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Décisions

CA Angers, ch. a - com., 23 septembre 2025, n° 24/01817

ANGERS

Arrêt

Autre

CA Angers n° 24/01817

23 septembre 2025

COUR D'APPEL

D'[Localité 7]

CHAMBRE A - COMMERCIALE

CC/ET

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 24/01817 - N° Portalis DBVP-V-B7I-FMLF

Ordonnance du 24 Juin 2024

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 7]

n° d'inscription au RG de première instance 23/01838

ARRET DU 23 SEPTEMBRE 2025

APPELANTE :

S.C.I. CHEMIRENNES, prise en la personne de son Gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Anne-Sophie FINOCCHIARO de la SELAS FIDAL, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier ANG01673 et Me Nicolas MENAGE, avocat plaidant au barreau de RENNES

INTIMEES :

S.A.S. CHEMILAND prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 3]

S.A.S. ITM ALIMENTAIRE OUEST prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentées par Me Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS, subsituée par Me SUDRON Camille - N° du dossier 246828, et par Me Bruno CRESSARD, avocat plaidant au barreau de RENNES, substitué par Me HUTIN Claire

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 16 Juin 2025 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 23 septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte sous seing privé du 14 octobre 2005, la SCI Chemirennes a consenti à la SAS Chemicroix le renouvellement d'un bail commercial du 1er octobre 1991, pour une durée de 9 années commençant à courir le 1er janvier 2006, portant sur un local à usage de supermarché sis [Adresse 5] à Chemillé (49120). Il y est précisé que l'immeuble devait être exploité sous l'enseigne Netto aux lieu et place de l'enseigne Intermarché et que le groupement des Mousquetaires s'engageait, par le biais de la société ITM Ouest (F), à procéder à des travaux de remise en état du bâtiment à l'occasion du changement d'enseigne, du fait que ni les travaux de remise en état prévus avant le 30 avril 1992, à la charge du preneur ni les travaux d'entretien, de gros entretien, y compris les grosses réparations et de mise aux normes n'avaient été exécutés au cours du bail initial. Ces travaux listés de façon non exhaustive devaient être exécutés avant le 30 juin 2006, avant l'ouverture du point de vente sous la nouvelle enseigne, et la réfection des façades avant le 30 septembre 2006.

Le 20 décembre 2007, la société Chemicroix a signifié à la SCI Chemirennes la cession de son fonds de commerce à la SAS Chemiland, dirigée par la SAS ITM Alimentaire Ouest, laquelle apparaît sur le registre national des entreprises comme étant une centrale d'achat. Un avenant au bail commercial a été signé le 25 mars 2008 entre les parties pour modifier l'identité du preneur.

Le 26 juin 2014, la société Chemiland a délivré un congé à la société bailleresse, à effet au 31 décembre 2014.

Après avoir fait dresser, le 16 septembre 2014, un procès-verbal de pré-état des lieux, la société Chemirennes a déploré, au vu d'un rapport technique établi à sa demande par le cabinet Merci, un mauvais état de restitution de l'immeuble persistant après la remise des clés, considérée comme partielle par la bailleresse, qui a eu lieu le 14 janvier 2015, et en dépit de travaux entrepris par la preneuse sortante au cours du premier semestre 2015 et de nombreux échanges entre les parties à ce sujet. Craignant que certains travaux de remise en état entrepris ne soient pas conformes aux règles de l'art et qu'ils soient insuffisants, la bailleresse a fait intervenir la société Socotec qui a établi, notamment, un rapport d'audit technique le 2 avril 2015.

Le 7 décembre 2018, la SCI Chemirennes a fait assigner en référé expertise les sociétés Chemiland et ITM Alimentaire Ouest pour voir donner mission à l'expert de donner son avis sur un ensemble de désordres qu'elle listait, de dresser la liste des travaux à entreprendre pour la remise en état des lieux et de chiffrer le coût de ces travaux.

