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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 30 septembre 2025, n° 24/03479

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 24/03479

30 septembre 2025

1re chambre

ARRÊT N°

N° RG 24/03479

N° Portalis DBVL-V-B7I-U3YJ

(Réf 1re instance : 23/00542)

SASU GROUPE COMPTOIR

c/

SASU SOCIETE NOUVELLE D'EXPLOITATION [Localité 7] VAISSELLE (SNESV)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère

GREFFIER

Madame Elise BEZIER, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS

A l'audience publique du 17 décembre 2024

ARRÊT

Contradictoire, prononcé publiquement le 30 septembre 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 11 mars 2025

****

APPELANTE

SASU GROUPE COMPTOIR Société par actions simplifiée à associé unique au capital de 100.000 € immatriculée sous le numéro 394 908 297 du registre du commerce et des sociétés de RENNES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE

SASU SOCIETE NOUVELLE D'EXPLOITATION [Localité 7] VAISSELLE (SNESV), immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 919.045.260, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, postulant, avocat au barreau de RENNES et par Me Stéphane BOURDAIS, plaidant, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE

1. Par jugement du 27 mai 2022, le tribunal de commerce de Macon a ordonné la liquidation judiciaire de la SAS Sarreguemines International spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits d'arts de la table, notamment d'articles de vaisselle en porcelaine.

2. Cette société avait elle-même été créée en 2019 à la suite de la liquidation judiciaire de la société historique "[Localité 7] Vaisselle", elle-même inscrite dans l'histoire de la production de porcelaine à [Localité 7] depuis 1784.

3. En exécution d'une ordonnance du juge commissaire du 22 juillet 2022, le fonds de commerce et les droits attachés de la SAS [Localité 7] International ont été vendus à la société nouvelle d'Exploitation [Localité 7] Vaisselle (SNESV).

4. Le 20 octobre 2022, les actifs incorporels dépendant du fonds de commerce de fabrication et de production de porcelaine, faïence et céramique ont également été cédés à la SNESV.

5. Jusqu'en 2022, la société Groupe Comptoir, distributeur spécialisé dans la vente de matériels pour la restauration et les collectivités, se fournissait auprès de la SAS [Localité 7] International.

6. Par courrier du 30 mars 2023, la SNESV a mis en demeure le Groupe Comptoir de justifier de la licéité de ses approvisionnements et stocks de vaisselle commercialisés sous des formes, reliefs, noms et/ou marques créés par la SAS [Localité 7] International et de cesser tout usage illégitime.

7. Par courrier du 4 mai 2023, le Groupe Comptoir a contesté cette demande en soutenant que :

- les droits de la SNESV sur les articles de vaisselle n'étaient pas établis, ni l'originalité requise par la jurisprudence en matière de droits d'auteur en présence d'un simple savoir-faire technique sans apport créatif,

- la SNESV ne pouvait pas se prévaloir de droits privatifs sur des termes génériques tels que EUROPA ou CAFETERIA par exemple,

- le Groupe Comptoir était un client historique de la société [Localité 7] International et il a été d'usage durant toute la durée de leur relation commerciale qu'il utilise avec l'accord de celle-ci ses références de gammes et son nom à titre de référence commerciale, notamment à titre de publicité gratuite.

8. Par ordonnance sur requête du 9 juin 2023, la présidente du tribunal judiciaire de Rennes a autorisé la SNESV à faire rechercher et constater dans les locaux du Groupe Comptoir la réalité des approvisionnements, leur source et leur volumétrie depuis le 27 mai 2022 et de produire à cette fin tous documents et supports utiles. La demande de mise sous séquestre a été rejetée.

9. La mesure a été exécutée les 15 juin et 10 juillet 2023 par la SCP Graive et Brizard, commissaires de justice associés à Rennes, aucun procès-verbal en ce sens n'ayant toutefois été transmis aux parties.

10. Par acte de commissaire de justice délivré le 12 juillet 2023, le Groupe Comptoir, préalablement autorisé à convoquer d'heure à heure, a fait assigner la SNESV en modification de l'ordonnance sur requête pour obtenir la mise sous séquestre des éléments appréhendés ou copiés.

11. Par ordonnance du 30 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Rennes s'est déclaré compétent pour connaître de la demande de séquestre du Groupe Comptoir.

