CA Versailles, ch. com. 3-1, 8 octobre 2025, n° 23/04563
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30F
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 OCTOBRE 2025
N° RG 23/04563 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V63L
AFFAIRE :
S.A. EPARGNE ACTUELLE
C/
S.A.S. SAGEAU HOLDING
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Avril 2023 par le tribunal judiciaire de Versailles
N° Chambre : 3
N° RG : 21/02949
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Séverine GAUTIER
Me Ghislaine DAVID-MONTIEL
TJ [Localité 8]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. EPARGNE ACTUELLE venant aux droits de la société AVIVA VIE
RCS [Localité 7] n° 751 726 076
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentants : Me Séverine GAUTIER, Postulant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 266 et Me Emmanuel CONSTANT de la SELARL CB AVOCATS, plaidant, avocat au barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.A.S. SAGEAU HOLDING
RCS [Localité 8] n° 323 127 951
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentants : Me Ghislaine DAVID-MONTIEL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 216 et Me Emmanuel RASKIN du cabinet S.E.F.J, plaidant, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
Exposé des faits
Le 30 juin 2011, la société IBC, aux droits de laquelle vient la société Sageau holding (« la société Sageau »), a donné à bail commercial à la société Aviva vie un lot d'un ensemble immobilier situé au [Adresse 2] (78) à usage de bureaux, pour une durée de 9 ans à compter du 1e juillet 2011 moyennant un loyer trimestriel de 2.250 euros HT.
A l'issue d'opérations de fusion-absorption, de scission et d'apports partiels d'actifs, une nouvelle société Epargne actuelle s'est substituée à la société Aviva vie dans les droits et obligations découlant du bail.
Un avenant au bail a été régularisé le 30 octobre 2015 aux termes duquel le lot loué a été restitué et remplacé par deux autres lots du même ensemble immobilier à compter du 1er novembre 2015 et moyennant un loyer trimestriel de 5.567, 16 euros HT outre une provision pour charges.
Par acte du 24 mai 2019, la société Sageau a délivré à la société Epargne actuelle un congé avec refus de renouvellement pour le 30 juin 2020 et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Courant juillet 2019, la société Epargne actuelle a quitté les locaux loués et s'est installée dans de nouveaux locaux.
Les pourparlers engagés pour convenir du montant de l'indemnité d'éviction n'ont pas abouti.
La société Epargne actuelle a restitué les clés des lieux loués le 7 janvier 2021 lors d'un état des lieux de sortie.
Par acte du 20 mai 2021, la société Epargne actuelle a assigné la société Sageau devant le tribunal judiciaire de Versailles en fixation du montant de son indemnité d'éviction accessoire à la somme de 68.829,58 euros.
Reconventionnellement, la société Sageau a demandé la condamnation de la société Epargne actuelle au paiement d'une indemnité d'occupation.
Par jugement du 20 avril 2023, le tribunal a rejeté la demande en paiement formée par la société Epargne actuelle, l'a condamnée à payer à la société Sageau la somme de 8.143,15 euros à titre d'indemnité d'occupation pour les locaux situés [Adresse 3] (78) pour la période courant du 1er juillet 2020 au 7 janvier 2021 et la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés, l'a condamnée aux dépens avec droit de recouvrement direct et a rejeté les autres demandes formées par les sociétés Epargne actuelle et Sageau.
Pour rejeter la demande en paiement portant sur les seules indemnités d'éviction accessoires, le tribunal a considéré que l'évaluation du préjudice subi s'appréciait en l'espèce à la date d'effet du congé, le 30 juin 2020, qu'à cette date les locaux donnés à bail étaient vides de toute occupation, même si la restitution des clés est intervenue le 7 janvier 2021, que la société Epargne actuelle avait acté le transfert de ses locaux à Versailles avant la délivrance d'un congé et qu'elle ne pouvait dès lors valablement faire supporter à la société Sageau, au titre de l'indemnité d'éviction, le remboursement de frais exposés avant même que le fait générateur de l'éviction n'intervienne.
