CA Bordeaux, 4e ch. com., 1 octobre 2025, n° 23/03417
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 01 OCTOBRE 2025
N° RG 23/03417 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NLMV
S.A.R.L. CAP SUD
c/
S.A. BPCE IARD
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 mai 2023 (R.G. 2022F00909) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 17 juillet 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. CAP SUD Prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.21 [Adresse 4]
Représentée par Maître Delphine TRANQUARD, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A. BPCE IARD Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 2]
Représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître Caroline CAUZIT de la SELARL CVS avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société à responsabilité limitée Cap Sud exploite un fonds de commerce de restauration [Adresse 3] à [Localité 1]. Elle a souscrit, le 9 décembre 2015, auprès de la société anonyme BPCE Iard une police multirisque professionnelle à effet au 1er janvier 2016.
Au cours de l'année 2020, la société Cap Sud a déclaré deux sinistres pertes d'exploitation résultant de l'interdiction d'accès du public à son restaurant à la suite des mesures gouvernementales relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19.
La société BPCE Iard a confirmé à son assurée l'application de sa garantie a désigné un expert aux fins de procéder au chiffrage de son indemnité selon les conditions du contrat.
La société BPCE Iard a versé à la société Cap Sud une indemnité de 14 593 euros au titre du premier sinistre, et une indemnité 952 euros pour le second sinistre.
2. À défaut d'accord amiable sur le montant des indemnités contractuellement exigibles, la société Cap Sud a, par acte en date du 25 mai 2022, fait assigner la société BPCE Iard devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de la somme totale de 115 372 euros.
Par jugement prononcé le 26 mai 2023, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :
- déboute la société Cap Sud de l'ensemble de ses demandes ;
- condamne la société Cap Sud à payer à la société BPCE Iard la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne solidairement la société Cap Sud aux dépens.
La société Cap Sud a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 17 juillet 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières conclusions notifiées le 16 janvier 2025, la société Cap Sud demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1231 et suivants du code civil,
Vu l'article L.113-5 du code des assurances,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 mai 2023 ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- condamner la société BPCE Iard à payer à la société Cap Sud la somme totale de 115.372 euros (46.550 euros au titre du premier sinistre et 68.822 euros au titre du second sinistre) correspondant au solde dû par la société BPCE Iard au titre de l'indemnité contractuelle prévue
dans le contrat d'assurance, somme qu'il y aura lieu d'assortir des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
A titre subsidiaire,
- condamner la société BPCE Iard à payer à la société Cap Sud la somme totale de 37.865 euros (29.043 euros au titre du premier sinistre et 8.822 euros au titre du second sinistre, déduction faite des aides de l'Etat) correspondant au solde dû au titre de l'indemnité contractuelle prévue dans le contrat d'assurance, somme qu'il y aura lieu d'assortir des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
En tout état de cause,
- condamner la société BPCE Iard à payer à la société Cap Sud la somme de 5.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société BPCE Iard à supporter les entiers dépens en ce compris le coût de la mise en demeure préalable adressée par le Conseil de la société Cap Sud et les dépens de première instance.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 13 mai 2025, la société BPCE Iard demande à la cour de :
Vu l'article 1103 du code civil,
Vu les articles L.112-3 et suivants du code des assurances,
Vu l'article 121-1 du code des assurances,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 26 mai 2023 en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Cap Sud de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause,
- condamner la société Cap Sud à verser à la société BPCE Iard la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel,
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mai 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
5. Au visa des articles 1231 et suivants du code civil et de l'article L.113-5 du code des assurances, la société Cap Sud fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en indemnisation complémentaire du préjudice 'pertes d'exploitation' subi en raison de la fermeture administrative de son restaurant du 14 mars 2020 au 31 mai 2020 et du 30 octobre 2020 au 30 avril 2021 en raison des mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie.
