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Décisions

CA Rennes, 8e ch prud'homale, 1 octobre 2025, n° 22/00699

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 22/00699

1 octobre 2025

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°247

N° RG 22/00699 -

N° Portalis DBVL-V-B7G-SOCF

SARL MYRTILLE

C/

Mme [M] [P]

Sur appel du jugement du C.P.H. de [Localité 7] du 20/09/2021

RG : F 19/00054

Réformation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 1er OCTOBRE 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Madame Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 20 Juin 2025

devant Monsieur Philippe BELLOIR, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 1er Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

La SARL MYRTILLE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Localité 3]

Comparant en la personne de son Gérant, M. [T] [D], ayant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée à l'audience par Me Marine DUCLOS, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

INTIMÉE et appelante à titre incident :

Madame [M] [P]

née le 19 Juillet 1974 à [Localité 7] (56)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Grazielle RAUT substituant à l'audience Me Michel PEIGNARD, Avocats au Barreau de VANNES

Mme [M] [P] a été engagée le 03 septembre 2001 en qualité de vendeuse au sein de la société Pierpoljac, magasin spécialisé dans la vente de tissus, mercerie, laine et linge de maison.

Le 1er avril 2010, la société Pierpoljac a donné en location-gérance, à la société Myrtille, le fonds de commerce attaché au magasin de [Localité 6] avec, à cette même date, le transfert automatique du contrat de travail de Mme [P] à la société Myrtille.

Par avenant du 1er janvier 2013, la société Myrtille a nommé Mme [P] au poste de responsable de magasin, catégorie A1, agent de maîtrise, en application de la convention collective du Commerce de détail de l'habillement et des articles textiles, avec une rémunération de 1 956,72 € brut.

Le 22 septembre 2018, au cours d'une réunion, M. [D], le gérant de la société Myrtille, a informé les salariés du magasin de [Localité 6], dont Mme [P], de l'avis favorable reçu de la Commission Départementale d'Aménagement Commercial (CDAC) pour implanter et déplacer le magasin dans la zone commerciale de Kerlann à [Localité 7]. En outre, M. [D] a demandé aux salariés de ne pas divulguer immédiatement la nouvelle aux clients du magasin pour éviter un questionnement trop nombreux en caisse.

Le 09 octobre 2018, un journaliste du quotidien Ouest-France, ayant eu la connaissance de ce déménagement, s'est présenté à la boutique afin de réaliser un article de presse à ce sujet.

Le 10 octobre 2018, Ouest France a publié un article portant sur le déménagement de la société Myrtille.

Le 16 octobre 2018, lors d'une réunion à [Localité 5], devant d'autres collègues, M. [D] a fait part de son mécontentement envers Mme [P] pour avoir parlé à ce journaliste, venant d'apprendre que son concurrent direct, la société Breizh Tissus, allait diligenter un recours contre la décision de la CDAC.

Par courrier remis en main propre le 25 octobre 2018, Mme [P] a été convoquée à un entretien en vue d'une éventuelle rupture conventionnelle fixé au 6 novembre 2018. La salariée a accepté de signer cette rupture conventionnelle.

Par courrier du 12 novembre 2018, Mme [P] a informé la société Myrtille qu'elle exerçait son droit de rétractation, estimant que les termes négociés lors de l'entretien allaient à l'encontre de ses intérêts.

Par courrier remis en main propre du 16 novembre 2018, Mme [P] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 26 novembre 2018 et a été mise à pied à titre conservatoire.

Le 29 novembre 2018, la société Myrtille a notifié à Mme [P] son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le contrat de travail de Mme [P] a été rompu le 28 février 2019, à l'issue du préavis de 3 mois dont la salariée a été dispensée, et ses documents de fin de contrat lui ont été adressés.

Le 16 avril 2019, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Vannes aux fins essentiellement de :

- constater qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses fonctions et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- constater que sa rémunération ne correspondait pas à son poste de responsable de magasin prévu par la convention collective.

La cour est saisie d'un appel formé le 2 février 2022 par la société Myrtille à l'encontre du jugement prononcé le 20 septembre 2021par lequel le conseil de prud'hommes de Vannes a :

- dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- dit que la rémunération de Mme [P] ne correspondait pas à son poste de responsable de magasin.

