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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 30 septembre 2025, n° 21/07843

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/07843

30 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 30 SEPTEMBRE 2025

N° 2025/ 402

Rôle N° RG 21/07843 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHQWR

SARL LA VERRERIE DE [Localité 10]

C/

[V] [U] épouse [T]

[A] [U] épouse [Y]

[E] [U]

[Z] [G]

[I] [U]

[J] [U]

[R] [U]-[K]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Agnès ERMENEUX

Me Lauriane BUONOMANO

Me Sandra JUSTON

Me Marie-Christine

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire de GRASSE en date du 13 Avril 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 16/01391.

APPELANTE

SARL LA VERRERIE DE [Localité 10]

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social

demeurant [Adresse 12]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant par Me Martine BLANCK DAP, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Virginie MARTEL, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Madame [V] [U] épouse [T]

née le 10 Novembre 1947 à [Localité 9] (06), demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Lauriane BUONOMANO de la SELEURL LAURIANE BUONOMANO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant par Me Ingrid OLIVER-D'OLLONNE, avocat au barreau de GRASSE

Madame [A] [U] épouse [Y]

née le 18 Juillet 1954 à [Localité 10] (06), demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Sébastien BADIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et plaidant par Me Gérard BENTATA, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Grégory BENTATA, avocat au barreau de GRASSE

Madame [E] [U]

née le 07 Mai 1946 à [Localité 9] (06), demeurant [Adresse 15]

Madame [Z] [G]

née le 26 Janvier 1945 à [Localité 13] (SUISSE), demeurant [Adresse 16]

Madame [I] [U]

née le 05 Septembre 1970 à [Localité 9] (06), demeurant [Adresse 16]

Monsieur [J] [U]

né le 23 Août 1972 à [Localité 11] (06), demeurant [Adresse 8]

Madame [R] [U]-[K]

née le 14 Août 1987 à [Localité 14] (06), demeurant [Adresse 1] (BELGIQUE)

représentés par Me Marie-Christine CAPIA de la SELARL LESTRADE-CAPIA, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 Juin 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Madame Catherine OUVREL, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Anastasia LAPIERRE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2025,

Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Mme Anastasia LAPIERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et de la procédure

Mme [E] [U], Mme [Z] [G], Mme [I] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U]-[K], Mme [A] [U] épouse [Y] et Mme [V] [U] épouse [T] étaient propriétaires indivis, en qualité d'héritiers de [F] et [D] [U], d'un ensemble immobilier situé sur la commune de [Localité 10], dans lequel la société La Verrerie de [Localité 10] exploite un fonds de commerce depuis 1971.

Par acte sous seing privé en date des 21 et 24 septembre 2015, cinq des indivisaires (Mme [E] [U], Mme [Z] [G], Mme [I] [U], M. [J] [U] et Mme [R] [U]-[K]), ci-après nommés les consorts [U] [G], ont conclu avec la SARL La Verrerie de [Localité 10] un compromis de vente portant sur leurs droits indivis, représentant les 13/ 23ème du bien, sous condition suspensive de non-exercice par les deux indivisaires restants, Mme [Y] et Mme [T], de leur droit de préemption.

Par actes des 28 octobre et 13 novembre 2015, le compromis a été notifié à Mme [Y] et Mme [T] afin de purger leur droit de préemption.

Mme [Y] a exercé son droit de préemption par acte du 23 novembre 2015, tandis que Mme [T] a, par acte du 1er décembre 2015, assigné la société La Verrerie de [Localité 10] et les consorts [U], signataires du compromis de vente, devant le tribunal de grande instance de Grasse, en nullité de l'acte de notification.

Le 22 décembre 2017, les indivisaires ont procédé en l'étude de Me [L] [O], notaire, au partage des successions de [F] et [D] [U], mettant fin à l'indivision successorale par licitation partage de l'immeuble au profit de Mmes [T] et [Y], qui sont ainsi devenues seules propriétaires de celui-ci à hauteur de la moitié chacune.

L'acte de partage a été publié à la conservation des hypothèques le 10 janvier 2018.

Par acte du 17 avril 2018, la société La Verrerie de [Localité 10] a assigné Mme [Y] en intervention forcée dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Grasse à l'initiative de Mme [T], afin d'obtenir l'annulation de l'acte par lequel elle a exercé son droit de préemption et de l'acte de partage de l'indivision.

Entre temps, un conflit opposant la locataire et les propriétaires de l'immeuble au sujet du paiement des loyers et d'une indemnité d'assurance versée par la société Axa à la suite de dégâts dans les locaux, a donné lieu à plusieurs procédures.

Dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Grasse, Mme [Y] a conclu à l'irrecevabilité des demandes de la société La Verrerie de [Localité 10], faute de publication de l'assignation auprès des services de la publicité foncière.

Par jugement contradictoire du 13 avril 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a :

- déclaré les demandes de la société la Verrerie de [Localité 10] irrecevables ;

- dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les consorts [U] [G] ;

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire ;

- dit n'y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

Pour déclarer la société La Verrerie de [Localité 10] irrecevable en ses demandes, le tribunal a considéré que si la demande d'annulation de l'exercice du droit de préemption relève de l'article 37 2° du décret de 1955, qui n'impose pas la publication d'une telle demande, en revanche, l'assignation en nullité de l'acte de partage relève des dispositions des articles 28 et suivants du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 qui rend la publication obligatoire, ce dont elle ne justifie pas et que les demandes sont intrinsèquement liées puisque, s'il est fait droit à la demande d'annulation de l'acte de préemption, la décision fera revivre le compromis de vente qui est incompatible avec le partage intervenu postérieurement entre les indivisaires.

