Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 8 octobre 2025, n° 23/14193

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/14193

8 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 08 OCTOBRE 2025

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/14193 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIETY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Juin 2023 - tribunal de commerce de Créteil 1ère chambre - RG n° 2022F00790

APPELANTE

LA CAISSE D'EPARGNE CEPAC

[Adresse 5]

[Localité 2]

N° SIREN : 775 559 404

agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Martine LEBOUCQ BERNARD de la SCP HUVELIN & associés, avocat au barreau de Paris, toque : R285

INTIMÉE

S.A.S. CEMEX BETONS SUD EST

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIREN : 399 161 579

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Fanny CROSNIER, avocat au barreau de Paris, toque : D1027, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Pascale SAPPEY-GUESDON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 8 août 2023, la société Caisse d'épargne CEPAC a interjeté appel du jugement rendu le 13 juin 2023 en ce que le tribunal de commerce de Créteil saisi par voie d'assignation en date du 17 juin 2022 délivrée à sa requête à la société Cemex Bétons Sud Est, l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société Cémex Bétons Sud Est au paiement d'une somme de 27 824,12 euros [au titre d'une cession de sa créance par la société Lokam] et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 juin 2025, fixant par ailleurs au 30 juin 2025 la date de l'audience de plaidoirie.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 11 juin 2025, l'appelant a sollicité du conseiller en charge de la mise en état le rabat de l'ordonnance de clôture, et la fixation d'une nouvelle date de clôture, afin de satisfaire au principe du respect du contradictoire conformément à l'article 15 du code de procédure civile et en vue de rendre recevables ses conclusions sur le fond jointes à cette demande de rabat de l'ordonnance de clôture du 10 juin 2025.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 16 juin 2025 l'intimé a indiqué s'en rapporter à justice sur le mérite de cette demande.

Par ordonnance du 17 juin 2025, le conseiller en charge de la mise en état, faisant droit à la demande de la Caisse d'épargne CEPAC, a prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture du 10 juin 2025 et la clôture de la procédure, la date de l'audience de plaidoirie étant par ailleurs inchangée.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 18 juin 2025, l'appelant a sollicité du conseiller en charge de la mise en état qu'il prononce le rabat de l'ordonnance de clôture du 17 juin 2025, et demandé la fixation d'une nouvelle date de clôture, en se prévalant d'une argumentation factuelle et juridique en tous points identique à celle qui avait motivé sa demande du 11 juin 2025, cette fois aux fins de rendre recevables ses conclusions sur le fond jointes à cette demande de rabat de l'ordonnance de clôture du 17 juin 2025.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 26 juin 2025 l'intimé a demandé à la cour d'écarter les conclusions tardivement déposées le 18 juin 2025, au regard de la clôture prononcée le 17 juin 2025 et des délais précédemment accordés à l'appelant.

Sur ce,

En l'état actuel de la procédure, l'appelant ne justifie d'aucun motif grave permettant la révocation de de l'ordonnance de clôture du 17 juin 2025, qui soit survenu postérieurement

à celle-ci. La contradiction a d'ores et déjà été respectée dans la mesure où par ordonnance du 17 juin 2025 le conseiller en charge de la mise en état avait fait droit à la demande de la Caisse d'épargne CEPAC tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture du 10 juin 2025.

En conséquence, la demande de l'appelant tendant au rabat de l'ordonnance de clôture du 17 juin 2025 et à la fixation d'une nouvelle date de clôture, doit être rejetée.

Ainsi, les conclusions déposées le 18 juin 2025, au lendemain de l'ordonnance de clôture, seront déclarées irrecevables, par application des dispositions de l'article 802 du code de procédure civile.

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 17 juin 2025 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 11 juin 2024, l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu l'article 6 de la CEDH,

Vu les articles 9, 455 et 749 du Code de procédure civile,

vu l'article L. 277-4 du Code de commerce,

Vu les articles L. 313-23 et suivants, R. 313-15 du Code Monétaire et Financier,

Vu les articles 1156 et 1353 du Code civil,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces,

Il est demandé à la Cour de :

A titre principal,

ANNULER le jugement rendu le 13 juin 2023 par le Tribunal de commerce de Créteil

En conséquence,

DEBOUTER la société CEMEX BETONS SUD EST de ses demandes ;

CONDAMNER la société CEMEX BETONS SUD EST au paiement de la somme de 27.824,12 euros à la CAISSE D'EPARGNE conformément à la cession de créance régulièrement notifiée.