12. Parallèlement, par acte de commissaire de justice du 31 août 2023, le Groupe Comptoir à fait assigner la SNESV aux fins d'incompétence matérielle au profit du président du tribunal de commerce de Rennes, de rétractation de l'ordonnance sur requête et de restitution des pièces et documents saisis.

13. La jonction des affaires a été ordonnée à l'audience du 29 novembre 2023.

14. Par ordonnance du 31 mai 2024, le juge des référés a :

- rappelé que les deux instances pendantes devant la juridiction sous les numéros de RG 23/542 et RG 23/680 ont fait l'objet d'une jonction et que l'instance se poursuivait sous le numéro de RG 23/542,

- déclaré le tribunal judiciaire de Rennes compétent pour en connaitre,

- débouté le Groupe Comptoir de ses demandes de :

* rétractation de l'ordonnance du 9 juin 2023,

* désignation d'un expert judiciaire,

* mise sous séquestre,

- débouté la SNESV de sa demande de modification de la requête,

- condamné le Groupe Comptoir à payer à la SNESV la somme de 1.500 € au titre de ses frais irrépétibles,

- condamné le même aux dépens de l'instance,

- débouté la SNESV de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- rejeté les autres demandes.

15. Le juge des référés a considéré :

- que la SNESV justifiait par la production de l'acte de cession de ses droits de propriété intellectuelle sur les vaisselles litigieuses,

- qu'elle justifiait tout autant d'une suspicion de commercialisation par le Groupe Comptoir de vaisselles contrefaites (importation de Chine, désignations et dimensions identiques, fourniture en masse alors que la SAS [Localité 7] International avait cessé toute production),

- que l'éventualité d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale était évoquée par la requérante et qu'il convenait donc de retenir la compétence matérielle de la juridiction judiciaire de [Localité 6] pour connaître du litige sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile,

- que le commissaire de justice a déclaré avoir orienté ses opérations "comme un constat sur ordonnance conforme à sa mission et non pas comme une saisie-contrefaçon" et n'avoir "réalisé aucune description détaillée", et que l'ordonnance du 9 juin 2023 ouvrait la voie à une simple description et non à une description détaillée, ce qui ne caractérisait pas une saisie-contrefaçon déguisée,

- qu'aucun élément n'était versé aux débats par le Groupe Comptoir démontrant que l'auxiliaire de justice se serait livré à des opérations relevant de pouvoirs exorbitants propres à la saisie-contrefaçon,

- que la SNESV justifiait d'un motif légitime pour bénéficier d'une mesure d'expertise in futurum puisque le procès en contrefaçon au fond n'était pas manifestement voué à l'échec,

- qu'il existait un motif légitime de procéder par voie de requête et, partant, de déroger au principe du contradictoire dès lors qu'il s'agissait d'éviter le risque de dissimulation des éléments démontrant la réalité et l'ampleur des faits dénoncés, outre que la mesure ordonnée était proportionnée au but poursuivi et ne portait pas atteinte au secret des affaires comme étant limitée dans le temps et dans son objet (10 références [Localité 7]),

- qu'enfin, faute pour les parties de produire le procès-verbal de saisie du commissaire de justice ayant exécuté la mesure le 15 juin 2023, la juridiction n'était pas en mesure de se prononcer sur l'opportunité de procéder à la désignation d'un expert judiciaire ni de prononcer la mise sous séquestre.

16. Par déclaration du 11 juin 2024, le Groupe Comptoir a interjeté appel de l'ordonnance en ce qu'elle :

- l'a débouté de ses demandes de rétractation de l'ordonnance, de désignation d'un expert judiciaire, et de mise sous séquestre,

- l'a condamné à payer à la SNESV la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux dépens de l'instance,

- a rejeté les autres demandes des parties.

17. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 novembre 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

18. Le Groupe Comptoir expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 21 octobre 2024 aux termes desquelles il demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle :

- reconnait la compétence du tribunal judiciaire de Rennes,

- refuse de rétracter l'ordonnance du 9 juin 2023,

- rejette la demande d'expertise judiciaire et la mise sous séquestre,

- la condamne à verser à la SNESV la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et statuant à nouveau,

- déclarer incompétente ratione materiae le président du tribunal judiciaire de Rennes pour statuer sur la requête présentée par la SNESV,

- en conséquence,

- à titre principal,

- rétracter l'ordonnance sur requête du 9 juin 2023,

- en conséquence,

- ordonner la restitution des documents et pièces saisies dans ses locaux,

- à titre subsidiaire,

- désigner tel expert ayant pour mission dans le cadre du respect des droits de chaque partie et en présence de leurs conseils mais en dehors de la présence des parties de rechercher parmi les documents saisis :

* ceux qui sont nécessaires et utiles à la preuve d'une prétendue contrefaçon et d'actes de concurrence déloyale,

* ceux qui ne le sont pas,

* d'écarter les documents qui relèvent du secret des affaires et qui ne sont pas utiles à prouver les prétendus actes de contrefaçon et de concurrence déloyale,

* à tout le moins, masquer les informations confidentielles non utiles à la preuve et ce, avant toute remise de documents à la SNESV, notamment les faits antérieurs à la mise en demeure qui lui a été adressée le 30 mars 2023,

* seuls seront remis à cette dernière et uniquement à son conseil les documents à l'issue des opérations de tri qui seront actées comme nécessaires à la preuve de la prétendue concurrence déloyale et au besoin masquées pour certaines mentions,

* les documents non nécessaires à l'établissement de la preuve de prétendues contrefaçons et de concurrence déloyale lui seront restitués,

- en tout état de cause,

- modifier l'ordonnance sur requête du 9 juin 2023,

- ordonner que tous les éléments appréhendés ou copiés de quelque nature qu'ils soient au cours des opérations soient mis sous séquestre chez le commissaire de justice instrumentaire à la suite de la mesure d'instruction fondée sur l'ordonnance en date du 9 juin 2023,

- ordonner que cette mise sous scellés soit maintenue jusqu'à l'obtention d'une décision définitive au fond ou ordonnant l'expertise sollicitée,

- ordonner que toutes précautions soient prises afin qu'aucun élément ne soit remis à la SNESV dans cette attente,

- condamner la SNESV à payer au Groupe Comptoir la somme de 18.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SNESV aux entiers dépens.

19. La SNESV expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 4 novembre 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- recevoir l'intégralité de ses moyens et prétentions,

- débouter le Groupe Comptoir de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle :

- a déclaré le tribunal judiciaire de Rennes compétent,

- a débouté le Groupe Comptoir de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 9 juin 2023,

- l'a débouté de ses demandes d'expertise judiciaire et de séquestre,

- l'a condamné à lui verser la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux dépens de l'instance,

- l'a déboutée de sa demande aux titres des frais irrépétibles,

- en tout état de cause,

- condamner le Groupe Comptoir à une somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- condamner le même aux dépens.

20. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIVATION DE LA COUR

1) Sur la compétence matérielle

21. Le Groupe Comptoir soutient que la requête initiale du 7 juin 2023 ayant donné lieu à l'ordonnance critiquée du 9 juin 2023 n'a visé que des actes de concurrence déloyale et que la SNESV devait dès lors saisir le tribunal de commerce

22. La SNESV réplique que sa requête du 7 juin 2023 a visé à la fois des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale de sorte que la compétence du président du tribunal judiciaire n'est pas contestable.

Réponse de la cour

23. Il découle des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile qu'en matière de mesures d'instruction in futurum, le juge compétent est le président de la juridiction qui a compétence pour connaître du fond du litige.

24. Dès lors que le litige en germe en vue duquel la mesure est sollicitée implique la compétence exclusive d'une juridiction, seul le président de cette dernière est compétent pour ordonner une mesure d'instruction avant tout procès, comme tel est notamment le cas en application de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle des actions civiles et demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, lesquelles doivent être exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire.

25. Il découle de ce texte que la juridiction consulaire est incompétente pour connaître d'une action en concurrence déloyale dès lors qu'une telle action l'amène à se prononcer sur une question relevant d'un droit de propriété intellectuelle.

26. A l'inverse, le juge des requêtes du tribunal de commerce est compétent pour ordonner une mesure d'instruction in futurum en vue de prouver des agissements correspondant à de la concurrence déloyale, à l'exclusion de tout acte de contrefaçon (CA Paris, 1-2, 28 mai 2020, n° 19/18392).