Par acte du 27 mai 2025, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la société La Verrerie de [Localité 10] a interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en ses demandes, a rejeté toute autre demande plus ample ou contraire, dit n'y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 27 mai 2025.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 12 mai 2025, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société La Verrerie de [Localité 10] demande à la cour de:

' infirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en ses demandes ;

Statuant à nouveau,

' prononcer la nullité de la déclaration de préemption en date du 23 novembre 2015 notifiée par Mme [Y] ;

' juger que la condition suspensive de non-exercice du droit de préemption du co-indivisaire prévu à l'article 815-14 du code civil est réalisée ;

' dire que la vente des droits indivis détenus par les consorts [U] à son profit est parfaite à la date du 24 septembre 2015 ;

' ordonner que l'arrêt à intervenir vaudra acte authentique de vente à son profit de la quote-part indivise des consorts [U] sur la propriété du bien située [Adresse 2], soit 13/23èmes en pleine propriété, moyennant un prix de 964 783 euros,

Ladite propriété cadastrée :

- Section BL, numéro [Cadastre 7], lieudit [Adresse 2], pour une contenance de vingt-deux ares et soixante-treize centiares,

- Section BL, numéro [Cadastre 4], lieudit [Adresse 2], pour une contenance de cinquante ares et soixante-quinze centiares,

- Section BL, numéro [Cadastre 3], lieudit [Adresse 2], pour une contenance de cinq ares et quarante-trois centiares,

Soit ensemble : soixante-dix-huit ares et quatre-vingt-onze centiares,

' ordonner la publication du jugement à intervenir au service de la publicité foncière d'[Localité 9], 1er bureau du lieu de situation de l'immeuble afin de rendre la vente opposable aux tiers ;

' prononcer la nullité que l'acte de partage en date du 22 décembre 2017 entre Mme [T], Mme [Y] et les consorts [U] [G] et, subsidiairement, lui déclarer l'acte inopposable ;

En toute hypothèse,

' condamner solidairement Mme [Y] et Mme [T] à lui payer la somme de 505 504 euros en réparation d'une perte de chance correspondant à la fraction de loyer qu'elle aurait pu économiser, 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure, distraits au profit de son avocat.

Dans ses dernières conclusions d'intimée régulièrement notifiées le 7 mai 2025, auxquelles il convient de renvoyer pour l'exposé des moyens, Mme [Y] demande à la cour de :

A titre principal,

' confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

' déclarer irrecevables pour défaut de publicité foncière les demandes formulées par la société La Verrerie de [Localité 10] ;

A titre subsidiaire,

' déclarer l'assignation en intervention forcée que lui a délivrée la société La Verrerie [Localité 10] irrecevable pour défaut de qualité à agir et subsidiairement pour défaut d'intérêt à agir ;

A titre encore plus subsidiaire et sur le fond,

' débouter la société La Verrerie de [Localité 10] de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

' condamner la société La Verrerie de [Localité 10] à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de son avocat.

Dans ses dernières conclusions d'intimée régulièrement notifiées le 12 novembre 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour l'exposé des moyens, Mme [T] demande à la cour de :

' confirmer le jugement en toutes ses dispositions et juger irrecevables les demandes de la société La Verrerie de [Localité 10] ;

Y ajoutant,

' condamner la société La Verrerie de [Localité 10] à lui payer la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

' débouter la société La Verrerie de [Localité 10] de l'ensemble de ses demandes ;

' juger nulle et de nul effet la notification de son droit de préemption en date du 13 novembre 2015 ;

' constater la caducité du compromis de vente des 21 et 24 septembre 2015 ;

' condamner la Sarl Verrerie de [Localité 10] à lui payer la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions d'intimés régulièrement notifiées le 15 novembre 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour l'exposé des moyens, les consorts [U] [G] demandent à la cour de :

' confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de la société La Verrerie de [Localité 10] irrecevables;

' prononcer leur mise hors de cause ;

' débouter la société la Verrerie de [Localité 10], Mme [T] et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes à leur encontre ;

' condamner in solidum la société La Verrerie de [Localité 10], Mme [T] et Mme [Y] à leur payer 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

1/ Sur la recevabilité des demandes de la société La Verrerie de [Localité 10] au regard des règles de publicité foncière

1.1 Moyens des parties

La société La Verrerie de [Localité 10] fait valoir que la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de ses demandes d'annulation de l'acte de préemption et de partage a été régularisée suivant bordereaux des 16 novembre 2021 et 9 mai 2022 auprès du service de la publicité foncière d'[Localité 9], conformément aux dispositions de l'article 123 du code de procédure civile et dans les conditions de l'article 28.4 du décret du 4 janvier 1995.

Mme [Y], Mme [T] et les consorts [U] soutiennent que la publication au service de la publicité foncière le 16 novembre 2021 est postérieure à la publication de l'acte de partage de l'indivision qui a eu lieu le 10 janvier 2018, de sorte qu'elle ne saurait utilement régulariser la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication.

1.2 Réponse de la cour

En application de l'article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, dans sa rédaction applicable au jour de l'acte par lequel la société La Verrerie de [Localité 10] a sollicité l'annulation de l'exercice du droit de préemption et de l'acte de partage (assignation du 17 avril 2018), résultant de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, sont obligatoirement publiés au bureau des hypothèques de la situation des immeubles les actes et décisions judiciaires, énumérés ci-après, lorsqu'ils portent sur des droits soumis à publicité : c) les demandes en justice tendant à obtenir, et les actes et décisions constatant, la résolution, la révocation, l'annulation, ou la rescision d'une convention ou d'une disposition à cause de mort.

