CA Reims, ch.-1 civ. et com., 8 octobre 2025, n° 24/01907
REIMS
Arrêt
Autre
N° R.G. : 24/01907 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FSTL
ARRÊT N° 347
du : 08 octobre 2025
Association "L'Éternel est ma force"
c/
S.C.I. CHAMPAGNE COTE D'AZUR
Formule exécutoire le :
à :
Me Frédérique GIBAUD
la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT [L] 08 OCTOBRE 2025
APPELANTE :
d'une ordonnance de référé rendue le 15 novembre 2024 par le Président du Tribunal judiciaire de REIMS (RG 24/00260)
Association 'L'Éternel est ma force'
[Adresse 2]
[Localité 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C51454-2024-004986 du 20/12/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 7])
Représentée par Maître Frédérique GIBAUD, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.C.I. CHAMPAGNE COTE D'AZUR
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Maître Damien MOITTIE de la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET [L] DELIBERE
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre
Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère
Monsieur Kevin LECLERE VUE, conseiller
et en présence de [H] [L] FAYET DE LA TOUR, attachée de justice
GREFFIERS
Madame Sophie BALESTRE, greffier, greffier lors des débats et Madame SOKY Lozie , greffière placée, greffière lors de la mise à disposition
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et par Madame SOKY, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE [L] LITIGE
Par acte sous seing privé du 15 mai 2020, la SCI [Adresse 6] a donné à bail, pour une durée de 9 ans, à l'association Charisma Ministries International Reims, aujourd'hui dénommée l'éternel est ma force, des locaux à usage de bureaux, situés à Bétheny (Marne), [Adresse 2], moyennant le paiement d'un loyer annuel de 15000 euros HT outre une provision sur charges et taxes foncières de 680 HT par an.
A compter de l'année 2021, le preneur a cessé de régler les loyers régulièrement.
Par exploit du 24 janvier 2024, le bailleur a fait délivrer au locataire un commandement de payer la somme de 22 249,81 euros.
Faute de règlement, par exploit du 6 juin 2024, la SCI [Adresse 6] a fait assigner l'association l'éternel est ma force devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims aux fins notamment de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail, prononcer l'expulsion du preneur et sa condamnation à lui payer les loyers échus et une indemnité d'occupation.
Par ordonnance du 15 novembre 2024 ce juge a':
- rejeté l'exception tirée de la prescription,
- constaté la résiliation de plein droit du bail commercial conclu entre les parties portant sur les locaux à usage commercial sis à [Adresse 5],
- ordonné l'expulsion de l'association l'éternel est ma force représentée par son président, occupant sans droit ni titre, et de tous occupants de son chef avec l'assistance de la force publique au besoin et le concours d'un serrurier,
- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par l'association l'éternel est ma force à la SCI [Adresse 6] à la somme de 1 568 euros mensuelle à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire du bail, jusqu'à parfaite libération des lieux,
- condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 1 568 euros mensuelle à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire du bail, jusqu'à parfaite libération des lieux,
- condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme 25 900,59 euros correspondant à la dette locative selon décompte arrêté au 31 août 2024,
- condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- rappelé que la décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 19 décembre 2024, l'association l'éternel est ma force a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 23 mars 2025 elle demande à la cour de':
- juger recevable et bien fondé son appel,
- infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger qu'il existe une contestation sérieuse entre le décompte des sommes sollicitées par la SCI [Adresse 6],
- juger que cette contestation sérieuse ne permet pas de faire droit à la demande de condamnation provisionnelle de l'intimée pour la somme de 22 249,81 euros,
- juger qu'à défaut de décompte précis des sommes réglés, la contestation sérieuse s'oppose à son expulsion et à toute demande accessoire,
- juger l'existence d'une contestation sérieuse ne permettant pas de fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 1 825,93 euros,
- condamner la SCI Champagne Côte d'Azur à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en ce compris le commandement de payer et les frais de procédures subsidiaires et annexes.
