputées d'abord sur le principal, la 24ème mensualité formant le solde avec les intérêts, que le paiement de la première mensualité devra intervenir au plus tard le premier jour ouvrable du mois suivant la signification du jugement rendu, qu'à défaut d'un seul règlement à bonne date d'échéance, le tout deviendra immédiatement exigible par déchéance du terme ;

* condamné Monsieur [Z] [B] à payer à la société CIC Nord-Ouest la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné Monsieur [Z] [B] aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 70,91 euros.

Statuant à nouveau, à titre principal :

- déclarer Monsieur [Z] [B] recevable et bien fondé dans l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- débouter la société CIC Nord-Ouest de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- constater l'irrecevabilité des demandes formulées par la société CIC Nord-Ouest devant le tribunal de commerce de Rouen ;

- rejeter les demandes formulées par la société CIC Nord-Ouest.

A titre subsidiaire :

- constater que la société CIC Nord-Ouest a manqué à son obligation de prudence et de mise en garde ;

- constater que l'engagement de Monsieur [Z] [B] et son patrimoine est manifestement disproportionné ;

- prononcer la nullité des actes de caution de sorte que le la société CIC Nord-Ouest ne peut se prévaloir des engagements de caution souscrits par Monsieur [Z] [B] ;

- débouter la société CIC Nord-Ouest de sa demande de paiement à l'égard de Monsieur [Z] [B] ;

- condamner la société CIC Nord-Ouest au titre de son devoir de mise en garde à payer à M.[B] la somme de 76.691,69 euros à titre de dommages et intérêts, qui se compenseront avec le montant des réclamations de la société CIC Nord-Ouest ;

- ordonner en tant que de besoin la compensation des créances Monsieur [Z] [B] et la société CIC Nord-Ouest.

A titre infiniment subsidiaire :

- accorder les plus larges délais de paiement à Monsieur [Z] [B] en application de l'article 1343-5 du code civil.

En tout état de cause :

- condamner la société CIC Nord-Ouest à payer à Monsieur [Z] [B] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société CIC Nord-Ouest aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 11 avril 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société CIC Nord-Ouest qui demande à la cour de :

- débouter Monsieur [Z] [B] de l'intégralité de ses demandes ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rouen en date du 22 avril 2024 en toutes ses dispositions ;

- condamner Monsieur [Z] [B] au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Monsieur [Z] [B] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la forclusion

M.[B] soutient que :

* la clause qui fixe un terme au droit d'agir du créancier institue un délai de forclusion ;

* les deux contrats de prêt stipulent que la caution est engagée pour la durée du prêt majorée de 2 ans ; par courrier du 1er février 2018, le CIC l'a informé de la date de déchéance du terme des deux contrats de prêt au 9 janvier 2018 date d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; le délai pour agir a expiré le 9 janvier 2020.

Le CIC Nord Ouest réplique que :

* les durées d'engagement de 108 mois et 84 mois ne sont pas stipulées comme des délais d'action ;

* la durée de l'engagement de M.[B] était prévue, sans ambiguïté, uniquement comme une durée de couverture.

Réponse de la cour

L'article 2290 du code civil dans sa version applicable du 24 mars 2006 au 1er janvier 2022 disposait que : « Le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses.

Il peut être contracté pour une partie de la dette seulement, et sous des conditions moins onéreuses.

Le cautionnement qui excède la dette, ou qui est contracté sous des conditions plus onéreuses, n'est point nul : il est seulement réductible à la mesure de l'obligation ».

L'article 2292 du même code disposait que : « Le cautionnement ne se présume point; il doit être exprès, et on ne peut pas l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté. »

S'agissant de la durée du cautionnement, il y a lieu de distinguer entre l'obligation de couverture qui vise la garantie des dettes nées entre la date de la conclusion de l'acte de caution et son terme et l'obligation de règlement qui concerne la mise en oeuvre de la garantie après ce terme.

L'engagement de caution du 20 décembre 2016 prévoit le cautionnement solidaire de M.[B] en ces termes :

« En me portant caution de 3C, dans la limite de la somme de 60.000,00 (soixante mille) EUR couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 108 mois, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si 3C n'y satisfait pas lui-même.