L'article 30-5 dispose que les demandes tendant à faire prononcer la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision de droits résultant d'actes soumis à publicité ne sont pas recevables devant les tribunaux que si elles ont été elles-mêmes publiées conformément aux dispositions de l'article 28-4 c), et s'il est justifié de cette publication par un certificat du conservateur ou la production d'une copie de la demande revêtue de la mention de publicité.

Ce texte, d'interprétation stricte, ne concerne que les demandes tendant à la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision des droits résultant d'actes soumis à publicité, c'est-à-dire les actions visant l'anéantissement d'un droit antérieurement publié.

En conséquence, la demande d'annulation de l'exercice par Mme [Y] de son droit de préemption, qui ne tend pas à la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'un droit antérieurement publié, n'avait pas à être publiée.

En revanche, l'action en annulation d'un acte de partage d'indivision porte sur des droits résultant d'un acte soumis à publicité, et comme telle, tend à l'anéantissement rétroactif d'un droit antérieurement publié, de sorte qu'elle doit être publiée.

En l'espèce, si devant le premier juge, la société la Verrerie de [Localité 10] n'a pas justifié de la publication de l'assignation délivrée à Mme [Y] le 17 avril 2018, elle en justifie désormais devant la cour puisqu'elle produit l'acte d'enregistrement de l'inscription revêtu de la formule de publication, qui porte bien sur les conclusions du 16 août 2021 par lesquelles elle sollicite l'annulation de l'acte de préemption et la nullité du partage. Cette publication a été enregistrée le 16 novembre 2021 et rectifiée le 9 mai 2022.

Le défaut de publication d'une demande tendant à l'annulation d'un acte portant sur des droits soumis à publicité constitue une fin de non-recevoir pouvant être régularisée conformément aux dispositions de l'article 126 du code de procédure civile.

Aucune déchéance n'est édictée pour l'accomplissement de cette formalité à laquelle il peut être procédé jusqu'à la clôture des débats, la régularisation pouvant intervenir en cause d'appel et l'ordre des publications est indifférent pour apprécier la recevabilité de l'action au regard de l'exigence posée par l'article 28 précité.

Dès lors, aucune irrecevabilité n'est encourue de ce chef.

2/ Sur la qualité et l'intérêt à agir de la société La Verrerie de [Localité 10]

2.1 Moyens des parties

La société La Verrerie de [Localité 10] soutient qu'elle justifie de sa qualité à agir en nullité de la déclaration de préemption dès lors que cette demande, en lien avec les prétentions formulées par Mme [T] dans le cadre de la procédure initiale, qui ont-elles-mêmes pour finalité de contester l'efficacité du compromis de vente, tend à voir trancher l'existence d'une fraude commise par Mme [Y] à la faveur de l'exercice de son droit de préemption, dont l'unique objectif est de faire échec aux droits qui lui ont été consentis par le compromis de vente ; que la contestation d'une déclaration de préemption n'est pas une action attitrée réservée aux seuls indivisaires, les tiers étant recevables, en cas de fraude à leurs droits, à en solliciter la nullité ; qu'il en va de même de la priorité consentie au second acquéreur qui le premier publie son titre, qui ne vaut pas dans l'hypothèse où la seconde vente est le résultat d'un concert frauduleux entre vendeur et second acquéreur ; qu'en l'espèce, Mme [Y] a préempté dans l'unique but, frauduleux, de faire échec aux droits qu'elle tirait du compromis de vente, mais sans réelle intention de préempter ; que la collusion frauduleuse résulte de la chronologie des actes, à savoir une déclaration de préemption par Mme [Y] alors qu'elle n'a jamais eu l'intention d'acquérir les droits de ses co-indivisaires et qu'elle ne s'est finalement pas substituée à elle en réalisant la vente dans le délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au vendeur conformément à l'article 815-14 al 3 du code civil, une assignation délivrée par Mme [T] sans mise en cause de Mme [Y], en vue de faire annuler la notification de son droit de préemption avant l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article 811-14 du code civil et de paralyser le compromis de vente et un partage en fraude de ses droits, à la faveur duquel le bien a été valorisé à 762 000 euros contre 1 530 000 euros dans le cadre du compromis, tous actes témoignant d'une volonté de détourner le mécanisme protecteur du droit de préemption en vue de faire obstacle à la vente par les consorts [U] [G] de leurs droits indivis et de délivrer Mme [Y] de l'obligation de réitérer la vente par acte authentique, à laquelle l'exercice du droit de préemption la contraignait.

Elle en déduit que la fraude dont elle a été victime lui donne intérêt à agir en annulation de l'acte de préemption, nonobstant la règle de priorité tirée de la date de publicité des actes, afin de voir constater, par l'effet du caractère rétroactif de l'annulation, la défaillance de la condition suspensive de non-exercice du droit de préemption et le caractère parfait de la vente.

Mme [Y], Mme [T] et les consorts [U] font valoir que seuls les indivisaires ont qualité pour solliciter l'annulation de l'exercice d'un droit de préemption, le tiers évincé ne pouvant se substituer à eux et que, s'agissant d'une action attitrée, la société la Verrerie de [Localité 10] n'a aucune qualité pour agir ; qu'elle ne justifie pas davantage de son intérêt à agir puisque d'une part, la publication de l'assignation, qui est intervenue le 16 novembre 2021, leur est inopposable au regard de l'antériorité de la publication de l'acte de partage, qui est intervenue le 10 janvier 2018 et d'autre part qu'au jour de l'assignation, le 14 avril 2018, l'acte de partage, en date du 22 décembre 2017, était déjà intervenu, entrainant la disparition de l'objet de la vente puisque les vendeurs avaient, aux termes de ce partage, cédé les droits indivis objets du compromis et que la fraude dont se prévaut la société La Verrerie de [Localité 10] n'est établie par aucune pièce probante, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir ni d'une qualité, ni d'un intérêt à agir.