- condamné la société Myrtille à verser à Mme [P] les sommes suivantes :

* 19 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 14 796 euros à titre de rappel de salaire sur les trois dernières années outre 1 479,60 euros de congés payés afférents ;

* 3 196,31 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 1 200 euros à titre d'indemnité de préavis outre 120 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions respectives ;

- dit que la société Myrtille supportera les entiers dépens de l'instance.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2022, la société Myrtille sollicite de :

- confirmer le jugement rendu le 20 septembre 2021 en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture ;

- d'infirmer le jugement rendu le 20 septembre 2021 en ce qu'il a :

- dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- dit que la rémunération de Mme [P] ne correspondait pas à son poste de responsable de magasin.

- condamné la société Myrtille à verser à Mme [P] les sommes suivantes :

* 19 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 14 796 euros à titre de rappel de salaire sur les trois dernières années outre 1 479,60 euros de congés payés afférents ;

* 3 196,31 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 1 200 euros à titre d'indemnité de préavis outre 120 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement de Mme [P] est fondé ;

- débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [P] à lui régler la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 juillet 2022, Mme [P] intimée sollicite de :

- constater qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses fonctions ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse ;

A titre reconventionnel,

- infirmer le jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 19 000 euros à titre de dommages et intérêts et l'a déboutée de sa demande au titre des conditions vexatoires de la rupture ;

Et statuant à nouveau,

- condamner la société Myrtille à lui verser les sommes suivantes :

* 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 5 000 euros de dommages-intérêts pour conditions vexatoires de la rupture ;

- constater que sa rémunération ne correspondait pas à son poste de responsable de magasin prévu par la convention collective ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Myrtille à lui verser les sommes suivantes :

* 14 796 euros à titre de rappel de salaire sur les trois dernières années outre 1 479,60 euros de congés payés afférents ;

* 3 196,31 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 1 200 euros à titre d'indemnité de préavis outre 120 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Myrtille à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 mai 2025.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le rappel de salaire au titre de la classification

Mme [P] sollicite la régularisation d'une rémunération correspondant à l'intitulé de son poste en tant que responsable de magasin.

L'employeur réplique que le poste de « Responsable de magasin » apparaissant sur les documents contractuels et de fin de contrat correspond uniquement à une erreur d'intitulé. Il précise qu'il n'a jamais confié à Mme [P] les fonctions de responsable de magasin catégorie B statut agent de maîtrise telles que mentionnées dans la convention collective. Les fonctions qui lui ont été confiées, à compter du 1er janvier 2013, sont celles de chef de magasin catégorie A1 statut agent de maîtrise de la convention collective du Commerce de détail de l'habillement et des articles textiles.

La convention collective du Commerce de détail de l'habillement et des articles textiles divise

les classifications des emplois du personnel d'encadrement en trois catégories :

- Les agents de maîtrise - catégorie A,

- Les agents de maîtrise - catégorie B,

- Les cadres - catégorie C.

Au sein de la première catégorie A, le poste de 'chef de magasin / chef de rayon ' A1 est défini de la manière suivante :

'Assure de manière permanente la gestion courante du magasin ou du rayon, tant à l'égard de la clientèle que du personnel de vente mais ne bénéficie à ce titre d'aucune délégation de responsabilité de la part de l 'employeur

- Anime coordonne et contrôle une équipe de vendeurs/vendeuses,

- Continue à effectuer des ventes,

- Dynamise les ventes de son équipe ,

- Applique et fait appliquer les consignes, les décisions de la direction relative notamment aux procédures de vente et à la politique commerciale, aux règles d'implantation des produits dans le magasin et en vitrine, au réassort, au suivi de l'état des stocks ;

- Apte à régler toutes les difficultés qui peuvent se présenter à l'occasion des ventes en fonction des directives reçues'.

Au sein de la deuxième catégorie B, le poste 'responsable de magasin/responsable de rayon' est défini de la manière suivante :

' En plus d'assurer de manière permanente la gestion courante du magasin ou du rayon (A1), assume la bonne marche commerciale du rayon ou du magasin, suit l'état des stocks et procède au réapprovisionnement et à l'achat de nouveaux articles'.