Par déclaration du 3 juillet 2023, la société Epargne actuelle a fait appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de condamnation de la société Sageau en paiement de la somme principale de 71.036,18 euros, de celle de 4.500 euros au titre de ses frais irrépétibles et des dépens.
Par dernières conclusions n° 1 remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 septembre 2023, elle demande à la cour d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de l'indemnité d'éviction, en conséquence, de condamner la société Sageau à lui payer la somme de 71.036,18 euros et celle de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
La société Epargne actuelle soutient, sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce, que l'indemnité d'éviction accessoire est due dès le jour de la délivrance du congé, le 24 mai 2019, que le fait que les locaux aient été vidés avant la prise d'effet du congé est sans effet sur l'indemnité d'éviction accessoire qui lui demeure acquise, qu'elle a dû régler un double loyer et exposer des frais de déménagement dont elle doit être indemnisée.
Elle fait valoir qu'elle a été contrainte de s'organiser et d'anticiper la recherche de nouveaux locaux, compte tenu de son activité et de sa réputation, alors que tous les locataires avaient été avisés de la vente de l'immeuble et de leur futur départ un an avant que ne soit délivré le congé, que l'article L. 145-14 du code du commerce ne peut être interprété en fonction de la faculté d'anticipation du locataire, de sa réactivité liée à son activité et à sa réputation.
Elle demande le paiement des loyers versés pour ses nouveaux locaux du 3ème trimestre 2019 au 3ème trimestre 2020, soit 57.846,38 euros, de la facture de déménagement de 1.788 euros TTC, des honoraires de commercialisation de 6.894 euros TTC et des frais de travaux d'aménagement pour un montant de 4.507,80 euros TTC.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 décembre 2023, la société Sageau demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, subsidiairement en cas d'infirmation de fixer l'indemnité pour frais de déménagement à la somme de 1.490 euros, très subsidiairement de fixer l'indemnité pour frais de double loyer à la somme de 2.917 euros et l'indemnité au titre des honoraires de commercialisation à la somme de 3.500 euros, en toute hypothèse de condamner la société Epargne actuelle au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des condamnations mises à sa charge en première instance, et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
La société Sageau soutient que la société Epargne actuelle n'a droit à aucune indemnité d'éviction consécutivement au congé avec refus de renouvellement délivré le 24 mai 2019 dès lors que les préjudices invoqués sont sans lien de causalité avec ce congé.
Elle fait valoir que la société Epargne actuelle a conclu un nouveau bail le 11 avril 2019 à effet du 15 avril suivant, soit avant la délivrance du congé, et que la conclusion d'un autre bail résulte d'un choix de gestion unilatéral sans corrélation possible avec le congé, contrairement aux autres preneurs de l'immeuble qui se sont maintenus dans les lieux.
Subsidiairement si la cour reconnaît le droit à une indemnité d'éviction, elle soutient que les montants réclamés doivent être revus à la baisse.
Elle conteste ainsi devoir supporter la TVA sur les postes d'indemnisation.
Elle soutient qu'elle n'a pas à indemniser la société Epargne actuelle au titre d'un double loyer aux motifs qu'il est sans lien de causalité avec l'éviction et qu'il a résulté d'un bail qu'elle a décidé de conclure avant la délivrance du congé, d'une part, et que son départ anticipé d'un mois et demi avant la délivrance du congé et d'un an avant sa date d'effet a bloqué les locaux jusqu'à la restitution des clés le 7 janvier 2021, d'autre part. Elle fait valoir que la locataire pouvait rester dans les locaux jusqu'au paiement d'une indemnité d'éviction sans conclure un nouveau bail.
