Livv
Décisions

CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 8 octobre 2025, n° 24/02677

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/02677

8 octobre 2025

ARRET



[X]

C/

S.A.S.U. [Adresse 8]

copie exécutoire

le 08 octobre 2025

à

Me BAO

Me MEYRIEUX

LDS/IL/CB

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 08 OCTOBRE 2025

*************************************************************

N° RG 24/02677 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JDTI

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 27 JUIN 2024 (référence dossier N° RG 2024-13164)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [K] [X]

né le 14 Juillet 1959 à [Localité 11])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne,

représenté, concluant et plaidant par Me Lauralane BAO de la SELARL BONINO BAO, avocat au barreau de SENLIS

Me Florence GACQUER CARON, avocat au barreau D'AMIENS, avocat postulant

ET :

INTIMEE

S.A.S.U. [Adresse 8]

[Adresse 10]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Alexandre MEYRIEUX de la SELEURL ODEON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 03 septembre 2025, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Laurence de SURIREY en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 08 octobre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 08 octobre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [X], né le 14 juillet 1959, initialement associé de la société Groupe Antoine Haswani, holding, unique actionnaire de la société [Adresse 7] [Adresse 9] (la société ou l'employeur), a été embauché par cette société à compter du 1er avril 2021 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de directeur.

La société [Adresse 8] compte plus de 11 salariés.

La convention collective applicable est celle des hôtels, cafés, restaurants.

Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié occupait le poste de directeur d'établissement.

Par courrier remis en main propre le 6 octobre 2022, la société a sollicité la rupture conventionnelle du contrat de travail du salarié. Après trois entretiens, le dernier s'étant tenu le 3 novembre 2022, les pourparlers ont échoué, la société refusant de faire droit aux revendications financières de M. [X].

Par courrier du 15 novembre 2022, ce dernier a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'à son licenciement, fixé au 25 novembre 2022.

Le 1er décembre 2022, il a été licencié pour fautes graves.

Contestant la légitimité de son licenciement, et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil, le 16 mars 2023.

Par jugement du 27 juin 2024, le conseil a :

- jugé le licenciement de M. [X] fondé sur une faute grave ;

- débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [X] à payer à la société [Adresse 8] la somme de 300 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

M. [X], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 février 2025, demande à la cour de :

- infirmer le jugement lequel :

- a jugé son licenciement fondé sur une faute grave ;

- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;

- l'a condamné à payer à la société [Adresse 6] [Localité 4] [Adresse 9] la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Statuant à nouveau, de :

- juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- condamner la société [Adresse 6] [Adresse 5] [Adresse 9] à lui verser les sommes suivantes :

- 13 036,72 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 19 555,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2 715,98 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 5 000 euros au titre des dommages et intérêts du fait du caractère vexatoire du licenciement ;

- 6 518,36 euros au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;

- constater qu'il a travaillé au-delà du forfait jours fixé contractuellement ;

En conséquence,

- condamner la société Domaine [Localité 4] [Adresse 9] à lui verser les sommes suivantes :

- 46 973,60 euros (majoration de 10% comprise)

- 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- juger que les sommes qui lui ont été allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Creil.

La société [Adresse 7] [Adresse 9], par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 novembre 2024, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes ;

- l'infirmer en ce qu'il a limité le montant de la condamnation de M. [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

- condamner M. [X] à lui verser une indemnité de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS,

1/ Sur le licenciement :

1-1/ Sur le bienfondé du licenciement :

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi rédigée : « Monsieur, Nous vous avons transmis par lettre recommandée avec accusé de réception, le 15 novembre 2022, une convocation pour un entretien préalable le vendredi 25 novembre 2022 à 10 heures, avec Monsieur [N] [H], dans le cadre de la procédure de licenciement engagée à votre égard.

Vous vous êtes présenté à cet entretien préalable accompagné de Madame [S] [V], conseillère du salarié inscrite sur la liste des conseillers de la préfecture de l'Oise.

Lors de cet entretien, vous n'avez pas réagi aux faits qui vous étaient reprochés et n'avez pas souhaité faire de commentaires.

Après réflexion et examen approfondi de votre dossier personnel, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave suite à votre comportement problématique avec certains salariés, et votre incompétence dans la gestion du [Localité 4], qui nuit à sa survie.

Nous vous rappelons le contexte et les principaux griefs que nous avons à votre encontre :

Vous occupez un poste de Directeur au sein du [Localité 4] depuis le 1er avril 2021 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Au cours du mois de septembre 2022, nous avons découvert de nombreux agissements qui nous ont choqué, et qui nous ont amené à mener une enquête interne auprès des salariés et contrôler plus précisément votre activité.