L'appelante expose que l'expert amiable n'a pas fait application des conditions contractuellement prévues pour la détermination du montant de son préjudice ; que, en particulier, l'expert calcule la perte d'exploitation en se référant à une période d'observation de six mois et en fixant la date de début de période au 1er mars 2020, alors même qu'il ne s'agit pas de la date de prise de garantie du sinistre, celle-ci étant en effet le 15 mars 2020, ce qui lui a permis de déduire du montant à indemniser le chiffre d'affaires qui a été réalisé par la société Cap Sud entre le 1er mars 2020 et le 15 mars 2020, et ce, pour un montant de 6 051 euros.
La société Cap Sud ajoute qu'il n'est nullement prévu dans les dispositions contractuelles le calcul d'une perte du chiffre d'affaires théorique, puisqu'il s'agit uniquement et exclusivement de l'indemnisation de la perte réelle subie ; que l'expert ne pouvait se fonder exclusivement sur l'année 2019 alors que le contrat fait référence aux trois années fiscales précédentes ; que l'expert amiable avait d'ailleurs bien sollicité la communication des années 2017, 2018 et 2019 ;
L'appelante fait également valoir que le contrat prévoit que la garantie pertes d'exploitation doit indemniser la perte de la marge brute et que, pourtant, dans le rapport d'expertise, la base de calcul pour chiffrer le montant de l'indemnisation est déterminée à partir de la marge sur coût variable ; que, par ailleurs, des économies de charges fixes sont visées par l'expert sans qu'aucun élément permettant de comprendre le calcul ne soit explicité alors que, si l'on se réfère aux conditions générales du contrat, il y a lieu de déduire les charges d'exploitation économisées, c'est-à-dire toutes les charges que la société cesse de supporter qui ont été en l'espèce la prise en charge des salaires à l'exclusion de toutes autres.
6. Au visa des articles 1103 du code civil, L.121-1 et L.112-3 et suivants du code des assurances, la société BPCE Iard répond que l'expert a parfaitement appliqué la stricte méthodologie de calcul et de l'indemnité contractuellement prévue et que les chiffrages qui ont donné lieu à l'indemnisation de la société Cap Sud sont tout à fait conformes aux stipulations du contrat.
L'intimée expose que, ainsi, l'article 14.3 des conditions générales définit les modalités d'indemnisation des pertes d'exploitation et précise que les charges d'exploitation économisées sont les charges que l'assuré cesse de supporter du fait de la survenance de l'événement garanti ayant atteint l'outil de production et qu'elles viennent donc en déduction de l'indemnisation.
La société BPCE ajoute que l'expert s'est bien référé aux exercices précédents à compter de 2018, et plus précisément 2018 et 2019, années au plus proche du sinistre et qui n'étaient pas impactées par des événements exceptionnels ; que cela lui a permis de mettre en évidence une tendance annuelle de baisse d'activité pour les années 2018 et 2019 de 14%, avant même la période de pandémie ; que, au regard des chiffres d'affaires réalisés par la société Cap Sud sur les années précédentes, l'expert a pu déterminer une hypothèse de chiffre d'affaires théorique perdu, en l'espèce 51.281 euros et lui appliqué, conformément au contrat, un taux de marge sur coûts variables (en l'espèce 0,64 %) non contesté jusqu'à présent par l'appelante, de sorte que la marge théorique perdue est de 32.600 euros ; que les économies réalisées par la société Cap Sud sont constituées par l'allocation d'activité partielle financée par l'Etat et ont été déduites de cette marge théorique perdue.
Sur ce,
7. L'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au contrat, dispose :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi.»
Article L.121-1 du code des assurances énonce :
« L'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité ; l'indemnité due par l'assureur à l'assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre.»
En vertu de l'article L.113-5 du code des assurances, lors de la réalisation du risque ou à l'échéance du contrat, l'assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà ; il peut être stipulé que l'assuré reste obligatoirement son propre assureur pour une somme, ou une quotité déterminée, ou qu'il supporte une déduction fixée d'avance sur l'indemnité du sinistre.