En l'espèce, Mme [P] a été embauchée le 3 septembre 2001 en qualité de vendeuse et occupe par avenant depuis le 1er janvier 2013 un emploi de responsable de magasin, catégorie A 1 agent de maîtrise.

Il sera observé que si l'employeur avance une erreur d'intitulé il n'en reste pas moins que Mme [P] souligne, à juste titre, que ce statut de Responsable de magasin a été confirmé non seulement par son nouveau contrat de travail mais aussi par tous ses bulletins de salaire, par les renseignements rédigés par l'employeur sur le formulaire de rupture conventionnelle, la lettre de licenciement du 29 novembre 2018, le certificat de travail et l'attestation Pole Emploi.

Sur les missions de la salariée, il résulte des pièces versées qu'en plus d'assurer la gestion courante de son point de vente, il était demandé à Mme [P] de suivre l'état des stocks, de procéder au réapprovisionnement et de participer à l'achat de nouveaux articles.

Précisément, la fiche de poste de Mme [P] mentionne qu'elle doit s'assurer de la bonne transmission des commandes à la direction, de contrôler les commandes, de vérifier les bons de livraison et de les transmettre à la comptabilité.

Si l'employeur produit de nombreux courriels depuis 2013 démontrant que seul le directeur du magasin, M. [L], passait les commandes et négociait les prix, force est de constater que ces documents établissent uniquement des fonctions de commande ou de négociation, lesquelles ne sont pas revendiquées par Mme [P].

Sur la question de la bonne marche commerciale de l'entreprise, il est demandé au Responsable de magasin d'assurer celle-ci. A cet égard, la fiche de poste de Mme [P] précise qu'elle était garante de l'aspect intérieur et extérieur de son point de vente et de l'animation commerciale de son équipe. Elle devait 'être attentive aux produits, prix' et notamment à celui de 'ses concurrents et de son secteur d'activité'. Il lui était demandé aussi d'être attentive 'à l'amélioration continue de la perception de son lieu de vente par rapport à sa clientèle'.

Plusieurs attestations confirment que Mme [P] a bien exercé des fonctions conformes à celles de Responsable de magasin catégorie B.

Mme [Y] atteste de ce que Mme [P] 'm'a recrutée pour trois contrats dans l'année 2017 à 2018, Mme [P] s'occupait entièrement du magasin, recrutement, planning, livraison, commande, gestion du personnel (conflit entre salariés), déroulement de la journée avec l'équipe, réunion téléphonique, implantation en fonction des arrivages de marchandises, balisage de marchandises, gestion de l'atelier de couture et animation tricot, gestion des stocks, préparation des soldes'.

Mme [W] confirme elle aussi avoir été recrutée par Mme [P] et que cette dernière 'gérait le magasin au quotidien en faisant des plannings (...) suivait les stocks, choisissait seule ou avec l'équipe les collections (nouveaux articles)'.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des critères de classification fixés par la convention collective applicable, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu que Mme [P] devait bénéficier d'une rémunération comme Responsable de magasin catégorie B.

Dès lors, et alors que les calculs de Mme [P] ne sont pas en soi contestés, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande de rappel de salaire et condamné la société Myrtille à lui payer à ce titre la somme de 14 796 euros, outre 1 479,60 euros au titre des congés payés afférents.

Sur le bien fondé du licenciement :

La société soutient que le licenciement pour cause réelle et sérieuse est bien fondé en ce que Mme [P] a manqué à ses obligations de loyauté et de discrétion en dévoilant au journal Ouest-France l'implantation et le déplacement du magasin de [Localité 6] à [Localité 7]. Elle soutient que Mme [P] était parfaitement informée du caractère confidentiel de cette information et il n'y avait aucune ambiguïté possible quant à la consigne qui lui avait été signifiée de n'en parler à personne. La société ajoute que la salariée ne peut légitimement considérer avoir été déliée de ses obligations de loyauté et de discrétion du fait de la publication de l'information sur le site de la préfecture du Morbihan et dans deux journaux locaux où paraissent les annonces légales.