Elle conteste les sommes réclamées au titre des loyers affirmant que les décomptes établis sont erronés.
Elle soutient avoir payé l'intégralité des sommes réclamées au titre des taxes foncières.
S'agissant des charges, elle fait valoir que la demande afférente aux charges locatives antérieures au 22 janvier 2021 est prescrite et se prévaut d'une absence de justification suffisante des charges ultérieures réclamées ce qui constitue une contestation sérieuse ne permettant pas au juge des référés de statuer.
Elle allègue en outre qu'un trop perçu a été versé au bailleur en raison de la révision irrégulière du loyer de sorte que des sommes doivent lui être restituées.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 mai 2025, la SCI [Adresse 6] demande à la cour de':
- déclarer l'appelante recevable mais mal fondée en son appel,
- confirmer l'ordonnance de référé sauf à actualiser la dette locative arrêtée au 31 décembre 2024 pour 30 604,31 euros,
y ajoutant,
- condamner l'appelante à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
S'agissant de la révision triennale appliquée au loyer, elle ne s'oppose pas à la contestation émise et soutient avoir renoncé à sa demande en paiement à concurrence de celle-ci en modifiant le montant des sommes réclamées.
Elle fait valoir que le bail en cause est soumis aux dispositions du code de commerce et que la prescription en matière de charges dues par le preneur est une prescription quinquennale de sorte que sa créance n'est pas sérieusement contestable à ce titre.
Elle affirme que la contestation par l'appelante du décompte des loyers et charges impayées n'est pas fondée et que faute de régularisation par le locataire dans le mois suivant la délivrance du commandement de payer, la clause résolutoire du bail doit jouer son plein effet.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 9 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la résiliation du bail et ses conséquences de droit
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que «'toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai'».
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au contrat du bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
En l'espèce, le bail commercial liant les parties du 15 mai 2020 (pièce 1 de l'intimée) stipule dans son article 22 (page 6) que «'à défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de loyer ou de remboursements de frais, charges ou prestations qui en constitue l'accessoire, ou d'exécution de l'une ou l'autre des conditions du présent bail, et un (1) mois après un commandement de payer ou d'exécuter resté sans effet, et contenant déclaration par le Bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble au Bailleur'».
Le commandement de payer délivré le 22 janvier 2024 (pièce 2 de l'intimée), visant la clause résolutoire, met en demeure le preneur de régler la somme de 22 249,81 euros, correspondant aux loyers et charges impayés, pour un montant respectif de 16 153,79 euros et 4 870,82 euros, et à la taxe foncière de l'année 2022 de 1225,20 euros non acquittée.
Le contrat liant les parties stipule que les locaux sont donnés à bail moyennant le paiement d'un loyer annuel de 15 000 euros HT outre une provision sur charges et taxes foncières de 680 HT par an.
Il résulte des éléments comptables rapportés sur le grand livre auxiliaire versé par l'intimée (sa pièce 3), confirmés par les exports de mouvements et avis d'opéré produits par l'appelante (ses pièces 11 à 14), que des impayés de loyers sont survenus entre juin et septembre 2021 pour un montant de 7 182,80 euros, les paiements opérés ensuite le 20 septembre 2021, 18 octobre 2021 et 20 décembre 2021 à hauteur de 4 704 euros n'ayant pas permis de régulariser l'ensemble des sommes dues au bailleur au titre des loyers et charges de cette année.
Il est également établi à la lecture de ces mêmes pièces que les paiements opérés en 2022, à hauteur de 16 576 euros, après imputation sur les dettes les plus anciennes, n'ont pas davantage permis de compenser les impayés antérieurs et la totalité des loyers dus pour cette année.
De la même façon, les 11 règlements réalisés en 2023, pour un total de 19 461,80 euros, n'ont pas apuré la dette locative.
