Livv
Décisions

CA Lyon, ch. soc. a, 24 septembre 2025, n° 22/01113

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 22/01113

24 septembre 2025

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 22/01113 - N° Portalis DBVX-V-B7G-ODRF

[E]

C/

S.A.R.L. POLE PROTECTION SERVICES PRIVES

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 06 Janvier 2022

RG :

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2025

APPELANT :

[F] [E]

né le 16/04/1976 à [Localité 5] ( CONGO)

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Rodrigue GOMA MACKOUNDI, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SOCIETE POLE PROTECTION SERVICES PRIVES

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Sandrine MOUSSY de la SELARL A PRIM, avocat au barreau de LYON substituée par Me Clarisse GIRARD, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Mai 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Catherine MAILHES, Présidente

Françoise CARRIER, conseillère honoraire, exerçant des fonctions juridictionnelles

Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller

Assistés pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 24 Septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [E] (le salarié) a été engagé le 1er décembre 2012 par la société Groupe d'intervention et de sécurité privée (la société GISP) par contrat à durée déterminée en qualité d'agent de sécurité.

Le 19 décembre 2012, la relation contractuelle s'est poursuivie suivant un contrat de travail à durée indéterminée.

Le 30 novembre 2015, le salarié a été élu délégué du personnel titulaire.

Par jugement du 9 juillet 2015, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire pour la société GISP, convertie en procédure de liquidation judiciaire par jugement du 24 mars 2016.

Par ordonnance du 31 mars 2016, le juge commissaire de la liquidation de la société GISP a autorisé la vente du fonds de commerce dépendant de l'actif de la liquidation de la société GISP au profit de la société Pôle protection services privés (la société PPSP)

Le 4 avril 2016, le liquidateur a informé M. [E] du transfert automatique de son contrat de travail auprès de la société PPSP.

Le 18 avril 2016, la société PPSP a confirmé le transfert automatique de son contrat de travail à compter du 7 avril 2016.

La société PPSP employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.

Le 30 mai 2016, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 8 juin suivant.

Le 21 juin 2016, la société PPSP a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licencier M. [E] pour motif disciplinaire.

Par décision du 27 septembre 2016, l'inspection du travail a retiré la décision implicite de rejet et a autorisé son licenciement.

Par lettre du 3 octobre 2016, la société lui a notifié son licenciement pour faute grave, lui reprochant:

une absence injustifiée du 11 au 23 mai 2016,

un retard injustifié de 40 minutes le 27 mai 2016,

un abus dans l'usage de sa liberté d'expression caractérisé par des propos injurieux, diffamatoires, mensongers ou excessifs portant atteinte à l'honneur et à la réputation de la société PPSP.

Le 26 novembre 2016, M. [E] a saisi le tribunal administratif de Lyon d'un recours en annulation de la décision de l'inspection du travail autorisant son licenciement. Par jugement du 29 mai 2018, le tribunal a rejeté sa demande.

Le 21 septembre 2018, M. [E], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave, qu'il bénéficiait du coefficient conventionnel 140 et voir condamner la société PPSP à lui verser une indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés afférente, une indemnité de licenciement, un rappel de salaire pour le mois de mai 2016 outre l'indemnité de congés payés afférente, des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour atteinte aux droits électoraux ainsi que pour délit d'entrave, outre une somme au titre du travail dissimulé en application de l'article L.8223-1 du code du travail et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des intérêts au taux légal.

La société PPSP a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 25 septembre 2018.

La société PPSP s'est opposée aux demandes du salarié et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celui-ci au versement de la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 20 septembre 2019, suite à l'appel interjeté par M. [E] à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Lyon, le conseil de prud'hommes de Lyon a ordonné le sursis à statuer de l'instance prud'homale dans l'attente de l'issue définitive de l'instance administrative.

Par arrêt du 15 janvier 2020, la cour administrative d'appel a rejeté le recours du salarié.

M. [E] a sollicité le réenrolement de l'affaire et le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix le 7 mai 2021.