Sur le harcèlement moral

Entre le 19 septembre 2022 et le 29 septembre 2022, des entrevues individuelles ont été faites avec la majorité des salariés pour faire un état des lieux de leur poste de travail, leurs fonctions, leur intégration dans la société, et leur ressenti de manière générale.

C'est à l'occasion de ces entretiens que nous avons appris que vous avez des attitudes et paroles déplacées avec certains salariés, en particulier des femmes.

Une enquête interne a donc été menée afin de vérifier les allégations qui nous ont été rapportées, et d'autres entretiens ont eu lieu entre le 4 et le 8 novembre 2022.

Selon les très nombreux retours que nous avons eus, vous avez agi par le biais d'un « management paternaliste » et avez été qualifié de « manipulateur ». Vous avez usé de votre position de Directeur pour vous permettre des actions intolérables. Vous avez créé avec certaines salariées un lien qui a dépassé très largement vos fonctions de Directeur.

Vous avez ainsi demandé à certaines salariées, de venir travailler sur leurs jours de repos pour « ne pas laisser le [Localité 4] sans surveillance », ou pour honorer des rendez-vous en votre absence.

Vous avez demandé aux salariés à ce qu'ils s'adressent uniquement à vous, y compris pour les courriels. Vous avez proféré des menaces à l'encontre des salariés qui s'adressaient directement à Monsieur [N] [H], ou Monsieur [Y] [J].

Par ailleurs, vous avez également demandé à des salariés en activité partielle pendant le confinement de revenir travailler pour traiter des mails.

Madame [U] [M], une salariée, à l'époque en alternance dans la communication, nous a indiqué qu'à votre demande, ses mails professionnels avaient été installés sur son ordinateur portable personnel afin qu'elle puisse continuer de travailler pendant ses heures de repos, ses cours ou les weekends.

Nous avons également appris, lors de l'entrevue le 29 septembre 2022, que pendant sa formation, elle continuait de travailler sur les dossiers en cours, et était la seule responsable du service mariage. Si les mails et demandes n'étaient pas traités de façon rapide et régulière, elle recevait des remarques sur son travail !!

De plus, vous lui avez affecté le service mariage alors qu'elle n'était pas formée pour ce type de poste (alternance dans la communication).

Vous avez tendance à isoler les salariés entre eux pour maintenir un contrôle. A titre d'exemple, nous avons appris lors de cette entrevue du 29 septembre 2022 que le 20 juillet 2022, vous avez demandé à cette même salariée de promettre de ne plus communiquer avec aucun membre du personnel, masculin en échange de la signature de son contrat à durée indéterminée.

Vous lui avez rapporté des rumeurs la concernant à propos de potentielles relations intimes qu'elle aurait entretenu avec un membre du personnel et lui avez dit « ton copain il le prendrait comment s'il savait les relations que tu entretiens avec eux », ou encore « tu ne peux pas te comporter de cette façon, ce n'est pas propre, respectable ».

Les propos que vous avez eu avec cette salariée constituent des faits de harcèlement moral, et ont entrainé une dégradation réelle de ses conditions de travail.

Vous avez porté atteinte à sa dignité. Cette salariée, très compétente sur son poste, a été désemparée par votre attitude et nous a indiqué ne pas souhaiter rester dans l'entreprise pour cette raison. Nous ne pouvons tolérer ni ignorer ce comportement inadmissible.

Une autre salariée, Madame [R] [O], lors d'une première entrevue, le 20 septembre 2022, et d'une seconde le 4 novembre 2022, a évoqué vous concernant « un abus sur le temps de travail » et une « manipulation par abus de pouvoir ».

Nous avons appris lors de cet entretien du 20 septembre 2022 que vous lui aviez fait faire en juin des journées de 9 heures à 20 heures, pendant lesquelles elle devait préparer les chambres et organiser la fête de la musique. Si cette dernière refusait d'effectuer cette mission qui lui demandait des heures supplémentaires, elle n'aurait pas son contrat à durée indéterminée.

Vous lui avez mis une pression mentale beaucoup trop importante et avez usé du chantage pour arriver à vos fins.

Vous l'avez convoquée dans votre bureau à plusieurs reprises afin de lui donner votre avis sur elle et ses collègues. Vous lui avez notamment dit « personne ne veut de toi au service commercial » ou encore « il n'y a que moi à qui tu dois faire confiance » et enfin « tu es comme moi ».