Elle conteste également les frais de commercialisation en lien avec la conclusion d'un bail qui n'est pas la conséquence du congé avec refus de renouvellement du bail et, subsidiairement, soutient que l'indemnité à ce titre doit être limitée à 3.500 euros correspondant à 15 %, taux stipulé dans le nouveau bail, de l'indemnité d'occupation annuelle hors taxes des locaux évincés, la société Epargne actuelle ayant pris à bail une surface plus importante outre des places de parking.
Elle dit être disposée à prendre en charge les frais de déménagement mais hors taxe, soit 1.490 euros.
Elle soutient encore qu'elle ne doit pas indemniser des frais de réinstallation des locaux remis à neuf alors que les locaux évincés ont été restitués à l'état d'usage, que les locaux en cause ne sont pas spécifiques et que doivent en toute hypothèse être prises en compte diverses déductions qui aboutissent à une indemnité nulle.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 23 janvier 2025.
SUR CE,
La cour n'est pas saisie du jugement en ce qu'il a condamné la société Epargne actuelle au paiement d'une indemnité d'occupation pour la période courant du 1er juillet 2020 au 7 janvier 2021, faute d'appel de ce chef.
Sur le droit à une indemnité d'éviction accessoire
Il résulte de l'article L. 145-14 du code de commerce que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, que toutefois il doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, la société Sageau a délivré un congé refusant le renouvellement du bail le 24 mai 2019 et les clés des locaux ont été restituées le 7 janvier 2021 par la société Epargne actuelle après avoir déménagé le 26 juillet 2019, cette date étant mentionnée dans la facture de transferts de divers mobiliers, dans des locaux pris à bail le 11 avril 2019 avec une prise d'effet au 15 avril 2019.
Si la société Epargne actuelle produit des courriels datant d'avril 2018 faisant état d'informations relatives à la vente de l'immeuble et de sa destruction, ces courriels sont seulement internes. Elle ne justifie pas avoir été informée par le bailleur de la nécessité de libérer les locaux à une quelconque date antérieure au congé de refus de renouvellement du bail, délivré le 24 mai 2019.
Cela dit, dès lors que la société Epargne actuelle a déménagé et restitué les locaux après la délivrance du congé avec refus de renouvellement du bail, elle a droit à une indemnité d'éviction, peu important qu'elle ait pris à bail de nouveaux locaux avant d'avoir reçu le congé pour y emménager après la délivrance de ce congé dès lors qu'il ressort clairement des courriels internes susvisés qu'elle a recherché de nouveaux locaux en raison de la vente de l'immeuble et de son éventuelle destruction, ces courriels d'avril 2018 indiquant « ils envisagent des travaux mais selon les infos qui nous ont été communiquées, les travaux ne commenceraient pas tout de suite. Je pense que nous aurons déménagé d'ici-là » et, en réaction, « donc pour le moment pas d'urgence pour déménager ».
Sur le montant de l'indemnité d'éviction accessoire
La société Epargne actuelle doit être indemnisée des frais de déménagement, soit la somme facturée de 1.788 euros TTC qu'elle a effectivement décaissés en totalité.
S'agissant des frais de double loyer, la société Epargne actuelle ne peut obtenir une indemnité égale à la totalité de la période de double loyer qu'elle a subie dès lors qu'elle avait droit au maintien dans les locaux au plus tôt jusqu'au 30 juin 2020 et qu'elle n'a restitué les locaux que le 7 janvier 2021 alors qu'elle était titulaire d'un autre bail depuis le 11 avril 2019. Par ailleurs selon les conditions particulières du bail qu'elle a conclu le 11 avril 2019, la société Epargne actuelle a bénéficié d'une franchise d'un mois de loyer compte tenu de travaux de nettoyage et d'aménagement entrepris dans ces locaux. Ces travaux de pose d'une porte palière, d'une porte de distribution et de cloisons séparatrices montrent que les locaux n'étaient pas utilisables dès la prise d'effet du bail. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient d'allouer à la société Epargne actuelle l'équivalent de deux mois du loyer du nouveau bail appliqué à une surface équivalente aux locaux évincés, soit 35.000 euros annuels HTHC / 12 mois / 138 m² pondéré (21 euros) x surface évincée (110 m²) x 2 mois = 4.620 euros.