Par ordonnance du 21 mars 2019, le juge des référés a ordonné une expertise en donnant mission à l'expert de déterminer les causes des désordres visés par la bailleresse dans son assignation, de dire s'ils proviennent de la vétusté liée à l'usure normale du bâtiment, de vices ou non-conformités liés aux travaux réalisés en 2006, de manquements du preneur à ses obligations d'entretien et de réparation mises à sa charge au cours du bail, de vices ou non-conformité liés aux travaux réalisés par le preneur en 2015, de manquements relevant des obligations du bailleur, en particulier de l'obligation de délivrance du conforme à sa destination (au cours du bail) ou d'entretien (après septembre 2015). Cette expertise a été réalisée au contradictoire de la SCI Chemirennes, de la SAS Chemiland et de la SAS ITM Alimentaire Ouest par M. [Z] qui a rendu son rapport définitif le 2 août 2021.

Le 9 août 2023, faute de solution amiable trouvée entre les parties au litige, la société Chemirennes a fait assigner, devant le tribunal judiciaire d'Angers, la société Chemiland et la société ITM Alimentaire Ouest en indemnisation du coût des travaux de reprise et du préjudice locatif subi.

La société Chemiland et la société ITM Alimentaire Ouest ont saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à voir déclarer irrecevable l'action de la société Chemirennes contre la société ITM Alimentaire Ouest pour défaut de qualité à agir contre elle et à voir déclarer prescrite l'action en indemnisation.

Par ordonnance du 24 juin 2024, le juge de la mise en état a :

- déclaré régulière les assignations du 9 août 2023 délivrées par la société Chemirennes aux sociétés Chemiland et ITM Alimentaire Ouest ;

- déclaré recevables les demandes de la société Chemirennes formées contre de la société ITM Alimentaire Ouest, au titre de sa qualité à agir ;

- déclaré irrecevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre d'un préjudice locatif, comme étant prescrite ;

- déclaré recevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre des travaux de reprise ;

- rejeté les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 12 septembre 2024 pour les conclusions au fond de Me [S] ;

- réservé les dépens.

Par déclaration du 25 octobre 2024, la SCI Chemirennes a relevé appel de l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevable sa demande en paiement au titre d'un préjudice locatif comme étant prescrite, rejeté les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi réservé les dépens.

Les sociétés Chemiland et ITM alimentaire Ouest ont formé appel incident, le 12 février 2025.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 juin 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SCI Chemirennes demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 24 juin 2024 en ce qu'elle a :

* déclaré irrecevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre d'un préjudice locatif, comme prescrite ;

* rejeté les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

- déclarer recevable l'action visant à la condamnation in solidum des sociétés Chemiland et ITM alimentaire Ouest au paiement de la somme de 931 045 euros au titre de son préjudice locatif.

Y ajoutant,

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

* déclaré régulières les assignations en date du 9 août 2023 délivrées par la société Chemirennes aux sociétés Chemiland et ITM Alimentaire Ouest ;

* déclaré recevables les demandes de la société Chemirennes formulées à l'encontre de la société ITM Alimentaire Ouest au titre de sa qualité à agir ;

* déclaré recevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre des travaux de reprise ;

- débouter les société Chemiland et ITM Alimentaire Ouest de leurs demandes tendant à :

* déclarer irrecevables faute pour la société Chemirennes de qualité à agir, toutes les demandes présentées par la société Chemirennes à l'encontre de la société ITM alimentaire Ouest ;

* déclarer irrecevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre d'un préjudice locatif, comme étant prescrite ;

* déclarer irrecevables car prescrites les demandes présentées par la société Chemirennes à l'encontre de la société ITM alimentaire Ouest et de la société Chemiland au titre des travaux ;

* condamner la société Chemirennes à verser à la société Chemiland la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

* condamner la société Chemirennes à verser à la société ITM alimentaire Ouest la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit ;

- condamner in solidum les parties intimées au paiement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

La SAS Chemiland et la SAS ITM alimentaire Ouest demandent à la cour de :

- les recevoir en leur appel incident, le dire bien fondé et y faisant droit ;

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 24 juin 2024 en ce qu'elle a :

* déclaré recevable les demandes de la société Chemirennes formulées à l'encontre de la société ITM Alimentaire Ouest au titre de sa qualité à agir ;

* déclaré recevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre des travaux de reprise ;

* rejeté les demandes de la société Chemiland et la société ITM alimentaire Ouest fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 24 juin 2024 en ce qu'elle a :

* déclaré irrecevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre d'un préjudice locatif, comme étant prescrite ;

* rejeté les demandes de la société Chemirennes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau sur les seuls chefs critiqués,

- déclarer irrecevables faute pour la société Chemirennes de qualité à agir, toutes les demandes présentées par la société Chemirennes à l'encontre de la société ITM alimentaire Ouest ;

- déclarer irrecevable la demande en paiement de la société Chemirennes au titre d'un préjudice locatif, comme étant prescrite ;

- déclarer irrecevables car prescrites les demandes présentées par la société Chemirennes à l'encontre de la société ITM alimentaire Ouest et de la société Chemiland au titre des travaux ;

- débouter la société Chemirennes de l'intégralité de ses demandes.

Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

- condamner la société Chemirennes à verser à la société Chemiland la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit ;

- condamner la société Chemirennes à verser à la société ITM alimentaire Ouest la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens, avec distraction au profit de l'avocat constitué.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 28 mai 2025 pour la SCI Chemirennes,

- le 28 mai 2025 pour la SAS Chemiland et la SAS ITM alimentaire Ouest

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'action engagée contre la SAS ITM Alimentaire Ouest

Devant le premier juge, la SAS ITM Alimentaire Ouest s'est opposée à sa mise en cause en faisant valoir qu'elle n'avait aucun lien contractuel avec la bailleresse et qu'aucune faute de nature quasi-délictuelle n'était caractérisée contre elle.

En appel, la SAS ITM Alimentaire Ouest s'oppose toujours à sa mise en cause mais en faisant plus précisément valoir qu'elle est une entité distincte de la société ITM Ouest, ce dont il est justifié par les extraits K bis de ces deux sociétés ; qu'elle n'est pas partie au contrat de bail et qu'elle n'est pas non plus la société mandatée par le 'groupement' des mousquetaires, lequel n'a aucune personnalité juridique.

La société Chemirennes n'en disconvient pas mais réplique que la SAS ITM Alimentaire Ouest a entretenu volontairement une confusion entre les deux sociétés, qu'elle n'a pas protesté sur l'assignation en référé expertise, aurait participé aux opérations d'expertise par l'intermédiaire une personne qui, dans ses écrits, apparaît avec le titre 'permanente pôle gestion- ITM alimentaire Ouest (F)', ce à quoi la société SAS ITM Alimentaire réplique que cela ne lui confère pas la qualité de débiteur d'une obligation à laquelle s'était engagée une société tierce et en contestant toute volonté de sa part d'entretenir une confusion avec la société ITM Ouest. La société Chemirennes souligne qu'elle recherche également la responsabilité de la la SAS ITM Alimentaire Ouest à travers 'ses décisions contestables' qu'elle aurait prises à la sortie du bail en ayant été son interlocutrice et en ayant pris une part déterminante dans les décisions prises sur les conditions de sortie de bail en 2014 et 2015.

La lecture de l'acte introductif de première instance, dernières écritures au fond de la société Chemirennes, fait apparaître que celle-ci entend obtenir l'indemnisation de l'état dégradé de son immeuble et qu'elle a mis en cause la SAS ITM Alimentaire Ouest en vue de rechercher sa responsabilité tant pour inexécution ou mauvaise exécution des travaux que le groupement des Mousquetaires s'était engagé, par le biais de la société ITM Ouest (F), à entreprendre avant le 30 septembre 2006, ainsi que cela figurait au contrat de bail renouvelé le 14 octobre 2005, que pour ce qu'elle qualifie, en appel, 'ses décisions contestables de sortie de bail', en se prévalant de l'intervention prépondérante de la société ITM alimentaire Ouest dans les échanges qui ont eu lieu au titre des travaux de sortie du bail.

La société ITM alimentaire Ouest n'est ni partie au contrat du 14 octobre 2005 ni celle qui a pris l'engagement d'exécuter des travaux dont la société Chemirennes se prévaut de l'inexécution, de sorte que l'action engagée contre elle pour inexécution de ces travaux est irrecevable, peu important son fondement. Le fait qu'elle n'a pas soulevé l'irrecevabilité à son endroit de la demande d'expertise devant le président du tribunal de grande instance d'Angers ayant statué en référé le 21 mars 2019, n'est pas suffisant pour conférer à la société Chemirennes un droit d'agir contre elle dès lors que les fautes reprochées à la ITM alimentaire Ouest n'étaient alors pas clairement définies.