Mme [P] objecte que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse en ce qu'elle n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de discrétion dans la mesure où elle a immédiatement prévenu son employeur de la venue du journaliste au magasin, lequel ne s'est pas opposé à sa venue ; qu'elle a adressé par SMS à M. [D] le numéro du journaliste ; que M. [D] a été tenu informé de ce qui se passait et que la société Myrtille ne s'est pas opposée à la parution de cet article.

La lettre de licenciement du 29 novembre 2018 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

'Vous exercez au sein de notre société les fonctions de Responsable Magasin depuis janvier 2013 (statut agent de maîtrise).

Le 22 septembre 2018, j'ai informé l'ensemble du personnel du magasin de [Localité 6] de l'avis favorable recu de la Commission Départementale réaménagement Commercial (CDAC) pour implanter et déplacer le magasin dans la zone commerciale de Kerlann à [Localité 7]. J'ai expressément notifié dans le même temps le caractère confidentiel de cette information qui ne devait pas être communiquée à quiconque.

Malgré ces recommandations du nécessaire respect de la confidentialité concernant cette information au motif de conditions suspensives restant à valider et au regard des incidences d'une telle information sur la concurrence et la clientèle, vous avez sciemment dévoilé ce projet à la presse qui s'est rendue au magasin, a fait des photos et rédigé un article paru dans Ouest France le 10 octobre, reprenant les détails du projet, tel que l'adresse exacte, la superficie, les parkings....

Vous n`aviez bien sûr aucune autorisation pour procéder de la sorte.

Par la suite, désormais informé, un concurrent de la Société, la SARL BREIZH TISSUS, exerçant sous l'enseigne « LES TISSUS DE BIGOULAINE » nous a informé le 16 Octobre, exercer un recours auprès de la Commission Nationale contre la décision de la Commission Départementale, risquant d'annuler le déménagement programmé sur la zone de Kerlann.

Vous ne pouviez ignorer l 'impact de cette information sur nos clients et la concurrence.

Il s'agit manifestement d 'un manquement à vos obligations.

Le 25 octobre 2018, nous avons échangé sur cette attitude et notre appréciation de la situation et nous vous avons convoqué à un entretien en vue d'une rupture conventionnelle homologuée de votre contrat de travail, votre choix pour cette procédure ayant été formulé.

Le 6 novembre 2018, la convention de rupture du contrat de travail et le formulaire Cerfa n°14598*01 ont été signés, moyennant un délai de rétractation expirant le 22 novembre 2018.

Le 12 novembre 2018, par courrier recommandé, vous avez fait valoir votre droit de rétractation.

Nous vous avons en conséquence convoquée à un entretien préalable à votre éventuel licenciement et mise à pied à titre conservatoire le 15 novembre 2018.

Lors de cet entretien vous avez reconnu la réalité des faits et leur chronologie en refusant de considérer cette attitude comme étant une faute.

Or, il s'agit de la violation des obligations de loyauté et de discrétion auxquelles vous êtes tenue à l'égard de votre employeur, et plus encore de l'obligation de discrétion qui vous a expressément été rappelée le 22 septembre 2018.

De plus, cette attitude est fortement préjudiciable à l'entreprise.

Nous considérons que ces faits justifient votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. '

Aux termes des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Il n'est pas contestable que l'article 6 du contrat de travail de Mme [P] stipulait une obligation de discrétion rédigée comme suit : 'Tant pendant l'exécution du contrat de travail qu'après la fin de celui-ci, pour quelque cause que ce soit, vous devez conserver la discrétion la plus absolue sur l'ensemble de ce qui aurait été connu par vous, du fait de votre emploi dans la société'.

De même, il n'est pas discuté que lors d'une réunion qui s'est tenue le 22 septembre 2018 en présence du personnel du magasin dont Mme [P], M. [D] a informé les salariés de l'avis favorable reçu de la Commission Départementale d'Aménagement Commercial (CDAC) pour implanter et déplacer le magasin dans la zone commerciale de Kerlann à [Localité 7].

En l'espèce, l'avis favorable obtenu par la société Myrtille de la CDAC a été publié sur le site internet de la Prefecture du Morbihan le 20 septembre 2018.