En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec 3C, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement 3C».

L'engagement de caution du 20 avril 2017 prévoit le cautionnement solidaire de M. [B] en ces termes :

« En me portant caution de 3C, dans la limite de la somme de 18.000,00 (dix huit mille) EUR couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités, ou intérêts de retard et pour la durée de 84 mois, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si 3C n'y satisfait pas lui même.

En renonçant au bénéfice de discussion défini par l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec 3C, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement 3C».

Par ailleurs sont stipulées dans les deux contrats de prêt deux clauses identiques qui précisent en page 3 que « le montant garanti par le présent cautionnement est de (') et sa durée est celle du crédit majorée de 24 mois » et en page 4 que « la caution est engagée dans la limite

du montant global (') et pour la durée indiquée aux présentes »

M.[B] prétend que l'obligation de règlement s'est éteinte le 9 janvier 2020 soit avant même le terme de l'obligation de couverture fixée au 20 décembre 2025 pour le 1er engagement et au 20 avril 2024 pour le 2ème engagement au motif de la déchéance du terme des deux contrats à la date du 9 janvier 2018.

Il convient de relever que les engagements souscrits par M.[B] ne contiennent aucune stipulation expresse et non équivoque restreignant le droit de poursuite de la banque à deux ans à compter de la déchéance du terme. Aucun délai de forclusion ne découlant des contrats de cautionnement, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par l'appelant.

Sur la fin de non recevoir tiré de la prescription de l'action en paiement formée par la banque à l'encontre de la caution

M.[B] soutient que :

* le 1er février 2018, il a été mis en demeure en sa qualité de caution, d'avoir à payer la somme de 78.000 euros ; la banque n'a pas attendu la clôture de la liquidation judiciaire de la société 3C pour actionner la caution ;

* par cet acte, la banque a marqué le point de départ de la prescription de son action au 1er février 2018, si bien qu'au jour où elle a fait délivrer son assignation, elle était prescrite.

Le CIC Nord Ouest réplique que

* la déclaration de créance interrompt les délais de prescription pour agir tant contre le débiteur principal que contre la caution solidaire ou le codébiteur solidaire qui se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective ;

* le 21 mai 2019, la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée ; la banque avait cinq ans pour agir ; l'assignation introductive d'instance a été délivrée le 18 août 2023 ; l'action n'est pas prescrite.

Réponse de la cour

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Selon l'article L. 622-25-1 du code de commerce, la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuites.

L'article 2246 du code civil énonce que l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.

L'article 2231 du code civil dispose que l'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.

Le délai de prescription quinquennale applicable en l'espèce, peut être interrompu ou suspendu selon les dispositions de droit commun, soit celles des articles 2241 et 2242 du code civil selon lesquels une demande en justice interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance.

Une déclaration de créance dans le cadre d'une procédure collective, constitue une demande en justice, qui interrompt la prescription à l'égard du débiteur principal.

En outre, il résulte de la combinaison des articles L. 622-25-1 du code de commerce et 2246 du code civil, que la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective.

La banque CIC Nord Ouest justifie avoir procédé, par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du 1er février 2018, à la déclaration de ses créances à la procédure de liquidation judiciaire de la société 3C prononcée par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 9 janvier 2018.

La déclaration de créance ainsi effectuée par le CIC Nord Ouest a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription à l'égard du débiteur principal, la société 3C, et de M.[B], caution, jusqu'à la clôture de la procédure collective et ceci peu important la mise en demeure de payer adressée par la banque à M.[B] le 1er février 2018 qui ne marque pas le point de départ du délai de 5 ans pour agir.

Il s'ensuit que le délai de prescription de l'action de la banque à l'encontre de M.[B] en sa qualité de caution solidaire de la société 3C, a été interrompu à compter du 1er février 2018, date de la déclaration de créances, jusqu'au 21 mai 2019, date du jugement de clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

Un nouveau délai de prescription quinquennal a commencé à courir à compter du prononcé du jugement de clôture soit à compter du 22 mai 2019 devant expirer le 21 mai 2024.