S'agissant des frais de réinstallation, la société Epargne actuelle justifie qu'aux termes du nouveau bail, une somme de 4.507,80 euros TTC a été laissée à sa charge au titre des frais de nettoyage et d'aménagement. La franchise de loyer pour travaux ayant été précédemment prise en compte pour déterminer la période de double loyer devant être indemnisée, il convient de retenir ce montant décaissé, l'état des locaux évincés à la sortie des lieux le 7 janvier 2021 étant sans lien avec le préjudice subi par le preneur résultant de la prise à bail de nouveaux locaux.
Il en est de même des frais de commercialisation exposés à hauteur de 6.894 euros TTC par la société Epargne actuelle pour la conclusion du nouveau bail, sans qu'il soit tenu compte des modalités de calcul de la part de ces frais imputés au preneur dès lors qu'ils n'auraient pas été exposés sans l'éviction.
Il résulte de tout ce qui précède que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions déférées à la cour et la société Sageau condamnée à payer à la société Epargne actuelle les sommes de 1.788 euros, 4.620 euros, 4.507,80 euros et 6.894 euros.
Sur les demandes accessoires
L'issue du litige en appel implique d'infirmer le jugement des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
Partie perdante, la société Sageau sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et ne peut, dès lors, prétendre à une indemnité procédurale.
Elle sera en revanche condamnée à payer à la société Epargne actuelle la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées à la cour ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la société Sageau holding à payer à la société Epargne actuelle :
- la somme de 1.788 euros au titre des frais de déménagement,
- la somme de 4.620 euros au titre du double loyer,
- la somme de 4.507,80 euros au titre des frais d'aménagement,
- la somme de 6.894 euros au titre des frais de commercialisation,
- la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Déboute la société Sageau holding de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Sageau holding aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 30F
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 OCTOBRE 2025
N° RG 23/04563 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V63L
AFFAIRE :
S.A. EPARGNE ACTUELLE
C/
S.A.S. SAGEAU HOLDING
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Avril 2023 par le tribunal judiciaire de Versailles
N° Chambre : 3
N° RG : 21/02949
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Séverine GAUTIER
Me Ghislaine DAVID-MONTIEL
TJ [Localité 8]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. EPARGNE ACTUELLE venant aux droits de la société AVIVA VIE
RCS [Localité 7] n° 751 726 076
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentants : Me Séverine GAUTIER, Postulant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 266 et Me Emmanuel CONSTANT de la SELARL CB AVOCATS, plaidant, avocat au barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.A.S. SAGEAU HOLDING
RCS [Localité 8] n° 323 127 951
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentants : Me Ghislaine DAVID-MONTIEL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 216 et Me Emmanuel RASKIN du cabinet S.E.F.J, plaidant, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
Exposé des faits
Le 30 juin 2011, la société IBC, aux droits de laquelle vient la société Sageau holding (« la société Sageau »), a donné à bail commercial à la société Aviva vie un lot d'un ensemble immobilier situé au [Adresse 2] (78) à usage de bureaux, pour une durée de 9 ans à compter du 1e juillet 2011 moyennant un loyer trimestriel de 2.250 euros HT.
A l'issue d'opérations de fusion-absorption, de scission et d'apports partiels d'actifs, une nouvelle société Epargne actuelle s'est substituée à la société Aviva vie dans les droits et obligations découlant du bail.
Un avenant au bail a été régularisé le 30 octobre 2015 aux termes duquel le lot loué a été restitué et remplacé par deux autres lots du même ensemble immobilier à compter du 1er novembre 2015 et moyennant un loyer trimestriel de 5.567, 16 euros HT outre une provision pour charges.