2.2 Réponse de la cour

En application de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Ainsi, sous réserve du cas particulier des actions dites attitrées, la recevabilité de l'action est soumise à la seule condition que son auteur justifie d'un intérêt à agir, qui doit être direct et personnel, né et actuel, sérieux et légitime.

Le droit de préemption prévu par l'article 815-14 du code civil, qui a pour vocation de permettre aux indivisaires d'empêcher l'entrée d'étrangers dans l'indivision, obéit à des règles particulières éditées dans un souci de protection des indivisaires.

Il en résulte que seul le cédant peut se prévaloir de la nullité de la déclaration de préemption, prévue par l'article 815-14, alinéa 3, du code civil qui dispose que la déclaration de préemption est nulle de plein droit si la mise en demeure est restée " sans effet " dans le délai imparti.

Cependant, en l'espèce, la société La Verrerie de [Localité 10] n'agit pas en annulation de l'acte de préemption pour violation des dispositions prévues par ce texte, mais au titre d'une fraude.

Or, l'action en annulation d'un acte pour fraude n'est pas une action attitrée, en ce que la loi ne la réserve pas aux « seules personnes désignées par la loi » au sens de l'article 31 du code de procédure civile.

Par conséquent, et sans qu'il soit préjugé du bien-fondé de l'action, sa recevabilité ne peut être contestée au seul motif que son auteur ne justifie d'aucune qualité pour agir.

S'agissant de l'intérêt à agir, il s'entend de l'intérêt du demandeur au succès de ses prétentions.

En cas de conflit opposant des acquéreurs successifs d'un même immeuble qui détiennent leurs droits d'un même auteur, l'article 30-1 du décret du 4 janvier 1955 dispose que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité ['] sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés [']. Ils sont également inopposables, s'ils ont été publiés, lorsque les actes, décisions, privilèges ou hypothèques, invoqués par ces tiers, ont été antérieurement publiés.

Il en résulte que, par un mécanisme d'inopposabilité, une priorité est consentie au second acquéreur s'il publie son titre le premier.

En l'espèce, l'acte par lequel la société Le Verrerie de [Localité 10] sollicite l'annulation de l'acte d'exercice par Mme [Y] de son droit de préemption et demande que la vente soit déclarée parfaite a été publié le 16 novembre 2021. L'acte de partage, par lequel Mme [Y] tire des droits du même auteur que celui dont la société la Verrerie de [Localité 10] prétend tenir les siens, a été publié le 10 janvier 2018.

Cependant, le principe de priorité consentie au second acquéreur qui le premier publie son titre, cède dans l'hypothèse où la seconde vente est le résultat d'un concert frauduleux entre vendeur et second acquéreur, visant à dépouiller le bénéficiaire de la première aliénation.

Or, la société La Verrerie de [Localité 10] invoque précisément une fraude des indivisaires destinée à faire échec à l'exécution du compromis de vente.

Cette collusion frauduleuse, à la supposer constituée, est de nature à rendre inopposable à la société La Verrerie de [Localité 10], acquéreur évincé et demanderesse à l'action, l'acte de partage publié antérieurement.

Cependant, la fraude invoquée est une condition du succès de l'action et non de sa recevabilité.

En conséquence, sans que la recevabilité de l'action préjuge de son bien-fondé, la société La Verrerie de [Localité 10] justifie de son intérêt à agir pour voir reconnaître l'existence d'un concert frauduleux propre à justifier d'écarter la règle d'inopposabilité prévue par l'article 30 1° du décret du 4 janvier 1955 et de voir constater, par l'effet du caractère rétroactif de l'annulation, la défaillance de la condition suspensive de non-exercice du droit de préemption et le caractère parfait de la vente.

La société La Verrerie de [Localité 10] justifiant de son intérêt et de sa qualité pour agir, sa demande aux fins d'annulation de l'acte par lequel Mme [Y] a exercé son droit de préemption, est recevable.

S'agissant de la demande d'annulation de l'acte de partage, dont la recevabilité est également contestée, l'appréciation de cette fin de non-recevoir dépend du sort qui sera réservé au fond à la demande d'annulation de l'acte de préemption puisqu'il est soutenu que n'étant pas indivisaire, la société La Verrerie de [Localité 10] n'a pas qualité pour agir en nullité du partage, quand celle-ci soutient, d'une part que l'annulation de l'acte par lequel Mme [Y] a exercé son droit de préemption, par son effet rétroactif, la restitue dans sa qualité de propriétaire indivis du bien immobilier litigieux, d'autre part que Mme [T] n'ayant pas exercé ce droit, est, de facto, propriétaire indivis à hauteur des droits de cette dernière dans l'indivision.

Par conséquent, il sera statué sur cette fin de non-recevoir après examen au fond des demandes d'annulation de l'acte par lequel Mme [Y] a exercé son droit de préemption et de la validité de la notification à Mme [T] de son droit de préemption.