Si de nouveaux paiements ont été réalisés en 2024 (pièce 27 de l'intimée), ils ne s'élèvent qu'à la somme de 10 400,93 euros, de sorte qu'ils ne couvrent pas le montant des loyers dus au titre de l'année et n'éteignent pas la dette locative contractée par l'appelante depuis 2021.
Il est ainsi suffisamment démontré, malgré les dénégations de l'appelante, que les causes du commandement de payer n'ont été ni réglées ni contestées dans le délai d'un mois imparti par ledit acte conformément aux clauses conventionnelles et aux dispositions pré-citées applicables aux baux commerciaux.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de droit du bail à la date du 25 février 2024 et ordonné l'expulsion de l'appelante ainsi que celle de ses biens et de tous occupants de son chef.
2- Sur la demande de condamnation par provision
Au titre des loyers et charges impayés :
Le montant de la provision allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Par ailleurs, l'article L. 145-60 du code de commerce prévoit que toutes les actions exercées en vertu d'une règle spécifique du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans. Toutefois, le paiement et le remboursement des charges locatives ne font pas l'objet d'une disposition particulière dans cette réglementation, de sorte qu'il convient de se reporter aux règles de droit commun pour déterminer le délai de prescription applicable en matière de charges locatives. Le délai applicable à l'action en paiement ou en régularisation des charges locatives en bail commercial est donc de cinq ans.
En l'espèce, il résulte du commandement de payer du 22 janvier 2024, que le preneur est redevable, avec l'évidence requise en référé, et en tenant compte de la renonciation du bailleur à la révision triennale du loyer irrégulière (à hauteur de 2 837,23 euros), de la somme de 13 316,56 euros (16 153,79 ' 2 837,23), au titre des loyers impayés jusqu'au 1er février 2024.
Par ailleurs, le bail stipule dans son article 17 (page 5) que le preneur remboursera, le cas échéant, au bailleur, sa quote-part des charges et la taxe foncière du lot objet du contrat. Ces remboursements seront faits au bailleur en même temps que chacun des termes de loyer au moyen d'acomptes provisionnels, le compte étant soldé une fois l'an. Le montant des charges prévisionnelles fors taxes foncières s'élève à 680 euros HT par an. Les charges comprennent l'eau, l'entretien des communs, l'électricité des communs.
S'agissant du remboursement de la taxe foncière, l'association appelante, qui se borne à produire un tableau établi par ses soins (ses pièces 11, 13 et 14) laissant apparaître un paiement à ce titre, sans aucun autre justificatif comptable, échoue à rapporter la preuve de celui-ci. Elle doit donc être condamnée au règlement des sommes réclamées par le bailleur de 910,80, 1225,20 et 1212,56 euros au titre du remboursement de la quote-part de taxe foncière pour les années 2021, 2022 et 2023, soit un total de 3 348,56 euros.
Concernant les charges locatives, le bailleur sollicite à ce titre les sommes de':
- 1 138,39 euros au titre d'un reste dû sur solde de charges locatives de juillet 2020 à mars 2021 (sa pièce 2),
- 2 817,80 euros au titre du solde des charges locatives de juillet 2021 à mars 2022 (sa pièce 2),
- 2 899,15 euros au titre des charges locatives de avril 2022 à mars 2023 (sa pièce 27).
Pour échapper à leur paiement, l'appelante ne peut valablement invoquer la prescription extinctive des charges pour la période du 7 juillet 2020 au 3 novembre 2021, le délai applicable à l'action en paiement ou en régularisation des charges locatives étant de 5 ans s'agissant d'un bail commercial et non de 3 ans comme elle le fait valoir à tort.
Toutefois, les comptes individuels de charges établis par la société Nexity à destination de l'intimée (ses pièces 4 et 24) et datés du 23 mars 2022 et 16 octobre 2023 concernant l'ensemble des lots détenus par le bailleur, sans production d'un décompte annuel, de la répartition par locataires, ni de justificatif de ventilation entre les différents postes de charges (eau, électricité, entretien des locaux) sont insuffisants pour établir le solde de charges dont l'appelante est redevable.