27. En l'espèce, il résulte des termes de la requête de la SNESV du 7 juin 2023 saisissant la présidente du tribunal judiciaire de Rennes qu'elle y dénonce une offre massive par le Groupe Comptoir d'articles prétendument d'origine "Sarreguemines" dans les catalogues de celui-ci et sur son site Internet, offre qui est corroborée par une livraison d'un de ses contacts de "copies serviles de produits Sarreguemines".

28. La SNESV y précise notamment que :

- "ces copies serviles ont été confectionnées par ou pour compte de la société GROUPE COMPTOIR au moyen d'un circuit de fabrication et d'importation parallèle, sous une désignation strictement identique pour mieux tromper la clientèle qui est attachée aux produits "[Localité 7] en raison notamment de leur qualité et de leur caractère empilable avec leurs stocks vaisselles "[Localité 7]" existants achetés préalablement",

- le Groupe Comptoir a cru, à tort, pouvoir profiter de la liquidation de la SAS [Localité 7] International pour "imiter et détourner ses actifs et produits", "profiter de sa réputation et de celle de ses produits" et "Cela sans réaliser le moindre investissement et alors même que ces actifs et les droits incorporels correspondants ont été rachetés par la société SOCIETE NOUVELLE EXPLOITATION [Localité 7] VAISSELLE."

29. Si certes la SNEVS n'utilise à aucun moment dans sa requête le terme de "contrefaçon", la sémantique ci-dessus extraite de ladite requête caractérise une action visant à faire cesser notamment des actes de contrefaçon.

30. Du reste, confrontée à la question de la compétence matérielle de la juridiction saisie sur requête, la SNESV revendique désormais dans les termes qui suivent la recherche d'actes susceptibles d'être qualifiés comme contrefaisants :

- "l'objectif de la requête déposée par la société SNESV s'est voulu plus large aux fins de constat de toute exaction de la société Groupe Comptoir, qu'elle qu'en puisse être la qualification juridique, qu'il s'agisse d'actes de concurrence déloyale ou d'actes de contrefaçon",

- "C'est pourquoi la Requête déposée par la société SNESV n'expose pas uniquement les exactions de la société Groupe Comptoir relevant de seuls actes de concurrence déloyale mais également des questions de contrefaçon, comme le reconnait d'ailleurs la société Groupe Comptoir",

31. Ou encore :

- "Il est constant que dans une telle configuration, la compétence du tribunal judiciaire de Rennes, outre son caractère de droit commun, se justifie dans la mesure où des questions de contrefaçon peuvent se présenter en parallèle de questions de concurrence déloyale."

32. Il en va de même du Groupe Comptoir qui, bien que revendiquant la compétence du tribunal de commerce sur le fondement de la concurrence déloyale, "rappelle" dans ses dernières écritures que "les prétendus faits litigieux invoqués par SNESV dans sa requête relèvent manifestement de questions de propriété intellectuelle puisqu'ils portent sur la reproduction alléguée de marques mais également de produits susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur."

33. Sous le bénéfice de ces observations, l'ordonnance qui a retenu la compétence matérielle du président du tribunal judiciaire sera confirmée sur ce point.

2) Sur la saisie-contrefaçon déguisée

34. Le Groupe Comptoir soutient que si la SNESV avait souhaité agir sur le terrain de la contrefaçon, elle devait saisir le président du tribunal judiciaire d'une mesure d'instruction applicable à la contrefaçon, avec les garanties qui s'y attachent, et non le juge des requêtes agissant sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Il estime ici que les mesures d'instruction sollicitées ont finalement eu pour but d'établir une contrefaçon ' au contraire de ce qu'il a soutenu au titre de la compétence matérielle ' tout en s'affranchissant des dispositions spéciales et strictement encadrées prévues par le code de la propriété intellectuelle, notamment les articles L. 716-4-6 et suivants, que faute de communication du procès-verbal des opérations menées, l'intimée ne peut prétendre que les investigations conduites n'étaient que des descriptions simples et non des descriptions détaillées équivalant à une procédure de saisie-contrefaçon.

