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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 3 octobre 2025, n° 22/02838

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/02838

3 octobre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 03 OCTOBRE 2025

N° 2025/188

rôle N° RG 22/02838 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BI5ZV

[U] [L]

C/

S.A.S. RODIER

Copie exécutoire délivrée le :

03 OCTOBRE 2025

à :

Me Isabelle MANGIN, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Pierre-yves IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 10 Février 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 19/02099.

APPELANTE

Madame [U] [L], demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Isabelle MANGIN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.S. RODIER prise en a personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Pierre-yves IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Annabelle PAVON-GRANGIER, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 02 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre

Monsieur Fabrice DURAND, Président de chambre

Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Octobre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Octobre 2025

Signé par Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

La société Rodier, immatriculée au RCS de Paris sous le n° 453 162 398, fait fabriquer des vêtements de prêt à porter féminin.

Elle applique à son personnel la convention collective nationale de l'habillement (maisons à succursales de vente au détail).

A compter du 18 juillet 2014, elle a embauché Mme [U] [L] par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en qualité de Vendeuse, catégorie B, statut employé.

Par avenant du 1er septembre 2014, la relation de travail s'est poursuivie à temps complet moyennant une rémunération mensuelle brute de 1.521,25 euros.

Mme [L] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 28 juin 2018 et n'a plus repris son activité professionnelle .

Par lettre recommandée avec accusé de réception, elle a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 7 juin 2019.

Par lettre du 7 juin 2019, la société Rodier a transmis à la salariée les motifs économiques du licenciement envisagé ainsi que les documents du contrat de sécurisation professionnelle.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juin 2019, l'employeur lui a notifié à titre conditionnel dans les termes suivants son licenciement économique dans l'hypothèse où elle n'accepterait pas le CSP dans le délai requis :

« ' Nous vous avons adressé par courrier du 7 juin 2019, les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle ainsi que la notification des motifs économiques qui nous ont contraints à envisager cette mesure.

Les motifs qui nous ont contraints à envisager la présente mesure sont les suivants :

Vous avez été embauchée par la société Rodier à compter du 18 juillet 2014.

Vous occupez les fonctions de Vendeuse au sein de la boutique RODIER [Localité 5], statut Employé.

La société Rodier commence à surmonter les graves difficultés économiques rencontrées entre 2011 et 2014, où notamment en 2012, elle a enregistré une perte colossale de 2.516.627 euros au 31 décembre 2012 et de -1.574.722 euros, grâce aux mesures qu'elle a mis en 'uvre.

Le recul des ventes dans les boutiques physiques a conduit la société à reconsidérer son positionnement en temps d'image et de canaux de distribution afin de s'adapter aux nouvelles habitudes des consommatrices qui préfèrent acheter aujourd'hui toute l'année et à n'importe quelle heure via internet que ce soit via le propre site de notre marque ou via des marketplace.

C'est dans ce contexte que la société Rodier a été contrainte, d'une part, de réorganiser son circuit d'approvisionnement en cessant le développement et la fabrication de ses produits en Asie, afin de réduire ainsi les cycles d'achats et de pouvoir répondre plus rapidement à la demande de la clientèle, en procédant au fur et à mesure de la demande à l'acquisition de produits finis et d'autre part, de réorienter la distribution de ses produits via la vente en ligne, via des sites de ventes privées et surtout le nouveau site marchand www.rodier.fr.

La société a également travaillé sur un repositionnement de sa gamme, recentré sur l'ADN de la Marque, à savoir la Maille, avec une gamme de produits plus réduite, couplée à une distribution en ligne, laquelle présente l'avantage d'être plus réactive tout en maintenant des prix attractifs pour une clientèle de plus en plus soucieuse de son budget dans un contexte hautement concurrentiel.

La société Rodier a également développé des licences de marque espérant y trouver un nouveau relais de croissance, sans avoir à assumer la charge de la distribution de ces produits.

Cette réorganisation couplée à une réduction drastique de ses frais de structure lui permet aujourd'hui d'envisager un retour à l'équilibre.