La société Chemirennes recherche également la responsabilité quasi-délictuelle de la société ITM alimentaire Ouest au titre de ce qui pourrait être qualifié d'immixtion dans l'exécution des obligations du preneur au travers de nombreuses interventions d'une préposée de la société ITM alimentaire Ouest dans leurs échanges concernant l'exécution des travaux de remise en état. Une telle action en responsabilité pour faute est recevable. La cour n'a pas au stade de la recevabilité de l'action a rechercher si elle est bien fondée.

L'ordonnance entreprise sera donc partiellement infirmée en ce que l'action de la société Chemirennes contre la société ITM alimentaire Ouest sera déclarée irrecevable seulement en ce qui concerne l'inexécution des travaux prévus au bail renouvelé, que la société ITM Ouest s'est engagée à faire.

Sur la prescription de l'action en exécution de remise en état

En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Ainsi, le délai de prescription de l'action en responsabilité contractuelle court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance.

L'action engagée contre la société Chemiland est de nature contractuelle. Elle tend à obtenir réparation du préjudice causé par elle à la société Chemirennes à raison de l'a prétendue inexécution de ses obligations d'entretien, de réparation mis à sa charge par le bail et de remise en état à la fin du bail ou des conséquences de l'exécution de travaux qui auraient été exécutées par elle dans le non-respect des règles de l'art ou des normes en vigueur ou en ne respectant pas leurs accords. Il a été défini ci-dessus, quelle était l'action engagée contre la société ITM alimentaire Ouest qui était recevable.

La société Chemiland et la société ITM alimentaire Ouest soutiennent que l'action en indemnisation engagée par la société Chemirennes au titre de la reprise de travaux qui devaient être exécutés en 2006 est prescrite depuis juin 2013. Elles font valoir que devaient être réalisés en 2006, au plus tard le 30 juin ou le 30 septembre, des travaux de remise en état et de modernisation, en particulier, l'étanchéité de la couverture, le faux plafond et la peinture, la réfection des bureaux, le sol carrelé, l'installation électrique, les chambres froides, la VMC, le transformateur, le compresseur, la chaudière, la climatisation, la façade (délai supplémentaire au 30 septembre 2006) et que ces travaux sont en partie les mêmes que ceux pour lesquels une expertise a été sollicitée et se trouvent être aussi ceux qui ont été répertoriés par l'expert, à savoir, :

- étanchéité de la couverture (point 11 de l'expert)

- remise en état du faux plafond et de la peinture dans la surface de vente (point 7 de l'expert)

- réfection des bureaux -vestiaires et sanitaires (point 5 de l'expert)

- réfection du sol en carrelage grés cérame de la surface de vente (point 12 de l'expert)

- mise aux normes des installations électriques (point 7 de l'expert)

- quatre chambres froides (point 4 de l'expert)

- transformateur électrique et Compresseur (point 2 de l'expert)

- installations de chauffage par chaudière au fuel (point 1 de l'expert)

- installation de climatisation et de ventilation mécanique contrôlée (VMC) (point 8 de l'expert)

- la remise en état de propreté des façades

- réfection des façades.

La société Chemirennes répond, d'abord, qu'elle n'a pas été informée par la société Chemicroix, preneuse à l'époque, du déroulé des travaux définis au bail renouvelé du 14 octobre 2005 et, ensuite, que l'action engagée aujourd'hui par elle ne tend pas à l'exécution de travaux prévus en 2006 mais la mauvaise exécution de ceux-ci, révélée à travers les rapports Socotec et les rapports du cabinet Mercier établis en 2014, 2015 et accessoirement 2016.

La société Chemirennes se plaint, en effet, du mauvais état des lieux et recherche la responsabilité contractuelle de la société Chemiland non pas au titre de l'inexécution des travaux prévus au contrat du 14 octobre 2005 mais pour l'inexécution par la preneuse des obligations à sa charge qui persistent tout au long du bail et pour l'absence de remise en état en fin de bail. De même, l'action contre la société ITM alimentaire Ouest qui est déclarée recevable, ne vise que les travaux de remise en état en fin de bail. Il n'est pas prétendu ni encore moins démontré que la société Chemirennes aurait eu connaissance des désordres dont elle se plaint avant le 16 septembre 2014, date à laquelle, selon les pièces produites, la bailleresse a fait dresser un premier constat des lieux, le point de départ de la prescription de l'action engagée contre la société Chemiland ne peut être fixé avant cette date.