A titre subsidiaire,

CONFIRMER le jugement rendu le 13 juin 2023 par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a considéré que la notification de l'acte de cession avait été régulièrement signifiée à la société CEMEX BETONS SUD EST le 24 juin 2021 ;

- INFIRMER le jugement rendu en date du 13 juin 2023 par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a :

Débouté la Société CAISSE D'EPARGNE CEPAC de sa demande de condamnation de la société CEMEX BETONS SUD EST au titre de la cession de créance ;

Condamné la société CAISSE D'EPARGNE CEPAC à payer la société CEMEX BETONS SUD EST la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté la société CAISSE D'EPARGNE CEPAC de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société CAISSE D'EPARGNE CEPAC aux dépens liquidés à la somme de 69,59 euros TTC ;

STATUANT A NOUVEAU

DEBOUTER la société CEMEX BETONS SUD EST de ses demandes ;

CONDAMNER la société CEMEX BETONS SUD EST au paiement de la somme de 27.824,12 euros à la CAISSE D'EPARGNE conformément à la cession de créance régulièrement notifiée.

CONDAMNER la société CEMEX BETONS SUD EST au paiement de 8.000 euros à la société CAISSE D'EPARGNE en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 20 mai 2025, l'intimé

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles L. 313-21 à L. 313-29 du Code monétaire et financier

Vu l'article L. 1844-5 du Code civil

Il est demandé à la Cour de :

1/ Sur la demande d'annulation :

REJETER la demande d'annulation du jugement rendu le 13 juin 2023 ;

En cas d'annulation :

STATUER au fond sans renvoi aux premiers Juges dans les termes ci-après ;

2/ Sur la demande de condamnation :

DIRE non fondée la société CAISSE D'EPARGNE CEPAC en tous ses moyens, fins et

conclusions.

DIRE que la cession de créance dont se prévaut la société CAISSE D'EPARGNE CEPAC ne peut être opposée à la société CEMEX BETONS SUD EST en raison de son irrégularité ;

En conséquence :

CONFIRMER le jugement rendu en première instance en ce qu'il a débouté la société CAISSE D'EPARGNE CEPAC de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société CEMEX BETONS SUD EST ;

3/ En tout état de cause :

CONDAMNER la CAISSE D'EPARGNE CEPAC à payer à la société CEMEX BETONS SUD EST la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la CAISSE D'EPARGNE CEPAC aux entiers dépens.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

L'appelant rappelle qu'une convention-cadre de cession de créances professionnelles a été conclue entre la Caisse d'épargne CEPAC et la société Lokam le 9 janvier 2018. Dans ce cadre, une cession de créance a été notifiée à la société Cemex Bétons Sud Est portant sur la facture n° 20105FA05 à échéance du 24 juillet 2021, d'un montant de 27 824,12 euros. À défaut de paiement, la Caisse d'épargne CEPAC, par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mars 2022, distribuée le 9 mars 2022, a mis en demeure la société Cemex Bétons Sud Est d'avoir à lui régler cette somme sous huitaine, et faute de réglement lui a fait délivrer assignation.

L'intimé entend préciser :

' Que la société Cemex Bétons Sud Est fabrique et commercialise du béton prêt à l'emploi. Elle a fait appel aux services de la société Lokam - société par actions simplifiée immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Marseille sous le n°497 908 863 et représentée par son président M. [S] [N]. Dans le cadre d'un contrat de location de véhicules spéciaux destinés au transport de béton avec chauffeur, la société Lokam a émis une facture n°20105FA05, d'un montant de 27 824,12 euros, le 24 juin 2021. Cette facture a été directement réglée à la société Lokam, par virement du 15 août 2021.