35. La SNESV soutient que :

- la preuve de la contrefaçon, en tant que fait juridique, reste libre, comme le rappellent les articles L. 521-4, L. 615-5 et L. 716-4-7 du code de la propriété intellectuelle concernant les titres de propriété industrielle,

- la contrefaçon est ainsi susceptible d'être prouvée par tous moyens, y compris au moyen d'opérations aux fins de constat régies par l'article 145 du code de procédure civile,

- son choix reste à l'appréciation du titulaire lésé,

- il n'y a eu aucune description détaillée mais un simple constat sur ordonnance.

Réponse de la cour

36. En application de l'article L. 716-4-7 du code de la propriété intellectuelle, "La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.

A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou services prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits et services prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers."

37. De même, en application de l'article L. 332-1 du même code, "Tout auteur d'une 'uvre protégée par le livre 1er de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. A cet effet, ces personnes sont en droit de faire procéder par tous huissiers, le cas échéant assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des 'uvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux 'uvres prétendument contrefaisantes en l'absence de ces dernières."

38. Il s'infère de ces dispositions que les opérations de constat de justice prononcées sur la base d'une requête fondée sur les mesures d'instruction rendues possibles par l'article 145 du code de procédure civile peuvent constituer des éléments légitimes de preuve pour prouver des actes de contrefaçon et non seulement des actes de concurrence déloyale tant qu'elles ne dépassent pas le cadre dudit article 145 du code de procédure civile et qu'elles ne relèvent pas du périmètre de la procédure de saisie-contrefaçon telle que régie par le code de la propriété intellectuelle.

39. Autrement dit, si la preuve de la contrefaçon est libre, celle qui consiste à réaliser une saisie réelle ou une saisie descriptive détaillée est soumise à la procédure de la saisie-contrefaçon des articles ci-dessus rappelés.

40. En l'espèce, la requête du 7 juin 2023 de la SNESV est intitulée "aux fins de constat" afin d'annoncer qu'elle entend se situer dans le périmètre de l'article 145 du code de procédure civile, du reste visé dans le titre de la requête.

41. Elle contient en pages 15 à 19, soit sur 5 pages, une demande pour être autorisée à faire procéder à un ou plusieurs constats par tout huissier de son choix et dont la mission sera, en synthèse, de :

- se rendre dans tous les locaux du Groupe Comptoir,

- y faire toutes recherches et constatations utiles afin de mettre en évidence :

* la source, la volumétrie et la réalité des approvisionnements depuis le 27 mai 2022 des vaisselles commercialisées sous les désignations précisées en association avec la désignation "[Localité 7]",

* la source, la volumétrie et la réalité des ventes depuis le 27 mai 2022 sous une désignation commune avec les collections de la SNESV et/ou en association avec la désignation "[Localité 7]",

* les conditions et I'étendue de l'usage par le Groupe Comptoir depuis le 27 mai 2022 des désignations suivantes : CAFETERIA, OSLO, BOURRELET, ELEGANCE, EUROPA, HORIZON, PYRO, SPACE, TAO, [Localité 7],

* l'historique et la réalité des relations commerciales entre la société GROUPE COMPTOIR et la société SARL EFFICIENCE,

* les faits litigieux précédemment exposés,

- se faire communiquer tous documents comptables, toutes correspon-dances (y compris sur la messagerie des dirigeants et des salariés de la société Groupe Comptoir), toutes factures, tous bons de commande, tout état des stocks, tout reliquat de stocks non expédiés, tous manuels techniques, tous devis, tous prospectus, tous magazines, tous documents publicitaires, tous communiqués de presse, toutes brochures, tous catalogues toutes photographies tous emballages toutes correspondance commerciale.

