CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 8 octobre 2025, n° 24/17006
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 08 OCTOBRE 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/17006 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKFFX
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 27 Juin 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section - RG n° 24/01766
APPELANTE
Mademoiselle [T] [F]
née le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Romain GUILLOT, avocat au barreau de Paris, toque : P074, avocat plaidant
INTIMÉE
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 1]
[Localité 4]
N°SIREN : 662 042 449
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Philippe METAIS du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER LLP, avocat au barreau de Paris, toque : R030
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laurence CHAINTRON, conseillère, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Vincent BRAUD, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 14 février 2022, deux opérations d'achat frauduleuses ont été effectuées sur le compte bancaire de Mme [T] [F], au moyen de sa carte bancaire et validées par sa clé digitale, pour un montant total de 9 850,45 euros. Ces opérations ont été débitées de son compte bancaire les 28 février 2022 et 29 mars 2022.
Par assignation en date du 11 janvier 2024, Mme [F] a fait assigner la société BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris afin, notamment, de la voir condamner à lui rembourser la somme de 9 850,45 euros, ainsi qu'à lui payer les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour 'pratiques commerciales déloyales et résistance abusive' et 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Statuant sur l'incident soulevé par la société BNP Paribas devant le juge de la mise en état par conclusions du 22 avril 2024, tendant à voir juger irrecevable car forclose l'action en remboursement des sommes frauduleusement débitées les 28 février 2022 et 29 mars 2022 engagée par Mme [F], le juge de la mise en état, par ordonnance contradictoire du 27 juin 2024 a :
- déclaré la demande de Mme [T] [F] forclose ;
- condamné Mme [T] [F] aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 4 octobre 2024, Mme [F] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 décembre 2024, Mme [F] demande, au visa des articles 276 et 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, 4.3 et 19.3 du traité sur l'Union Européenne, L.133-18 et suivants, L.133-24 du code monétaire et financier, des directives (CE) 2007/64/CE du 13 novembre 2007 ('DSP 1') et la Directive (UE) 2015/366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 ('DSP 2') concernant les services de paiement dans le marché intérieur, 2224 du code civil et 122, 696, 700 et 763 à 797 du code de procédure civile, à la cour de :
A titre principal :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 27 juin 2024 dans toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau, de :
- la juger recevable en son action ;
- juger recevable ses demandes (i) de remboursement et (ii) de réparation de préjudices complémentaires ;
A titre subsidiaire :
- juger recevable la demande de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union européenne ;
- ordonner le renvoi à Cour de Justice de l'Union européenne de la question suivante :
'L'information due au prestataire de service de paiement dans un délai de « treize mois suivant la date de débit », prévu par l'article 71 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010, oblige-t-elle, à peine de forclusion, l'utilisateur de services de paiement à agir en justice contre le prestataire de service de paiement dans le délai de treize mois '',
- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de justice de l'Union européenne sur la question préjudicielle transmise,
En toute hypothèse :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 27 juin 2024 dans toutes ses dispositions,
- condamner la société BNP Paribas à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2025, la société BNP Paribas demande, au visa des articles 32, 122, 696, 700, 780, et 789 6° du code de procédure civile, L. 133-24 du code monétaire et financier, des Directives (CE) 2007/64/CE du 13 novembre 2007 (« DSP 1 ») et la Directive (UE) 2015/366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 (« DSP 2 ») concernant les services de paiement dans le marché intérieur, à la cour de :
Sur l'irrecevabilité des demandes formées par Mme [F]
- juger que l'action en remboursement des sommes frauduleusement débitées a été introduite après l'expiration du délai de forclusion de 13 mois imposé par l'article L. 133-24 du code monétaire et financier ;
- juger que le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement tel que défini aux articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier fait l'objet d'une application exclusive et autonome ;
En conséquence
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Paris le 27 juin 2024 (RG n° 24/01766) en toutes ses dispositions ;
Sur la demande subsidiaire formée par Mme [F] tendant au sursis à statuer et au renvoi préjudiciel en interprétation
- débouter Mme [F] de ses demandes de sursis à statuer et de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
En tout état de cause
- débouter Mme [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;
- débouter Mme [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [F] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé à l'ordonnance déférée et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 mai 2025 et l'audience fixée au 26 juin 2025.