L'ordonnance querellée est donc infirmée sur ce point et l'association appelante sera condamnée au paiement provisionnel de la somme de 16 665,12 euros (13 316,56 + 3 348,56) au titre de la dette locative.
Au titre de l'indemnité d'occupation :
En raison de sa nature mixte, compensatoire et indemnitaire, l'indemnité d'occupation assure la réparation du préjudice résultant pour le bailleur d'une occupation sans bail.
Compte tenu de la résiliation du bail, c'est à bon droit que le premier juge a condamné l'association appelante au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle égale au montant du loyer contractuel outre les taxes et charges, soit la somme de 1 568 euros, à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire du bail, soit le 25 février 2024, jusqu'à la libération effective des lieux.
L'ordonnance querellée est donc confirmée sur ce point.
3- Sur les frais de procédure et les dépens
La décision querellée sera confirmée s'agissant des dépens de première instance.
L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
L'ordonnance entreprise sera confirmée concernant les condamnations prononcées au titre des frais de procédure.
Débouté de ses prétentions, l'appelante ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.
L'équité justifie d'allouer à l'intimée la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance entreprise'sauf en ce qu'elle a condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme 25 900,59 euros correspondant à la dette locative selon décompte arrêté au 31 août 2024,
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
Condamne à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 16 665,12 euros correspondant à la dette locative';
Condamne l'association l'éternel est ma force aux dépens d'appel';
Condamne l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
La déboute de sa demande formée à ce titre.
Le greffier La présidente de chambre
ARRÊT N° 347
du : 08 octobre 2025
Association "L'Éternel est ma force"
c/
S.C.I. CHAMPAGNE COTE D'AZUR
Formule exécutoire le :
à :
Me Frédérique GIBAUD
la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT [L] 08 OCTOBRE 2025
APPELANTE :
d'une ordonnance de référé rendue le 15 novembre 2024 par le Président du Tribunal judiciaire de REIMS (RG 24/00260)
Association 'L'Éternel est ma force'
[Adresse 2]
[Localité 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C51454-2024-004986 du 20/12/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 7])
Représentée par Maître Frédérique GIBAUD, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.C.I. CHAMPAGNE COTE D'AZUR
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Maître Damien MOITTIE de la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET [L] DELIBERE
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre
Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère
Monsieur Kevin LECLERE VUE, conseiller
et en présence de [H] [L] FAYET DE LA TOUR, attachée de justice
GREFFIERS
Madame Sophie BALESTRE, greffier, greffier lors des débats et Madame SOKY Lozie , greffière placée, greffière lors de la mise à disposition
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et par Madame SOKY, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE [L] LITIGE
Par acte sous seing privé du 15 mai 2020, la SCI [Adresse 6] a donné à bail, pour une durée de 9 ans, à l'association Charisma Ministries International Reims, aujourd'hui dénommée l'éternel est ma force, des locaux à usage de bureaux, situés à Bétheny (Marne), [Adresse 2], moyennant le paiement d'un loyer annuel de 15000 euros HT outre une provision sur charges et taxes foncières de 680 HT par an.
A compter de l'année 2021, le preneur a cessé de régler les loyers régulièrement.
Par exploit du 24 janvier 2024, le bailleur a fait délivrer au locataire un commandement de payer la somme de 22 249,81 euros.
Faute de règlement, par exploit du 6 juin 2024, la SCI [Adresse 6] a fait assigner l'association l'éternel est ma force devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims aux fins notamment de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail, prononcer l'expulsion du preneur et sa condamnation à lui payer les loyers échus et une indemnité d'occupation.