Dans le cadre de cette réorganisation, destinée à sauvegarder sa compétitivité, la société Rodier examine avec attention les offres de rachat du droit au bail de ses boutiques afin d'améliorer sa situation de trésorerie, pour faire face aux charges de l'entreprise mais surtout, afin d'apurer au fur et à mesure les pertes anciennes cumulées qui restent colossales.

C'est dans ce contexte que la société Rodier a reçu une offre de rachat du seul droit au bail de la boutique de [Localité 3] par la société SWANT PANTS et de la Boutique de [Localité 5] par la société LE SLIP FRANÇAIS, offres qu'elle a accepté.

Cette situation nous contraint à supprimer 4 emplois au sein de la société Rodier, dont celui de Vendeuse de la boutique de [Localité 5] que vous occupez.

Tous les emplois de cet établissement étant supprimés, il n'y a donc pas lieu d'appliquer les critères d'ordre légaux et conventionnels.

La délégation unique du personnel a été informée et consultée sur cette réorganisation, ce projet de cession et sur ces suppressions d'emplois lors de la réunion extraordinaire en date du 24 mai 2019 et a émis un avis favorable.

Nous avons préalablement procédé à une recherche active et individualisée de reclassement dans l'entreprise et à l'extérieur de celle-ci. Aucune solution alternative n'a pu être trouvée.

Si un poste venait à se libérer entre temps, tant au sein de l'entreprise qu'à l'extérieur de celle-ci, nous ne manquerions pas de vous le proposer' »

Mme [L] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 20 juin 2019.

Contestant l'exécution de la relation de travail, la légitimité de son licenciement et sollicitant la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, Mme [L] a saisi le 19 septembre 2019 le conseil de prud'hommes de Marseille lequel par jugement de départage du 10 février 2022 a :

- débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes ;

- l'a condamné aux dépens de l'instance ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la SAS Rodier de toute demande.

Mme [L] a relevé appel de ce jugement le 24 février 2022 par déclaration adressée au greffe par voie électronique.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives d'appelante notifiées par voie électronique le18 avril 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens soutenus, Mme [L] demande à la cour de :

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens de l'instance.

Condamner la société Rodier à payer à Mme [L] les sommes suivantes :

- 630 € à titre de rappel de salaires au titre de la classification catégorie F,

- 63 € au titre de l'incidence congés payés,

- 312,09 € à titre de rappel de prime d'ancienneté au titre de la classification F,

- 31,20 € au titre de l'incidence congés payés,

- 60 € au titre du maintien de salaire au cours de la période maladie,

- 6 € au titre de l'incidence congés payés,

Ordonner à la société Rodier de communiquer l'acte de cession de droit au bail dans son intégralité.

Juger le licenciement de Mme [L] sans cause réelle et sérieuse pour violation de l'article L.1224-1 du Code du travail, absence de justification du motif économique et de l'impossibilité de reclassement.

Condamner la société Rodier à payer à Mme [L] les sommes suivantes :

- 1.563,94 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure,

- 9.383,64 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.127,88 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 312,78 € au titre de l'incidence congés payés,

- 276,91 € à titre de solde d'indemnité de licenciement.

Fixer le salaire mensuel de Mme [L] à la somme de 1.563,94 €.

Ordonner la délivrance des bulletins de salaires rectifiés sous astreinte de 50 € par jour à compter de la décision à venir ainsi que l'attestation Pôle Emploi rectifiée.

Ordonner la capitalisation des intérêts de droits à compter de la demande en justice.

Condamner la société Rodier au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Rodier aux entiers dépens.

Par conclusions d'intimée notifiées par voie électronique le 2 août 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens soutenus, la SAS Rodier demande à la cour de :

Confirmer le jugement de la section du commerce du conseil de prud'hommes de Marseille le 10 février 2022 en ce qu'il a :

- débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes ;

- l'a condamné aux dépens de l'instance ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la SAS Rodier de toute demande.