Par acte du 24 mai 2019, la société Sageau a délivré à la société Epargne actuelle un congé avec refus de renouvellement pour le 30 juin 2020 et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Courant juillet 2019, la société Epargne actuelle a quitté les locaux loués et s'est installée dans de nouveaux locaux.
Les pourparlers engagés pour convenir du montant de l'indemnité d'éviction n'ont pas abouti.
La société Epargne actuelle a restitué les clés des lieux loués le 7 janvier 2021 lors d'un état des lieux de sortie.
Par acte du 20 mai 2021, la société Epargne actuelle a assigné la société Sageau devant le tribunal judiciaire de Versailles en fixation du montant de son indemnité d'éviction accessoire à la somme de 68.829,58 euros.
Reconventionnellement, la société Sageau a demandé la condamnation de la société Epargne actuelle au paiement d'une indemnité d'occupation.
Par jugement du 20 avril 2023, le tribunal a rejeté la demande en paiement formée par la société Epargne actuelle, l'a condamnée à payer à la société Sageau la somme de 8.143,15 euros à titre d'indemnité d'occupation pour les locaux situés [Adresse 3] (78) pour la période courant du 1er juillet 2020 au 7 janvier 2021 et la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés, l'a condamnée aux dépens avec droit de recouvrement direct et a rejeté les autres demandes formées par les sociétés Epargne actuelle et Sageau.
Pour rejeter la demande en paiement portant sur les seules indemnités d'éviction accessoires, le tribunal a considéré que l'évaluation du préjudice subi s'appréciait en l'espèce à la date d'effet du congé, le 30 juin 2020, qu'à cette date les locaux donnés à bail étaient vides de toute occupation, même si la restitution des clés est intervenue le 7 janvier 2021, que la société Epargne actuelle avait acté le transfert de ses locaux à Versailles avant la délivrance d'un congé et qu'elle ne pouvait dès lors valablement faire supporter à la société Sageau, au titre de l'indemnité d'éviction, le remboursement de frais exposés avant même que le fait générateur de l'éviction n'intervienne.
Par déclaration du 3 juillet 2023, la société Epargne actuelle a fait appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de condamnation de la société Sageau en paiement de la somme principale de 71.036,18 euros, de celle de 4.500 euros au titre de ses frais irrépétibles et des dépens.
Par dernières conclusions n° 1 remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 septembre 2023, elle demande à la cour d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de l'indemnité d'éviction, en conséquence, de condamner la société Sageau à lui payer la somme de 71.036,18 euros et celle de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
La société Epargne actuelle soutient, sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce, que l'indemnité d'éviction accessoire est due dès le jour de la délivrance du congé, le 24 mai 2019, que le fait que les locaux aient été vidés avant la prise d'effet du congé est sans effet sur l'indemnité d'éviction accessoire qui lui demeure acquise, qu'elle a dû régler un double loyer et exposer des frais de déménagement dont elle doit être indemnisée.
Elle fait valoir qu'elle a été contrainte de s'organiser et d'anticiper la recherche de nouveaux locaux, compte tenu de son activité et de sa réputation, alors que tous les locataires avaient été avisés de la vente de l'immeuble et de leur futur départ un an avant que ne soit délivré le congé, que l'article L. 145-14 du code du commerce ne peut être interprété en fonction de la faculté d'anticipation du locataire, de sa réactivité liée à son activité et à sa réputation.
Elle demande le paiement des loyers versés pour ses nouveaux locaux du 3ème trimestre 2019 au 3ème trimestre 2020, soit 57.846,38 euros, de la facture de déménagement de 1.788 euros TTC, des honoraires de commercialisation de 6.894 euros TTC et des frais de travaux d'aménagement pour un montant de 4.507,80 euros TTC.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 décembre 2023, la société Sageau demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, subsidiairement en cas d'infirmation de fixer l'indemnité pour frais de déménagement à la somme de 1.490 euros, très subsidiairement de fixer l'indemnité pour frais de double loyer à la somme de 2.917 euros et l'indemnité au titre des honoraires de commercialisation à la somme de 3.500 euros, en toute hypothèse de condamner la société Epargne actuelle au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des condamnations mises à sa charge en première instance, et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
La société Sageau soutient que la société Epargne actuelle n'a droit à aucune indemnité d'éviction consécutivement au congé avec refus de renouvellement délivré le 24 mai 2019 dès lors que les préjudices invoqués sont sans lien de causalité avec ce congé.