A cette audience, la cour a autorisé les conseils des parties à lui adresser par notes en délibéré les décisions de jurisprudence récentes évoquées à l'audience, lesquelles lui ont été communiquées par notes en délibéré des 26 et 30 juin 2025.
MOTIFS
Sur la forclusion
A titre principal, Mme [F] rappelle qu'il constant, tant au regard de la réglementation européenne que de la jurisprudence française récente, que le délai de forclusion de 13 mois ne concerne pas l'exercice de l'action en justice, mais la notification à la banque de l'opération litigieuse. Elle allègue avoir bien notifié, dans le délai de 13 mois, l'opération litigieuse à sa banque puisque, ayant été victime de fraude le 14 février 2022, elle a :
- le jour même signalé à sa banque un SMS suspect visant le paiement de 140,45 euros,
- diligenté toutes les procédures nécessaires recommandées par sa banque en déclarant les faits au service des pré-plaintes avant que le commissariat de police du [Localité 6] lui propose un rendez-vous afin de signer sa plainte le 25 février 2022, en contestant le virement le 24 février 2022, en répondant au refus de la banque le 3 mars 2022, en envoyant une lettre de mise en demeure le 25 mars 2022 et enfin, en entamant une médiation le 25 avril 2022.
Elle en déduit qu'elle est recevable dans son action en remboursement.
Mme [F] sollicite de la cour, à titre subsidiaire, qu'elle ordonne le sursis à statuer et transmette la question préjudicielle suivante à la CJUE :
'L'information due au prestataire de services de paiement dans un délai de « treize mois suivant la date de débit », prévu par l'article 71 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n°1093/2010, oblige-t-elle, à peine de forclusion, l'utilisateur de services de paiement à agir en justice contre le prestataire de services de paiement dans le délai de treize mois '.'
La société BNP Paribas soutient, au visa de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier que l'utilisateur de services de paiement doit, non seulement informer son prestataire d'une opération qu'il n'aurait pas autorisée dans un délai de treize mois, mais également engager une instance en justice dans ce délai, à défaut de quoi son action est forclose. Elle relève qu'en l'espèce, l'action de Mme [F] a été introduite le 11 janvier 2024, après l'expiration du délai de 13 mois courant à compter du débit des opérations frauduleuses du compte bancaire de Mme [F] en date des 28 février et 29 mars 2022, de sorte qu'il expirait le 29 avril 2023.
Sur la demande subsidiaire de Mme [F], la société BNP Paribas considère que la question préjudicielle articulée par l'appelante n'est pas pertinente.
Dans son assignation délivrée le 11 janvier 2024, Mme [F] poursuit, à titre principal, le remboursement des sommes prélevées sur son compte au titre d'opérations non autorisées, sur le fondement des articles L. 133-19 II alinéa 1 et IV, L. 133-16, L. 133-15, I et IV, L. 133-18 et L. 133-23 du code monétaire et financier (pièce n° 19 de l'appelante).
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon l'article L. 133-24, alinéa premier, du code monétaire et financier, l'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre Ier du livre III.
Il est désormais jugé, en application de ces dispositions, que le délai de forclusion de 13 mois prévu à l'article L. 133-24 précité, concerne le délai de signalement, c'est à dire le délai de contestation par l'utilisateur de services de paiement d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et non le délai pour agir en responsabilité à l'encontre du prestataire de services de paiement (Com. 2 juillet 2025, n° 24-16.590).
En l'espèce, les opérations de paiement litigieuses effectuées le 14 février 2022 ont été débitées les 28 février et 29 mars 2022.
Mme [F] les a signalées à la société BNP Paribas au plus tard le 24 février 2022, date à laquelle, la banque l'a informée par mail avoir reçu son 'dossier de contestation carte n° S300042202230637" en cours d'analyse par ses services et lui a indiqué par courrier : ' Vous avez contesté, le 24/02/2022, 1'opération(s) effectuée(s) avec votre carte bancaire pour un montant total de 9 700 euros...) (pièces n° 9 et 10 de l'appelante).
La banque ne conteste d'ailleurs pas, dans ses écritures, la date du signalement des opérations litigieuses, effectué par l'appelante.
Il en résulte que ce signalement a été réalisé dans le délai de treize mois fixé par le texte précité.
L'utilisateur de services de paiement n'encourt donc pas la forclusion de son action.