' Que le 29 avril 2021, la société de droit allemand NWH Neuweg Holding, immatriculée au registre du commerce de Chemnitz sous le n°HRB 29134, est devenue associée unique de la société Lokam en suite d'une cession d'actions intervenue le même jour. Cet associé unique a décidé de dissoudre la société Lokam en application de l'article 1844-5 du code civil, étant précisé que cette dissolution est intervenue sans liquidation et a pris effet par la transmission universelle du patrimoine de la société Lokam au profit de la société NWH Neuwzeg Holding AG. Cette décision a fait l'objet d'une annonce légale publiée le 7 mai 2021, et la société Lokam a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Marseille le 1er juillet 2021. Par acte sous seing privé du 30 juillet 2021, la société NWH Neuweg Holding a cédé à la société BAT, SAS immatriculée au RCS d'[Localité 4] sous le n°799 623 533 et représentée par son président, M. [S] [N], un fonds de commerce connu sous le nom commercial de Lokam.

Sur la demande d'annulation du jugement

L'appelant écrit que la jurisprudence européeenne énonce combien il est important qu'un jugement soit motivé, or en l'espèce les juges du fond se sont contentés de reprendre les moyens de la défenderesse sans motiver en quoi la cession de créance impacterait la réalité de la créance de la Caisse d'Epargne CEPAC, alors qu'en réalité cette dernière est fondée à se prévaloir d'une cession de créance régulièrement notifiée.

L'intimé répond que la Caisse d'Epargne CEPAC se garde de reproduire l'entièreté des motifs développés par le tribunal dans son jugement qui est bien plus complet que ce qu'elle prétend. Certes le tribunal de commerce ne s'est pas prononcé sur l'intégralité des moyens développés par la société Cemex Betons Sud Est, notamment sur l'irrégularité de la cession de créance compte tenu de l'absence de date sur le bordereau de cession, mais il n'était pas dans l'obligation de le faire compte tenu du sens de sa décision, et cet éventuel préjudice ne concerne que la concluante et non la société Caisse d'épargne CEPAC. En définitive, le tribunal de commerce de Créteil a suffisamment motivé sa décision, faisant application des textes de lois et de la jurisprudence applicables à l'espèce. Si la Cour devait cependant prononcer la nullité du jugement, elle dirait néanmoins qu'elle reste saisie de l'affaire au fond, sans renvoi devant les premiers juges, l'irrégularité invoquée ne concernant pas l'acte introductif d'instance.

Sur ce

L'article 455 du code de procédure civile prévoit que 'Le jugement doit exposer succintement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé (...)'.

La simple lecture des motifs du jugement critiqué permet de constater que le tribunal a exposé avec précision et avec la complétude nécessaire, les éléments de fait et de droit sur lesquels il fonde sa décision. Il s'ensuit que le jugement, contrairement à ce que soutient l'appelant, quant à l'obligation de motivation satisfait pleinement aux prévisions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par conséquent, aucune annulation n'est encourue. La société Caisse d'épargne CEPAC sera donc déboutée de cette demande.

Sur la cession de créance

A) La société Cémex Bétons Sud Est intimée en premier lieu soutient que l'acte de cession de créance est entaché d'irrégularité au motif que la société Lokam n'avait plus la personnalité juridique pour faire un tel acte, suite à une transmission universelle de patrimoine.

L'appelant relève en réponse que les dispositions particulières de l'article 1844-5 du code civil relatives à la dissolution de la société en cas de réunion des parts en une seule main, sur lequel se fonde la société Cemex Bétons Sud Est, sont inapplicables en l'espèce, la société Lokam étant une société par actions simplifiée exclue de ce dispositif en vertu de l'article L. 227-4 du code de commerce selon lequel : 'En cas de réunion en une seule main de toutes les actions d'une société par actions simplifiée, les dispositions de l'article 1844-5 du code civil ne sont pas applicables'.

Sur ce,

L'article 1844-5 du code civil dispose que :

[alinéa 1er]'La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n'a pas été régularisée dans le délai d'un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu. (...)

[alinéa 3] En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de 30 jours à compter de la publication de celle-ci. (...) La transmission du patrimoine n'est réalisée et il n'y a disparition de la personne morale qu'à l'issue du délai d'opposition ou le cas échéant lorsque l'opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées.