Elle fait valoir que la société Epargne actuelle a conclu un nouveau bail le 11 avril 2019 à effet du 15 avril suivant, soit avant la délivrance du congé, et que la conclusion d'un autre bail résulte d'un choix de gestion unilatéral sans corrélation possible avec le congé, contrairement aux autres preneurs de l'immeuble qui se sont maintenus dans les lieux.
Subsidiairement si la cour reconnaît le droit à une indemnité d'éviction, elle soutient que les montants réclamés doivent être revus à la baisse.
Elle conteste ainsi devoir supporter la TVA sur les postes d'indemnisation.
Elle soutient qu'elle n'a pas à indemniser la société Epargne actuelle au titre d'un double loyer aux motifs qu'il est sans lien de causalité avec l'éviction et qu'il a résulté d'un bail qu'elle a décidé de conclure avant la délivrance du congé, d'une part, et que son départ anticipé d'un mois et demi avant la délivrance du congé et d'un an avant sa date d'effet a bloqué les locaux jusqu'à la restitution des clés le 7 janvier 2021, d'autre part. Elle fait valoir que la locataire pouvait rester dans les locaux jusqu'au paiement d'une indemnité d'éviction sans conclure un nouveau bail.
Elle conteste également les frais de commercialisation en lien avec la conclusion d'un bail qui n'est pas la conséquence du congé avec refus de renouvellement du bail et, subsidiairement, soutient que l'indemnité à ce titre doit être limitée à 3.500 euros correspondant à 15 %, taux stipulé dans le nouveau bail, de l'indemnité d'occupation annuelle hors taxes des locaux évincés, la société Epargne actuelle ayant pris à bail une surface plus importante outre des places de parking.
Elle dit être disposée à prendre en charge les frais de déménagement mais hors taxe, soit 1.490 euros.
Elle soutient encore qu'elle ne doit pas indemniser des frais de réinstallation des locaux remis à neuf alors que les locaux évincés ont été restitués à l'état d'usage, que les locaux en cause ne sont pas spécifiques et que doivent en toute hypothèse être prises en compte diverses déductions qui aboutissent à une indemnité nulle.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 23 janvier 2025.
SUR CE,
La cour n'est pas saisie du jugement en ce qu'il a condamné la société Epargne actuelle au paiement d'une indemnité d'occupation pour la période courant du 1er juillet 2020 au 7 janvier 2021, faute d'appel de ce chef.
Sur le droit à une indemnité d'éviction accessoire
Il résulte de l'article L. 145-14 du code de commerce que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, que toutefois il doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, la société Sageau a délivré un congé refusant le renouvellement du bail le 24 mai 2019 et les clés des locaux ont été restituées le 7 janvier 2021 par la société Epargne actuelle après avoir déménagé le 26 juillet 2019, cette date étant mentionnée dans la facture de transferts de divers mobiliers, dans des locaux pris à bail le 11 avril 2019 avec une prise d'effet au 15 avril 2019.
Si la société Epargne actuelle produit des courriels datant d'avril 2018 faisant état d'informations relatives à la vente de l'immeuble et de sa destruction, ces courriels sont seulement internes. Elle ne justifie pas avoir été informée par le bailleur de la nécessité de libérer les locaux à une quelconque date antérieure au congé de refus de renouvellement du bail, délivré le 24 mai 2019.