Par ordonnance du 15 novembre 2024 ce juge a':
- rejeté l'exception tirée de la prescription,
- constaté la résiliation de plein droit du bail commercial conclu entre les parties portant sur les locaux à usage commercial sis à [Adresse 5],
- ordonné l'expulsion de l'association l'éternel est ma force représentée par son président, occupant sans droit ni titre, et de tous occupants de son chef avec l'assistance de la force publique au besoin et le concours d'un serrurier,
- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par l'association l'éternel est ma force à la SCI [Adresse 6] à la somme de 1 568 euros mensuelle à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire du bail, jusqu'à parfaite libération des lieux,
- condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 1 568 euros mensuelle à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire du bail, jusqu'à parfaite libération des lieux,
- condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme 25 900,59 euros correspondant à la dette locative selon décompte arrêté au 31 août 2024,
- condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- rappelé que la décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 19 décembre 2024, l'association l'éternel est ma force a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 23 mars 2025 elle demande à la cour de':
- juger recevable et bien fondé son appel,
- infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger qu'il existe une contestation sérieuse entre le décompte des sommes sollicitées par la SCI [Adresse 6],
- juger que cette contestation sérieuse ne permet pas de faire droit à la demande de condamnation provisionnelle de l'intimée pour la somme de 22 249,81 euros,
- juger qu'à défaut de décompte précis des sommes réglés, la contestation sérieuse s'oppose à son expulsion et à toute demande accessoire,
- juger l'existence d'une contestation sérieuse ne permettant pas de fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 1 825,93 euros,
- condamner la SCI Champagne Côte d'Azur à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en ce compris le commandement de payer et les frais de procédures subsidiaires et annexes.
Elle conteste les sommes réclamées au titre des loyers affirmant que les décomptes établis sont erronés.
Elle soutient avoir payé l'intégralité des sommes réclamées au titre des taxes foncières.
S'agissant des charges, elle fait valoir que la demande afférente aux charges locatives antérieures au 22 janvier 2021 est prescrite et se prévaut d'une absence de justification suffisante des charges ultérieures réclamées ce qui constitue une contestation sérieuse ne permettant pas au juge des référés de statuer.
Elle allègue en outre qu'un trop perçu a été versé au bailleur en raison de la révision irrégulière du loyer de sorte que des sommes doivent lui être restituées.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 mai 2025, la SCI [Adresse 6] demande à la cour de':
- déclarer l'appelante recevable mais mal fondée en son appel,
- confirmer l'ordonnance de référé sauf à actualiser la dette locative arrêtée au 31 décembre 2024 pour 30 604,31 euros,
y ajoutant,
- condamner l'appelante à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
S'agissant de la révision triennale appliquée au loyer, elle ne s'oppose pas à la contestation émise et soutient avoir renoncé à sa demande en paiement à concurrence de celle-ci en modifiant le montant des sommes réclamées.
Elle fait valoir que le bail en cause est soumis aux dispositions du code de commerce et que la prescription en matière de charges dues par le preneur est une prescription quinquennale de sorte que sa créance n'est pas sérieusement contestable à ce titre.
Elle affirme que la contestation par l'appelante du décompte des loyers et charges impayées n'est pas fondée et que faute de régularisation par le locataire dans le mois suivant la délivrance du commandement de payer, la clause résolutoire du bail doit jouer son plein effet.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 9 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la résiliation du bail et ses conséquences de droit
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que «'toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai'».
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au contrat du bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
En l'espèce, le bail commercial liant les parties du 15 mai 2020 (pièce 1 de l'intimée) stipule dans son article 22 (page 6) que «'à défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de loyer ou de remboursements de frais, charges ou prestations qui en constitue l'accessoire, ou d'exécution de l'une ou l'autre des conditions du présent bail, et un (1) mois après un commandement de payer ou d'exécuter resté sans effet, et contenant déclaration par le Bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble au Bailleur'».