La Banque CIC Nord Ouest a assigné M.[B], en sa qualité de caution, devant le tribunal de commerce de Rouen par acte du 18 août 2023, soit avant l'expiration du délai de prescription quinquennale.

L'action de la société CIC Nord-Ouest est donc recevable. Il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l'appelant.

Sur le moyen tiré de la disproportion des cautionnements

Moyens des parties

M.[B] soutient que :

* la fiche de patrimoine fait état, comme seul et unique élément de patrimoine, d'une maison estimée à 400.000 euros constituant un bien commun, le domicile familial ; le poste de passif patrimonial est de 185.548 euros ; pour l'acquisition de ce bien, son épouse a réalisé un apport personnel de 101.500,00 euros ;

* son épouse n'a pas consenti au cautionnement souscrit ; la banque n'a pas obtenu le « consentement exprès du conjoint » ; en application de l'article 1415 du code civil le CIC Nord Ouest ne pouvait comptabiliser dans le patrimoine de M. [B] le domicile familial ;

* dans le second acte de cautionnement en date du 20 avril 2017, la banque a sciemment omis de faire intervenir le conjoint à l'acte ;

* les engagements souscrits l'ont été avec un patrimoine seulement de 5.726,00 euros ; son passif était important ;

* la banque aurait dû le mettre en garde sur le fait qu'il ne disposait d'aucun autre actif en propre lui permettant d'honorer sa dette ; elle doit vérifier les revenus et patrimoine des cautions au moment de leur engagement, la banque est carentielle à démontrer qu'elle a satisfait à cette obligation ; le tribunal de commerce omis de se prononcer sur ce point.

* la banque ne justifie pas qu'il était en mesure de faire face au paiement de la somme de 76.691,69 Euros ; il perçoit un revenu mensuel à hauteur de 3.533,75 euros ; les emprunts immobiliers contractés pour l'acquisition de la résidence principale sont toujours en cours ; il doit faire face aux charges de la vie courante.

Le CIC Nord Ouest réplique que :

* la charge de la preuve de la disproportion invoquée par M.[B] lui incombe ; il ne fournit aucune pièce justifiant de sa situation patrimoniale et financière ;

* il a renseigné une fiche de situation patrimoniale, la banque n'avait pas à vérifier l'exactitude des déclarations de M.[B] ;

* tous les biens de la communauté doivent être pris en considération dans l'appréciation de la disproportion ; l'apport de 101.500 euros lors de l'acquisition du domicile familial a été réalisé par les deu époux ;

* M.[B] n'a pas déclaré un autre passif que le prêt immobilier destiné à l'acquisition de sa résidence principale ; le montant cumulé des deux engagements était parfaitement proportionné à l'actif immobilier ;

* le patrimoine de M.[B], au moment où celui-ci est appelé lui permet de faire face à son obligation ; ayant continué à verser les échéances de son emprunt immobilier, la valeur nette de son patrimoine n'a pu qu'augmenter ; il est donc parfaitement en mesure de respecter son engagement de caution dès lors qu'il lui est réclamé une somme de 76.691,69 euros.

Réponse de la cour

Il résulte de l'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 applicable en la cause, '' Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.''

Il appartient à la caution de rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement au jour de la signature par rapport à ses biens et revenus, mais, en revanche, c'est au créancier qui se prévaudrait de la disparition de la disproportion au moment où la caution est appelée d'en rapporter la preuve.

Lorsque le créancier professionnel fait établir par celui qui entend s'engager en qualité de caution une fiche de renseignements sur son patrimoine, il appartient à cette dernière de déclarer loyalement ses biens, ses revenus, ses charges et ses dettes. En signant la fiche de renseignements, la caution en approuve le contenu. Elle ne pourra pas se prévaloir de l'inexactitude de ses propres déclarations ou de ses omissions. Le créancier professionnel n'a pas à vérifier l'exhaustivité et l'exactitude des informations fournies par la caution dans la fiche de renseignements en l'absence d'anomalies apparentes sauf s'il avait connaissance ou ne pouvait pas ignorer l'existence d'autres charges pesant sur la caution non déclarées sur la fiche de renseignements.

