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Décisions

CA Colmar, ch. 2 a, 18 septembre 2025, n° 24/02682

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 24/02682

18 septembre 2025

MINUTE N° 424/2025

Copie exécutoire

aux avocats

Le 18 septembre 2025

La greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 24/02682 - N° Portalis DBVW-V-B7I-ILAH

Décision déférée à la cour : 19 Mai 2020 par le tribunal judiciaire à compétence commerciale de SAVERNE

APPELANTE :

La S.À.R.L. AMBULANCES ET VSL DU PIEMONT

ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.

INTIMÉE :

La S.A.R.L. TAXI DU PIEMONT

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Julie HOHMATTER, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Avril 2025, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Nathalie HERY, conseillère

Madame Sophie GINDENSPERGER, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Emeline THIEBAUX, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Selon acte sous seing privé du 30 juin 2017, la société Ambulances et VSL du Piémont a cédé à la société Taxis du Piémont un fonds de commerce de taxi qu'elle exploitait à [Localité 3]. L'acte comportait une clause de non-rétablissement aux termes de laquelle le cédant s'interdisait de créer, acquérir, exploiter, prendre à bail un fonds similaire à celui cédé..., et de s'intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée à une activité concurrente ou similaire en tout ou partie à celle exercée par lui dans le fonds cédé, dans un rayon de 15 km de la ville d'[Localité 3] et ce pendant 5 ans.

Se plaignant d'une violation de cette clause par la société Ambulances et VSL du Piémont, la société Taxis du Piémont a, par assignation du 22 janvier 2018, saisi le tribunal d'instance de Molsheim aux fins de réparation de son préjudice.

Par jugement du 29 juin 2018, le tribunal d'instance a renvoyé l'affaire devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Saverne.

Par jugement du 19 mai 2020, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Saverne, a notamment, condamné la société Ambulances et VSL du Piémont à délivrer sans délai à la société Taxis du Piémont les numéros des prestataires d'assistance utilisés par les compagnies d'assistance, à lui payer la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et l'a condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a tout d'abord considéré que la branche d'activité taxi qui avait été cédée à la société Taxis du Piémont incluait nécessairement le transport de personnes tant à titre privé que professionnel, comprenant s'il y a lieu le transport LOTI réservé à titre dérogatoire au titulaire de la licence professionnelle de taxi. Il a ensuite retenu que la société Ambulances et VSL du Piémont, qui était tenue par une clause de non-concurrence d'une durée de 5 ans dans un rayon de 15 km de la ville d'[Localité 3], ne pouvait exercer une activité de transport LOTI dans ce périmètre, et qu'il était démontré qu'elle le faisait, ce qui constituait une violation de ladite clause. Le tribunal a enfin estimé que la perte nette résultant de cette absence de partenariat pouvait raisonnablement être évaluée à 1 000 euros par mois, soit 25 000 euros entre juillet 2017, date de prise d'effet de la cession, et août 2019, date de la demande.

Par arrêt du 22 juin 2022, la cour d'appel de Colmar, première chambre civile, après avoir procédé à des rectifications d'erreurs matérielles s'agissant notamment du montant de l'indemnité de procédure allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a infirmé le jugement en ce qu'il a condamné la société Ambulances et VSL du Piémont à délivrer sans délai à la société Taxis du Piémont les numéros des prestataires d'assistance utilisés par les compagnies d'assistance et sur le montant de la clause pénale, et l'a confirmé sur la condamnation au paiement de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement ainsi que sur ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens. Statuant à nouveau, la cour a rejeté la demande de délivrance sans délai à la société Taxis du Piémont des numéros des prestataires d'assistance utilisés par les compagnies

d'assistance. La cour a en outre condamné la société Ambulances et VSL du Piémont aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Taxis du Piémont la somme de 1 250 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 3 juillet 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé ledit arrêt mais seulement en ce qu'il condamne la société Ambulances et VSL du Piémont à payer à la société Taxis du Piémont la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, et a renvoyé l'affaire et les parties sur ces points devant la cour d'appel de Colmar autrement composée.

La chambre commerciale a considéré, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, que l'arrêt ayant retenu, par motifs expressément adoptés, que la société Taxi du Piémont avait été privée de la clientèle régulière apportée par des partenariats avec des compagnies d'assistance ressortant comme tels de l'activité de taxi qui lui avait été cédée et que la société Ambulances et VSL du Piémont avait facturé à la société d'assistance des prestations à hauteur de 12 774 euros pour la période de janvier à juin 2017, de sorte que l'on pouvait évaluer la perte nette résultant de cette absence de partenariat pour la société Taxi du Piémont à 1 000 euros par mois, soit 25 000 euros entre juillet 2017, date de prise d'effet de la cession, et août 2019, date de la demande, la cour d'appel, en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les contrats d'assistance ne faisaient pas partie du périmètre de cession du fonds de commerce, s'était contredite et n'avait pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

La société Ambulances et VSL du Piémont a saisi la cour de renvoi par déclaration de saisine transmise par voie électronique le 16 juillet 2024.