3/ Sur la demande d'annulation de l'acte de préemption

3.1 Moyens des parties

La société La Verrerie de [Localité 10] fait valoir qu'en application du principe selon lequel la fraude corrompt tout, la règle de priorité tirée de la publication antérieure de l'acte de partage, doit être écartée et l'acte de préemption déclaré nul ; que la collusion frauduleuse entre Mme [Y], Mme [T] et les autres indivisaires résulte de la chronologie des actes, à savoir une déclaration de préemption alors que Mme [Y] n'a jamais eu l'intention d'acquérir les droits de ses Co-indivisaires, une assignation délivrée dans le même temps par Mme [T] sans mise en cause de Mme [Y], en vue de faire annuler la notification de son droit de préemption avant l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article 815-14 du code civil et de paralyser le compromis de vente et un partage à la faveur duquel le bien a été valorisé à 762 000 euros contre 1 530 000 euros dans le cadre du compromis, tous ces actes témoignant d'une volonté de détourner le mécanisme protecteur du droit de préemption en vue de faire obstacle à la vente par les consorts [U] de leurs droits indivis et de délivrer Mme [Y] de son obligation de réitérer la vente par acte authentique ; que Mme [Y] qui n'a pas dans le délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au vendeur réalisé la vente, conformément à l'article 815-14 al 3 du code civil, ne démontre par aucune pièce qu'elle avait réellement l'intention de préempter et que la nullité de l'exercice du droit de préemption, qui a un effet rétroactif, a pour double conséquence une défaillance de la condition suspensive stipulée au compromis de vente et le caractère parfait de la vente.

Mme [Y] soutient que la société La Verrerie de [Localité 10] ne rapporte pas la preuve du caractère frauduleux de sa déclaration de préemption, qui est conforme aux exigences de l'article 815-14 alinéa 2 et 3 du code civil ; qu'en tout état de cause, le compromis de vente conclu entre les consorts [U] [G] et la société la Verrerie de [Localité 10] stipule, après avoir rappelé l'existence d'un droit de préemption au profit des deux indivisaires n'ayant pas signé l'acte, que l'exercice de ce droit rendra le compromis caduc même en cas d'annulation de la préemption ou de renonciation ultérieure expresse ou tacite à la décision de préemption, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'aucune fraude n'est caractérisée puisque, si selon l'article 815-14 du code civil, celui qui préempte dispose d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente et que, passé ce délai, la préemption est nulle de plein droit quinze jours après mise en demeure de l'un des co-indivisaires, demeurée sans effet, en l'espèce, les co-indivisaires ne l'ont pas mise en demeure, manifestant par cette inaction leur intention de renoncer à la vente ; que la nullité étant relative, peut être couverte par la renonciation du cédant à l'invoquer et, qu'en tout état de cause, son intention de préempter était sincère, motivée par le souci légitime d'éviter l'intrusion d'un tiers dans l'indivision, puisque ne détenant que 5/23ème des droits indivis, et 10/23ème avec Mme [T], elle devenait minoritaire et ne pouvait plus obtenir un mandat général d'administration de l'indivision dans un contexte de conflit très intense avec la locataire au sujet du paiement des loyers.

Mme [T] et les consorts [U] [G] font valoir, de même, que la société La Verrerie de [Localité 10] échoue à démontrer l'existence de la collusion frauduleuse dont elle excipe pour obtenir l'annulation de l'acte par lequel Mme [Y] a exercé son droit de préemption.

3.2 Réponse de la cour

En application de l'article 815-14 du code civil tout indivisaire qui entend céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l'indivision, tout ou partie de ses droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens, est tenu de notifier par acte extrajudiciaire aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir.

Tout indivisaire peut, dans le délai d'un mois qui suit cette notification, faire connaître au cédant, par acte extrajudiciaire, qu'il exerce un droit de préemption aux prix et conditions qui lui ont été notifiés.

En cas de préemption, celui qui l'exerce dispose pour la réalisation de l'acte de vente d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au vendeur. Passé ce délai, sa déclaration de préemption est nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure restée sans effet, et sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent lui être demandés par le vendeur.

L'exercice du droit de préemption obéit donc à des conditions de délai dont le non- respect est sanctionné par une nullité de plein droit.

La finalité de ce texte est directement liée à l'objet même du droit de préemption qui est de permettre à un indivisaire de s'opposer à l'arrivée d'un tiers au sein de l'indivision et de garantir que cette dernière pourra durer et fonctionner conformément à la volonté des indivisaires.

Dès lors qu'il a pour vocation de protéger les indivisaires, la nullité qui résulte de l'inobservation des dispositions de l'article 815-14 alinéa 3 est une nullité relative dont seuls les indivisaires cédants peuvent se prévaloir, et à laquelle ils peuvent renoncer.

La société La Verrerie de [Localité 10] ne le conteste pas, qui se prévaut pour fonder sa demande, non pas du non-respect de ce texte mais de l'existence entre les indivisaires d'une collusion frauduleuse destinée à la priver des droits qu'elle tirait du compromis de vente antérieur au partage.

Il est de principe que tout droit obtenu par fraude est entaché d'un vice.

Lorsqu'ils sont démontrés, la fraude ou le concert frauduleux ont pour effet de rendre l'acte inopposable à celui-ci dont les droits ont été sciemment contournés.

Ce principe vaut également si l'acte litigieux a été publié puisque la règle d'inopposabilité de l'acte publié après la publication régulière d'un acte, quand bien même celui-ci était postérieur, est écartée en cas de fraude.

Encore faut-il cependant que la fraude soit prouvée par celui qui l'invoque.

La fraude suppose la réunion d'un élément intentionnel et d'un élément matériel. Sa preuve est libre et elle peut être caractérisée par l'appréciation globale d'une multiplicité de faits.

La seule preuve de la connaissance par le deuxième acquéreur de l'existence du premier acte n'est pas suffisante pour caractériser une fraude ou même la mauvaise foi de ce dernier.

En l'espèce, il incombe à la société La Verrerie de [Localité 10] qui s'en prévaut, d'une part pour échapper à l'opposabilité de l'acte de partage publié antérieurement, d'autre part exciper de l'inopposabilité de l'exercice par Mme [Y] de son droit de préemption, de démontrer la mauvaise foi de Mmes [Y] et [T] et l'existence d'un concert frauduleux entre elles et les autres indivisaires.