Lorsque deux époux sont mariés sous le régime de la communauté et si un seul d'entre eux s'est engagé en qualité de caution sans le consentement de l'autre, il convient néanmoins de prendre en compte les biens communs dans l'appréciation de la disproportion quand bien même ces biens échappent au droit de poursuite du créancier de sorte que M.[B] est mal fondé à invoquer l'absence de consentement de son épouse à ses engagements pour soustraire le bien immobilier constituant le domicile familial du patrimoine à prendre en considération dans l'appréciation de la proportionnalité. Et contrairement à ce que soutient M.[B] la somme de 101.500 euros qu'il présente comme ayant constitué un apport personnel de son épouse lors de l'acquisition du domicile familial est mentionné dans les comptes du notaire du 3 janvier 2006 comme un apport personnel de Monsieur et Madame [B].

Il convient de préciser que dans l'appréciation de la proportionnalité de l'engagement de caution la notion de mise en garde est indifférente de sorte que le moyen tiré d'un manquement de la banque à ce titre est inopérant.

Le 20 décembre 2016, M.[B] s'est engagé comme caution solidaire de la société 3C à hauteur de la somme de 60 000 euros au bénéfice de la banque au titre du prêt de 127 445 euros qu'elle a consenti le même jour à ladite société.

Il ressort de la fiche de renseignements du 28 octobre 2016, signé par M.[B] qui a certifié exactes et sincères ses déclarations, les éléments suivants :

- M.[B] est marié sans contrat,

- il est propriétaire depuis 2010,

- il a trois enfants,

- des prêts immobiliers ont été souscrits par les époux, il reste dû : 185 548 euros, la charge annuelle est de 16 168,68 euros,

- les époux sont propriétaires en commun d'un bien immobilier d'une valeur de

400 000 euros, le passif résiduel étant de 185 548 euros (ci-dessus mentionné).

Soit un actif net déterminé après déduction des charges d'emprunts de 214 452 euros.

Il s'ensuit que nonobstant ses charges de famille M.[B] ne démontre pas le caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution de 60 000 euros au jour de sa signature par rapport à son patrimoine.

Le 20 avril 2017, M.[B] s'est une nouvelle fois porté caution solidaire de la société 3C à hauteur de la somme de 18 000 euros au bénéfice de la banque au titre du prêt de 35 000 euros qu'elle a consenti le même jour à ladite société.

M.[B] ne produit aucun élément sur sa situation lors de cet engagement autre que les informations contenues dans la fiche de renseignements.

En prenant en compte l'engagement de caution du 20 décembre 2016 de 60 000 euros et en l'ajoutant au passif dû au titre du prêt de 185 548 euros, l'endettement global de M.[B] était de 245 548 euros. Le bien immobilier étant évalué à 400 000 euros, l'actif net était alors de 154 452 euros de sorte que M.[B] ne démontre pas le caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution de 18 000 euros au jour de sa signature par rapport à son patrimoine.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M.[B] en sa qualité de caution personnelle et solidaire de la société 3C à payer à la banque la somme de 58.691,69 euros outre les intérêts au taux contractuel de 1,43% l'an à compter du 11 juillet 2023 au titre du prêt n°00020968702 et la somme de 18 000 euros outre les intérêts au taux contractuel de 1,60% l'an à compter du 11 juillet 2023 au titre du prêt n°00020968703.

Sur la responsabilité de la banque

M.[B] soutient que :

* il n'avait jamais dirigé d'entreprise dans ce domaine auparavant ; il ne peut être qualifié de personne avertie ;

* la banque avait une parfaite connaissance des documents prévisionnels dans le cadre de la conclusion du prêt par la société 3C, et se devait de le mettre en garde concernant la viabilité du projet et l'absence de sérieux des documents présentés ;

* le laps de temps plus que succinct entre l'octroi du crédit et la survenance de la liquidation judiciaire du débiteur principal établit la preuve de l'absence de viabilité de l'opération projetée ;

* la banque a commis une faute en ne le mettant pas en garde sur le risque manifeste de défaillance prévisible de l'engagement souscrit par la société 3C dans le cadre du financement de la société.