8. Il est constant que la société Cap Sud a, dans le cadre du contrat d'assurance conclu le 9 décembre 2015 avec la société BPCE Iard, souscrit le 'pack sécurité financière' avec la formule 'au réel', en exécution duquel peuvent être indemnisées, sous certaines conditions, les pertes d'exploitation résultant d'un sinistre garanti ; les conditions générales de ce contrat comportent un document dénommé 'intercalaire n°14764', spécifique aux besoins des professions de la restauration et de l'hôtellerie.
Ces éléments contractuels sont le cadre dans lequel la société Cap Sud a demandé à la société BPCE Iard l'application de la garantie 'Interdiction d'accès à votre établissement' prévue à l'intercalaire n°14764, ce qui a été accepté par l'assureur.
Il est établi que, puisque l'assurée a choisi la formule d'indemnisation 'au réel', sont alors applicables les stipulations suivantes de l'article 14.3.1 des conditions générales du contrat :
« Cette formule d'indemnisation consiste au versement du montant de la perte réelle subie, déterminé par expertise, à partir des renseignements comptables et extra comptables fournis lors de vos trois dernières déclarations fiscales.
L'indemnisation ne peut excéder ni une période de 12 mois, ni la somme indiquée aux conditions particulières.
La période d'indemnisation débute à la date de survenance de l'événement garanti ayant atteint votre outil de production et prend fin le jour où, à la suite de la reprise de vos activités professionnelles déclarées aux conditions particulières, vous ne subissez plus, à dire d'expert, de perte de marge brute d'honoraires (...)»
L'article 14.1 des conditions générales du contrat précise :
« La garantie perte d'exploitation permet d'indemniser, sous certaines conditions :
- la perte de votre marge brute de vos honoraires.
La marge brute correspond à la différence entre le chiffre d'affaires corrigé de la variation des stocks, de la production immobilisée (prestations de services, vente de marchandises, production de biens) et des achats consommés (achats de matières premières, de marchandises, d'approvisionnement, corrigés de leur variation respective des stocks) ;
- vos frais supplémentaires d'exploitation, c'est-à-dire tous les frais que vous engagez, avec notre accord, en vue d'éviter ou de limiter vos pertes d'exploitation.»
9. Pour soutenir son argumentation, la société Cap Sud fait expressément référence dans ses écritures à l'article 15 des conditions générales du contrat. Toutefois, ces stipulations sont relatives à l'indemnisation de la perte partielle ou totale du fonds de commerce, non à l'indemnisation des pertes d'exploitation consécutives à la réalisation d'un dommage garanti.
Egalement, l'appelante discute le fait que M. [C], expert amiable, ne vise pas expressément les exercices 2017 et 2018 dans son rapport alors que, conformément à l'article 14.3.1 des conditions générales du contrat, elle lui a transmis ces éléments ; elle lui reproche de plus de ne pas calculer sa perte réelle mais d'évaluer une perte théorique.
10. A cet égard, il faut observer que la société Cap Sud applique la méthodologie propre à l'évaluation de la perte d'un fonds de commerce -et vise d'ailleurs, ainsi qu'il est dit plus haut, l'article du contrat qui y est relatif-, alors qu'il s'agit d'évaluer la perte d'exploitation subie sur la base d'un chiffre d'affaires nécessairement reconstitué puisque l'entreprise a été contrainte de cesser momentanément son activité ; l'expert amiable a pris en compte les éléments transmis par l'assurée puisqu'il a mis en évidence une tendance baissière, ce qui peut en effet être retrouvé dans les éléments -non attestés par un expert comptable- produits aux débats par la société Cap Sud ; il a donc bien calculé une perte réelle sur un chiffre d'affaires reconstitué, cela en appliquant un taux de marge sur coûts variables, ce qui est conforme à l'article 14.1 du contrat cité supra qui mentionne un chiffre d'affaire corrigé des variations détaillées.