Et, statuant à nouveau ;

A titre principal,

- fixer le salaire mensuel moyen de Mme [L] à 1.539,34 euros bruts,

- juger qu'aucun rappel de salaires n'est dû à Mme [L] au titre de sa demande de reclassification,

- juger que l'obligation de reclassement de Mme [L]a été respectée par la société Rodier,

- juger que le licenciement pour motif économique de Mme [L] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Et en conséquence :

- débouter Mme [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

Si la cour juge le licenciement de Mme [L] sans cause réelle et sérieuse,

- cantonner le montant des sommes mis à la charge de la société Rodier au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 4.618 euros,

- débouter Mme [L] de toutes ses autres demandes.

En tout état de cause,

- condamner Mme [L] à verser à la société Rodier la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre-Yves Imperatore, membre de la SELALR LEX AVOUE Aix en Provence, Avocats associés, aux offres de droit.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 22 mai 2025.

SUR CE

A titre liminaire, la cour constate que la société Rodier ayant communiqué l'acte de cession de droit au bail dans son intégralité, cette demande de Mme [L] est devenue sans objet.

Sur l'exécution du contrat de travail

1 - Sur le rappel de salaire et de prime d'ancienneté sur classification

La qualification professionnelle du salarié, qui doit être précisée dans le contrat de travail, est déterminée en référence à la classification fixée par la convention collective applicable dans l'entreprise .

En cas de litige, il appartient au juge d'apprécier les fonctions réellement exercées par le salarié.

En cas de sous-classement, le salarié doit être replacé de manière rétroactive au niveau auquel son poste correspond. Il peut alors prétendre à un rappel de salaire correspondant au minimum conventionnel afférent à ce coefficient.

Mme [L] fait valoir qu'elle a été embauchée en qualité de Vendeuse, catégorie B et a été maintenue dans cette catégorie tout au long de la relation contractuelle alors que selon la classification de la catégorie des employés, cette catégorie correspond à un vendeur débutant n'ayant pas une année de pratique professionnelle alors qu'au regard de son expérience professionnelle et de la durée de sa pratique professionnelle supérieure à trois années, elle aurait dû être classée dès 2014 dans la catégorie E et deux années plus tard en catégorie F ce d'autant que se trouvant fréquemment seule au sein de la boutique Rodier de [Localité 5] employant seulement deux salariées, elle-même et sa responsable, elle assumait de fait les fonctions de cette dernière de sorte que l'employeur lui est redevable d'un rappel de salaire de 630 euros, d'un rappel de prime d'ancienneté de 312,09 € outre 31,20 € de congés payés afférents ainsi que d'une somme de 60 euros au titre du maintien de salaire pendant son arrêt maladie.

La société Rodier s'oppose à cette demande de reclassification en relevant que selon son curriculum vitae, l'expérience professionnelle antérieure de Mme [L] en tant que vendeuse dans le commerce de détail prêt à porter était d'une très faible durée ; que le passage d'une classification de catégorie B à une catégorie D ou E n'est pas automatique du seul fait de l'ancienneté, qu'elle ne produit aucun élément étayant son affirmation relative au fait qu'elle aurait occupé les fonctions de responsable de magasin, le statut de Mme [P], responsable de magasin également licenciée pour motif économique n'ayant pas été mis à jour sur le registre d'entrée et de sortie du personnel; qu'enfin elle n'est pas fondée à solliciter un rappel de salaire alors qu'elle percevait une rémunération annuelle moyenne systématiquement plus élevée que le salaire minimal conventionnel de la catégorie C. A titre subsidiaire, s'il était considéré que la salariée relevait de la catégorie D, le montant de rappel de salaire dû serait cantonné à la somme de 60 euros bruts.

Selon la classification 'Employés' de la convention collective nationale applicable :

- la catégorie B correspond à : 'Vendeur débutant - ne possède pas de CAP - n'a pas une année de pratique professionnelle';

- la catégorie C correspond à : 'Vendeur 1er échelon - titulaire d'un CAP de vendeur ou a au moins 1 an d'expérience professionnelle';

- la catégorie D correspond à : 'Vendeur 2ème échelon - ayant au moins 3 ans de pratique professionnelle ou titulaire d'un CAP de vendeur avec au moins 1 an de pratique professionnelle ' ;

- la catégorie F correspond à : 'Vendeur très qualifié - ayant acquis la connaissance approfondie de tous les articles en vente; est susceptible de présenter au client les arguments nécessaires afin de déterminer son achat de façon satisfaisante.'