La fin de non-recevoir soulevée par la banque tirée de la forclusion de l'action introduite par Mme [T] [F] sera donc rejetée, la décision déférée étant par conséquent infirmée en ce qu'elle a déclaré la demande de Mme [T] [F] forclose.
Sur les demandes indemnitaires
Mme [F] reproche à l'ordonnance déférée de ne pas s'être prononcée sur la recevabilité de ses demandes en réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité délictuelle qui relevaient par conséquent du régime de responsabilité de droit commun. Elle fait valoir que les préjudices complémentaires qu'elle a subis ont comme fait générateur les agissements de la banque et non la responsabilité de cette dernière en raison des opérations de paiement non autorisées.
La banque réplique que les demandes tendant au paiement de dommages et intérêts formulées par Mme [F] sont irrecevables en ce qu'elles se heurtent au principe du caractère exclusif et autonome du régime de responsabilité des prestataires de services de paiement, de sorte que l'appelante ne peut solliciter l'application d'un régime de droit commun au titre du même fait générateur, à savoir le débit des opérations litigieuses.
L'appréciation du régime de responsabilité applicable ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état et l'existence ou non des préjudices invoqués par Mme [F] à l'appui de sa demande de dommages et intérêts n'est pas une condition de recevabilité de son action, mais de son succès.
En conséquence, sans préjuger du bien fondé ou non de ses demandes d'indemnisation, Mme [F] sera déclarée recevable en ces demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'intimée sera donc condamnée aux dépens et l'ordonnance infirmée en ce qu'elle a condamné Mme [T] [F] à ce titre.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, la société BNP Paribas sera condamnée à payer à Mme [T] [F] la somme de 1 000 euros.
LA COUR, PAR CES MOTIFS,
INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 27 juin 2024;
Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmée et y ajoutant,
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société BNP Paribas tirée de la forclusion de l'action introduite par Mme [T] [F] ;
DÉCLARE en conséquence Mme [T] [F] recevable en son action en remboursement ;
DÉCLARE Mme [T] [F] recevable en ses demandes de réparation de préjudices complémentaires ;
CONDAMNE la société BNP Paribas à payer à Mme [T] [F] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société BNP Paribas aux entiers dépens.
* * * * *
Le greffier Le président
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 08 OCTOBRE 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/17006 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKFFX
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 27 Juin 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section - RG n° 24/01766
APPELANTE
Mademoiselle [T] [F]
née le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Romain GUILLOT, avocat au barreau de Paris, toque : P074, avocat plaidant
INTIMÉE
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 1]
[Localité 4]
N°SIREN : 662 042 449
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Philippe METAIS du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER LLP, avocat au barreau de Paris, toque : R030
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laurence CHAINTRON, conseillère, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Vincent BRAUD, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 14 février 2022, deux opérations d'achat frauduleuses ont été effectuées sur le compte bancaire de Mme [T] [F], au moyen de sa carte bancaire et validées par sa clé digitale, pour un montant total de 9 850,45 euros. Ces opérations ont été débitées de son compte bancaire les 28 février 2022 et 29 mars 2022.