Par jugement du 6 janvier 2022, le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Lyon a :

dit que la société PPSP n'a pas commis des manquements durant l'exécution du contrat de travail conclu avec M. [E] et que son licenciement pour faute grave était justifié ;

en conséquence, rejeté les demandes de M. [E] y afférentes,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; en conséquence, rejeté les demandes des parties sur ce fondement ;

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile,

débouté les parties de plus amples demandes contraires au présent dispositif,

condamné M. [E] aux dépens de la présente instance,

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 4 février 2022, M. [E] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 7 janvier 2022, aux fins d'infirmation en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes notamment sur la question de la discrimination, du harcèlement, du licenciement, de l'atteinte aux droits électoraux, sur le délit d'entrave, sur le coefficient du salarié.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 mai 2022, M. [E] demande à la cour de :

dire et juger recevable et bien fondé son appel ;

infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes le 6 janvier 2022 ;

dire et juger que son licenciement n'est pas fondé sur une faute grave ;

condamner la société PPSP à lui verser la somme de 9 145,68 euros au titre du travail dissimulé ;

la condamner à lui verser la somme de 603 euros correspondant à un rappel de salaire pour le mois de mai 2016 et 60,30 euros de congés afférents ;

la condamner à lui verser la somme de 3048,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

la condamner à lui verser la somme de 304,85 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis ;

dire et juger que la société PPSP a fautivement refusé d'organiser les élections professionnelles malgré sa demande et la condamner à lui verser la somme de 2000 euros au titre des dommages et intérêts pour atteinte aux droits électoraux ;

dire et juger que la société PPSP a entravé l'exercice de son mandat de représentant du personnel et la condamner à lui verser la somme de 3000 euros au titre des dommages et intérêts pour entrave à l'exercice du mandat de représentant du personnel ;

dire et juge qu'il a été victime de harcèlement au sein de la société PPSP et la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros net au titre du harcèlement moral ;

dire et juger que les sommes accordées à Monsieur [E] produiront intérêts à compter de la décision à venir ;

condamner la partie adverse à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

la condamner aux entiers dépens.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 13 juillet 2022, la société PPSP demande à la cour de :

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 6 janvier 2022 en qu'il a jugé que société PPSP n'a commis aucun manquement durant l'exécution du contrat de travail conclu avec M. [E], jugé que M. [E] a commis une faute grave dans l'exercice de ses fonctions au sein de la société PPSP, débouté en conséquence M. [E] de l'intégralité de ses demandes, condamné M. [E] aux entiers dépens de l'instance ;

condamner en cause d'appel, M. [E] aux entiers dépens de l'instance et au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture des débats a été ordonnée le 27 mars 2025 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 20 mai 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

1- Sur la demande d'indemnité travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié

Pour contester le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre du travail dissimulé, le salarié soutient que :

la société PPSP ne l'a pas immédiatement déclaré après le transfert de son contrat de travail, ce qui ressort du courrier de l'URSSAF du 19 octobre 2016 ;

dès lors qu'il y a eu poursuite des relations de travail avec la société PPSP, il est fondé à solliciter une indemnité pour travail dissimulé pour les faits commis par son ancien employeur, lequel a été reconnu coupable de tels faits par le tribunal correctionnel de Lyon le 26 octobre 2018 et la liquidation de la société n'a aucune incidence sur sa demande.

La société PPSP conteste toute dissimulation d'emploi aux motifs que :

la déclaration préalable à l'embauche n'était pas requise dans la mesure où il s'agissait d'un transfert du contrat de travail dans un cadre spécifique et non d'une embauche ;

elle a procédé à l'ensemble des déclarations nécessaires auprès des différents organismes, en témoignent le journal de paie, les bulletins de salaire et un extrait de la DADS de 2016 ;

le salarié ne caractérise pas l'élément intentionnel du travail dissimulé ;

les manquements relevant de son ancien employeur ne peuvent lui être imputés en application de l'article L.1224-2 du code du travail qui exclut tout transfert de responsabilité en cas de reprise dans le cadre d'une procédure collective ; par ailleurs, le salarié ne produit pas le jugement qu'il mentionne.

***

1-1- Sur les faits de travail dissimulé imputés à la société Pole protection services privés

S'agissant d'un transfert du contrat de travail sur le fondement de l'article L.1224-1 du code du travail, il n'y a pas lieu à déclaration d'embauche par la société entrante.

Néanmoins, il appartient à la société de rapporter la preuve qu'elle s'est déchargée de son obligation envers l'Urssaf.