Il résulte de la chronologie des faits que Mme [Y] a exercé son droit de préemption par acte du 23 novembre 2015, soit dans le délai de deux mois prévu par l'article 815-14 du code civil.

De son côté, Mme [T] a agi en annulation de la notification de son droit de préemption par acte du 1er décembre 2015. Certes, elle n'a pas appelé en cause Mme [Y], mais elle n'avait aucune obligation de le faire dès lors que celle-ci n'était pas partie au compromis de vente. L'assignation qu'elle a fait délivrer à la société La Verrerie de [Localité 10] porte sur les effets de la clause de substitution stipulée dans le compromis au regard de son droit de connaitre l'identité du nouveau tiers acquéreur, bénéficiaire de la clause de substitution.

La concomitance des actions, dont le caractère abusif n'est pas démontré, est donc à elle seule insuffisante pour caractériser un concert frauduleux, peu important que l'assignation ait été délivrée avant l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article 815-14 al 3 puisque celle-ci n'empêchait pas les autres indivisaires, s'il entendait poursuivre la vente, de mettre en demeure Mme [Y] de régulariser l'acquisition.

L'absence de réalisation de la vente au mépris de l'article 815-14 du code civil ne démontre pas nécessairement l'existence d'une fraude aux droits de la société La Verrerie de [Localité 10], quand bien même celle-ci a été évincée de la vente par l'effet d'une préemption non suivie d'effet, puisque le compromis de vente conclu entre les consorts [U] [G] et la société la Verrerie de [Localité 10] les 21 et 24 septembre 2015 stipule page 9, après avoir rappelé l'existence d'un droit de préemption, notamment au profit des deux indivisaires n'ayant pas signé l'acte, que « l'exercice par ces derniers du droit de préemption, s'il arrive, obligera le vendeur à l'égard du préempteur et rendra les présentes caduques, ce que les parties reconnaissent, même en cas d'annulation de la préemption ou de renonciation ultérieure, expresse ou tacite, à la décision de préemption de la part du bénéficiaire de celle-ci ».

Au regard de cette clause, dont la teneur est, sauf à en dénaturer le sens, dénuée d'ambiguïté, Mme [Y] pouvait légitimement croire que le compromis était caduc puisqu'elle avait usé de son droit de préemption et que la caducité valait « même en cas d'annulation de la préemption ou de renonciation ultérieure expresse ou tacite à la décision de préemption ».

Il importe donc peu qu'elle n'ait pas, dans le délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au vendeur, réalisé la vente ou que Mme [T] ait de son côté et sans l'appeler en cause, agi aux fins d'annulation de la notification de son droit de préemption.

Quant à l'inaction des autres indivisaires, elle traduit une intention de renoncer à la vente en exécution du compromis, devenu caduc aux termes de la clause précitée.

Or, à défaut de disposition le précisant dans l'article 815-14 du code civil, qui a seulement pour but d'éviter l'intrusion d'un tiers étranger à l'indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l'intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente.

Il en résulte que le cédant, auteur de la notification, a la possibilité de renoncer à la vente envisagée au nom d'un droit de repentir même après la préemption exercée par un indivisaire, et que la décision adoptée par un indivisaire, dans le délai requis, d'exercer le droit de préemption ne peut être regardée comme une acceptation susceptible de rencontrer une offre.

Par conséquent, la différence entre le prix de vente stipulée au compromis et le prix stipulé dans l'acte de licitation-partage, ne démontre pas davantage l'existence d'une fraude.

La société La Verrerie de [Localité 10], qui en signant le compromis a « reconnu », et donc accepté, qu'il serait caduc en cas d'exercice du droit de préemption quand bien même celle-ci serait nulle ou que le préempteur y renoncerait ensuite, ne peut utilement soutenir que les indivisaires, en appliquant cette clause, ont commis une fraude à son préjudice.

Les indivisaires n'ont fait qu'user d'un droit, expressément reconnu par le compromis, de renoncer, expressément ou tacitement, au droit de préemption, sans que cette renonciation ait pour effet de faire revivre le compromis devenu caduc par l'exercice du droit de préemption.

Quant au partage de l'indivision qui est ensuite intervenu entre les indivisaires, le compromis étant devenu caduc, il ne révèle par lui-même aucune intention ou collusion frauduleuse.

En conséquence, la société La Verrerie de [Localité 10] ne démontre par aucune pièce l'existence d'une collusion frauduleuse destinée à faire échec à l'exercice de ses droits.

Partant, elle n'est pas fondée en sa demande d'annulation de l'exercice par Mme [Y] du droit de préemption.

4/ Sur la demande d'annulation de la notification à Mme [T] de son droit de préemption

4.1 Moyens des parties

Mme [T], demanderesse à l'annulation, fait valoir que, selon l'article 815-14 du code civil, la notification doit contenir les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir ; que le droit de préemption ayant pour vocation de préserver les intérêts de l'indivisaire qui ne souhaite pas vendre afin qu'il soit en mesure d'éviter l'entrée dans l'indivision d'une personne physique ou morale qui y est étrangère, la notification doit lui permettre d'apprécier l'opportunité d'une préemption ; qu'en l'espèce, le compromis de vente à la société La Verrerie de [Localité 10] contient en page 19 un paragraphe intitulé « faculté de substitution » qui ne répond pas aux exigences de l'article 815-14 du code civil en ce que la clause ne lui permet pas de connaitre avec exactitude l'identité de la personne physique ou morale au profit de qui le compromis de vente serait réitéré, de sorte que la notification qui lui a été adressée le 13 novembre 2015 est nulle est de nul effet.