[alinéa 4] Les dispositions du troisième alinéa ne sont pas applicables aux sociétés dont l'associé unique est une personne physique'.

L'intimé indique dans ses écritures, sans être contesté sur ces points, que le 29 avril 2021, la société de droit allemand NWH Neuweg Holding, immatriculée au registre du commerce de Chemnitz sous le n°HRB 29134, est devenue associée unique de la société Lokam en suite d'une cession d'actions intervenue le même jour. Il sera donc fait observer que l'exclusion prévue à l'alinéa 4 de l'article 1844-5 du code civil n'est pas applicable au cas présent, l'associé unique de la société Lokam n'étant pas une personne physique mais une personne morale, et par conséquent les dispositions du troisième alinéa trouvent à s'appliquer.

Il doit être relevé que l'article L. 227-4 du code de commerce auquel se réfère l'appelant est en réalité rédigé en ces termes : 'En cas de réunion en une seule main de toutes les actions d'une société par actions simplifiée, les dispositions de l'article 1844-5 du code civil relatives à la dissolution judiciaire ne sont pas applicables'. Au cas présent, l'associé unique a décidé de dissoudre la société Lokam en faisant application de l'article 1844-5 du code civil, sans liquidation, dissolution prenant effet par la transmission universelle du patrimoine de la société Lokam au profit de la société NWH Neuwzeg Holding AG. S'agissant d'une dissolution amiablement prononcée, l'argument est inopérant.

B) La Caisse d'épargne CEPAC soutient qu'en outre, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la disparition de la personnalité juridique n'est rendue opposable aux tiers que par la publication au registre du commerce et des sociétés des actes ou évènements l'ayant entrainée, même si ceux-ci ont fait l'objet d'une autre publicité légale. Procédant à une application stricte des articles L. 237-2 et L. 123-9 du code de commerce, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu ainsi admettre la recevabilité d'une assignation d'une société dont la dissolution, avec effet rétroactif, n'avait pas encore été publiée au registre du commerce et des sociétés. Or en l'espèce, la publication légale a eu lieu le 7 mai 2021, en sorte que le délai d'opposition d'un mois expirait le 7 juin 2021 ; toutefois, la publication au registre du commerce et des sociétés n'a eu lieu que le 4 juillet 2021, si bien que la transmission universelle de patrimoine n'était opposable aux tiers qu'à compter de cette dernière date. L'acte de cession de créance est intervenu le 24 juin 2021, avant que la disparition de la personnalité de juridique ne devienne opposable aux tiers. Par conséquent la société Cemex Betons Sud Est qui est également un tiers à la société Lokam, ne peut opposer ce fait pour échapper à ses obligations.

L'intimé sur ce point oppose qu'en application de la jurisprudence de la Cour de cassation un tiers peut se prévaloir d'un évènement dès sa publication dans un journal d'annonces légales. La société Cemex Bétons Sud Est ayant bien la qualité de tiers, elle peut se prévaloir de la disparition de la personnalité morale de la société Lokam à compter du 7 juin 2021. L'appelante soutient que la cession est intervenue le 24 juin 2021. Or, à cette date, la société Lokam n'avait plus de personnalité juridique et n'avait donc pas la capacité nécessaire pour consentir une cession de créance au moment des faits litigieux. Aux termes de ses écritures, l'appelante se fonde sur diverses décisions pour soutenir que la dissolution d'une société n'est opposable aux tiers qu'à compter de sa publication au registre du commerce et des sociétés. Néanmoins, une distinction doit être opérée entre d'une part, ce qui est opposable aux tiers : une partie ne peut opposer la dissolution d'une société à un tiers tant que cet événement n'a pas été publié au Bodacc, et d'autre part, ce dont les tiers peuvent se prévaloir : un tiers peut se prévaloir de la dissolution d'une société dès la fin du délai de contestation suivant sa publication au Journal d'annonces légales. En l'occurrence, la société Cemex Bétons Sud Est ne se voit pas opposer la dissolution de la société Lokam mais, au contraire, souhaite s'en prévaloir. Dès lors, les jurisprudences visées par la Caisse d'épargne CEPAC n'ont pas lieu de s'appliquer en l'espèce.