En l'occurrence, la société Pole protection services privés à qui les contrats de travail ont été transférés en application de l'article L.1224-1 du code du travail n'avait pas à effectuer de déclaration d'embauche et elle justifie des DADs effectuées depuis le 7 avril 2016 correspondant à la date du transfert du contrat de travail au moyen des extraits de la DADS 2016. Aussi aucune intention de dissimulation n'est établie en ce qui concerne sa période d'emploi.

1-2- Sur le travail dissimulé pendant la période d'emploi auprès la société GISP

Il résulte des dispositions de l'article L.1224-2 du code du travail que dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire, le nouvel employeur n'est pas tenu à l'égard des salariés dont les contrats subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur.

Si l'indemnité pour travail dissimulé prévue à l'article L.8223-1 du code du travail n'est exigible qu'en cas de rupture de la relation de travail, les dispositions de cet article font obstacle à ce que le nouvel employeur à qui le contrat a été transféré par application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail lors d'une cession de fonds de commerce de l'entreprise dans le cadre d'une liquidation judiciaire, soit redevable de l'indemnité de travail dissimulé liée au manquement du précédent employeur à ses obligations déclaratives auprès des organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale.

En l'occurrence, M. [D], dirigeant de la GISP a été condamné par le tribunal correctionnel de Lyon selon jugement du 26 octobre 2018 pour exécution d'un travail dissimulé commis du 10 mars 2011 au 31 décembre 2014 à l'encontre de M. [E] notamment. Toutefois, c'est dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société GISP que le contrat de travail du salarié a été transféré à la société PPSP, en sorte qu'elle n'est pas tenue aux obligations déclaratives de la société GISP auprès des organismes de protection sociale et qu'elle n'est pas redevable de l'indemnité réclamée au titre de l'article L.8223-1 du code du travail.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de toute demande d'indemnité pour travail dissimulé.

2- Sur la demande de rappel de salaire au titre du mois de mai 2016

Au soutien de la contestation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de salaire, le salarié fait valoir que la retenue sur ses salaires opérée par la société PPSP au mois de mai 2016 était injustifiée dès lors que :

la société ne lui a pas fait signer d'avenant à son contrat de travail, contrairement aux autres salariés, alors même qu'il bénéficiait de la protection liée au mandat de délégués du personnel qui avait pris fin avec le transfert pendant une durée de douze mois en application des dispositions des articles L.2411-3 et L.2411-4 du code du travail ;

une modification de son contrat de travail est intervenue sans son accord exprès, notamment par la modification de ses horaires et son lieu de travail, concrétisée par le planning du 11 au 23 mai 2016, à laquelle il n'a pas consenti alors qu'il bénéficiait encore de la période de protection de douze mois à compter de la fin de son mandat selon l'article L. 2411-4 du code du travail ;

il n'a pas eu connaissance de son planning et de ses heures et lieux de travail, n'ayant jamais reçu l'avis de passage du facteur, en sorte que la société ne pouvait effectuer de retenue sur les salariées du mois d'août 2016.

La société PPSP soutient, quant à elle, que :

le salarié ne s'est pas présenté sur son lieu de travail du 11 mai au 24 mai 2016 sans justificatif et l'inspection du travail a établi le caractère fautif de cette absence dans le cadre de la procédure d'autorisation du licenciement, confirmé par les juridictions de l'ordre administratif, ce qui exclut tout droit à un rappel de salaire ;

le salarié n'a subi aucune modification de son contrat de travail, l'acceptation des vacations sur des sites divers est inhérente à son poste d'agent de sécurité ;

il résulte de la chronologie des faits que le salarié a eu connaissance des plannings qu'elle lui a envoyés et le défaut de retrait du courrier ne peut être imputé ni à la société ni aux services postaux.

***

L'employeur est tenu de payer sa rémunération et de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition.