Par ailleurs, l'article 14.3.1 des conditions générales du contrat stipule que la période d'indemnisation débute à la date de survenance de l'événement garanti ayant atteint l'outil de production et prend fin le jour de la reprise de ses activités par l'assurée.
C'est donc à juste titre que l'indemnisation a porté sur une période de trois mois pour le premier sinistre et de six mois pour le second sinistre, l'appelante ayant fait le choix de ne pas rouvrir son restaurant postérieurement au 19 mai 2021, date à laquelle les restaurants ont été autorisés à exploiter leurs terrasses sous certaines conditions et le 9 juin suivant, date à laquelle l'autorisation a été étendue aux espaces intérieurs sous certaines conditions, dont la société Cap Sud affirme, sans l'établir, qu'elle ne pouvait les respecter.
Enfin, le tribunal de commerce a retenu, à juste titre, que les aides perçues par l'appelante au titre du Fonds de solidarité, d'un montant de 60.000 euros pour la période du 30 octobre 2020 au 30 avril 2021, doivent être déduites de la reconstitution du chiffre d'affaire ; ces subventions, ainsi que le rappelle l'intimée, ont en effet pour objet de couvrir les frais fixes et les charges qui, si l'assurée avait exploité son fonds, auraient été financés grâce au chiffre d'affaires dégagé par son l'activité.
11. Dans la mesure où il est établi que M. [C], expert amiable dont la désignation est expressément prévue par le contrat pour l'évaluation de la perte d'exploitation de l'assurée consécutive au sinistre 'Interdiction d'accès à votre établissement', a appliqué les conditions contractuellement prévues pour le calcul de l'indemnisation de la société Cap Sud, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté celle-ci de sa demande en indemnisation complémentaire.
12. Les chefs de dispositif de ce jugement relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance seront également confirmés.
La société Cap Sud, tenue au paiement des dépens de l'appel, sera condamnée à verser à la société BPCE Iard la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 26 mai 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société Cap Sud à payer les dépens de l'appel.
Condamne la société Cap Sud à payer à la société BPCE Iard la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 01 OCTOBRE 2025
N° RG 23/03417 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NLMV
S.A.R.L. CAP SUD
c/
S.A. BPCE IARD
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 mai 2023 (R.G. 2022F00909) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 17 juillet 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. CAP SUD Prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.21 [Adresse 4]
Représentée par Maître Delphine TRANQUARD, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A. BPCE IARD Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 2]
Représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître Caroline CAUZIT de la SELARL CVS avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société à responsabilité limitée Cap Sud exploite un fonds de commerce de restauration [Adresse 3] à [Localité 1]. Elle a souscrit, le 9 décembre 2015, auprès de la société anonyme BPCE Iard une police multirisque professionnelle à effet au 1er janvier 2016.
Au cours de l'année 2020, la société Cap Sud a déclaré deux sinistres pertes d'exploitation résultant de l'interdiction d'accès du public à son restaurant à la suite des mesures gouvernementales relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19.
La société BPCE Iard a confirmé à son assurée l'application de sa garantie a désigné un expert aux fins de procéder au chiffrage de son indemnité selon les conditions du contrat.
La société BPCE Iard a versé à la société Cap Sud une indemnité de 14 593 euros au titre du premier sinistre, et une indemnité 952 euros pour le second sinistre.
2. À défaut d'accord amiable sur le montant des indemnités contractuellement exigibles, la société Cap Sud a, par acte en date du 25 mai 2022, fait assigner la société BPCE Iard devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de la somme totale de 115 372 euros.
Par jugement prononcé le 26 mai 2023, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :
- déboute la société Cap Sud de l'ensemble de ses demandes ;
- condamne la société Cap Sud à payer à la société BPCE Iard la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne solidairement la société Cap Sud aux dépens.
La société Cap Sud a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 17 juillet 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières conclusions notifiées le 16 janvier 2025, la société Cap Sud demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1231 et suivants du code civil,
Vu l'article L.113-5 du code des assurances,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 mai 2023 ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- condamner la société BPCE Iard à payer à la société Cap Sud la somme totale de 115.372 euros (46.550 euros au titre du premier sinistre et 68.822 euros au titre du second sinistre) correspondant au solde dû par la société BPCE Iard au titre de l'indemnité contractuelle prévue
dans le contrat d'assurance, somme qu'il y aura lieu d'assortir des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
A titre subsidiaire,
- condamner la société BPCE Iard à payer à la société Cap Sud la somme totale de 37.865 euros (29.043 euros au titre du premier sinistre et 8.822 euros au titre du second sinistre, déduction faite des aides de l'Etat) correspondant au solde dû au titre de l'indemnité contractuelle prévue dans le contrat d'assurance, somme qu'il y aura lieu d'assortir des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
En tout état de cause,
- condamner la société BPCE Iard à payer à la société Cap Sud la somme de 5.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société BPCE Iard à supporter les entiers dépens en ce compris le coût de la mise en demeure préalable adressée par le Conseil de la société Cap Sud et les dépens de première instance.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 13 mai 2025, la société BPCE Iard demande à la cour de :
Vu l'article 1103 du code civil,
Vu les articles L.112-3 et suivants du code des assurances,
Vu l'article 121-1 du code des assurances,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 26 mai 2023 en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Cap Sud de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause,
- condamner la société Cap Sud à verser à la société BPCE Iard la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel,
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mai 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
5. Au visa des articles 1231 et suivants du code civil et de l'article L.113-5 du code des assurances, la société Cap Sud fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en indemnisation complémentaire du préjudice 'pertes d'exploitation' subi en raison de la fermeture administrative de son restaurant du 14 mars 2020 au 31 mai 2020 et du 30 octobre 2020 au 30 avril 2021 en raison des mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie.
L'appelante expose que l'expert amiable n'a pas fait application des conditions contractuellement prévues pour la détermination du montant de son préjudice ; que, en particulier, l'expert calcule la perte d'exploitation en se référant à une période d'observation de six mois et en fixant la date de début de période au 1er mars 2020, alors même qu'il ne s'agit pas de la date de prise de garantie du sinistre, celle-ci étant en effet le 15 mars 2020, ce qui lui a permis de déduire du montant à indemniser le chiffre d'affaires qui a été réalisé par la société Cap Sud entre le 1er mars 2020 et le 15 mars 2020, et ce, pour un montant de 6 051 euros.
La société Cap Sud ajoute qu'il n'est nullement prévu dans les dispositions contractuelles le calcul d'une perte du chiffre d'affaires théorique, puisqu'il s'agit uniquement et exclusivement de l'indemnisation de la perte réelle subie ; que l'expert ne pouvait se fonder exclusivement sur l'année 2019 alors que le contrat fait référence aux trois années fiscales précédentes ; que l'expert amiable avait d'ailleurs bien sollicité la communication des années 2017, 2018 et 2019 ;
L'appelante fait également valoir que le contrat prévoit que la garantie pertes d'exploitation doit indemniser la perte de la marge brute et que, pourtant, dans le rapport d'expertise, la base de calcul pour chiffrer le montant de l'indemnisation est déterminée à partir de la marge sur coût variable ; que, par ailleurs, des économies de charges fixes sont visées par l'expert sans qu'aucun élément permettant de comprendre le calcul ne soit explicité alors que, si l'on se réfère aux conditions générales du contrat, il y a lieu de déduire les charges d'exploitation économisées, c'est-à-dire toutes les charges que la société cesse de supporter qui ont été en l'espèce la prise en charge des salaires à l'exclusion de toutes autres.
6. Au visa des articles 1103 du code civil, L.121-1 et L.112-3 et suivants du code des assurances, la société BPCE Iard répond que l'expert a parfaitement appliqué la stricte méthodologie de calcul et de l'indemnité contractuellement prévue et que les chiffrages qui ont donné lieu à l'indemnisation de la société Cap Sud sont tout à fait conformes aux stipulations du contrat.
L'intimée expose que, ainsi, l'article 14.3 des conditions générales définit les modalités d'indemnisation des pertes d'exploitation et précise que les charges d'exploitation économisées sont les charges que l'assuré cesse de supporter du fait de la survenance de l'événement garanti ayant atteint l'outil de production et qu'elles viennent donc en déduction de l'indemnisation.
La société BPCE ajoute que l'expert s'est bien référé aux exercices précédents à compter de 2018, et plus précisément 2018 et 2019, années au plus proche du sinistre et qui n'étaient pas impactées par des événements exceptionnels ; que cela lui a permis de mettre en évidence une tendance annuelle de baisse d'activité pour les années 2018 et 2019 de 14%, avant même la période de pandémie ; que, au regard des chiffres d'affaires réalisés par la société Cap Sud sur les années précédentes, l'expert a pu déterminer une hypothèse de chiffre d'affaires théorique perdu, en l'espèce 51.281 euros et lui appliqué, conformément au contrat, un taux de marge sur coûts variables (en l'espèce 0,64 %) non contesté jusqu'à présent par l'appelante, de sorte que la marge théorique perdue est de 32.600 euros ; que les économies réalisées par la société Cap Sud sont constituées par l'allocation d'activité partielle financée par l'Etat et ont été déduites de cette marge théorique perdue.
Sur ce,
7. L'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au contrat, dispose :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi.»
Article L.121-1 du code des assurances énonce :
« L'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité ; l'indemnité due par l'assureur à l'assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre.»
En vertu de l'article L.113-5 du code des assurances, lors de la réalisation du risque ou à l'échéance du contrat, l'assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà ; il peut être stipulé que l'assuré reste obligatoirement son propre assureur pour une somme, ou une quotité déterminée, ou qu'il supporte une déduction fixée d'avance sur l'indemnité du sinistre.
8. Il est constant que la société Cap Sud a, dans le cadre du contrat d'assurance conclu le 9 décembre 2015 avec la société BPCE Iard, souscrit le 'pack sécurité financière' avec la formule 'au réel', en exécution duquel peuvent être indemnisées, sous certaines conditions, les pertes d'exploitation résultant d'un sinistre garanti ; les conditions générales de ce contrat comportent un document dénommé 'intercalaire n°14764', spécifique aux besoins des professions de la restauration et de l'hôtellerie.
Ces éléments contractuels sont le cadre dans lequel la société Cap Sud a demandé à la société BPCE Iard l'application de la garantie 'Interdiction d'accès à votre établissement' prévue à l'intercalaire n°14764, ce qui a été accepté par l'assureur.
Il est établi que, puisque l'assurée a choisi la formule d'indemnisation 'au réel', sont alors applicables les stipulations suivantes de l'article 14.3.1 des conditions générales du contrat :
« Cette formule d'indemnisation consiste au versement du montant de la perte réelle subie, déterminé par expertise, à partir des renseignements comptables et extra comptables fournis lors de vos trois dernières déclarations fiscales.
L'indemnisation ne peut excéder ni une période de 12 mois, ni la somme indiquée aux conditions particulières.
La période d'indemnisation débute à la date de survenance de l'événement garanti ayant atteint votre outil de production et prend fin le jour où, à la suite de la reprise de vos activités professionnelles déclarées aux conditions particulières, vous ne subissez plus, à dire d'expert, de perte de marge brute d'honoraires (...)»
L'article 14.1 des conditions générales du contrat précise :
« La garantie perte d'exploitation permet d'indemniser, sous certaines conditions :
- la perte de votre marge brute de vos honoraires.
La marge brute correspond à la différence entre le chiffre d'affaires corrigé de la variation des stocks, de la production immobilisée (prestations de services, vente de marchandises, production de biens) et des achats consommés (achats de matières premières, de marchandises, d'approvisionnement, corrigés de leur variation respective des stocks) ;
- vos frais supplémentaires d'exploitation, c'est-à-dire tous les frais que vous engagez, avec notre accord, en vue d'éviter ou de limiter vos pertes d'exploitation.»
9. Pour soutenir son argumentation, la société Cap Sud fait expressément référence dans ses écritures à l'article 15 des conditions générales du contrat. Toutefois, ces stipulations sont relatives à l'indemnisation de la perte partielle ou totale du fonds de commerce, non à l'indemnisation des pertes d'exploitation consécutives à la réalisation d'un dommage garanti.
Egalement, l'appelante discute le fait que M. [C], expert amiable, ne vise pas expressément les exercices 2017 et 2018 dans son rapport alors que, conformément à l'article 14.3.1 des conditions générales du contrat, elle lui a transmis ces éléments ; elle lui reproche de plus de ne pas calculer sa perte réelle mais d'évaluer une perte théorique.
10. A cet égard, il faut observer que la société Cap Sud applique la méthodologie propre à l'évaluation de la perte d'un fonds de commerce -et vise d'ailleurs, ainsi qu'il est dit plus haut, l'article du contrat qui y est relatif-, alors qu'il s'agit d'évaluer la perte d'exploitation subie sur la base d'un chiffre d'affaires nécessairement reconstitué puisque l'entreprise a été contrainte de cesser momentanément son activité ; l'expert amiable a pris en compte les éléments transmis par l'assurée puisqu'il a mis en évidence une tendance baissière, ce qui peut en effet être retrouvé dans les éléments -non attestés par un expert comptable- produits aux débats par la société Cap Sud ; il a donc bien calculé une perte réelle sur un chiffre d'affaires reconstitué, cela en appliquant un taux de marge sur coûts variables, ce qui est conforme à l'article 14.1 du contrat cité supra qui mentionne un chiffre d'affaire corrigé des variations détaillées.
Par ailleurs, l'article 14.3.1 des conditions générales du contrat stipule que la période d'indemnisation débute à la date de survenance de l'événement garanti ayant atteint l'outil de production et prend fin le jour de la reprise de ses activités par l'assurée.
C'est donc à juste titre que l'indemnisation a porté sur une période de trois mois pour le premier sinistre et de six mois pour le second sinistre, l'appelante ayant fait le choix de ne pas rouvrir son restaurant postérieurement au 19 mai 2021, date à laquelle les restaurants ont été autorisés à exploiter leurs terrasses sous certaines conditions et le 9 juin suivant, date à laquelle l'autorisation a été étendue aux espaces intérieurs sous certaines conditions, dont la société Cap Sud affirme, sans l'établir, qu'elle ne pouvait les respecter.
Enfin, le tribunal de commerce a retenu, à juste titre, que les aides perçues par l'appelante au titre du Fonds de solidarité, d'un montant de 60.000 euros pour la période du 30 octobre 2020 au 30 avril 2021, doivent être déduites de la reconstitution du chiffre d'affaire ; ces subventions, ainsi que le rappelle l'intimée, ont en effet pour objet de couvrir les frais fixes et les charges qui, si l'assurée avait exploité son fonds, auraient été financés grâce au chiffre d'affaires dégagé par son l'activité.
11. Dans la mesure où il est établi que M. [C], expert amiable dont la désignation est expressément prévue par le contrat pour l'évaluation de la perte d'exploitation de l'assurée consécutive au sinistre 'Interdiction d'accès à votre établissement', a appliqué les conditions contractuellement prévues pour le calcul de l'indemnisation de la société Cap Sud, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté celle-ci de sa demande en indemnisation complémentaire.
12. Les chefs de dispositif de ce jugement relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance seront également confirmés.
La société Cap Sud, tenue au paiement des dépens de l'appel, sera condamnée à verser à la société BPCE Iard la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 26 mai 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société Cap Sud à payer les dépens de l'appel.
Condamne la société Cap Sud à payer à la société BPCE Iard la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président