Sur ce

En droit, il est de principe que la disparition de la personnalité juridique d'une société n'est rendue opposable aux tiers que par la publication au registre du commerce et des sociétés des actes ou événements l'ayant entrainée, même si ceux-ci ont fait l'objet d'une autre publicité légale telle la dissolution publiée dans un journal d'annonces légales (Com. 20 septembre 2011 no 10-15.068 P).

Au cas présent la Caisse d'épargne CEPAC produit en pièce 6 la publication au Bodacc de la transmission universelle de patrimoine des 3 et 4 juillet 2021.

De son côté la société Cémex Bétons Sud Est verse au débat : - l'extrait de publication paru le 7 mai 2021 dans le journal L'Agriculteur provençal de la dissolution prononcée aux termes de la décision prise par l'associé unique de la société NWH Neuweg Holding en application de l'article 1844-5 du code civil avec mention du droit d'opposition des créanciers ; - l'extrait Boddac du samedi et du dimanche 4 juillet 2021 publiant la radiation de la société Lokam SAS.

À défaut de production par aucune des parties, d'un extrait Kbis de la société Lokam faisant apparaître la date de publication au registre du commerce et des sociétés de la transmission universelle de patrimoine, il ne peut être retenu d'autre date que celle du 3 /4 juillet 2021comme rendant opposable aux tiers la disparition de la personnalité morale de la société Lokam, la publication du 7 mai 2021 étant inopérante, en vertu de la jurisprudence précitée.

Par conséquent le jugement déféré doit être infirmé en ce que le tribunal a retenu la date du 7 juin 2021 comme disparition de la personnalité morale sans considérer la date à laquelle cette disparition est devenue opposable aux tiers.

C) Enfin, en vertu de l'application de la théorie du mandat apparent, désormais consacrée par l'article 1156 alinéa 1er du code civil, une société peut être engagée par une personne même non habilitée régulièrement si les tiers avec qui cette personne a traité ont légitimement cru que celle-ci disposait des pouvoirs nécessaires. La jurisprudence a, au fil des années, déterminé dans quelles circonstances la croyance du tiers contractant dans l'étendue suffisante des pouvoirs du signataire l'autorisait à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs. Ainsi, en l'espèce, la société Lokam et la Caisse d'Epargne ayant signé une convention cadre en 2018 puis des cessions de créances par la suite, la banque était légitime à penser que M. [N], Président de Lokam, avait toujours qualité pour pouvoir signer l'acte de cession de la créance sur Cemex Bétons Sud Est, d'autant que la publication de la transmission universelle de patrimoine de la société Lokam, n'était à cette date pas encore intervenue. En raison de la théorie du mandat apparent et de la publication tardive de la transmission universelle de patrimoine de la société Lokam, la créance de la Caisse d'Epargne était certaine.

L'intimé objecte, à bon droit, qu'en l'espèce ce n'est pas le pouvoir de M. [N] d'engager la société Lokam qui est remis en cause mais la capacité de la société Lokam. En effet, c'est l'absence de personnalité juridique de la société Lokam qui rend l'acte de cession nul et non l'éventuelle absence de pouvoir de M. [N]. Dès lors, la théorie du mandat apparent n'a pas lieu de s'appliquer en l'espèce.

En tout état de cause, compte tenu du fait que la disparition de la personnalité morale de la société Lokam n'a été opposable aux tiers qu'à partir du 4 juillet 2021, ce moyen est inopérant.

Sur la notification de la cession de créance

Au visa des dispositions des articles L. 313-24, L. 313-28, et R. 313-15 du code monétaire et financier, l'appelante soutient que la cession de créance par bordereau [K] a régulièrement été notifiée à la société Cemex Bétons Sud Est par la Caisse d'épargne, ce qui a été reconnu par le tribunal de commerce de Créteil dans le jugement défére du 13 juin 2023. La dette de la société Cemex Bétons Sud est exigible depuis son échéance le 24 juillet 2021. L'acte de cession de créance étant parfaitement valide, la société Cemex Bétons Sud Est a l'obligation de payer la créance entre les mains de l'établissement bancaire.