La société la Verrerie de [Localité 10] n'a pas conclu sur ce point, sauf à qualifier l'action d'abusive en ce qu'elle participerait du concert frauduleux destiné à la priver des droits qu'elle tirait du compromis de vente.

Mme [Y] soutient qu'aucune information ne leur a été donnée depuis près de huit ans sur l'identité de l'acquéreur envisagé en exécution de la clause de substitution, au mépris des droits de Mme [T] de la connaitre et que ce silence démontre une volonté d'éviction de cette dernière afin de la spolier de ses droits successoraux.

Les consorts [U] [G] n'ont pas conclu sur ce point.

4.2 Réponse de la cour

L'exercice par Mme [Y] de son droit de préemption a pour effet de rendre caduc le compromis de vente conclu au profit de la société La Verrerie de [Localité 10], nonobstant la renonciation ultérieure par l'intéressée à l'exercice de son droit.

La caducité concerne l'ensemble des droits indivis qui devaient être cédés.

Par conséquent, la demande de Mme [T] en vue de voir annuler la notification de son propre droit de préemption devient sans objet.

Il résulte de tout ce qui précède que le compromis de vente conclu les 21 et 24 septembre 2014 entre les consorts [U] [G] et la société la Verrerie de [Localité 10], sous condition suspensive de non-exercice par Mmes [Y] et [T] de leur droit de préemption, est devenu caduc.

En conséquence, la société La Verrerie de [Localité 10] sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer la vente parfaite.

5/ Sur la demande d'annulation du partage

5.1 Moyens des parties

La société la Verrerie de [Localité 10] fait valoir que compte tenu du caractère parfait de la vente, le partage du 22 décembre 2017 est intervenu en fraude de ses droits de co-indivisaire, de sorte qu'il est nul en application des dispositions des articles 887 et 1178 du code civil, qui imposent à peine de nullité la présence de tous les indivisaires à l'acte de partage ; que selon cet acte, les consorts [U] [G] se sont vus attribuer, en contrepartie de la cession de leurs droits à Mmes [Y] et [T], une créance de loyers qui n'existe pas, or une dette inexistante, intégrée à un acte de partage rend celui-ci nul et qu'à défaut d'être nul, l'acte de partage lui est inopposable en application de l'article 1341-2 du code civil selon lequel le créancier peut agir pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits lorsque le tiers contractant avait connaissance de la fraude, ce qui est le cas en l'espèce, dès lors qu'elle est bénéficiaire d'une promesse de vente et qu'au regard de la fraude commise à son préjudice, les promettants ne pouvaient valablement procéder au partage litigieux en vue de mettre en échec le compromis de vente.

Mme [Y] soutient qu'à défaut de levée de la condition suspensive d'absence de préemption, la société La Verrerie de [Localité 10] ne justifie pas de sa qualité d'héritière aux successions d'[D] et [F] [U] et ne dispose pas à ce jour d'un droit certain lui permettant d'agir en nullité du partage ou d'exercer l'action paulienne ; que le droit au partage de l'indivision est un droit absolu qui a un effet rétroactif au jour du décès de l'ouverture de l'indivision, de sorte que l'acte de partage du 22 décembre 2017 l'a rendue propriétaire avec effet rétroactif au 8 juillet 2011, date du décès de M. [D] [U] et qu'en conséquence, les droits vendus au terme du compromis avaient été promis en mutation par les cédants qui n'avaient pas le pouvoir de les vendre.

Mme [T] fait valoir que la société La Verrerie de [Localité 10] échoue à démontrer l'existence d'une fraude à ses droits justifiant l'annulation du partage entre les indivisaires.

Les consorts [U] [G] font valoir qu'en l'absence de fraude démontrée, la société La Verrerie de [Localité 10] est dépourvue de qualité à agir en nullité de l'acte de partage.

5.2 Réponse de la cour

La recevabilité de la demande d'annulation de l'acte de partage étant soulevée, il convient, avant d'aborder le fond, de statuer sur la fin de non-recevoir.

Au regard de la caducité du compromis de vente, la société La Verrerie de [Localité 10] ne peut se prévaloir de la qualité d'indivisaire du bien immobilier objet du partage.

Or, seuls les indivisaires ont qualité pour agir en nullité d'un partage.

La société la Verrerie de [Localité 10] est donc irrecevable à agir en nullité du partage et il n'y a pas lieu, dès lors, d'entrer dans le détail son argumentation relative à l'inclusion dans le partage d'une dette inexistante, ce d'autant que les indivisaires n'ont fait qu'user de leur liberté de mettre fin à l'indivision.

En application de l'article 1341-2 du code civil, le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.

Cependant, si l'existence d'une fraude est une condition du succès (donc de fond) de l'action, celle-ci étant attitrée, le demandeur doit au préalable justifier de sa qualité de créancier à l'égard des auteurs de l'acte juridique dont il sollicite l'inopposabilité.

Il ne suffit donc pas d'avoir intérêt à soulever l'existence d'une fraude pour exercer cette action paulienne. Le demandeur doit en être la victime directe.

L'exercice de l'action suppose donc au moins un principe certain de créance.

En l'espèce, la société La Verrerie de [Localité 10], qui revendique la qualité de créancier en tant bénéficiaire de la promesse de vente, ne démontre par aucune pièce probante qu'elle est créancière à ce titre d'un des copartageants, dès lors que le compromis est devenu caduc et qu'elle ne démontre pas que cette caducité procède d'une collusion frauduleuse entre les indivisaires.

A défaut de démontrer qu'elle est créancière d'un copartageant, la société la Verrerie de [Localité 10] n'a pas qualité pour agir, sur le fondement de l'article 1341-2 du code civil en inopposabilité du partage.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré cette demande irrecevable.