Il appartient à l'employeur qui s'estime délié de son obligation de paiement des salaires, de démontrer que le salarié a refusé d'exécuter son travail ou qu'il ne s'est pas tenu à sa disposition

Il a été jugé par la juridiction administrative dont la décision et les motifs décisoires ont autorité de la chose jugée sur le caractère fautif de l'absence reprochée au salarié au sein de la lettre de licenciement que :

- à la suite de la cession du fonds de commerce de la société GISP à la société Pole protection services privés, le salarié ne bénéficiait plus que de la protection de six moins découlant de son ancien mandat de délégué du personnel au sein de la société GISP ;

- M. [E] avait été destinataire d'un courrier de son nouvel employeur le 27 avril 2016, l'informant de son emploi du temps pour la période courant du 11 mai au 31 mai 2016, courrier qui a été présenté à son domicile le 29 avril 2016 suivi du dépôt d'un avis de passage du facteur, mais qu'il n'a pas retiré au bureau de poste ; il a été régulièrement destinataire de ce pli et a bien été informé de son emploi du temps pour la période en cause du 11 au 23 mai 2013 conformément au délai de prévenance de sept jours posé par les stipulations conventionelles ; la société Pole protection services privés lui a adressé un nouveau courrier auquel était annexé le courrier du 27 avril 2016, qu'il a retiré le 18 mai 2016 ; il ne s'est toutefois pas présenté à son poste de travail avant le 24 mai 2016 ; il n'est pas contesté que ce planning respectait les préconisations émises par le médecin du travail le 26 janvier 2016 ; la matérialité des absences injustifiées de M. [E] à son poste de travail entre le 11 et le 23 mai 2016 est établie et ses absences contituent une faute dans l'exécution du contrat de travail.

Les nouveaux moyens avancés qui visent également à remettre en cause le caractère fautif de son absence sont inopérants.

Il sera en conséquence débouté de sa demande de rappel de salaire et indemnité de congés payés au titre de la retenue de salaire opérée par l'employeur pour cette période d'absence injustifiée.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de cette demande.

3- Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte aux droits électoraux

Pour contester le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'atteinte aux droits électoraux, le salarié soutient que la société PPSP n'a pas organisé de nouvelles élections professionnelles dans le délai d'un mois suivant sa demande par courrier du 13 juin 2016, en application de l'article L.2314-4 du code du travail. Il précise que le conseil de prud'homme ne s'est pas fondé sur le texte idoine s'agissant de l'élection de délégués du personnel. Il fait valoir qu'en refusant d'organiser les élections, la société PPSP l'a empêché de se présenter et d'avoir une chance d'être élu.

La société PPSP conteste toute atteinte aux droits électoraux et soutient qu'un procès-verbal de carence a été établi le 19 février 2016, dès lors elle n'avait pas l'obligation d'organiser de nouvelles élections professionnelles pendant un délai de 6 mois suivant l'établissement de ce procès-verbal, en application de l'article L.2314-8 alinéa 2 du code du travail. Par ailleurs, elle fait valoir qu'il ne démontre pas l'existence d'un préjudice et que la perte de chance d'être élu, simple potentialité, ne constitue pas un préjudice indemnisable juridiquement.

***

Selon les dispositions de l'article L.2314-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige (version en vigueur du 1er mai 2008 au 1er janvier 2018), il est prévu que :

Lorsque, en l'absence de délégués du personnel, l'employeur est invité à organiser des élections à la demande d'un salarié ou d'une organisation syndicale, il engage la procédure définie aux articles L. 2314-2 et L. 2314-3 dans le mois suivant la réception de cette demande.

Les dispositions de l'article L.2314-8 du code du travail prévoyant que :

En l'absence de comité social économique, l'employeur engage la procédure définie à l'article L.2314-5 à la demande d'un salarié d'une organisation syndicale dans le mois suivant la réception de cette demande. Lorsque l'employeur a engagé le processus électoral et qu'un procès-verbal de carence a été établi, la demande ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de six mois après l'établissement de ce procès-verbal,

sont issues de l'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2018 et ne sont pas applicables dès lors que la demande d'organisation d'élections par le salarié a été effectuée le 13 juin 2016 et que le procès-verbal de carence était intervenu le 19 février 2016 antérieurement à la demande.

Aussi, l'absence d'organisation de nouvelles élections dans le mois de la demande caractérise un manquement de l'employeur aux droits électoraux du salarié lui causant un préjudice qui sera entièrement réparé par la somme de 700 euros à titre de dommages-intérêts que la société Pole protection services privés sera condamnée à lui verser.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté toute demande à ce titre.

4- Sur la demande de dommages et intérêts pour entrave à l'exercice du mandat de représentant du personnel

Pour contester le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande relative à l'entrave à l'exercice de son mandant, le salarié soutient que la société PPSP a délibérément entravé l'exercice de son mandat de représentant du personnel en s'abstenant :

de rechercher un accord pour la poursuite de son mandat, conformément au dernier alinéa de l'article L.2314-28 du code du travail et alors qu'il en avait clairement manifesté le souhait par courrier du 25 avril 2016 pour son mandat de délégué du personnel ;

d'organiser les élections professionnelles dans les meilleurs délais afin de lui permettre d'avoir une chance de continuer à exercer son mandat.

La société PPSP soutient que le salarié n'a subi aucune entrave dans l'exercice de son mandat aux motifs que :

l'inspection du travail ainsi que le juge administratif ont tranché cette problématique et jugé que le rachat par la société PPSP du fonds de commerce a entraîné la cessation de son mandat de délégué du personnel puisque suite à la reprise du fonds de commerce par la société PPSP, la société GISP n'a conservé aucune autonomie juridique ;

le dernier alinéa de l'article L.2314-28 du code du travail n'est pas applicable à la situation puisqu'il concerne seulement le cas dans lequel l'entreprise transférée a conservé son autonomie juridique ; en outre, il n'impose pas à la société d'engager des négociations pour trouver un accord.

***

Il a été jugé par la juridiction administrative que la cession du fonds de commerce de la société GISP à la société Pole protection services privés avait entraîné la cessation de son mandat de délégué du personnel. Ces motifs décisoires s'imposent à la juridiction judiciaire en sorte que le salarié ne saurait prétendre à entrave à l'exercice d'un mandat à compter de ce transfert. Il sera donc débouté de sa demande de dommages-intérêts pour entrave portant sur la période postérieure au transfert de son contrat de travail.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.

5- Sur le harcèlement moral

Pour contester le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral subi, le salarié soutient qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de la société qui s'est caractérisé par :

une différence de traitement injustifiée avec les autres salariés dans le but de l'isoler ; il n'a pas été convoqué à un entretien avant le transfert du contrat de travail et la société n'a jamais apporté de réponse au signalement qu'il a pu lui faire ;

le non-respect délibéré par la société des préconisations du médecin du travail relatives au travail de nuit dans le cadre du planning ;

la remise d'un planning avec une adresse erronée afin de le mettre en difficulté et provoquer son retard ; la société lui a demandé d'aller travail dans un magasin qu'il ne connaissait pas : UP de [Localité 7] au lieu du Super U ;

la société l'a empêché d'exercer son mandat après le transfert de son contrat de travail alors qu'un accord aurait dû être trouvé ;

le refus abusif de la société d'organiser des élections professionnelles en dépit de sa demande.

Il soutient que les agissements répétés de l'employeur ont porté atteinte à sa dignité et ont compromis son avenir professionnel, ayant été licencié ensuite pour des faits infondés.

La société PPSP soutient que le salarié n'a subi aucun fait de harcèlement moral aux motifs que :

les griefs relatifs aux élections professionnelles, à la communication d'une adresse erronée et à son mandat sont infondés, ce qui a été démontré ;

les préconisations relatives au travail de nuit ont été respectées, les plannings établis à compter du 27 avril 2016 respectant tous cette restriction et les relevés de ses pointages démontrant une fin de service aux alentours de 21h-21h15 ;

il n'a pas fait l'objet d'une différence de traitement et il n'en rapporte pas la preuve ;

il ne caractérise pas la dégradation de ses conditions de travail.

***

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié n'étaye aucunement son allégation de différence de traitement avec les autres salariés dans le but de l'isoler, rien ne permettant d'établir que tous les salariés de la société GISP à son exception ont été reçus en entretien par la société Pole protection services privés avant le transfert du contrat de travail ou qu'ils ont eu des avenants à leur contrat de travail.

Comme l'a exactement constaté le premier juge, si le premier planning du mois de mai 2016 faisait ressortir des fins de service à 3h du matin en contre-indication avec les préconisations du médecin du travail, ce planning a fait l'objet d'une modification dès le 27 avril 2016 : les fins de services étaient fixées à 21h ce qui est corroboré par les fiches de liaison produites par le salarié.

En outre, le salarié n'a pas retiré le courrier recommandé avec avis de réception qui avait été présenté à son domicile le 29 avril 2016. Ce n'est que le 18 mai qu'il est allé retirer un nouveau courrier adressé le 17 mai 2016 auquel était annexée la précédente lettre du 27 avril.