L'appelant ajoute que la société Cemex Bétons Sud Est soutenait en première instance avoir payé ladite facture objet de la cession, entre les mains de la société Lokam le 12 août 2021, et pour preuve versait au débat une capture écran, qui en réalité est un élément insuffisant à justifier de la réalisation effective du paiement, la pièce ressortant semble-t-il d'un logiciel de comptabilité de la société, alors que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même. En tout état de cause, comme il a été évoqué supra, du fait de l'acte de cession de créance régulière et de sa notification, la société Cemex Bétons Sud Est était dans l'obligation de régler la créance entre les mains de la Caisse d'Epargne CEPAC.

Sur ce :

L'article L. 313-24 du code monétaire et financier dispose que : 'Même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée. Sauf convention contraire, le signataire de l'acte de cession ou de nantissement est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement'.

L'article L. 313-28 du même code précise que 'L'établissement de crédit ou la société de financement ou le FIA mentionné à l'article L. 313-23 peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. À compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit ou de la société de financement ou du FIA mentionné à l'article L. 313-23'.

L'article R. 313-15 du même code dispose que 'La notification prévue à l'article L. 313-28 peut être faite par tout moyen. La notification au débiteur d'une créance cédée ou nantie, en application des articles L. 313-23 à L. 313-35, comporte les mentions obligatoires suivantes:

- Dans les conditions prévues par les articles L. 313-23 à L. 313-35 du code monétaire et financier, le nom du cédant ou de la personne qui consent le nantissement, comme suit :

'Nous a cédé/nanti la/les créance(s)' ;

- La désignation de la (ou les) créance(s) cédée(s) ou nantie(s), comme suit :

'Dont vous êtes débiteur envers lui/elle.

'Conformément aux dispositions de l'article L. 313-28, nous vous demandons de cesser, à compter de la présente notification, tout paiement au titre de cette/ces créance(s) à ...' ;

- Le mode de règlement et l'indication de la personne à l'ordre de laquelle ce règlement doit être effectué, comme suit :

'En conséquence, le règlement de votre dette (indication du mode de règlement) devra être effectué à l'ordre de ... (indication de la personne à l'ordre de laquelle le règlement doit être effectué).'

En l'espèce, il résulte des pièces produites par la Caisse d'épargne CEPAC ' en particulier, la pièce 2 : Notification de cession de créance, et la pièce 4 : Bordereau Acte de cession de créances professionnelles, qu'apparaissent dans la notification de cession de créance tous les éléments nécessaires au regard de l'article R. 313-15 précité : ceux permettant d'identifier le cédant, à savoir la société Lokam SAS ; montant de la créance, de 27 824,12 euros ; référence de la facture n°202105FA05, et sa date d'échéance du 24 juillet 2021 ; en outre, mention de l'article L. 313-28 du code monétaire et financier. Ainsi, la Caisse d'épargne CEPAC vise les références permettant d'effectuer le règlement entre ses mains ainsi que les modalités souhaitées.Enfin, la notification de la cession de créance a été régulièrement formalisée, par le courrier recommandé dont l'avis de réception indique une distribution à la société Cémex Bétons Sud le 28 juin 2021.

La société Cemex Bétons Sud Est ne pouvait non plus se méprendre sur son obligation au vu de la mise en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que lui a adressée la Caisse d'épargne CEPAC le 7 mars 2022 - pièce 3 de la banque - qui faisait rappel de la notification du 24 juin 2021 portant sur la cession de créance professionnelle de la société Lokam, créance dont il était rappelé les caractéristiques numéro de facture, montant), avec les pièces jointes idoines.

Il sera également rappelé les termes de la convention-cadre de cession de créances professionnelles stipulant dans sa clause 1.6 que : 'Le non-paiement de la créance est établi dès lors, qu'à la date de son échéance, la Caisse d'Epargne n'en a pas reçu le règlement intégral, notamment :

- soit directement du débiteur cédé au cas où la cession lui aurait été notifiée ;

- soit du client ayant agi, à défaut de notification, en qualité de mandataire de la Caisse d'Epargne'.