De même, cet avis de la CDAC a été rendu public par sa diffusion dans les annonces légales du journal Ouest-France le 26 septembre 2018 et du journal Le Télégramme le 27 septembre 2018.

Il en résulte qu'à compter de ces publications par voie de presse, qui ont eu pour objectif d'informer le public sur l'opération (lieu et superficie) et de faire partir les délais de recours contre l'avis de la CDAC, le transfert du magasin de [Localité 6] à [Localité 7] n'a plus de caractère confidentiel.

Le journaliste de Ouest-France, M. [Z], est passé au magasin où travaillait Mme [P] le 9 octobre 2018.

Mme [P] verse aux débats le sms envoyé le 9 octobre 2018 à M. [D] où elle écrit :« Mr [Z] [B] 0642838467. Ouest France. Il demande si vous pouvez l'appeler aujourd'hui », démontrant ainsi la transmission des coordonnées du journaliste à son employeur. Il ne peut donc être reproché à Mme [P] un manque de loyauté.

Il résulte de l'article de Ouest-France du 10 octobre 2018 qui relate le transfert du magasin (pièce n°18 de la salariée) que Mme [P] n'a dévoilé aucune information qui n'était déjà pas connue du public.

De cette chronologie des faits, il résulte qu'au moment de la parution de l'article de presse, le 10 octobre 2018, le déménagement du magasin Myrtille et la nouvelle implantation ne constituaient plus un secret.

Dès lors, même si Mme [P] n'a pas été déliée par son employeur de son obligation de confidentialité, elle n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de discrétion, d'autant plus qu'il n'est pas caractérisé une intention de nuire et de discréditer la société Myrtille dont elle était employée depuis 17 ans. Un tel comportement ne constitue pas plus un acte déloyal envers son employeur.

Le licenciement est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture

Le licenciement de Mme [P] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, elle est fondée à solliciter des dommages et intérêts à ce titre.

L'article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte d'emploi. Le montant de cette indemnité est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en nombre de mois de salaire, en fonction de l'ancienneté du salarié.

Au cas d'espèce, l'entreprise employant habituellement plus de onze salariés, le montant des dommages et intérêts est compris entre 3 et 14 mois pour une ancienneté en années complètes de 17 ans à la date du licenciement.

Au regard de l'ancienneté de Mme [P] (17 ans et 5 mois), de son âge lors de la rupture (44 ans), du montant mensuel de son salaire brut corrigé avec ses fonctions de Responsable de magasin catégorie B (2 367,70 euros) et des justificatifs sur sa situation professionnelle ultérieure précaire, il y a lieu de lui accorder la somme de 30 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera réformé de ce chef.

Par ailleurs, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a, compte tenu de ses fonctions Responsable de magasin catégorie B, condamné l'employeur à lui payer un rappel d'indemnités de licenciement, soit les sommes suivantes :

- 3 196,31 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 1 200 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 120 euros au titre des congés payés.

Sur la demande au titre du licenciement vexatoire

Un salarié peut solliciter des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire lorsqu'il apparaît que son employeur a entouré le licenciement d'un comportement brutal, injurieux ou propre à porter atteinte à sa dignité.

Une telle preuve n'est toutefois pas rapportée en l'espèce par Mme [P] à l'encontre de la société Myrtille.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande à ce titre.

Sur le remboursement des indemnités Pôle Emploi

Par application combinée des articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Sur ce fondement, il y a lieu de condamner la société Myrtille à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage payées, le cas échéant, à Mme [P] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société Myrtille, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

Condamnée aux dépens, elle sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en revanche de la condamner, sur ce même fondement juridique, à payer à Mme [P] une indemnité d'un montant de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant du chef infirmé,

CONDAMNE la SARL Myrtille à verser à Mme [M] [P] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant,

ORDONNE le remboursement par la SARL Myrtille à Pôle Emploi devenu France Travail des indemnités de chômage payées à Mme [M] [P] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de six mois d'indemnités en application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;

CONDAMNE la SARL Myrtille à verser à Mme [M] [P] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre la somme déjà allouée en première instance sur ce fondement ;

DÉBOUTE la SARL Myrtille de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Myrtille aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.

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