Par ordonnance du 10 septembre 2024, la présidente de la chambre a fixé d'office l'affaire à bref délai en application des articles 1037-1 et 905 modifié du code de procédure civile. L'avis de fixation a été envoyé par le greffe le même jour.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 décembre 2024, la société Ambulances et VSL du Piémont demande à la cour d'infirmer le jugement du 19 mai 2020 en ce qu'il a condamné la société Ambulances et VSL du Piémont à payer à la société Taxis du Piémont la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause non-rétablissement et une indemnité de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens, et statuant à nouveau de :

- débouter la société Taxis du Piémont de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la société Taxis du Piémont aux entiers dépens de la procédure de 1ère instance, subsidiairement de dire et juger que chacune des parties supportera ses propres dépens ;

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- déclarer l'appel incident mal fondé et le rejeter ;

- débouter la société Taxis du Piémont de l'ensemble de ses moyens et chefs de demande ;

en tout état de cause :

- condamner la société Taxis du Piémont aux entiers dépens des deux procédures d'appel et au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que conformément à l'article 625 du code de procédure civile, la cassation partielle ne vise que les points qu'elle atteint, et que dans la mesure où elle ne vise pas la décision de la cour d'appel en ce qu'elle a exclu du périmètre de la cession les contrats d'assistance Axa et Intermutuelle et écarté le manquement du cédant à l'obligation de délivrance, ces points ne peuvent être soumis à la cour de renvoi qui n'est saisie que de la question de l'indemnisation, ainsi que des frais et dépens.

Elle approuve le raisonnement de la cour sur ces points s'agissant de la détermination du périmètre de la cession qui n'inclut pas les conventions d'assistance et de l'absence de manquement du cédant à l'obligation de délivrance et relève que :

- elle a cédé son activité de taxi,

- le contrat de partenariat conclu avec Axa est par nature incessible,

- le contrat conclu avec Intermutuelle se rapporte de façon générale à des prestations de transport et ne mentionne pas celles de taxis,

- l'intimée confond 'activité cédée' et 'contrats servant à l'exploitation du fonds', lequel ne comprenait pas qu'une activité de taxi, l'activité de VSL (véhicule sanitaire léger) sous régime LOTI (loi d'orientation du transport intérieur) régie par les articles L.3112-1 et suivants du code des transports pour l'exercice de laquelle une carte professionnelle de taxi n'est pas obligatoire, et l'activité de taxi régie par les articles L3121-1 et suivants du même code, étant distinctes,

- le prix de cession a été déterminé en fonction de différents éléments se rapportant tous à l'activité de taxi,

- le chiffre d'affaires inhérent à la seule activité de taxi ne pouvait être isolé, et il doit être pondéré par les charges d'exploitation, or le résultat d'exploitation était déficitaire.

Elle considère qu'en l'absence de manquement du cédant à son obligation de délivrance, la demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée. Subsidiairement, le préjudice allégué n'est nullement étayé, et ne pourrait correspondre qu'à une perte de marge brute et non de chiffre d'affaires.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 10 octobre 2024, la société Taxis du Piémont conclut au rejet de l'appel principal et à la confirmation du jugement du tribunal judiciaire de Saverne du 19 mai 2020. Elle forme appel incident pour demander l'infirmation du jugement en ce qui concerne le montant de

25 000 euros alloué à titre de dommages et intérêts et sollicite que la cour, statuant à nouveau, condamne la société Ambulances et VSL du Piémont au paiement de la somme de 37 500 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la perte de chiffre d'affaires entre juillet 2017 et août 2019, subsidiairement, confirme le jugement en toutes ses dispositions.

Elle sollicite, en tout état de cause, la condamnation de la société Ambulances et VSL du Piémont aux entiers frais et dépens et au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'appui de ses prétentions, la société Taxis du Piémont fait valoir que la cassation porte sur les deux motifs que la Cour de cassation a jugé contradictoires, ce qui implique un défaut de motif, de sorte qu'il n'a pas été définitivement jugé que les contrats d'assistance n'ont pas été transférés avec le fonds de commerce.