Mme [L] verse aux débats son curriculum vitae dont il résulte qu'elle est titulaire d'un CAP d'esthétique, d'un diplôme de secrétaire et d'un bac G et qu'elle a notamment une expérience de vendeuse en prêt à porter Hommes et Femmes en 1995, en prêt à porter Enfants entre 1999 et 2003, qu'elle a été Responsable du magasin Clayeux (prêt à porter enfants) entre 2009 et 2011, puis vendeuse qualifiée en prêt à porter femme en 2011 et Responsable adjointe d'un magasin de vente en gros de prêt à porter en 2012/2013.

En outre, si le contrat de travail de Mme [L] stipule qu'elle est embauchée en qualité de Vendeuse, catégorie B, statut employé, il précise également qu'en l'absence de la responsable du magasin, Mme [P] selon les pièces n°12, 23 et 24 de l'employeur, elle est notamment garante :

'- des encaissements du magasin (enregistrement des ventes, remise quotidienne en banque des chèques et espèces;

- des stocks du magasin (vérification systématique des livraisons, enregistrement des entrées et sorties, inventaires physiques exhaustifs, participation aux tâches de manutention, gestion optimale des stocks, surveillances des marchandises de façon à éviter les vols);

- qu'en prévision d'une absence de celle-ci, un comptage total des pièces doit être opéré avant son départ et après son retour; qu'elle exerce ainsi en l'absence de sa responsable de magasin les missions de celle-ci...'

Il se déduit de ces éléments que lors de son embauche en 2014 au sein du magasin Rodier, titulaire d'un Bac et ayant acquis une expérience professionnelle d'une dizaine d'années dans le prêt à porter aux postes successifs de vendeuse, vendeuse qualifiée et responsable adjointe de magasin alors qu'il lui était demandé, dans un magasin comportant seulement deux salariées, une vendeuse et une responsable de magasin, de remplacer cette dernière durant ses absences en exécutant ses tâches, Mme [L] aurait effectivement dû être classée par l'employeur dans la catégorie F correspondant à un poste de vendeuse très qualifiée.

Dès lors, il convient d'infirmer le jugement entrepris ayant dit que la salariée relevait de la catégorie D - vendeur 2ème échelon et l'ayant déboutée de ses demandes de rappel de salaire sur classification, de prime d'ancienneté, de congés payés afférents.

Retenant les décomptes établis par la salariée en pièces n° 8 et 9, non contestés par l'employeur à titre subsidiaire, il convient de condamner la société Rodier à payer à celle-ci une somme de 630 € au titre du rappel de salaire sur classification outre 63 € de congés payés afférents ainsi qu'une somme de 312,09 € à titre de rappel de prime d'ancienneté outre 31,20 € de congés payés afférents.

2 - Sur le maintien de salaire pendant le congé maladie.

La convention collective nationale applicable prévoit dans son article 48 un maintien de salaire au profit du salarié malade à 100% pendant un mois puis à 75% pendant un mois.

Mme [L] sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 60 € de rappel au titre du maintien de salaire durant son arrêt maladie outre 6 € de congés payés afférents.

La société Rodier réplique que le salaire de Mme [L] était de 1.500 euros au moment de son arrêt maladie, que celle-ci a bien bénéficié du maintien de son salaire à hauteur de 100% au mois de juillet 2018 puis de 75% lors du mois d'août 2018 et que le montant qu'elle réclame est la conséquence de sa demande de reclassification en catégorie F dont elle a été déboutée.