Si le planning mentionnait une affectation notamment sur le site 'UP Sud [Localité 7]', il précisait l'adresse de celui-ci en bas de page et rien de prouve qu'il y avait une erreur d'adresse. En outre, l'absence de connaissance de ce magasin par le salarié ne constitue pas un agissement de l'employeur et ne saurait être retenue.

Il a été ci-avant déterminé que le salarié avait perdu son mandat à la suite du transfert du contrat de travail, en sorte que le fait pour la société de l'avoir empêché d'exercer son mandat après le transfert est matériellement inexact et non établi.

La cour a retenu que la société avait refusé d'organiser de nouvelles élections professionnelles en dépit de la demande du salarié au mépris des dispositions de l'article L.2314-4 du code du travail.

Un seul fait étant matériellement établi ne saurait caractériser une situation de harcèlement moral, en sorte que le salarié sera débouté de sa demande de dommages-intérêts à ce titre et le jugement entrepris confirmé.

Sur la rupture du contrat de travail

Pour contester le jugement en ce qu'il a jugé que la faute grave était fondée et l'a débouté en conséquence de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail, le salarié soutient que :

il appartient au juge civil d'avoir sa propre appréciation du dossier au regard des éléments que les parties lui soumettent, sans que le juge judiciaire puisse se retrancher derrière l'appréciation de l'autorité administrative ;

il ne peut être tenu responsable des absences du 11 au 23 mai 2016 dès lors qu'il n'avait pas connaissance de son planning adressé par courrier recommandé et la société ne justifie pas que ces absences ont désorganisé son activité ;

le retard de 40 minutes ne peut lui être reproché dès lors qu'il résulte des erreurs commises par la société sur le nom et le lieu de magasin ;

il conteste avoir tenu des propos injurieux ou calomnieux à l'égard de la société PPSP, ses courriers ne font état que de dénonciations de manquements de son employeur et de revendications de ses droits.

La société PPSP soutient, quant à elle, que :

la réalité des manquements a été établie par les décisions de l'autorité administrative qui sont définitives et s'imposent aux parties ainsi qu'au juge judiciaire ; il revient uniquement à l'autorité judiciaire d'apprécier la gravité des faits ;

les griefs reprochés au salarié dans sa lettre de licenciement, pris dans leur ensemble, sont d'une particulière gravité rendant impossible la poursuite de son contrat de travail et caractérisent une faute grave.

***

En considération des décisions des juridictions administratives saisies de la contestation de l'autorisation de licenciement accordée par l'inspection du travail et du caractère définitif de l'arrêt de la ca administrative de [Localité 6] du 15 janvier 2020, la cour ne peut apprécier que le degré de gravité de la faute pour apprécier le bien fondé des demandes d'indemnité de préavis et congés payés outre l'indemnité de licenciement exclues de la compétence administrative, sans pouvoir revenir sur la matérialité de faits et leur caractère fautif imputable au salarié.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

En l'occurrence, l'absence injustifiée du 11 au 23 mai 2016 et le retard de 40 minutes le 27 mai 2016 qui ont été retenus comme matériellement établis et de nature à constituer un comportement fautif du salarié par la juridiction administrative pour justifier son licenciement, constituent des manquements à ses obligations issues du contrat de travail d'une gravité telle qu'elles rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, constitutives d'une faute grave privative des indemnités de rupture.

Le salarié sera en conséquence débouté de ses demandes en paiement au titre des indemnités de rupture et le jugement entrepris sera confirmé sur ces chefs.

Sur les intérêts moratoires

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Chacune des parties succombant partiellement gardera à sa charge les dépens qu'elle a exposés.

Ni l'équité ni la disparité économique ne commande de faire bénéficier la société PPSP ou M. [E] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sils seront déboutés de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour atteinte aux droits électoraux présentée M. [E] ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la société Pole protection services privés à verser à M. [E] la somme de 700 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte aux droits électoraux ;

RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter de ce jour ;

CONFIRME le jugement entrepris sur le surplus,

Y AJOUTANT,

DÉBOUTE la société Pole protection services privés et M. [E] de leurs demandes respectives d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Pole protection services privés et M. [E] à garder chacun à sa charge les dépens de l'appel qu'ils ont personnellement engagés.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site