Vous convoquiez certaines salariées le soir ou le week-end dans votre bureau de manière excessive et répétée.

En effet, une autre salariée, Madame [L] [D], nous a rapporté lors de son entrevue le 20 septembre 2022, qu'en juin 2022, vous avez convoqué une alternante, Madame [G] [P], dans votre bureau, vous lui avez posé des questions sur sa potentielle embauche à l'issue de son contrat d'apprentissage.

Vous lui avez demandé de se lever, de se tourner sur elle-même et lui avez dit qu'elle devait perdre du poids !!!

Ces propos sont particulièrement dégradants et humiliants, surtout pour une personne aussi jeune (à l'époque en alternance). Cette dernière est sortie très choquée de son entretien avec vous.

Les témoignages sur votre comportement concordent malheureusement tous. Les salariés se disent épuisés par votre attitude, et ne souhaitent plus assurer leurs fonctions. Certaines salariées, à des postes clés dans l'entreprise, nous ont fait part de leur souhait de démissionner pour ces raisons.

Lors de nos entrevues, nous avons constaté que les salariées se trouvaient en état de détresse psychologique.

Cette attitude relève du harcèlement moral à l'égard de nos collaborateurs.

Nous ne pouvons tolérer les propos tenus, surtout de la part d'un Directeur, et nous ne pouvons les ignorer.

Vous étiez garant du management des équipes et avez gravement failli à vos missions

Nous avons une obligation de sécurité vis-à-vis des collaborateurs, et devons prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé.

Votre management déplorable des salariés n'est malheureusement pas le seul élément qui vous est reproché. (...)

En conséquence et après réexamen de votre dossier, nous vous informons par la présente que nous avons décidé de vous signifier votre licenciement pour faute grave pour l'ensemble de ces faits.

En effet, compte tenu de la gravité de l'ensemble des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, y compris pendant la durée de votre préavis.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date d'envoi de cette lettre à votre domicile, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Le jour de l'expiration de votre contrat de travail, nous tiendrons à votre disposition votre solde de tout compte, votre attestation POLE EMPLOI et votre certificat de travail

Nous vous rappelons que, comme le stipule votre contrat de travail, vous devez nous rendre votre véhicule de fonction, ainsi que les clés du logement de fonction qui vous est attribué.

Vous nous rendrez également l'ordinateur professionnel qui vous a été confié (') ».

Il est donc reproché en premier lieu à M. [X] des faits de harcèlement moral à l'encontre de plusieurs salariées, qualifiés de faute grave.

M. [X], en substance, invoque la tardiveté de l'action de l'employeur, conteste les faits qui lui sont reprochés dont il affirme qu'ils ne sont pas prouvés, et invoque un motif caché à son éviction à savoir la volonté du groupe MAG de changer l'équipe dirigeante.

La société répond, en substance, qu'elle rapporte suffisamment la preuve des griefs dont elle a eu connaissance, s'agissant en particulier des faits de harcèlement moral, à l'occasion d'entrevues individuelles avec les salariés concernés qui se sont tenues entre le 19 et le 29 septembre 2022 et de l'enquête interne qu'elle a menée sur la base d'entretiens entre le 4 et le 8 novembre suivant.

Sur ce,

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.

La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail. Le doute doit profiter au salarié.

Aucun texte n'oblige l'employeur à prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement motivée par une faute grave.

- Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur verse aux débats une lettre de Mme [M] du 11 novembre 2022 et une attestation de Mme [O] du 23 novembre 2022 qui décrivent précisément les agissements de M. [X] à leur égard dans les mêmes termes que ceux retenus dans la lettre de licenciement sans que les pièces produites par M. [X] ne suffisent à remettre en cause la sincérité de ces témoignages. Ces deux femmes ont en commun la particularité de s'être trouvées en situation précaire (en formation en alternance pour l'une et en stage pour l'autre) dans la nécessité de stabiliser leur situation professionnelle par la signature d'un contrat de travail à durée indéterminée laissée au bon-vouloir de M. [X].

Par ailleurs, les éléments mis en avant par M. [X] et notamment le fait que certaines relations d'affaires et élus se soient montrés satisfaits de leurs relations et que d'autre salariés n'aient pas eu à se plaindre de lui ou n'aient rien personnellement constaté ne permet pas de mettre en doute la réalité du grief concernant ces deux témoins.

Ces seuls faits répétés sont constitutifs de harcèlement moral en ce qu'ils ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l'avenir professionnel des deux personnes concernées. L'employeur était donc tenu de les sanctionner dans le cadre de l'obligation de sécurité qui pèse sur lui ainsi que l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes.