La société Cemex Bétons Sud Est développe à hauteur d'appel qu'en l'espèce, si la notification faite comprend bien toutes les informations relatives à la créance cédée, le nom du cédant ainsi que celui du cessionnaire, toutefois, en étudiant attentivement le bordereau de cession de créance qui est joint à la notification, on relève que celui-ci n'est pas daté. En effet, il est uniquement fait mention de la date de la facture cédée qui correspond d'ailleurs à la date de la notification de la cession, soit le 24 juin 2021. L'encadré dans lequel la Caisse d'épargne CEPAC aurait dû indiquer la date de la cession est resté vide. Lorsque ce point a été soulevé en première instance, la société Caisse d'épagne CEPAC a soudainement produit une autre version du bordereau sur laquelle la date apparaissait. Ce document ne peut avoir aucune valeur probante dans la mesure où il a été produit postérieurement à la version non datée qui aurait été notifiée à la société Cemex Bétons Sud Est et uniquement après que la validité de la cession a été mise en cause en raison de l'absence de date. On conçoit difficilement pourquoi la demanderesse aurait notifié puis produit un bordereau de cession non daté si elle disposait de l'exemplaire daté au jour de la notification et de l'assignation de la société Cemex Bétons Sud Est. La date a parfaitement pu être ajoutée postérieurement. De même, la production de documents internes à l'entreprise faisant état de l'enregistrement de la cession de créance, ne peut avoir un caractère probant, car comme le souligne la partie adverse dans ses propres écritures, nul ne peut se faire de preuve à soi-même. La cour ne pourra donc prendre en compte ce document dont l'authenticité est plus que discutable. Compte tenu des dispositions du code monétaire et financier et de la jurisprudence susvisée, il est acquis que le défaut de date sur le bordereau de cession de la créance professionnelle litigieuse rend la cession nulle. En conséquence la société Cemex Bétons Sud Est ne peut se voir opposer ladite cession.

Pour autant force est de constater qu'en l'état actuel de la procédure la Caisse d'épargne CEPAC produit un bordereau de cession de créance sur lequel figure une date, dont l'exactitude n'est combattue par aucun autre élément du dossier. Par conséquent la cession de créance doit être considérée comme régulière, et peut valablement être opposée à la société Cémex Bétons Sud Est.

S'agissant de la preuve du paiement que celle-ci prétend avoir réalisé entre les mains de la société Lokam, il s'avère que sa pièce 4 n'est en elle-même pas probante, étant de principe que les documents internes ne permettent pas de pallier une carence probatoire. Pour autant, par rapprochement avec le relevé de compte pièce 10, il s'en évince que les 27 824,12 euros de la créance sont inclus dans une somme globale de 56598,10 euros qui a été payée à Lokam. Il n'en demeure pas moins que le paiement ne pouvait se faire qu'à la Caisse d'épargne CEPAC, et la société Cemex Bétons Sud Est ne prouve pas s'être libérée valablement à son égard.

En conséquence de ce qui précède le jugement déféré est infirmé et la société Cemex Bétons Sud Est sera condamnée en paiement dans les conditions de la demande de la Caisse d'épargne CEPAC.

****

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Cemex Betons Sud Est, qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de Caisse d'épargne CEPAC formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

REJETTE la demande de la société Caisse d'épargne CEPAC tendant au rabat de l'ordonnance de clôture du 17 juin 2025 et à la fixation d'une nouvelle date de clôture,

DÉCLARE irrecevables les conclusions déposées le 18 juin 2025 par la société Caisse d'épargne CEPAC ;

DÉBOUTE la société Caisse d'épargne CEPAC de sa demande d'annulation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 13 juin 2023 ;

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :

CONDAMNE la société Cemex Bétons Sud Est à payer à la Caisse d'épargne CEPAC la somme de 27 824,12 euros au titre de la cession de créance qui lui a été notifiée le 24 juin 2021 ;

CONDAMNE la société Cemex Bétons Sud Est aux entiers dépens de l'instance ;

CONDAMNE la société Cemex Bétons Sud Est à payer à la Caisse d'épargne CEPAC la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Cemex Bétons Sud Est de sa propre demande formulée sur ce même fondement.

* * * * *

Le greffier Le président

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site