De fait, il résulte de la comparaison des bulletins de salaire des mois de juillet et d'août 2018 que le salaire de la salariée a été maintenu à 100 % en juillet 2018, déduction faite de 3 jours de carence et à 75% en août 2018 sur la base d'un salaire de 1.500 euros, or, la cour ayant fait droit à la demande de reclassification en catégorie F de Mme [L], il convient par infirmation du jugement entrepris de porter le salaire mensuel de celle-ci à 1.563,94 euros et de condamner l'employeur au paiement des sommes de 60 € au titre du maintien de salaire et de 6 euros de congés payés afférents.

Sur la rupture du contrat de travail

1 - sur le motif économique

L'article L1233-3 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que :

'Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché..(....).'

Mme [L] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse qu'il appartient à la société Rodier de justifier des motifs invoqués dans la lettre de licenciement, que celle-ci fait état de difficultés économiques entre 2011 et 2014 non pertinentes dès lors qu'elles ne sont pas concomittantes à la procédure de licenciement mise en oeuvre en juin 2019 alors qu'il résulte des liasses ficales produites pour la période 2016 à 2018 que l'entreprise a continué à verser massivement des intérêts notamment en 2018, que les disponibilités bancaires ont triplé entre 2017 et 2018 passant de 369.085 euros en 2017 à 997.074 euros en 2018 et que la réorganisation invoquée par l'entreprise n'est pas justifiée, celle-ci procédant par affirmations sans produire aucun élément à l'appui de ses explications au titre de la nécessaire restructuration.

La société Rodier réplique que le licenciement litigieux repose sur un motif réel et sérieux fondé non sur des difficultés économiques mais sur la nécessaire réorganisation de l'entreprise liée à la sauvegarde de sa compétitivité dans la mesure où intervenant dans le secteur d'activité de la distribution du prêt à porter de détail elle opère sur le secteur extrêmement concurrentiel de la distribution textile, cette concurrence étant à l'origine de très graves difficultés économiques entre 2011 et 2014, notamment en 2012, année durant laquelle elle a enregistré une perte colossale de - 2.516.627 euros, cette situation l'ayant contrainte pour sauvegarder sa compétitivité à apurer ses pertes au cours des années suivantes, le recul des ventes dans les boutiques physiques l'ayant conduite à reconsidérer son positionnement en terme d'images et de canaux de distribution; à réorganiser son circuit d'approvisionnement; à réorienter ses produits via la vente en ligne; à développer des licences, ces mesures ayant permis de faire remonter les capitaux propres de l'entreprise de - 4,3 millions à fin 2016 à - 2 millions en décembre 2018, à examiner les offres de rachat du droit au bail de ses boutiques afin d'améliorer la situation de trésorerie active pour faire face aux charges de l'entreprise et d'apurer au fur et à mesure les pertes anciennes cumulées de sorte qu'ayant reçu deux offres de rachat du droit au bail des deux boutiques de [Localité 5] et de [Localité 3], elle a accepté le 9 avril 2019 celle de la société Le Slip Français concernant la boutique de [Localité 5] et a été contrainte de supprimer 4 postes au sein de ces deux boutiques.

Alors que la lettre de licenciement évoque en les détaillant les graves difficultés économiques de l'entreprise Rodier entre 2011 et 2014 résultant du recul de ses ventes en magasin l'ayant contrainte à réorganiser son circuit d'approvisionnement, à repositionner sa gamme de produits recentrée sur la 'maille'; à développer des licences de marque; à réduire drastiquement ses frais de structure afin de sauvegarder sa compétitivité, elle énonce que la suppression du poste de travail de la salariée résultant de la cession du droit au bail de la boutique de [Localité 5] à la société Le Slip Français s'inscrit dans le cadre de la poursuite de cette réorganisation 'afin d'améliorer sa situation de trésorerie pour faire face aux charges de l'entreprise mais surtout afin d'apurer au fur et à mesure les pertes anciennes cumulées qui restent colossales'.