Le prononcé d'une mise à pied conservatoire ne lui était imposé ni par les circonstances dès lors que M. [X] était en repos et donc n'avait plus de contact avec les salariées concernées, ni par les textes.

Il ne saurait être reproché à l'employeur d'avoir tardé à engager la procédure de licenciement alors que les premières entrevues aux cours desquelles il a eu accès à l'information datent du 19 septembre 2022, que Mme [O] indique avoir eu un second entretien le 4 novembre suivant et que Mme [M] a confirmé ses accusations dans une lettre du 11 novembre.

En convoquant M. [X] quelques jours plus tard, le 15 novembre 2022, à une date où il avait pleine connaissance des faits, l'employeur a agi à bref délai.

Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de notification de la rupture, le licenciement doit être considéré comme justifié par une faute grave en raison de l'impact du harcèlement moral sur les victimes et de la qualification pénale des faits.

Le grief de harcèlement moral étant établi, il n'y a pas lieu de rechercher l'existence d'une cause cachée au licenciement.

Le licenciement étant justifié par une faute grave, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [X] relatives à l'indemnité de licenciement, à l'indemnité compensatrice de préavis et aux dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

1-2/ Sur la demande au titre du caractère vexatoire du licenciement :

M. [X] soutient que son licenciement a revêtu un caractère vexatoire puisqu'il a été licencié à peine deux mois après l'annonce de sa promotion en qualité de directeur général chargé du développement et qu'il ne lui a été laissé aucun délai pour rendre son logement et sa voiture de fonction.

Pour s'en défendre, la société reprend les motifs du jugement selon lesquels l'obligation par le salarié de restituer les éléments de son contrat de travail que sont la voiture et le logement de fonction ne peut être interprétée comme une condition vexatoire du licenciement.

Sur ce,

Indépendamment du caractère réel et sérieux de la cause d'un licenciement, les circonstances de la rupture peuvent constituer une faute de l'employeur ouvrant droit pour le salarié à la réparation du préjudice qui en résulte pour lui.

Néanmoins, le seul recours à une procédure de licenciement pour faute grave, même si elle n'est pas justifiée, ne constitue pas en soi un procédé brutal et vexatoire, y compris lorsqu'elle emporte obligation par le salarié de restituer son logement et sa voiture de fonction.

En l'espèce, M. [X] a restitué l'ensemble des éléments de son contrat de travail et notamment les clefs des véhicules et du logement le 12 décembre 2022, soit douze jours après son licenciement. Il a accompagné ces restitutions d'un courriel du même jour par lequel il se dit « dans un esprit particulièrement constructif » et n'invoque aucune difficulté. Il n'apparaît pas que l'employeur se soit montré insistant quant à la date de libération du logement.

Ainsi, le salarié ne justifie pas que les conditions de sa sortie des effectifs ont été vexatoires et dommageables.

C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a rejeté sa demande de dommages-intérêts.

1-3/ Sur la régularité de la procédure de licenciement :

- Sur la recevabilité de la demande :

Selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

L'employeur soulève à tort l'irrecevabilité de la demande dès lors que celle-ci se rattache par un lien suffisant à la demande originaire de voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur le fond :

Sur le fond, le salarié expose que le fait d'avoir été licencié sur la base de faits non-évoqués lors de l'entretien préalable constitue une irrégularité de procédure ouvrant droit à dommages-intérêts.

La société soutient avoir exposé à M. [X] les motifs de la décision qu'elle envisageait de prendre et lui avoir permis de s'expliquer.

Sur ce,

La circonstance que le grief énoncé dans la lettre de licenciement n'a pas été indiqué au salarié par l'employeur au cours de l'entretien préalable caractérise une irrégularité de forme n'empêchant pas le juge de décider que ce grief constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En l'espèce, il ressort du compte rendu d'entretien préalable rédigé par la conseillère du salarié, peu important qu'il soit dactylographié dès lors qu'aucun élément ne permet de mettre en doute sa sincérité, que les griefs suivants ont été abordés : problèmes de management notamment concernant Mmes [M] et [O] (pressions morales fortes et temps de travail largement dépassé) et de gestion financière sans que l'employeur ne soit en mesure d'entrer dans le détail des faits reprochés.