6/ Sur la demande de dommages-intérêts

6.1 Moyens des parties

Au soutien de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de Mmes [Y] et [T] la société la Verrerie de [Localité 10] fait valoir que Mme [T] a abusé de son droit d'agir en justice lorsqu'elle l'a assignée en nullité de la notification de son droit de préemption, puisque l'action était destinée à paralyser les effets de la déclaration de préemption, elle-même frauduleuse, de Mme [Y] ; que cette fraude lui a causé un préjudice en ce qu'elle a été privée de la possibilité d'acquérir les droits indivis des consorts [U] sur le local qu'elle exploite ainsi qu'une chance de ne plus payer une partie du loyer, soit une perte 505 504 euros, correspondant à 60 % des loyers payés depuis septembre 2015.

Mme [Y] soutient qu'en l'absence de preuve d'une fraude, aucune faute ne peut lui être imputée, de sorte que sa responsabilité délictuelle n'est pas engagée et qu'en tout état de cause, la société La Verrerie de [Localité 10] échoue à démontrer l'existence de la perte de chance qu'elle allègue, laquelle résulte de sa seule carence dans l'exécution du contrat de bail.

Mme [T] conclut, de même, au rejet de cette demande, au motif que la société La Verrerie de [Localité 10] ne rapporte pas la preuve de la fraude qu'elle invoque et partant, d'une faute de sa part et qu'elle ne démontre pas davantage l'existence d'un quelconque préjudice.

6.2 Réponse de la cour

En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Ce texte impose au demandeur de prouver une faute et un préjudice en lien de causalité avec celle-ci.

Les conditions dans lesquelles Mme [T] et [Y] ont exercé leurs droits après signature du compromis de vente entre les autres co-indivisaires et la société La Verrerie de [Localité 10] ont été rappelées plus haut.

Mme [Y] a choisi d'exercer son droit de préemption tandis que Mme [T] a contesté la validité de la notification qui lui avait été faite de ce droit.

Il convient de renvoyer aux développements ci-dessus concernant la demande d'annulation de l'exercice par la première de son droit de préemption, aux termes desquels la cour considère qu'aucune fraude de l'intéressée n'est démontrée quand bien même l'absence d'exécution a ensuite privé la société La Verrerie de [Localité 10] du bénéfice de la promesse de vente, puisque le compromis de vente prévoyait expressément qu'il serait caduc dans l'hypothèse où la déclaration de préemption serait nulle ou non suivie d'effet.

Mme [T] a agi aux fins d'annulation de la notification de son droit de préemption. Si l'existence d'une clause de substitution dans le compromis ne rend pas automatiquement l'acte nul, il n'est pas démontré que Mme [T] ne pouvait à l'évidence croire au succès de ses prétentions.

S'agissant d'un compromis de vente portant sur un bien indivis, conclu par une partie seulement des indivisaires, la société La verrerie de [Localité 10] ne pouvait ignorer le risque auquel elle s'exposait au regard des dispositions légales destinées à protéger les indivisaires de toute intrusion extérieure.

Par ailleurs, la procédure engagée par Mme [T] n'empêchait pas les indivisaires de poursuivre l'exécution du compromis et, à cette fin, de mettre en demeure Mme [Y]. En y renonçant, ces derniers ont usé de leur droit de privilégier une licitation-partage sans qu'un abus puisse leur être imputé dès lors qu'il a été d'emblée convenu, et reconnu par l'acquéreur, que le compromis serait caduc même en cas d'annulation de la préemption ou de renonciation ultérieure, expresse ou tacite, à la décision de préemption.

Aucune fraude n'étant démontrée, la société La Verrerie de [Localité 10], qui n'invoque aucune autre faute, n'est pas fondée à réclamer à Mmes [Y] et [T] l'indemnisation d'un quelconque préjudice.

7/ Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sont confirmées.

La société La Verrerie de [Localité 10], qui succombe, supportera la charge des entiers dépens d'appel et n'est pas fondée à solliciter une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité justifie d'allouer aux consorts [U] [G], ensemble, à Mme [Y] et Mme [T] une indemnité de 3 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La cour,

Infirme le jugement déféré à la cour en ce qu'il a déclaré la SARL La Verrerie de [Localité 10] irrecevable en ses demandes d'annulation de l'acte de préemption et de dommages-intérêts ;

Le confirme pour le surplus de ses demandes soumises à la cour ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable la demande d'annulation de l'acte de préemption ;

Rejette la demande d'annulation de l'acte de préemption ;

Déclare sans objet la demande de Mme [V] [U] épouse [T] aux fins d'annulation de la notification de son droit de préemption ;

Dit que le compromis de vente conclu les 21 et 24 septembre 2015 entre la société la Verrerie de [Localité 10] et les consorts [U] [G] est caduc et, en conséquence, déboute la société La Verrerie de [Localité 10] de sa demande afin que la vente soit déclarée parfaite ;

Déboute la SARL La Verrerie de [Localité 10] de sa demande de dommages-intérêts ;

Condamne la SARL La Verrerie de [Localité 10] aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats, qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL La Verrerie de [Localité 10] de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant la cour ;

Condamne la SARL La Verrerie de [Localité 10] à payer à Mme [E] [U], Mme [Z] [G], Mme [I] [U], M. [J] [U] et Mme [R] [U]-[K], ensemble, une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés devant la cour ;

Condamne la SARL La Verrerie de [Localité 10] à payer à Mme [A] [U] épouse [Y] et Mme [V] [U] épouse [T] une indemnité de 3 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposés devant la cour.

Le greffier Le président

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