C'est donc à juste titre que le juge de mise en état, après avoir relevé que la demande en référé introduite par l'assignation du 7 décembre 2018, qui portait sur l'état des locaux au regard des obligations incombant au preneur sortant tant au cours du bail qu'en fin de bail, avait interrompu le délai de prescription en application de l'article 2241 du code civil et que le rapport d'expertise ayant été rendu le 2 août 2021, le délai de prescription avait recommencé à courir à cette date en vertu de l'article 2239 du même code, a retenu que l'action en réparation des préjudices consécutifs au mauvais état des lieux n'était pas prescrite.

Sur la prescription de l'action en indemnisation d'un préjudice locatif

Par préjudice locatif, il est entendu le préjudice consécutif à l'impossibilité de relouer les locaux en raison de la nécessité d'entreprendre des travaux de remise en état.

La société Chemirennes réclame, dans ses assignations au fond, le paiement de la somme de 931 045 euros correspondant à la perte de loyer pour la période ayant commencé à courir en septembre 2018, date qu'elle explique retenir en raison de l'absence de diligence de part et d'autre, auparavant.

Les parties sont en désaccord sur la date à laquelle il faut considérer que la bailleresse a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer son action en indemnisation de ce préjudice pour déterminer le point de départ du délai de prescription tel que fixé à l'article 224 précité.

Le premier juge a retenu que le dommage subi par le bailleur tenant à l'impossibilité de relouer les locaux résulte de l'état dans lequel ils ont été restitués et qu'au regard des éléments du dossier, la bailleresse avait procédé à diverses constatations visant à établir les désordres ainsi que les travaux de remise en état nécessaires à la restitution des lieux, de sorte qu'elle avait connaissance des faits lui permettant d'agir en réparation de son préjudice locatif dès la fin du contrat de bail, le 30 décembre 2014 et que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 1er janvier 2015.

La société Chemiland et la société ITM alimentaire Ouest font valoir que l'article 2224 du code civil ne commande pas au bailleur de disposer de la certitude quant à la nature des désordres et des manquements du locataire à l'obligation de remise en état des lieux pour que soit ouvert son droit à agir et donc le délai de prescription mais seulement d'avoir connaissance des faits permettant d'exercer l'action, ce qui était le cas de la société Chemirennes dès la fin du bail, comme l'a retenu le premier juge. Elles observent que, dès cette date, la bailleresse a considéré que l'état des locaux tels qu'ils lui avaient été restitués faisait obstacle à leur mise en location, qu'elle a mis en exergue devant le juge des référés un grand nombre d'impropriétés à la destination des lieux dont elle avait connaissance dès 2015 à travers de nombreuses constatations techniques auxquelles elle avait fait procéder et qu'elle considérait comme autant d'entraves à l'obligation de délivrance de sa part dans le cadre d'un nouveau bail, que les nombreux devis échangés au cours du premier semestre 2015 montrent le degré de précision de la description des interventions envisagées et donc, en contrepoint, les manquements reprochés, de sorte que dès la fin du bail, la bailleresse avait une connaissance étendue de l'état des locaux, de ce qu'elle considère comme des manquements de son preneur à ses obligations et de l'imputabilité de ces désordres, du lien entre ces désordres et la situation locative de l'immeuble puisqu'elle reconnaissait ne pas pouvoir reprendre possession des locaux pour les louer sans que des travaux soient réalisés à la charge de son ancien preneur et décidait de ne pas les remettre en location, ce qui montre que dès cette époque la bailleresse a considéré que l'état des locaux tels qu'ils lui avaient été restitués ne lui permettait pas de remettre en location l'immeuble, de sorte qu'il n'y aucune raison pour que le rapport d'expertise, qui ne révèle rien sur la réparation du préjudice locatif, soit considéré comme point de départ du délai de prescription.