Il est constant que la société Rodier évolue depuis plusieurs années dans un contexte très concurrentiel; que s'il résulte de l'examen des liasses fiscales produites entre 2016 et 2018 que les mesures de réorganisation qu'elle a mises en oeuvre à compter de 2017 ont permis de faire remonter ses capitaux propres de - 4,3 M€ fin 2016 à - 2 M€ fin décembre 2018 et de faire tripler la trésorerie de l'entreprise entre 2017 et 2018 celle-ci passant de 369.085 € à 997.074 € en 2018, celle-ci demeurant insuffisante pour faire face à la dette financière de l'entreprise face à un contexte concurrentiel toujours défavorable, l'employeur était fondé en 2019 à poursuivre une réorganisation nécessaire destinée à sauvegarder sa compétitivité en reconstituant une trésorerie active notamment en procédant à des cessions de droit au bail.

Le motif économique est ainsi caractérisé.

2 - Sur l'application de l'article L.1224-1 du code du travail

L'article L.1224-1 du code du travail dispose que 'lorsque survient une modifiction dans la situation juridique de l'employeur notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.'

Mme [L] soutient qu'au 17 octobre 2019, l'établissement dans lequel elle exerçait ses fonctions n'étant pas juridiquement fermé , son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et fait valoir que la société cessionnaire du droit au bail, Le Slip Français, exerçant la même activité que la société Rodier cette dernière disposant également d'une ligne de vêtements et sous-vêtements à destination des hommes et n'ayant pas pour seule cible la clientèle féminine, la continuation de la même activité dans les mêmes locaux sans transfert d'autres éléments d'actifs suffisait à entraîner par application de l'article L.1224-1 du code du travail, dont l'application est d'ordre public, le transfert de droit de son contrat de travail.

La société Rodier lui oppose que la cession litigieuse n'a porté que sur le droit au bail ayant expressément exclu les autres moyens corporels et incorporels (enseigne, clientèle, stock, mobilier) caractérisant une cession de fonds de commerce ou une cession de branche d'activité de sorte qu'il n'y a pas eu transfert d'une entité économique autonome justifiant l'application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail et ajoute que le moyen tiré de l'absence de fermeture juridique de l'établissement au 17 octobre 2019 est inopérant alors qu'elle justifie que la cession de droit au bail était définitive au 11 juin 2019, la date de radiation administrative de l'établissement secondaire intervenue ultérieurement à la suite de la réalisation des formalités au greffe par les parties étant sans conséquence sur le fondement de la rupture du contrat de travail.

Contrairement aux affirmations de la société Rodier, il résulte de l'acte de cession de bail lui-même qu' il y a bien eu poursuite d'une même activité dans les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 5] destinés à 'la Vente de linge de Maison - puériculture - prêt à porter - literies § accessoires' et devant servir au preneur exclusivement à l'exercice du commerce de 'Vente de vêtements Hommes et Femmes et tous accessoires s'y rapportant' alors qu'il résulte de l'extrait infogreffe que l'activité principale des deux sociétés est le 'Commerce de détail d'habillement en magasin spécialisé' que si la société Le Slip Française vend 'des sous-vêtements, maillot de bain, prêt à porter hommes, femmes, enfants et accessoires de mode s'y rapportant dont bagagerie, maroquinerie, chaussures, gants et boule de pétanque' la société Rodier dispose également d'une ligne de vêtements et sous-vêtements pour hommes (pièce n°24) n'ayant donc pas pour cible exclusivement la clientèle féminine et que nonobstant les clauses de ce bail, inopposables à la salariée tiers à l'acte de cession, stipulant expressément au titre du § 11 relatif aux dispositions diverses que 'la cession de bail objet des présentes n'a pas pour objet de permettre au cessionnaire de continuer l'activité du cédant...n'étant pas assimilable à une cession de fonds de commerce' il est incontestable que la même activité de vente de vêtements prêt à porter destinée à la même clientèle s'est poursuivie dans les mêmes lieux de sorte que le contrat de travail de la salariée aurait dû être transféré par application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail, la méconnaissance de cette obligation privant le licenciement de Mme [L] de cause réelle et sérieuse.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris ayant déclaré le licenciement de Mme [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'ayant débouté de ses demandes de préavis, de solde d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3 - sur l'indemnisation de la rupture