Cela dit, dès lors que la société Epargne actuelle a déménagé et restitué les locaux après la délivrance du congé avec refus de renouvellement du bail, elle a droit à une indemnité d'éviction, peu important qu'elle ait pris à bail de nouveaux locaux avant d'avoir reçu le congé pour y emménager après la délivrance de ce congé dès lors qu'il ressort clairement des courriels internes susvisés qu'elle a recherché de nouveaux locaux en raison de la vente de l'immeuble et de son éventuelle destruction, ces courriels d'avril 2018 indiquant « ils envisagent des travaux mais selon les infos qui nous ont été communiquées, les travaux ne commenceraient pas tout de suite. Je pense que nous aurons déménagé d'ici-là » et, en réaction, « donc pour le moment pas d'urgence pour déménager ».
Sur le montant de l'indemnité d'éviction accessoire
La société Epargne actuelle doit être indemnisée des frais de déménagement, soit la somme facturée de 1.788 euros TTC qu'elle a effectivement décaissés en totalité.
S'agissant des frais de double loyer, la société Epargne actuelle ne peut obtenir une indemnité égale à la totalité de la période de double loyer qu'elle a subie dès lors qu'elle avait droit au maintien dans les locaux au plus tôt jusqu'au 30 juin 2020 et qu'elle n'a restitué les locaux que le 7 janvier 2021 alors qu'elle était titulaire d'un autre bail depuis le 11 avril 2019. Par ailleurs selon les conditions particulières du bail qu'elle a conclu le 11 avril 2019, la société Epargne actuelle a bénéficié d'une franchise d'un mois de loyer compte tenu de travaux de nettoyage et d'aménagement entrepris dans ces locaux. Ces travaux de pose d'une porte palière, d'une porte de distribution et de cloisons séparatrices montrent que les locaux n'étaient pas utilisables dès la prise d'effet du bail. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient d'allouer à la société Epargne actuelle l'équivalent de deux mois du loyer du nouveau bail appliqué à une surface équivalente aux locaux évincés, soit 35.000 euros annuels HTHC / 12 mois / 138 m² pondéré (21 euros) x surface évincée (110 m²) x 2 mois = 4.620 euros.
S'agissant des frais de réinstallation, la société Epargne actuelle justifie qu'aux termes du nouveau bail, une somme de 4.507,80 euros TTC a été laissée à sa charge au titre des frais de nettoyage et d'aménagement. La franchise de loyer pour travaux ayant été précédemment prise en compte pour déterminer la période de double loyer devant être indemnisée, il convient de retenir ce montant décaissé, l'état des locaux évincés à la sortie des lieux le 7 janvier 2021 étant sans lien avec le préjudice subi par le preneur résultant de la prise à bail de nouveaux locaux.
Il en est de même des frais de commercialisation exposés à hauteur de 6.894 euros TTC par la société Epargne actuelle pour la conclusion du nouveau bail, sans qu'il soit tenu compte des modalités de calcul de la part de ces frais imputés au preneur dès lors qu'ils n'auraient pas été exposés sans l'éviction.
Il résulte de tout ce qui précède que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions déférées à la cour et la société Sageau condamnée à payer à la société Epargne actuelle les sommes de 1.788 euros, 4.620 euros, 4.507,80 euros et 6.894 euros.
Sur les demandes accessoires
L'issue du litige en appel implique d'infirmer le jugement des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
Partie perdante, la société Sageau sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et ne peut, dès lors, prétendre à une indemnité procédurale.
Elle sera en revanche condamnée à payer à la société Epargne actuelle la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées à la cour ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la société Sageau holding à payer à la société Epargne actuelle :
- la somme de 1.788 euros au titre des frais de déménagement,
- la somme de 4.620 euros au titre du double loyer,
- la somme de 4.507,80 euros au titre des frais d'aménagement,
- la somme de 6.894 euros au titre des frais de commercialisation,
- la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Déboute la société Sageau holding de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Sageau holding aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente