CA Rouen, ch. civ. et com., 18 septembre 2025, n° 24/02869
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 24/02869 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JXO2
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00475
Tribunal judiciaire de Lisieux du 19 mars 2021 sur renvoi après cassation, arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 2024.
APPELANTE :
S.A.R.L. CABINET [H]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT - GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de ROUEN, et assistée par Me Amandine NAUD de la SELARL DERBY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
INTIME :
Monsieur [Y] [S]
né le 07 Mars 1971 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN et assisté par Me Jean-michel EUDE de la SCP DOUCERAIN - EUDE - SEBIRE, avocat au barreau d'EURE substitué par Me Urielle SEBIRE de la SCP PERSON - HEMERY - DOUCERAIN - EUDE - SEBIRE, avocat au barreau d'EURE, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 27 mai 2025, où madame Menard-Gogibu a été entendue en son rapport et l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 18 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Monsieur [Y] [S] a conclu le 8 février 2018 avec la société Cabinet [H] un mandat de recherche pour l'acquisition d'un fonds de commerce de bar-brasserie ou de parts d'une société propriétaire d'un tel fonds.
Il était convenu un honoraire forfaitaire de négociation par tranche,
Par acte du même jour, M. [S] a signé une décharge de mandat par laquelle il confirmait que le mandataire avait trouvé un fonds et par laquelle il s'engageait à verser au Cabinet [H] des honoraires de négociation d'un montant de 70 000 euros hors taxes à la signature définitive des actes.
Suivant protocole d'accord signé le 24 avril 2018 avec la société Le Noyer, holding détenant l'intégralité des parts de la société Luciani, M. [S] s'engageait à acquérir lesdites parts au plus tard le 1er janvier 2019, sous réserve d'un certain nombre de conditions suspensives dont celle tenant à l'obtention d'un prêt bancaire.
Le prix provisoire fixé à 2.000.000 euros devait être financé en partie par un prêt de 1 000.000 euros sur sept ans.
Ce protocole rappelle que la société Cabinet [H] est seule bénéficiaire du montant intégral des honoraires de négociations fixés à la somme forfaitaire de 70 000 euros hors taxes, soit 84 000 euros toutes taxes comprises.
M. [S] ne s'est pas présenté au rendez-vous de signature de l'acte définitif fixé au 15 janvier 2019.
Par lettre recommandée du 16 janvier 2019, la société Le Noyer Holding a mis en demeure M. [S] de s'acquitter du montant de la clause pénale de 200 000 euros stipulée dans le protocole d'accord du 24 avril 2018.
Par lettre recommandée du 28 février 2019, la société Cabinet [H] a mis en demeure M. [S] de lui régler la somme de 84 000 euros correspondant aux honoraires de négociation convenus entre les parties.
Par acte du 23 mai 2019, la société Cabinet [H] a assigné M. [S] devant le tribunal judiciaire de Lisieux en paiement de la commission et, subsidiairement, de dommages-intérêts.
Par jugement du 19 mars 2021, le tribunal judiciaire de Lisieux a :
- rejeté l'ensemble des demandes de la société Cabinet [H] ;
- rejeté la demande de nullité du mandat ;
- condamné la société Cabinet [H] à payer à M. [Y] [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
- condamné la société Cabinet [H] aux entiers dépens.
La société Cabinet [H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 avril 2021.
Par arrêt du 6 décembre 2022, la cour d'appel de Caen a :
- confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du mandat, de même qu'en ce qu'il a débouté la société Cabinet [H] de sa demande tendant au paiement d'une commission d'entremise d'un montant de 84 000 euros ;
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant :
- condamné M. [Y] [S] à payer à la société Cabinet [H] une somme de
84 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;
Monsieur [Y] [S] a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Par arrêt du 20 juin 2024, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, sauf en ce qu'il confirme le jugement rejetant la demande en nullité du mandat et déboutant la société Cabinet [H] de sa demande en paiement d'une commission d'entremise, l'arrêt rendu le 6 décembre 2022, entre les parties par la cour d'appel de Caen ;
- remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Rouen ;
- condamné la société Cabinet [H] aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.
La société Cabinet [H] a saisi la cour d'appel de Rouen par déclaration du 8 août 2024.
Par ordonnance du 27 mars 2025, le conseiller de la mise en état a enjoint Monsieur [S] de communiquer à la société Cabinet [H] l'assignation qui lui a été délivrée le 18 novembre 2019 à la demande de la société Le Noyer saisissant le tribunal de commerce de Lisieux et ayant donné lieu au jugement du 18 septembre 2020 ainsi que l'écrit constatant l'accord qui a été conclu avec la société Le Noyer ayant abouti au désistement d'instance et d'action de cette dernière devant le tribunal de commerce de Lisieux.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 6 mai 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société Cabinet [H] qui demande à la cour de :
- rappeler que le jugement a été définitivement confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en nullité du mandat de la société Cabinet [H] ;
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lisieux en ce qu'il a :
* rejeté la demande d'indemnisation formulée par la société Cabinet [H] ;
* condamné la société Cabinet [H] à payer à Monsieur [S] une somme de
2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné le Cabinet [H] aux entiers dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- condamner Monsieur [Y] [S] à verser à la société Cabinet [H] une somme de 84 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouter Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner Monsieur [Y] [S] à verser à la société Cabinet [H] une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [Y] [S] aux entiers dépens, y compris ceux exposés devant le tribunal judiciaire de Lisieux, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 6 mai 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de Monsieur [Y] [S] qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lisieux le 19 mars 2021 en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la société Cabinet [H] ;
- débouter la société Cabinet [H] de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Cabinet [H] à payer à Monsieur [Y] [S], une indemnité de 10 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles ;
- condamner la société Cabinet [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel exposés tant devant la cour d'appel de Caen que devant la cour d'appel de renvoi de céans avec recouvrement au profit de la société Gray Scolan, Avocats associés, pour ceux-là concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité de Monsieur [S]
Moyens des parties :
Le Cabinet [H] soutient que :
* M. [S] n'a jamais tenté de justifier son refus de réitérer la vente par la non-levée d'une condition suspensive ; il s'est contenté de ne plus donner aucune nouvelle et de ne pas répondre aux différentes relances ;
* le fait que la SAS Le Noyer ait fait le choix de solliciter la résiliation de la vente aux torts de M. [S] et non sa réalisation forcée est sans incidence sur le fait qu'elle considérait la vente parfaite ; le conseil de la société Le Noyer a écrit à Monsieur [S] en ce sens ;
* jusqu'en avril 2025, M. [S] indiquait de manière évasive que toutes les conditions suspensives n'auraient pas été levées sans préciser laquelle ; pour la première fois il affirme que c'est la non-levée des nantissements avant le 30 septembre 2018 qui justifierait son refus de réitérer la vente ;
* la condition suspensive tenant à la levée des nantissements devait être réalisée dans un délai d'un mois avant la date prévue pour la réitération ; le rendez-vous de signature de la vente ayant été fixé au 15 janvier 2019, le délai d'un mois avant la date de la réitération est respecté ;
* la levée des nantissements est définie dans la promesse comme une condition suspensive au profit du cédant et du cessionnaire et non comme une condition au profit du seul cessionnaire ;
* seule la condition suspensive liée à l'obtention d'un financement avait pour délai le 30 septembre 2018 et M. [S] avait indiqué, dans ce délai, renoncer à cette condition suspensive ; en toute hypothèse, le fait que M. [S] ait transmis son accord de prêt du 17 octobre 2018 confirme si besoin était qu'il avait renoncé à se prévaloir d'une éventuelle caducité au 30 septembre 2018 ;
* à titre surabondant, si l'une des conditions suspensives n'avait pas été levée, M. [S] n'aurait pas transigé avec la SAS Le Noyer ; il est désormais établi qu'il lui a versé, par l'intermédiaire d'une de ses sociétés, une indemnité de 100 000 euros ;
* M. [S] fait observer que le protocole indique que les parties estiment que la vente n'est pas parfaite ; tout comme l'absence de date sur le protocole, cette mention interroge ; il est fort probable que cette mention a pour seul but tenter de faire échec aux droits du Cabinet [H] ;
* la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ce qui était le cas en l'espèce ; M. [S] a été sommé d'assister au rendez-vous de signature et ne s'est pas présenté sans même prendre la peine de fournir la moindre explication ; dans le cadre de l'action qu'elle a engagée, la SAS Le Noyer justifie sa demande de résiliation par le « seul fait de l'inexécution des obligations de Monsieur [S]. » ;
* la faute de M. [S] consiste en son refus sans motif de signer l'acte de vente des parts sociales de la société Luciani.
Monsieur [S] réplique que :
* la société Cabinet [H] ne saurait obtenir aucune indemnité sans apporter la preuve de la faute qui aurait été commise par son mandant, M. [S] ;
* il n'est pas démontré que c'est lui qui a empêché la réitération de la vente, puisque, bien au contraire, la société Le Noyer, n'a pas demandé la réitération de la vente ;
* la seule question qui se pose devant la cour d'appel de renvoi telle que circonscrite par la Cour de cassation dans son arrêt du 20 juin 2024 est de savoir si les conditions étaient réalisées à la date du 30 septembre 2018 ; tel n'est pas le cas en l'espèce ; n'ayant pas obtenu les garanties nécessaires en temps utile, il a finalement renoncé à acquérir ce bien ;
* il n'est en rien responsable de la date à laquelle les nantissements ont été levés ; sa bonne foi ne saurait être mise à mal, puisqu'il a entrepris toutes les démarches pour obtenir le prêt ;
* il est stipulé que la réalisation des conditions suspensives stipulées en faveur de M. [S] devra intervenir au plus tard le 30 septembre 2018 ; cette clause est claire ; si les parties avaient voulu proroger les effets de la promesse, elles l'auraient fait, tel n'est pas le cas ;
* la société Le Noyer ne pouvait donc exiger de M. [S] qu'il signe la vente ;
* au dispositif de son assignation la société Le Noyer sollicitait la résiliation du protocole d'accord portant promesse de cession d'actions, M.[S] considérait au contraire que les conditions de la cession n'étaient pas réalisées ; les parties se sont rapprochées et elles ont convenu que « la vente n'est pas parfaite » ;
* il avait refusé de produire ce protocole d'accord qui n'était pas susceptible d'être produit spontanément en application de son article 3 ;
Réponse de la cour
La Cour de cassation a statué comme suit :
« Vu l'article 1304-6, alinéa 3, du code civil,
Aux termes de ce texte, en cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé.
Pour condamner le mandant à payer des dommages-intérêts au mandataire, l'arrêt retient que ce dernier justifie de la levée de l'ensemble des conditions suspensives stipulées dans le protocole relatives aux éléments cédés et relève que le mandant ne s'est pas prévalu de l'absence de réalisation d'autres conditions suspensives.
En se déterminant ainsi, alors que, dans ses conclusions, le mandant faisait valoir que la réalisation des conditions suspensives devait intervenir au plus tard le 30 septembre 2018, et que le mandataire ne justifiait pas de la levée de l'ensemble des conditions suspensives mais seulement de la levée de deux nantissements en décembre 2018 et d'un état des inscriptions au 10 février 2020, la cour d'appel, qui s'est abstenue de préciser à quelles dates elle retenait la réalisation des conditions, n'a pas donné de base légale à sa décision. »
Contrairement à ce que soutient Monsieur [S] la Cour de cassation ne dit pas que la levée de toutes les conditions suspensives devait intervenir au 30 septembre 2018. Elle dit qu'il convient de préciser à quelles dates les conditions suspensives étaient réalisées.
Suivant protocole du 24 avril 2018 conclu avec la société Le Noyer, holding, détenant l'intégralité des parts de la société Luciani, Monsieur [S], s'est engagé à acquérir lesdites parts au plus tard le 1er janvier 2019, sous réserve de la réalisation des conditions suspensives notamment d'obtention d'un prêt bancaire et de mainlevée des nantissements grevant le fonds.
Ce protocole d'accord n'a pas été réitéré, nonobstant les mises en demeure et sommation délivrées au promettant pour qu'il se rende aux rendez-vous en vue de la signature de l'acte définitif le 15 janvier 2019.
Il est stipulé à l'article 3-1 du protocole d'accord portant promesse de cession d'actions de la société Luciani au profit de Monsieur [S] que la cession des actions interviendra après réalisation de l'intégralité des conditions suspensives visées à l'article 7 et en tout état de cause, en ce qui concerne la cession le 1er janvier 2019.
Ainsi, le protocole d'accord stipule en son article 7 que la cession des actions est soumise aux conditions suspensives suivantes :
« 1) Au profit du cessionnaire
Le cessionnaire subordonne son engagement d'acquérir les Actions à la réalisation des conditions suivantes :
(')
- Obtention par le cessionnaire, pour le financement d'une partie du prix de cession, d'un ou plusieurs prêts réunissant les caractéristiques suivantes : Prêt d'un montant de 1 000 000 euros sur 7 ans au taux de 2,5% maximum l'an sans assurance,
(...)
2. Au profit du Cédant et du Cessionnaire
Le cédant et le cessionnaire subordonnent leur engagement de céder et d'acquérir les actions à la réalisation des conditions suivantes :
Que les inscriptions suivantes soient levées :
- Nantissement du fonds de commerce n°82 pris en date du 22/03/2011 pour un montant de 345.000 euros au bénéfice du CREDIT LYONNAIS ;
- Nantissement du fonds de commerce n°189 pris en date du 12/10/2015 pour un montant de 19.440 euros au bénéfice de KRONENBOURG SAS ;
- Nantissement des actions de la société Luciani au bénéfice du CREDIT LYONNAIS en vertu d'une convention de nantissement en date du 9 avril 2016.
Les certificats de mainlevée devront être produits au moins un mois avant la date prévue de réitération. »
3. Au profit du Cédant (...) »
Dans la suite de l'énumération des conditions suspensives il est stipulé :
« La réalisation des conditions suspensives stipulées au profit du Cessionnaire devra intervenir au plus tard le 30 septembre 2018.
Nonobstant ce délai, la réalisation de chacune des conditions au fur et à mesure de sa survenance devra être portée immédiatement à la connaissance de la partie intéressée sauf si celle-ci ne pouvait manifestement l'ignorer.
A défaut de réalisation dans le délai de l'une quelconque des conditions, la convention sera caduque de plein droit et les parties seront déchargées de leurs engagements respectifs sans indemnité de part et d'autre.
Il est toute fois expressément convenu que chacune des Parties peut renoncer aux conditions suspensives stipulées en sa faveur, en tout ou partie et, dans ce cas, la ou les conditions suspensives auxquelles il serait renoncé serait considéré comme réalisées.
Toute renonciation sera constatée par écrit. »
Il résulte de ces termes que seule la réalisation des conditions suspensives stipulées en faveur du cessionnaire devait intervenir le 30 septembre 2018 ce qui est conforme aux termes de l'offre d'achat de parts sociales signée le 8 février 2018 par Monsieur [S] et le cédant où il est noté que :
La présente offre d'achat est soumise aux conditions suspensives suivantes :
«1) (...)
2) que le cessionnaire obtienne d'un organisme financier un prêt d'un montant d'un million d'euros amortissable sur 7 ans, au taux maximum de 2,5% l'an hors assurance. L'accord de ce prêt devra être obtenu au plus tard le 30 septembre 2018.
(')»
Les courriels, mise en demeure et sommation adressés ou délivrés par le vendeur au Cabinet [H] les 11 et 26 décembre 2018, 7 janvier 2019 pour qu'il se rende aux rendez-vous en vue de la signature de l'acte définitif le 15 janvier 2019 mentionnent que « les titulaires des divers nantissements (LCL et Kronenbourg) devant être levés ont donné leur accord et que les formalités de levée sont en cours » ou encore que « les conditions suspensives sont intégralement levées », et « qu' elles ont été intégralement réalisées avant le 31 décembre 2018 ».
Il est précisé dans l'acte de cession d'actions établi pour la signature du 15 janvier 2019 que les conditions suspensives ont été réalisées et plus précisément que les nantissements ont été levés d'une part du fait remboursement intégral du prêt qu'il garantissait, d'autre part, par l'acte sous seing privé de la société Kronenbourg le 12 décembre 2018 et par le courrier du LCL du 11 décembre 2018 en ce qui concerne le nantissement grevant les titres de la société. Cet acte vise au titre des annexes un état des privilèges.
Dès lors que la réalisation des conditions suspensives relatives à la levée des nantissements n'était pas soumise à la date butoir du 30 septembre 2018 comme soutenu à tort par Monsieur [S], elle devait l'être le 1er janvier 2019 date initiale prévue pour la signature qui n'a pas pu se faire en raison de la carence de Monsieur [S] ou encore le 15 janvier 2019 date à laquelle Monsieur [S] a été sommé par le vendeur d'avoir à comparaître pour réitérer l'acte et elle l'a été dès avant ces dates soit avant le 31 décembre 2018 comme mentionné dans ladite sommation.
Si aux termes du protocole transactionnel, non daté mais signé par Monsieur [S] et la société Le Noyer, les parties ont estimé que la vente n'est pas parfaite sans plus de précision, il résulte de ce qui précède que M. [S], candidat acquéreur, a manqué à ses obligations en refusant de réitérer la vente à laquelle il s'était engagé ce qui a fait perdre au Cabinet [H] des dommages-intérêts compensateurs de la commission prévue de sorte que l'appelant est bien fondé à réclamer une indemnisation.
La circonstance que la société Le Noyer n'ait pas choisi de poursuivre l'exécution forcée de la vente et ait choisi de réclamer à Monsieur [S] le paiement de la clause pénale prévue dans le protocole, puis de transiger dans des conditions qui sont ignorées, nonobstant ses mises en demeure de réitérer l'acte de vente, en rappelant à Monsieur [S] que les conditions suspensives étaient levées, n'empêche pas l'agent immobilier de persister à réclamer, sinon la commission prévue, à tout le moins des dommages et intérêts en raison du refus fautif de Monsieur [S] de conclure l'opération.
Sur les dommages et intérêts
Moyens des parties
Le Cabinet [H] soutient que :
* sa commission perdue était définitivement fixée à 84 000 euros ; il a effectué des diligences ; être privé sans motif d'une commission constitue évidemment un préjudice ;
* il est inconcevable que M. [S] ait accepté de signer un mandat de recherches et une décharge de mandat au profit du cabinet [H] si, comme il le prétend désormais, celui-ci n'avait effectué aucune opération d'entremise, étant rappelé que M.[S] est habitué à ce type d'opération ;
* en présentant sa demande à hauteur de 84.000 euros, le Cabinet [H] ne sollicite pas le paiement d'une quelconque TVA mais bien l'indemnisation de la totalité de la somme qu'il devait percevoir en exécution de son mandat ;
* le Cabinet [H] ne réclame pas le paiement de ses honoraires mais l'octroi de dommages et intérêts équivalents au quantum des honoraires perdus du fait de la faute commise par Monsieur [S].
Monsieur [S] réplique que :
* le Cabinet [H], qui n'a pas droit à sa commission d'entremise, doit justifier du quantum du préjudice qu'il subit ; qu'il n'a accompli aucune diligence et sollicite une commission de 84.000 euros , n'a supporté aucune dépense de publicité ; le juge a le pouvoir de réduire les sommes réclamées ;
* le cabinet [H] indique avoir mis en relation les parties, ce qui n'est pas exact car les deux parties se connaissaient avant, M. [S] exploitant déjà la brasserie voisine ;
* le Cabinet [H] n'a servi que pour conserver l'anonymat du premier contact et n'étant ni avocat, ni expert-comptable, ni notaire, il n'a pas dispensé de conseils juridiques, comptables ou financiers ;
* c'est une somme de 70.000 euros HT qui devait revenir au Cabinet [H] en contrepartie de l'exécution de ses obligations stipulées dans le mandat de recherche du 8 février 2018 si la promesse n'avait pas été caduque et si la vente avait été menée à son terme.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».
L'article 1231-2 du même code ajoute : « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ».
Contrairement à ce que soutient Monsieur [S], le Cabinet [H] justifie des diligences accomplies pour parvenir à la signature du protocole d'accord entre Monsieur [S] et la société Le Noyer par l'acte de décharge de mandat du 8 février 2018 aux termes duquel Monsieur [S] a reconnu que le cabinet [H] a « trouvé » un fonds qui « convenait parfaitement » et que l'agent immobilier avait « bien fidèlement rempli sa mission » et par le protocole lui-même qui confirme que « l'offre d'achat ayant concouru aux présentes a été négociée par l'intermédiaire exclusif du Cabinet [H] ».
Ainsi M. [S] ne saurait contester utilement la réalité de ces diligences ce qui résulte aussi de ses conclusions puisqu'il reconnaît que son offre d'achat a été présentée à la société Le Noyer par l'intermédiaire de la société Cabinet [H] afin de « conserver l'anonymat du premier contact ». Il a ainsi réalisé l'entremise entre les parties,
L'offre d'achat de parts sociales signée le 8 février 2018 par Monsieur [S] et le cédant et qui porte en entête le nom du cabinet [H] a été établi par le Cabinet [H]. Il est précisé que l'exemplaire est remis à la société Cabinet [H] à la demande des parties. Il est donc erroné de la part de l'intimé de soutenir que l'agent immobilier n'a dispensé aucun conseil ou encore n'a accompli aucune diligence.
Il est établi que le représentant du cabinet [H] était présent au rendez-vous du 31 décembre 2018 pour l'inventaire contradictoire du stock et du matériel et du mobilier, étant désigné par le vendeur - aux termes de la sommation à comparaître du 7 janvier 2019 - comme l'intermédiaire à la transaction.
Il s'est également présenté le 15 janvier 2019 au rendez-vous de signature fixé au cabinet du conseil de la société Le Noyer.
L'agence immobilière a par conséquent supporté des dépenses et des débours.
Toutefois, si le Cabinet [H] sollicite des dommages-intérêts à hauteur de 84 000 euros, cette somme correspond au montant des honoraires prévus par l'acte de décharge TTC. En effet, le protocole d'accord portant promesse de cession d'actions précise « Le cessionnaire déclare que le Cabinet [H] et associés est seul bénéficiaire du montant intégral des honoraires de négociations fixés à la somme forfaitaire de soixante-dix mille (70.000) euros HT soit quatre-vingt quatre mille (84.000) euros TTC ».
En considération des diligences accomplies ci-dessus énoncées, Monsieur [S] sera condamné à payer à la société Cabinet [H] la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les autres demandes
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Partie perdante, M. [S] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [S] sera condamné à payer à la société Cabinet [H] une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement,
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- rejeté la demande d'indemnisation formulée par la société Cabinet [H],
- condamné à payer à Monsieur [S] une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le Cabinet [H] aux entiers dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [Y] [S] à payer à la société Cabinet [H] une somme de
70 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
Condamne M. [Y] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [Y] [S] à payer à la société Cabinet [H] une somme de
5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00475
Tribunal judiciaire de Lisieux du 19 mars 2021 sur renvoi après cassation, arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 2024.
APPELANTE :
S.A.R.L. CABINET [H]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT - GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de ROUEN, et assistée par Me Amandine NAUD de la SELARL DERBY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
INTIME :
Monsieur [Y] [S]
né le 07 Mars 1971 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN et assisté par Me Jean-michel EUDE de la SCP DOUCERAIN - EUDE - SEBIRE, avocat au barreau d'EURE substitué par Me Urielle SEBIRE de la SCP PERSON - HEMERY - DOUCERAIN - EUDE - SEBIRE, avocat au barreau d'EURE, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 27 mai 2025, où madame Menard-Gogibu a été entendue en son rapport et l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 18 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Monsieur [Y] [S] a conclu le 8 février 2018 avec la société Cabinet [H] un mandat de recherche pour l'acquisition d'un fonds de commerce de bar-brasserie ou de parts d'une société propriétaire d'un tel fonds.
Il était convenu un honoraire forfaitaire de négociation par tranche,
Par acte du même jour, M. [S] a signé une décharge de mandat par laquelle il confirmait que le mandataire avait trouvé un fonds et par laquelle il s'engageait à verser au Cabinet [H] des honoraires de négociation d'un montant de 70 000 euros hors taxes à la signature définitive des actes.
Suivant protocole d'accord signé le 24 avril 2018 avec la société Le Noyer, holding détenant l'intégralité des parts de la société Luciani, M. [S] s'engageait à acquérir lesdites parts au plus tard le 1er janvier 2019, sous réserve d'un certain nombre de conditions suspensives dont celle tenant à l'obtention d'un prêt bancaire.
Le prix provisoire fixé à 2.000.000 euros devait être financé en partie par un prêt de 1 000.000 euros sur sept ans.
Ce protocole rappelle que la société Cabinet [H] est seule bénéficiaire du montant intégral des honoraires de négociations fixés à la somme forfaitaire de 70 000 euros hors taxes, soit 84 000 euros toutes taxes comprises.
M. [S] ne s'est pas présenté au rendez-vous de signature de l'acte définitif fixé au 15 janvier 2019.
Par lettre recommandée du 16 janvier 2019, la société Le Noyer Holding a mis en demeure M. [S] de s'acquitter du montant de la clause pénale de 200 000 euros stipulée dans le protocole d'accord du 24 avril 2018.
Par lettre recommandée du 28 février 2019, la société Cabinet [H] a mis en demeure M. [S] de lui régler la somme de 84 000 euros correspondant aux honoraires de négociation convenus entre les parties.
Par acte du 23 mai 2019, la société Cabinet [H] a assigné M. [S] devant le tribunal judiciaire de Lisieux en paiement de la commission et, subsidiairement, de dommages-intérêts.
Par jugement du 19 mars 2021, le tribunal judiciaire de Lisieux a :
- rejeté l'ensemble des demandes de la société Cabinet [H] ;
- rejeté la demande de nullité du mandat ;
- condamné la société Cabinet [H] à payer à M. [Y] [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
- condamné la société Cabinet [H] aux entiers dépens.
La société Cabinet [H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 avril 2021.
Par arrêt du 6 décembre 2022, la cour d'appel de Caen a :
- confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du mandat, de même qu'en ce qu'il a débouté la société Cabinet [H] de sa demande tendant au paiement d'une commission d'entremise d'un montant de 84 000 euros ;
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant :
- condamné M. [Y] [S] à payer à la société Cabinet [H] une somme de
84 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;
Monsieur [Y] [S] a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Par arrêt du 20 juin 2024, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, sauf en ce qu'il confirme le jugement rejetant la demande en nullité du mandat et déboutant la société Cabinet [H] de sa demande en paiement d'une commission d'entremise, l'arrêt rendu le 6 décembre 2022, entre les parties par la cour d'appel de Caen ;
- remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Rouen ;
- condamné la société Cabinet [H] aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.
La société Cabinet [H] a saisi la cour d'appel de Rouen par déclaration du 8 août 2024.
Par ordonnance du 27 mars 2025, le conseiller de la mise en état a enjoint Monsieur [S] de communiquer à la société Cabinet [H] l'assignation qui lui a été délivrée le 18 novembre 2019 à la demande de la société Le Noyer saisissant le tribunal de commerce de Lisieux et ayant donné lieu au jugement du 18 septembre 2020 ainsi que l'écrit constatant l'accord qui a été conclu avec la société Le Noyer ayant abouti au désistement d'instance et d'action de cette dernière devant le tribunal de commerce de Lisieux.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 6 mai 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société Cabinet [H] qui demande à la cour de :
- rappeler que le jugement a été définitivement confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en nullité du mandat de la société Cabinet [H] ;
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lisieux en ce qu'il a :
* rejeté la demande d'indemnisation formulée par la société Cabinet [H] ;
* condamné la société Cabinet [H] à payer à Monsieur [S] une somme de
2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné le Cabinet [H] aux entiers dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- condamner Monsieur [Y] [S] à verser à la société Cabinet [H] une somme de 84 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouter Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner Monsieur [Y] [S] à verser à la société Cabinet [H] une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [Y] [S] aux entiers dépens, y compris ceux exposés devant le tribunal judiciaire de Lisieux, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 6 mai 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de Monsieur [Y] [S] qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lisieux le 19 mars 2021 en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la société Cabinet [H] ;
- débouter la société Cabinet [H] de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Cabinet [H] à payer à Monsieur [Y] [S], une indemnité de 10 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles ;
- condamner la société Cabinet [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel exposés tant devant la cour d'appel de Caen que devant la cour d'appel de renvoi de céans avec recouvrement au profit de la société Gray Scolan, Avocats associés, pour ceux-là concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité de Monsieur [S]
Moyens des parties :
Le Cabinet [H] soutient que :
* M. [S] n'a jamais tenté de justifier son refus de réitérer la vente par la non-levée d'une condition suspensive ; il s'est contenté de ne plus donner aucune nouvelle et de ne pas répondre aux différentes relances ;
* le fait que la SAS Le Noyer ait fait le choix de solliciter la résiliation de la vente aux torts de M. [S] et non sa réalisation forcée est sans incidence sur le fait qu'elle considérait la vente parfaite ; le conseil de la société Le Noyer a écrit à Monsieur [S] en ce sens ;
* jusqu'en avril 2025, M. [S] indiquait de manière évasive que toutes les conditions suspensives n'auraient pas été levées sans préciser laquelle ; pour la première fois il affirme que c'est la non-levée des nantissements avant le 30 septembre 2018 qui justifierait son refus de réitérer la vente ;
* la condition suspensive tenant à la levée des nantissements devait être réalisée dans un délai d'un mois avant la date prévue pour la réitération ; le rendez-vous de signature de la vente ayant été fixé au 15 janvier 2019, le délai d'un mois avant la date de la réitération est respecté ;
* la levée des nantissements est définie dans la promesse comme une condition suspensive au profit du cédant et du cessionnaire et non comme une condition au profit du seul cessionnaire ;
* seule la condition suspensive liée à l'obtention d'un financement avait pour délai le 30 septembre 2018 et M. [S] avait indiqué, dans ce délai, renoncer à cette condition suspensive ; en toute hypothèse, le fait que M. [S] ait transmis son accord de prêt du 17 octobre 2018 confirme si besoin était qu'il avait renoncé à se prévaloir d'une éventuelle caducité au 30 septembre 2018 ;
* à titre surabondant, si l'une des conditions suspensives n'avait pas été levée, M. [S] n'aurait pas transigé avec la SAS Le Noyer ; il est désormais établi qu'il lui a versé, par l'intermédiaire d'une de ses sociétés, une indemnité de 100 000 euros ;
* M. [S] fait observer que le protocole indique que les parties estiment que la vente n'est pas parfaite ; tout comme l'absence de date sur le protocole, cette mention interroge ; il est fort probable que cette mention a pour seul but tenter de faire échec aux droits du Cabinet [H] ;
* la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ce qui était le cas en l'espèce ; M. [S] a été sommé d'assister au rendez-vous de signature et ne s'est pas présenté sans même prendre la peine de fournir la moindre explication ; dans le cadre de l'action qu'elle a engagée, la SAS Le Noyer justifie sa demande de résiliation par le « seul fait de l'inexécution des obligations de Monsieur [S]. » ;
* la faute de M. [S] consiste en son refus sans motif de signer l'acte de vente des parts sociales de la société Luciani.
Monsieur [S] réplique que :
* la société Cabinet [H] ne saurait obtenir aucune indemnité sans apporter la preuve de la faute qui aurait été commise par son mandant, M. [S] ;
* il n'est pas démontré que c'est lui qui a empêché la réitération de la vente, puisque, bien au contraire, la société Le Noyer, n'a pas demandé la réitération de la vente ;
* la seule question qui se pose devant la cour d'appel de renvoi telle que circonscrite par la Cour de cassation dans son arrêt du 20 juin 2024 est de savoir si les conditions étaient réalisées à la date du 30 septembre 2018 ; tel n'est pas le cas en l'espèce ; n'ayant pas obtenu les garanties nécessaires en temps utile, il a finalement renoncé à acquérir ce bien ;
* il n'est en rien responsable de la date à laquelle les nantissements ont été levés ; sa bonne foi ne saurait être mise à mal, puisqu'il a entrepris toutes les démarches pour obtenir le prêt ;
* il est stipulé que la réalisation des conditions suspensives stipulées en faveur de M. [S] devra intervenir au plus tard le 30 septembre 2018 ; cette clause est claire ; si les parties avaient voulu proroger les effets de la promesse, elles l'auraient fait, tel n'est pas le cas ;
* la société Le Noyer ne pouvait donc exiger de M. [S] qu'il signe la vente ;
* au dispositif de son assignation la société Le Noyer sollicitait la résiliation du protocole d'accord portant promesse de cession d'actions, M.[S] considérait au contraire que les conditions de la cession n'étaient pas réalisées ; les parties se sont rapprochées et elles ont convenu que « la vente n'est pas parfaite » ;
* il avait refusé de produire ce protocole d'accord qui n'était pas susceptible d'être produit spontanément en application de son article 3 ;
Réponse de la cour
La Cour de cassation a statué comme suit :
« Vu l'article 1304-6, alinéa 3, du code civil,
Aux termes de ce texte, en cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé.
Pour condamner le mandant à payer des dommages-intérêts au mandataire, l'arrêt retient que ce dernier justifie de la levée de l'ensemble des conditions suspensives stipulées dans le protocole relatives aux éléments cédés et relève que le mandant ne s'est pas prévalu de l'absence de réalisation d'autres conditions suspensives.
En se déterminant ainsi, alors que, dans ses conclusions, le mandant faisait valoir que la réalisation des conditions suspensives devait intervenir au plus tard le 30 septembre 2018, et que le mandataire ne justifiait pas de la levée de l'ensemble des conditions suspensives mais seulement de la levée de deux nantissements en décembre 2018 et d'un état des inscriptions au 10 février 2020, la cour d'appel, qui s'est abstenue de préciser à quelles dates elle retenait la réalisation des conditions, n'a pas donné de base légale à sa décision. »
Contrairement à ce que soutient Monsieur [S] la Cour de cassation ne dit pas que la levée de toutes les conditions suspensives devait intervenir au 30 septembre 2018. Elle dit qu'il convient de préciser à quelles dates les conditions suspensives étaient réalisées.
Suivant protocole du 24 avril 2018 conclu avec la société Le Noyer, holding, détenant l'intégralité des parts de la société Luciani, Monsieur [S], s'est engagé à acquérir lesdites parts au plus tard le 1er janvier 2019, sous réserve de la réalisation des conditions suspensives notamment d'obtention d'un prêt bancaire et de mainlevée des nantissements grevant le fonds.
Ce protocole d'accord n'a pas été réitéré, nonobstant les mises en demeure et sommation délivrées au promettant pour qu'il se rende aux rendez-vous en vue de la signature de l'acte définitif le 15 janvier 2019.
Il est stipulé à l'article 3-1 du protocole d'accord portant promesse de cession d'actions de la société Luciani au profit de Monsieur [S] que la cession des actions interviendra après réalisation de l'intégralité des conditions suspensives visées à l'article 7 et en tout état de cause, en ce qui concerne la cession le 1er janvier 2019.
Ainsi, le protocole d'accord stipule en son article 7 que la cession des actions est soumise aux conditions suspensives suivantes :
« 1) Au profit du cessionnaire
Le cessionnaire subordonne son engagement d'acquérir les Actions à la réalisation des conditions suivantes :
(')
- Obtention par le cessionnaire, pour le financement d'une partie du prix de cession, d'un ou plusieurs prêts réunissant les caractéristiques suivantes : Prêt d'un montant de 1 000 000 euros sur 7 ans au taux de 2,5% maximum l'an sans assurance,
(...)
2. Au profit du Cédant et du Cessionnaire
Le cédant et le cessionnaire subordonnent leur engagement de céder et d'acquérir les actions à la réalisation des conditions suivantes :
Que les inscriptions suivantes soient levées :
- Nantissement du fonds de commerce n°82 pris en date du 22/03/2011 pour un montant de 345.000 euros au bénéfice du CREDIT LYONNAIS ;
- Nantissement du fonds de commerce n°189 pris en date du 12/10/2015 pour un montant de 19.440 euros au bénéfice de KRONENBOURG SAS ;
- Nantissement des actions de la société Luciani au bénéfice du CREDIT LYONNAIS en vertu d'une convention de nantissement en date du 9 avril 2016.
Les certificats de mainlevée devront être produits au moins un mois avant la date prévue de réitération. »
3. Au profit du Cédant (...) »
Dans la suite de l'énumération des conditions suspensives il est stipulé :
« La réalisation des conditions suspensives stipulées au profit du Cessionnaire devra intervenir au plus tard le 30 septembre 2018.
Nonobstant ce délai, la réalisation de chacune des conditions au fur et à mesure de sa survenance devra être portée immédiatement à la connaissance de la partie intéressée sauf si celle-ci ne pouvait manifestement l'ignorer.
A défaut de réalisation dans le délai de l'une quelconque des conditions, la convention sera caduque de plein droit et les parties seront déchargées de leurs engagements respectifs sans indemnité de part et d'autre.
Il est toute fois expressément convenu que chacune des Parties peut renoncer aux conditions suspensives stipulées en sa faveur, en tout ou partie et, dans ce cas, la ou les conditions suspensives auxquelles il serait renoncé serait considéré comme réalisées.
Toute renonciation sera constatée par écrit. »
Il résulte de ces termes que seule la réalisation des conditions suspensives stipulées en faveur du cessionnaire devait intervenir le 30 septembre 2018 ce qui est conforme aux termes de l'offre d'achat de parts sociales signée le 8 février 2018 par Monsieur [S] et le cédant où il est noté que :
La présente offre d'achat est soumise aux conditions suspensives suivantes :
«1) (...)
2) que le cessionnaire obtienne d'un organisme financier un prêt d'un montant d'un million d'euros amortissable sur 7 ans, au taux maximum de 2,5% l'an hors assurance. L'accord de ce prêt devra être obtenu au plus tard le 30 septembre 2018.
(')»
Les courriels, mise en demeure et sommation adressés ou délivrés par le vendeur au Cabinet [H] les 11 et 26 décembre 2018, 7 janvier 2019 pour qu'il se rende aux rendez-vous en vue de la signature de l'acte définitif le 15 janvier 2019 mentionnent que « les titulaires des divers nantissements (LCL et Kronenbourg) devant être levés ont donné leur accord et que les formalités de levée sont en cours » ou encore que « les conditions suspensives sont intégralement levées », et « qu' elles ont été intégralement réalisées avant le 31 décembre 2018 ».
Il est précisé dans l'acte de cession d'actions établi pour la signature du 15 janvier 2019 que les conditions suspensives ont été réalisées et plus précisément que les nantissements ont été levés d'une part du fait remboursement intégral du prêt qu'il garantissait, d'autre part, par l'acte sous seing privé de la société Kronenbourg le 12 décembre 2018 et par le courrier du LCL du 11 décembre 2018 en ce qui concerne le nantissement grevant les titres de la société. Cet acte vise au titre des annexes un état des privilèges.
Dès lors que la réalisation des conditions suspensives relatives à la levée des nantissements n'était pas soumise à la date butoir du 30 septembre 2018 comme soutenu à tort par Monsieur [S], elle devait l'être le 1er janvier 2019 date initiale prévue pour la signature qui n'a pas pu se faire en raison de la carence de Monsieur [S] ou encore le 15 janvier 2019 date à laquelle Monsieur [S] a été sommé par le vendeur d'avoir à comparaître pour réitérer l'acte et elle l'a été dès avant ces dates soit avant le 31 décembre 2018 comme mentionné dans ladite sommation.
Si aux termes du protocole transactionnel, non daté mais signé par Monsieur [S] et la société Le Noyer, les parties ont estimé que la vente n'est pas parfaite sans plus de précision, il résulte de ce qui précède que M. [S], candidat acquéreur, a manqué à ses obligations en refusant de réitérer la vente à laquelle il s'était engagé ce qui a fait perdre au Cabinet [H] des dommages-intérêts compensateurs de la commission prévue de sorte que l'appelant est bien fondé à réclamer une indemnisation.
La circonstance que la société Le Noyer n'ait pas choisi de poursuivre l'exécution forcée de la vente et ait choisi de réclamer à Monsieur [S] le paiement de la clause pénale prévue dans le protocole, puis de transiger dans des conditions qui sont ignorées, nonobstant ses mises en demeure de réitérer l'acte de vente, en rappelant à Monsieur [S] que les conditions suspensives étaient levées, n'empêche pas l'agent immobilier de persister à réclamer, sinon la commission prévue, à tout le moins des dommages et intérêts en raison du refus fautif de Monsieur [S] de conclure l'opération.
Sur les dommages et intérêts
Moyens des parties
Le Cabinet [H] soutient que :
* sa commission perdue était définitivement fixée à 84 000 euros ; il a effectué des diligences ; être privé sans motif d'une commission constitue évidemment un préjudice ;
* il est inconcevable que M. [S] ait accepté de signer un mandat de recherches et une décharge de mandat au profit du cabinet [H] si, comme il le prétend désormais, celui-ci n'avait effectué aucune opération d'entremise, étant rappelé que M.[S] est habitué à ce type d'opération ;
* en présentant sa demande à hauteur de 84.000 euros, le Cabinet [H] ne sollicite pas le paiement d'une quelconque TVA mais bien l'indemnisation de la totalité de la somme qu'il devait percevoir en exécution de son mandat ;
* le Cabinet [H] ne réclame pas le paiement de ses honoraires mais l'octroi de dommages et intérêts équivalents au quantum des honoraires perdus du fait de la faute commise par Monsieur [S].
Monsieur [S] réplique que :
* le Cabinet [H], qui n'a pas droit à sa commission d'entremise, doit justifier du quantum du préjudice qu'il subit ; qu'il n'a accompli aucune diligence et sollicite une commission de 84.000 euros , n'a supporté aucune dépense de publicité ; le juge a le pouvoir de réduire les sommes réclamées ;
* le cabinet [H] indique avoir mis en relation les parties, ce qui n'est pas exact car les deux parties se connaissaient avant, M. [S] exploitant déjà la brasserie voisine ;
* le Cabinet [H] n'a servi que pour conserver l'anonymat du premier contact et n'étant ni avocat, ni expert-comptable, ni notaire, il n'a pas dispensé de conseils juridiques, comptables ou financiers ;
* c'est une somme de 70.000 euros HT qui devait revenir au Cabinet [H] en contrepartie de l'exécution de ses obligations stipulées dans le mandat de recherche du 8 février 2018 si la promesse n'avait pas été caduque et si la vente avait été menée à son terme.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».
L'article 1231-2 du même code ajoute : « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ».
Contrairement à ce que soutient Monsieur [S], le Cabinet [H] justifie des diligences accomplies pour parvenir à la signature du protocole d'accord entre Monsieur [S] et la société Le Noyer par l'acte de décharge de mandat du 8 février 2018 aux termes duquel Monsieur [S] a reconnu que le cabinet [H] a « trouvé » un fonds qui « convenait parfaitement » et que l'agent immobilier avait « bien fidèlement rempli sa mission » et par le protocole lui-même qui confirme que « l'offre d'achat ayant concouru aux présentes a été négociée par l'intermédiaire exclusif du Cabinet [H] ».
Ainsi M. [S] ne saurait contester utilement la réalité de ces diligences ce qui résulte aussi de ses conclusions puisqu'il reconnaît que son offre d'achat a été présentée à la société Le Noyer par l'intermédiaire de la société Cabinet [H] afin de « conserver l'anonymat du premier contact ». Il a ainsi réalisé l'entremise entre les parties,
L'offre d'achat de parts sociales signée le 8 février 2018 par Monsieur [S] et le cédant et qui porte en entête le nom du cabinet [H] a été établi par le Cabinet [H]. Il est précisé que l'exemplaire est remis à la société Cabinet [H] à la demande des parties. Il est donc erroné de la part de l'intimé de soutenir que l'agent immobilier n'a dispensé aucun conseil ou encore n'a accompli aucune diligence.
Il est établi que le représentant du cabinet [H] était présent au rendez-vous du 31 décembre 2018 pour l'inventaire contradictoire du stock et du matériel et du mobilier, étant désigné par le vendeur - aux termes de la sommation à comparaître du 7 janvier 2019 - comme l'intermédiaire à la transaction.
Il s'est également présenté le 15 janvier 2019 au rendez-vous de signature fixé au cabinet du conseil de la société Le Noyer.
L'agence immobilière a par conséquent supporté des dépenses et des débours.
Toutefois, si le Cabinet [H] sollicite des dommages-intérêts à hauteur de 84 000 euros, cette somme correspond au montant des honoraires prévus par l'acte de décharge TTC. En effet, le protocole d'accord portant promesse de cession d'actions précise « Le cessionnaire déclare que le Cabinet [H] et associés est seul bénéficiaire du montant intégral des honoraires de négociations fixés à la somme forfaitaire de soixante-dix mille (70.000) euros HT soit quatre-vingt quatre mille (84.000) euros TTC ».
En considération des diligences accomplies ci-dessus énoncées, Monsieur [S] sera condamné à payer à la société Cabinet [H] la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les autres demandes
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Partie perdante, M. [S] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [S] sera condamné à payer à la société Cabinet [H] une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement,
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- rejeté la demande d'indemnisation formulée par la société Cabinet [H],
- condamné à payer à Monsieur [S] une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le Cabinet [H] aux entiers dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [Y] [S] à payer à la société Cabinet [H] une somme de
70 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
Condamne M. [Y] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [Y] [S] à payer à la société Cabinet [H] une somme de
5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,