Par assignation en date du 11 janvier 2024, Mme [F] a fait assigner la société BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris afin, notamment, de la voir condamner à lui rembourser la somme de 9 850,45 euros, ainsi qu'à lui payer les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour 'pratiques commerciales déloyales et résistance abusive' et 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Statuant sur l'incident soulevé par la société BNP Paribas devant le juge de la mise en état par conclusions du 22 avril 2024, tendant à voir juger irrecevable car forclose l'action en remboursement des sommes frauduleusement débitées les 28 février 2022 et 29 mars 2022 engagée par Mme [F], le juge de la mise en état, par ordonnance contradictoire du 27 juin 2024 a :
- déclaré la demande de Mme [T] [F] forclose ;
- condamné Mme [T] [F] aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 4 octobre 2024, Mme [F] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 décembre 2024, Mme [F] demande, au visa des articles 276 et 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, 4.3 et 19.3 du traité sur l'Union Européenne, L.133-18 et suivants, L.133-24 du code monétaire et financier, des directives (CE) 2007/64/CE du 13 novembre 2007 ('DSP 1') et la Directive (UE) 2015/366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 ('DSP 2') concernant les services de paiement dans le marché intérieur, 2224 du code civil et 122, 696, 700 et 763 à 797 du code de procédure civile, à la cour de :
A titre principal :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 27 juin 2024 dans toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau, de :
- la juger recevable en son action ;
- juger recevable ses demandes (i) de remboursement et (ii) de réparation de préjudices complémentaires ;
A titre subsidiaire :
- juger recevable la demande de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union européenne ;
- ordonner le renvoi à Cour de Justice de l'Union européenne de la question suivante :
'L'information due au prestataire de service de paiement dans un délai de « treize mois suivant la date de débit », prévu par l'article 71 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010, oblige-t-elle, à peine de forclusion, l'utilisateur de services de paiement à agir en justice contre le prestataire de service de paiement dans le délai de treize mois '',
- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de justice de l'Union européenne sur la question préjudicielle transmise,
En toute hypothèse :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 27 juin 2024 dans toutes ses dispositions,
- condamner la société BNP Paribas à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2025, la société BNP Paribas demande, au visa des articles 32, 122, 696, 700, 780, et 789 6° du code de procédure civile, L. 133-24 du code monétaire et financier, des Directives (CE) 2007/64/CE du 13 novembre 2007 (« DSP 1 ») et la Directive (UE) 2015/366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 (« DSP 2 ») concernant les services de paiement dans le marché intérieur, à la cour de :
Sur l'irrecevabilité des demandes formées par Mme [F]
- juger que l'action en remboursement des sommes frauduleusement débitées a été introduite après l'expiration du délai de forclusion de 13 mois imposé par l'article L. 133-24 du code monétaire et financier ;
- juger que le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement tel que défini aux articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier fait l'objet d'une application exclusive et autonome ;
En conséquence
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Paris le 27 juin 2024 (RG n° 24/01766) en toutes ses dispositions ;
Sur la demande subsidiaire formée par Mme [F] tendant au sursis à statuer et au renvoi préjudiciel en interprétation
- débouter Mme [F] de ses demandes de sursis à statuer et de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
En tout état de cause
- débouter Mme [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;
- débouter Mme [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [F] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé à l'ordonnance déférée et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 mai 2025 et l'audience fixée au 26 juin 2025.
A cette audience, la cour a autorisé les conseils des parties à lui adresser par notes en délibéré les décisions de jurisprudence récentes évoquées à l'audience, lesquelles lui ont été communiquées par notes en délibéré des 26 et 30 juin 2025.
MOTIFS
Sur la forclusion
A titre principal, Mme [F] rappelle qu'il constant, tant au regard de la réglementation européenne que de la jurisprudence française récente, que le délai de forclusion de 13 mois ne concerne pas l'exercice de l'action en justice, mais la notification à la banque de l'opération litigieuse. Elle allègue avoir bien notifié, dans le délai de 13 mois, l'opération litigieuse à sa banque puisque, ayant été victime de fraude le 14 février 2022, elle a :
- le jour même signalé à sa banque un SMS suspect visant le paiement de 140,45 euros,
- diligenté toutes les procédures nécessaires recommandées par sa banque en déclarant les faits au service des pré-plaintes avant que le commissariat de police du [Localité 6] lui propose un rendez-vous afin de signer sa plainte le 25 février 2022, en contestant le virement le 24 février 2022, en répondant au refus de la banque le 3 mars 2022, en envoyant une lettre de mise en demeure le 25 mars 2022 et enfin, en entamant une médiation le 25 avril 2022.
Elle en déduit qu'elle est recevable dans son action en remboursement.
Mme [F] sollicite de la cour, à titre subsidiaire, qu'elle ordonne le sursis à statuer et transmette la question préjudicielle suivante à la CJUE :
'L'information due au prestataire de services de paiement dans un délai de « treize mois suivant la date de débit », prévu par l'article 71 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n°1093/2010, oblige-t-elle, à peine de forclusion, l'utilisateur de services de paiement à agir en justice contre le prestataire de services de paiement dans le délai de treize mois '.'
La société BNP Paribas soutient, au visa de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier que l'utilisateur de services de paiement doit, non seulement informer son prestataire d'une opération qu'il n'aurait pas autorisée dans un délai de treize mois, mais également engager une instance en justice dans ce délai, à défaut de quoi son action est forclose. Elle relève qu'en l'espèce, l'action de Mme [F] a été introduite le 11 janvier 2024, après l'expiration du délai de 13 mois courant à compter du débit des opérations frauduleuses du compte bancaire de Mme [F] en date des 28 février et 29 mars 2022, de sorte qu'il expirait le 29 avril 2023.