Elle relève que :

- le tribunal judiciaire de Saverne avait considéré que les contrats d'assistance faisaient bien partie du périmètre de la vente, et avait en conséquence, condamné la société Ambulances et VSL du Piémont à délivrer les numéros de prestataires d'assurance ;

- l'acte de cession stipule que la totalité du fonds de commerce englobant la branche taxi et les contrats nécessaires à cette exploitation ont été transférés à la société Taxis du Piémont ;

- le chiffre d'affaires communiqué englobe les deux activités ;

- les contrats conclus sous le statut LOTI s'avèrent être une activité concurrente à celle de taxi, or le cédant s'interdit d'exercer directement ou indirectement toute activité similaire ;

- l'activité de transport LOTI implique nécessairement celle de chauffeur de taxi ;

- la société Ambulances et VSL du Piémont a manqué à son obligation de délivrance en refusant le transfert de l'intégralité des numéros de téléphone et des contrats d'assistance, alors même qu'ils font nécessairement partie de la cession, ces contrats faisant référence à l'activité de taxi du cédant.

Au soutien de son appel incident, la société Taxis du Piémont fait valoir que le défaut de transfert des contrats d'assistance la prive d'une fraction mensuelle de chiffre d'affaires qu'elle est en mesure de fixer à 1 500 euros par mois, et non pas 1 000 euros comme retenu par le tribunal, de sorte que son préjudice peut être évalué à 37 500 euros sur une période de 25 mois.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

L'article 625, alinéa 1er du code de procédure civile dispose que sur les points qu'elle atteint la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé.

En l'espèce, la cassation porte sur les points suivants qui sont seuls soumis à la présente cour statuant sur renvoi :

- la condamnation de la société Ambulances et VSL du Piémont à payer à la société Taxis du Piémont la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement ;

- les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le premier point, il appartient à la cour d'apprécier le principe de la créance indemnitaire et son montant.

Ainsi que cela a été relevé plus haut, la société Taxis du Piémont invoque, au soutien de sa demande de dommages et intérêts, un manquement de la société Ambulances et VSL du Piémont à son obligation de délivrance ayant consisté à refuser le transfert de l'intégralité des numéros de téléphone et des contrats d'assistance, alors même qu'ils feraient nécessairement partie de la cession, ce qui la prive de la fraction mensuelle de chiffre d'affaires correspondant à ces contrats.

Or, la cour ne peut que constater que n'ont pas été cassées les dispositions de l'arrêt du 22 juin 2022 par lesquelles la cour a infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné la société Ambulances et VSL du Piémont à délivrer sans délai à la société Taxis du Piémont les numéros des prestataires d'assistance utilisés par les compagnies d'assistance, et statuant à nouveau, rejeté cette demande, motifs pris de ce que l'acte de cession ne prévoyait pas le transfert de ces contrats, de sorte que la société Ambulances et VSL du Piémont n'avait pas manqué à son obligation de délivrance.

Par voie de conséquence, dès lors qu'il a été définitivement jugé que les contrats d'assistance n'entraient pas dans le périmètre de la cession, la société Taxis du Piémont ne peut dès lors prétendre avoir subi un préjudice du fait de la privation de la fraction de chiffre d'affaires correspondant à ces contrats, et sa demande de dommages et intérêts, qui est exclusivement fondée sur ce prétendu manquement, ne peut qu'être rejetée.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en tant qu'il condamne la société Ambulances et VSL du Piémont au paiement de la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement, ainsi qu'en ce qu'il la condamne aux entiers dépens et au paiement d'une somme de 1 500 euros, après rectification, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En considération de la solution du litige, la société Taxis du Piémont succombant en l'essentiel de ses prétentions, elle supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel, incluant ceux de l'arrêt cassé en application de l'article 639 du code de procédure civile, et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera en revanche alloué à la société Ambulances et VSL du Piémont une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile, dans la limite de sa saisine,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, première chambre civile du 22 juin 2022 ;

Vu l'arrêt de cassation partielle de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 juillet 2024 ;

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Saverne du 19 mai 2020 en ce qu'il a condamné la SARL Ambulances et VSL du Piémont à payer à la SARL Taxis du Piémont la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant au jugement,

REJETTE la demande de la SARL Taxis du Piémont en paiement de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-rétablissement ;

REJETTE la demande de la SARL Taxis du Piémont sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Taxis du Piémont aux entiers dépens de première instance et d'appel incluant ceux de l'arrêt cassé ;

CONDAMNE la SARL Taxis du Piémont à payer à la SARL Ambulances et VSL du Piémont la somme de 5 000 € (cinq mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente de chambre

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