42. Il y est encore précisé :

- qu'une copie pourra être effectuée des éléments identifiés et constatés,

- que les déclarations des dirigeants et de toute personne seront consignées, - que le commissaire de justice pourra se faire assister d'un ou plusieurs experts informatiques indépendants et qu'il pourra accéder à l'ensemble des serveurs et postes informatiques des dirigeants et salariés de la société Groupe Comptoir, locaux ou distants, et accéder à tous autres supports utiles (externes et internes) de données informatiques, après communication du chemin d'accès,

- qu'il pourra notamment procéder à I'extraction des disques durs des unités centrales et ordinateurs, à leur examen à l'aide des outils d'investigation de son choix, puis à la remise en place de ces disques dans leur unité centrale ou ordinateurs respectifs, voire à emporter des originaux des documents et/ou copies de supports numériques afin de permettre leur reproduction, à charge pour eux de les restituer sous 72 jheures et à emporter le matériel informatique et/ou ses supports de stockage de données, en cas d'impossibilité d'accéder aux données correspondantes ou de difficulté à procéder à leur extraction, à charge pour eux de les restituer sous 72 heures ' qu'il pourra se faire assister de la force publique et/ou d'un serrurier si nécessaire en cas de mauvaise coopération de la société Groupe Comptoir.

43. Le dispositif de l'ordonnance du 9 juin 2023 est rédigé en termes strictement identiques à celui de la requête.

44. Il s'en évince qu'il s'agit là non pas d'une simple mission de constat au sens de l'article 145 du code de procédure civile mais d'une mission de saisie-contrefaçon par description détaillée au sens de l'article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle dans la mesure où en effet, le commissaire de justice a pour tâche de rechercher pour la période située au-delà du 27 mai 2022, date à laquelle toute production a été cessée par la SAS [Localité 7] Vaisselles, et au moyen d'investigations coercitives, tous indices d'une commercialisation par le Groupe Comptoir d'articles de vaisselle sous la désignation "[Localité 7]" et d'en conserver copie sous toutes formes.

45. C'est donc à l'évidence la preuve d'une contrefaçon des articles de vaisselle [Localité 7] qui était ainsi recherchée.

46. Or, la saisie descriptive détaillée est soumise à la procédure de la saisie-contrefaçon des dispositions ci-dessus rappelés.

47. Le commissaire de justice requis de prêter son concours à ce "constat" ne s'y est du reste pas trompé puisque bien qu'ayant déclaré avoir orienté ses opérations "comme un constat sur ordonnance conforme à sa mission et non pas comme une saisie-contrefaçon" et n'avoir "réalisé aucune description détaillée", il n'a néanmoins pas communiqué, comme le lui permettait pourtant l'article 145 du code de procédure civile, le résultat de ses investigations à la SNEVS demanderesse, encore moins au Groupe Comptoir défendeur et ce par crainte probable de commettre une atteinte au secret des affaires en dehors de toute garantie pourtant organisée par le code de la propriété intellectuelle pour la mesure de saisie-contrefaçon.

48. En conséquence de ce qui précède, l'ordonnance du 9 juin 2023 qui a autorisé à tort au visa de l'article 145 du code de procédure civile une mesure de saisie-contrefaçon par description détaillée prévue par l'article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle doit être rétractée.

49. L'ordonnance du 31 mai 2024 qui a rejeté cette demande de rétractation sera réformée sur ce point.

50. Les mesures réalisées en exécution de cette décision étant dépourvues de tout fondement juridique, la restitution de l'intégralité des documents établis à l'issue des investigations sera ordonnée. Les demandes d'expertise judiciaire et de séquestre sont dépourvues d'objet et seront rejetées.

3) Sur les dépens et les frais irrépétibles

51. Succombant, la SNESV supportera les dépens d'appel. L'ordonnance sera infirmée s'agissant des dépens de première instance qui seront également mis à sa charge.

52. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles et qui ne sont pas compris dans les dépens. L'ordonnance sera infirmée s'agissant des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Rennes du 31 mai 2024 en ce qu'elle a :

- retenu la compétence matérielle du tribunal judiciaire de Rennes,

- débouté le Groupe Comptoir de ses demandes de désignation d'un expert judiciaire et de mise sous séquestre,

- débouté la SNESV de sa demande de modification de la requête et de sa demande au titre des frais irrépétibles,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne la rétractation de l'ordonnance du 9 juin 2023 rendue par le juge des requêtes du tribunal judiciaire de Rennes,

Ordonne la restitution au Groupe Comptoir par la SCP Graive et Brizard, commissaires de justice associés à Rennes, de tous éléments réunis ou tous documents établis par elle à l'issue de ses investigations réalisées les 15 juin et 10 juillet 2023 dans les locaux du Groupe Comptoir,

Condamne la société SNESV aux dépens de première instance et d'appel,

Rejette les demandes au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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