Sur la demande subsidiaire de Mme [F], la société BNP Paribas considère que la question préjudicielle articulée par l'appelante n'est pas pertinente.
Dans son assignation délivrée le 11 janvier 2024, Mme [F] poursuit, à titre principal, le remboursement des sommes prélevées sur son compte au titre d'opérations non autorisées, sur le fondement des articles L. 133-19 II alinéa 1 et IV, L. 133-16, L. 133-15, I et IV, L. 133-18 et L. 133-23 du code monétaire et financier (pièce n° 19 de l'appelante).
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon l'article L. 133-24, alinéa premier, du code monétaire et financier, l'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre Ier du livre III.
Il est désormais jugé, en application de ces dispositions, que le délai de forclusion de 13 mois prévu à l'article L. 133-24 précité, concerne le délai de signalement, c'est à dire le délai de contestation par l'utilisateur de services de paiement d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et non le délai pour agir en responsabilité à l'encontre du prestataire de services de paiement (Com. 2 juillet 2025, n° 24-16.590).
En l'espèce, les opérations de paiement litigieuses effectuées le 14 février 2022 ont été débitées les 28 février et 29 mars 2022.
Mme [F] les a signalées à la société BNP Paribas au plus tard le 24 février 2022, date à laquelle, la banque l'a informée par mail avoir reçu son 'dossier de contestation carte n° S300042202230637" en cours d'analyse par ses services et lui a indiqué par courrier : ' Vous avez contesté, le 24/02/2022, 1'opération(s) effectuée(s) avec votre carte bancaire pour un montant total de 9 700 euros...) (pièces n° 9 et 10 de l'appelante).
La banque ne conteste d'ailleurs pas, dans ses écritures, la date du signalement des opérations litigieuses, effectué par l'appelante.
Il en résulte que ce signalement a été réalisé dans le délai de treize mois fixé par le texte précité.
L'utilisateur de services de paiement n'encourt donc pas la forclusion de son action.
La fin de non-recevoir soulevée par la banque tirée de la forclusion de l'action introduite par Mme [T] [F] sera donc rejetée, la décision déférée étant par conséquent infirmée en ce qu'elle a déclaré la demande de Mme [T] [F] forclose.
Sur les demandes indemnitaires
Mme [F] reproche à l'ordonnance déférée de ne pas s'être prononcée sur la recevabilité de ses demandes en réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité délictuelle qui relevaient par conséquent du régime de responsabilité de droit commun. Elle fait valoir que les préjudices complémentaires qu'elle a subis ont comme fait générateur les agissements de la banque et non la responsabilité de cette dernière en raison des opérations de paiement non autorisées.
La banque réplique que les demandes tendant au paiement de dommages et intérêts formulées par Mme [F] sont irrecevables en ce qu'elles se heurtent au principe du caractère exclusif et autonome du régime de responsabilité des prestataires de services de paiement, de sorte que l'appelante ne peut solliciter l'application d'un régime de droit commun au titre du même fait générateur, à savoir le débit des opérations litigieuses.
L'appréciation du régime de responsabilité applicable ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état et l'existence ou non des préjudices invoqués par Mme [F] à l'appui de sa demande de dommages et intérêts n'est pas une condition de recevabilité de son action, mais de son succès.
En conséquence, sans préjuger du bien fondé ou non de ses demandes d'indemnisation, Mme [F] sera déclarée recevable en ces demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'intimée sera donc condamnée aux dépens et l'ordonnance infirmée en ce qu'elle a condamné Mme [T] [F] à ce titre.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, la société BNP Paribas sera condamnée à payer à Mme [T] [F] la somme de 1 000 euros.
LA COUR, PAR CES MOTIFS,
INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 27 juin 2024;
Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmée et y ajoutant,
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société BNP Paribas tirée de la forclusion de l'action introduite par Mme [T] [F] ;
DÉCLARE en conséquence Mme [T] [F] recevable en son action en remboursement ;
DÉCLARE Mme [T] [F] recevable en ses demandes de réparation de préjudices complémentaires ;
CONDAMNE la société BNP Paribas à payer à Mme [T] [F] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société BNP Paribas aux entiers dépens.
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Le greffier Le président