Néanmoins, M. [X] n'invoque et a fortiori ne justifie d'aucun préjudice alors que la lettre de licenciement était en ce qui la concerne détaillée et que le salarié a pu se défendre devant la juridiction prud'homale.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

2/ Sur les demandes au titre du forfait en jours :

M. [X] affirme que, sur sa période d'embauche, il a travaillé 159 jours au-delà du forfait annuel et conteste s'être trouvé en situation de chômage partiel pendant les différentes périodes de confinement liées à la pandémie de Covid19 du fait de sa présence constante dans l'établissement ayant donné lieu à des sollicitations diverses et constantes.

L'employeur répond que, bien que le décompte des jours travaillés se faisait sur la base de l'autodéclaration, le salarié ne s'est jamais manifesté avant que la rupture conventionnelle soit envisagée, qu'il a omis de déduire les périodes d'absence et d'activité partielle liées à la crise sanitaire au cours desquelles il n'a pas travaillé contrairement à ce qu'il prétend sur la base de témoignages fallacieux ainsi que certaines périodes de congé et qu'il n'a jamais dépassé le nombre de jours travaillés prévus au contrat que ce soit en 2021 ou en 2022.

Sur ce,

L'article L. 3121-59 du code du travail dispose que « le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire. L'accord entre le salarié et l'employeur est établi par écrit. Un avenant à la convention de forfait conclue entre le salarié et l'employeur détermine le taux de la majoration applicable à la rémunération de ce temps de travail supplémentaire, sans qu'il puisse être inférieur à 10 %. Cet avenant est valable pour l'année en cours. Il ne peut être reconduit de manière tacite ».

À défaut d'un telle « monétisation » des jours de repos non pris de ce fait, le dépassement de forfait indépendant de la volonté du salarié lui ouvre droit non à une majoration de salaire, mais à des dommages-intérêts en application de l'article L. 3121-61 du code du travail lequel octroie au collaborateur en forfait en jours, dont la rémunération est manifestement sans rapport avec les sujétions, une indemnité en fonction du préjudice subi.

En l'espèce, lors de son embauche, il était prévu que M. [X] travaille dans le cadre d'un forfait de 174 jours de travail dans l'année, durée portée à 218 jours selon avenant du 10 mars 2022 et que le décompte du nombre de jours travaillés se fasse selon un système autodéclaratif, le salarié s'engageant à établir un relevé mensuel signé et transmis à la direction chaque mois, faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées et à alerter immédiatement sa hiérarchie dans l'hypothèse d'une surcharge de travail.

Aucun relevé mensuel établi conformément au contrat n'est versé aux débats et aucune alerte n'a été formalisée quant à un dépassement du nombre de jours travaillés avant les pourparlers de rupture conventionnelle.

Il ressort des bulletins de paie produits que M. [X] a été placé en activité partielle du 1er avril 2021 au 31 mai 2021 puis du 1er au 31 août 2021 et enfin, pendant tout le mois de janvier 2022.

Les attestations de Mme [C] et de M. [F], son conjoint, étant écartées dès lors que leur crédibilité est insuffisante au regard de la procédure de licenciement et de la procédure pénale engagées contre ce dernier accusé de harcèlement sexuel à l'encontre de plusieurs salariées du château, les seuls courriels et les témoignages imprécis de Mme [A] et de M. [T] ne permettent pas de retenir que M. [X] a travaillé au-delà de l'activité partielle pour laquelle il était rémunéré.

Ces périodes d'activité partielle doivent donc être déduites du décompte de M. [X], de même que ses congés payés qui figurent sur son bulletin de paie de mai 2022, ses périodes d'arrêt-maladie et que les 30 jours du mois de novembre 2022 au cours desquels le salarié a été rémunéré mais a été autorisé à ne pas travailler et enfin les 46 jours de congés payés ayant donné lieu au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au mois de décembre 2022.

Ainsi, sur la base des plannings produits auxquels ont été apportées les corrections ci-dessus exposées, M. [X] a travaillé 113 jours en plus du forfait sur toute la période.

Il est donc en droit de réclamer une indemnisation à hauteur de la somme de 30 348,86 euros majorée de 10% soit la somme totale de 33 383,74 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt par application de l'article 1231-7 du code civil.

3/ Sur les frais du procès :

La solution du présent arrêt conduit à laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel et à rejeter les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande au titre du dépassement du forfait en jours, a condamné M. [X] à payer à la société [Adresse 7] [Adresse 9] une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que M. [X] a travaillé au-delà du forfait en jours prévu au contrat et à son avenant en 2021 et 2022,

Condamne la société Domaine [Localité 4] [Adresse 9] à payer à M. [X] la somme de 33 383,74 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Rejette toute autre demande,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site