La société Chemirennes conteste cette appréciation. Elle fait valoir que s'agissant d'une action en responsabilité, la prescription ne peut commencer à courir avant que la victime ait connaissance de tous les éléments constitutifs de la responsabilité et donc, le cas échéant, non seulement du dommage mais aussi des fautes commises lorsque celles-ci ne peuvent être déconnectées du dommage, comme dans le cas d'une action en indemnisation d'un préjudice locatif subséquent à un défaut de remise en état fautif du preneur à la sortie du bail dans la mesure où le préjudice ne peut alors exister que si les travaux de remise en état à la charge du preneur représentent des sommes très importantes, de sorte qu'il est nécessaire de connaître, avant de pouvoir engager l'action, d'une part, le chiffrage des travaux et, d'autre part, s'il y a manquements contractuels de la part du preneur, ce qui suppose de déterminer l'imputabilité des travaux nécessaires à la remise en état et implique, en matière de bail commercial, de connaître la nature des désordres qui commande l'application des règles du code civil ou des clauses du bail, d'autant qu'en l'espèce, la société Chemiland a toujours contesté ne pas avoir remis les locaux en l'état conformément à ses obligations, raison pour laquelle la société Chemirennes soutient que ce n'est qu'à partir du rapport d'expertise déposé le 8 août 2021 que s'est révélé à elle son droit à réparation. C'est donc à cette date qu'elle entend voir fixer le point de départ du délai de prescription de son action en réclamation de son préjudice locatif.

Mais pour commencer à courir, la prescription d'une action en responsabilité contractuelle tendant à l'indemnisation d'un préjudice locatif, engagée contre le preneur sortant, ne requiert pas du bailleur d'être en mesure de déterminer la part de responsabilité entre lui et le preneur quant à l'impossibilité de relouer les lieux en l'état et pour cela de devoir établir l'origine exacte des désordres en faisant la distinction entre ce qui relève de la vétusté, de l'obligation de délivrance du bailleur, de la dégradation liée à un défaut d'entretien postérieurement à la remise des clés, ni d'avoir un chiffrage des travaux de remise en état, mais seulement la connaissance de l'impossibilité de remettre le bien en location, constitutive du dommage, en l'absence de travaux de remise en état exécuté par le preneur, fait générateur de la responsabilité.

Dans le cas présent, la bailleresse qui n'a pas reloué les locaux après le 1er janvier 2015 en raison de la nécessité de faire des travaux qu'elle imputait au preneur sortant, avait alors une connaissance suffisante des faits lui permettant d'agir contre le preneur sortant en indemnisation d'un préjudice locatif. Elle avait, de surcroît, une connaissance précise, avant même la fin du bail, à travers des constats et rapports réalisés à sa demande au cours quatrième trimestre 2014, de l'état des locaux et des désordres qui affectaient l'immeuble et certains de ses éléments d'équipement, et était également en mesure de percevoir l'ampleur des travaux de remise en état au vu des différents devis reçus. Elle connaissait ainsi les faits lui permettant d'intenter son action en indemnisation de la perte de loyer dès le 1er janvier 2015.

Les motifs du premier juge sur l'absence d'interruption de la prescription de cette action par l'assignation en référé expertise qui ne visait que les désordres et non le préjudice locatif, en application de la règle selon laquelle l'interruption de la prescription par l'introduction d'une assignation en référé-expertise n'est qu'à la mesure de la demande soumise au juge des référés, ne sont pas critiqués.

L'ordonnance sera confirmée.

Sur les frais et dépens

L'ordonnance sera confirmée de ces chefs.

La société Chemirennes, perdante sur l'appel principal, sera condamnée aux dépens d'appel.

L'instance se poursuit devant le tribunal judiciaire entre les parties, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'allouer, en l'état actuel de la procédure, d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Statuant dans la limite des appels,

Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle déclare recevable l'action engagée contre la société ITM alimentaire Ouest au titre de l'inexécution des travaux prévus au contrat de bail renouvelé du 14 octobre 2005,

Statuant à nouveau de ce chef,

Déclare irrecevable l'action en responsabilité de la société Chemirennes contre la société ITM alimentaire Ouest seulement au titre de l'inexécution des travaux prévus au bail renouvelé.

Déclare recevable l'action en responsabilité de la société Chemirennes contre la société ITM alimentaire Ouest au titre des travaux de sortie de bail.

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Chemirennes aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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