A l'instar de la juridiction prud'homale la cour confirme le rejet de la demande de Mme [L] pour irrégularité de la procédure de licenciement, celle-ci ne se cumulant pas avec les dommages-intérêts alloués au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Mme [L] sollicite la condamnation de la société Rodier au paiement de la somme de 276,91 € à titre de solde d'indemnité de lienciement se fondant sur une ancienneté de 4 années et 11 mois, or, ainsi que le relève à juste titre la société Rodier, celle-ci ayant été placée en arrêt de travail pour maladie non-professionnelle à compter du 28 juin 2018 jusqu'au terme de son contrat de travail le 4 juillet 2019, cette période est exclue de l'ancienneté retenue pour le calcul de l'indemnité légale de licenciement de sorte que la société Rodier ne lui est redevable d'aucune somme.

Le licenciement de Mme [L] ayant été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle-ci peut prétendre au paiement d'une indemnité de préavis équivalente à deux mois de salaire, la société Rodier étant condamnée à lui payer une somme de 3.127,88 euros outre 312,78 € de congés payés afférents.

Par application des dispositions de l'article L.1235-3 du code civil, tenant compte d'une ancienneté de 4 années révolues, celle-ci incluant les périodes de suspension du contrat de travail, d'un salaire de référence fixé à la somme de 1.563,94 €, d'un âge de 44 ans, des circonstances de la rupture, de ce que la salariée justifie avoir bénéficié de l'ASP à compter du 1er août 2019 jusqu'au 1er juillet 2020, puis de l'allocation spécifique de solidarité à compter du 1er octobre 2021 jusqu'en septembre 2022 ayant été placée en invalidité 2ème catégorie à compter du 27/01/2022, il convient de condamner la société Rodier à lui payer une somme de 7.819,70 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la remise sous astreinte des bulletins de salaire et de l'attestation Pôle Emploi rectifiés

Le sens du présent arrêt conduit à faire droit à la demande de Mme [L] de remise par la société Rodier de bulletins de salaire et de l'attestation Pôle Emploi rectifiés mais de confirmer le jugement entrepris l'ayant déboutée de sa demande d'astreinte celle-ci ne versant aux débats aucun élément laissant craindre une résistance ou un retard abusif de la part de l'employeur.

Sur les intérêts de droit et leur capitalisation

Les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, les créances indemnitaires à compter de la décision les ayant prononcées.

Les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Le jugement déféré, qui a rejeté ces demandes est infirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris ayant condamné Mme [L] aux dépens de l'instance et ayant dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile est infirmé.

La société Rodier est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [L] une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Dit que la demande de communication de l'acte de cession de droit au bail dans son intégralité est sans objet.

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celles ayant débouté Mme [L] :

- de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

- de sa demande au titre du solde de l'indemnité de licenciement ;

- de sa demande d'astreinte,

qui sont confirmées.

Statuant à nouveau et y ajoutant

Dit que Mme [U] [L] relève de la classification F - vendeur qualifié.

Condamne la société Rodier à payer à Mme [U] [L] les sommes suivantes :

- 630 € à titre de rappel de salaires au titre de la classification catégorie F,

- 63 € au titre de l'incidence congés payés,

- 312,09 € à titre de rappel de prime d'ancienneté au titre de la classification F,

- 31,20 € au titre de l'incidence congés payés,

- 60 € au titre du maintien de salaire au cours de la période maladie,

- 6 € au titre de l'incidence congés payés.

Fixe le salaire de Mme [U] [L] à la somme de 1.563,94 euros.

Dit que le licenciement de Mme [U] [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Rodier à payer à Mme [U] [L] les sommes suivantes :

- 3.127,88 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 312,78 € de congés payés afférents ;

- 7.819,70 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ordonne la remise par la société Rodier des bulletins de salaire et de l'attestation Pôle Emploi rectifiés.

Dit que les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, les créances indemnitaires à compter de la décision les ayant prononcées et que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Condamne la société Rodier aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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