Le CIC Nord Ouest réplique que :

* M.[B] doit apporter la preuve du risque d'endettement excessif ainsi que de l'insuffisance de ses propres capacités de remboursement ;

* les échéances du prêt ont été remboursées jusqu'en 2018 ;

* M.[B] est un emprunteur averti ; il se présente comme une personne aguerrie au monde des affaires.

Réponse de la cour

En ce qui concerne le devoir de mise en garde à l'égard de la caution, le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou bien s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

Mais elle n'est pas tenue d'un devoir d'information sur l'opportunité ou les risques de l'opération financée.

C'est à la caution qu'il appartient de démontrer l'inadaptation du prêt consenti par l'établissement de crédit aux facultés financières de l'emprunteur.

Une caution est avertie si elle est en capacité de mesurer le risque encouru en s'engageant.

Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule qualité de dirigeant de la société débitrice principale ou d'une société tierce. Associée à d'autres éléments cette qualité peut permettre de retenir le caractère averti de la caution.

C'est au créancier d'établir qu'une caution est avertie.

Il ressort du curriculum vitae de M.[B] produit par la banque et qui lui a été adressé par l'appelant préalablement à la souscription des prêts qu'il s'est alors présenté comme dirigeant de la « filiale française d'un groupe européen de négoce en fourniture et robinetterie industrielle » disposant d'une expérience, d'une part, de gérant de la société Sedin de 2004 à 2009 dont il a assuré la « reprise en main totale » pour sauver l'entreprise et plus précisément la finance, le management, la stratégie et, d'autre part, de directeur de Sodeco Sedin entre 2009 et mai 2016, indiquant que l'entreprise a doublé son chiffre d'affaires et précisant que son expérience professionnelle a porté sur le management, le commercial, le marketing mais aussi sur la comptabilité par l'élaboration d'un budget prévisionnel, le tableau de bord, l'analyse des résultats. Il était également membre depuis neuf ans du bureau de direction du Centre des Jeunes Dirigeants en charge de recruter de nouveaux membres.

Il en ressort que M.[B] disposait d'une expérience de plus de 10 ans dans la gestion d'entreprises et dont il assurait les aspects financiers et comptables de sorte que fort de cette implication sur une telle durée il n'était pas profane en matière de financement lorsqu'il s'est engagé en décembre 2016 et avril 2017 quand bien même le domaine d'activité de la société nouvellement créée était différent.

Il s'ensuit qu'il possédait les compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés à ses engagements et était une caution avertie de sorte que la banque n'était pas tenue à l'égard de M.[B] d'un devoir de mise en garde.

En tout état de cause, en admettant le caractère non averti de M.[B], il a déjà été démontré qu'au regard de sa situation financière son engagement de caution ne pouvait être considéré comme excessif.

Enfin M.[B] ne produit aucun élément sur la situation financière de la société 3C lors de la souscription des prêts et plus particulièrement les documents prévisionnels dans le cadre de la conclusion du premier prêt par la société 3C et les documents comptables pour les années 2012 et 2013 de la SARL P et L Snacking précédente détentrice du fonds de commerce racheté et dont elle fait état dans ses conclusions, la preuve de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de la société 3 C et par la même l'existence d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garant ne pouvant résulter de l'ouverture de la procédure collective le 9 janvier 2018.

Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts présentée par M.[B].

Sur la demande de délais de paiement

La Cour relève que Le CIC Nord Ouest n'a pas formé d'appel incident sur la disposition du jugement qui a accordé à M.[B] des délais de paiement et si elle a conclu au débouté de M.[B] de l'intégralité de ses demandes, elle sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions. Il s'ensuit que le jugement sera confirmé sur l'octroi de délais de paiement.

Sur les demandes accessoires

M.[B] étant la partie perdante, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles. M.[B] sera pour ce même motif condamné aux dépens d'appel.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [Z] [B] aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,

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