Le commandement de payer délivré le 22 janvier 2024 (pièce 2 de l'intimée), visant la clause résolutoire, met en demeure le preneur de régler la somme de 22 249,81 euros, correspondant aux loyers et charges impayés, pour un montant respectif de 16 153,79 euros et 4 870,82 euros, et à la taxe foncière de l'année 2022 de 1225,20 euros non acquittée.
Le contrat liant les parties stipule que les locaux sont donnés à bail moyennant le paiement d'un loyer annuel de 15 000 euros HT outre une provision sur charges et taxes foncières de 680 HT par an.
Il résulte des éléments comptables rapportés sur le grand livre auxiliaire versé par l'intimée (sa pièce 3), confirmés par les exports de mouvements et avis d'opéré produits par l'appelante (ses pièces 11 à 14), que des impayés de loyers sont survenus entre juin et septembre 2021 pour un montant de 7 182,80 euros, les paiements opérés ensuite le 20 septembre 2021, 18 octobre 2021 et 20 décembre 2021 à hauteur de 4 704 euros n'ayant pas permis de régulariser l'ensemble des sommes dues au bailleur au titre des loyers et charges de cette année.
Il est également établi à la lecture de ces mêmes pièces que les paiements opérés en 2022, à hauteur de 16 576 euros, après imputation sur les dettes les plus anciennes, n'ont pas davantage permis de compenser les impayés antérieurs et la totalité des loyers dus pour cette année.
De la même façon, les 11 règlements réalisés en 2023, pour un total de 19 461,80 euros, n'ont pas apuré la dette locative.
Si de nouveaux paiements ont été réalisés en 2024 (pièce 27 de l'intimée), ils ne s'élèvent qu'à la somme de 10 400,93 euros, de sorte qu'ils ne couvrent pas le montant des loyers dus au titre de l'année et n'éteignent pas la dette locative contractée par l'appelante depuis 2021.
Il est ainsi suffisamment démontré, malgré les dénégations de l'appelante, que les causes du commandement de payer n'ont été ni réglées ni contestées dans le délai d'un mois imparti par ledit acte conformément aux clauses conventionnelles et aux dispositions pré-citées applicables aux baux commerciaux.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de droit du bail à la date du 25 février 2024 et ordonné l'expulsion de l'appelante ainsi que celle de ses biens et de tous occupants de son chef.
2- Sur la demande de condamnation par provision
Au titre des loyers et charges impayés :
Le montant de la provision allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Par ailleurs, l'article L. 145-60 du code de commerce prévoit que toutes les actions exercées en vertu d'une règle spécifique du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans. Toutefois, le paiement et le remboursement des charges locatives ne font pas l'objet d'une disposition particulière dans cette réglementation, de sorte qu'il convient de se reporter aux règles de droit commun pour déterminer le délai de prescription applicable en matière de charges locatives. Le délai applicable à l'action en paiement ou en régularisation des charges locatives en bail commercial est donc de cinq ans.
En l'espèce, il résulte du commandement de payer du 22 janvier 2024, que le preneur est redevable, avec l'évidence requise en référé, et en tenant compte de la renonciation du bailleur à la révision triennale du loyer irrégulière (à hauteur de 2 837,23 euros), de la somme de 13 316,56 euros (16 153,79 ' 2 837,23), au titre des loyers impayés jusqu'au 1er février 2024.
Par ailleurs, le bail stipule dans son article 17 (page 5) que le preneur remboursera, le cas échéant, au bailleur, sa quote-part des charges et la taxe foncière du lot objet du contrat. Ces remboursements seront faits au bailleur en même temps que chacun des termes de loyer au moyen d'acomptes provisionnels, le compte étant soldé une fois l'an. Le montant des charges prévisionnelles fors taxes foncières s'élève à 680 euros HT par an. Les charges comprennent l'eau, l'entretien des communs, l'électricité des communs.
S'agissant du remboursement de la taxe foncière, l'association appelante, qui se borne à produire un tableau établi par ses soins (ses pièces 11, 13 et 14) laissant apparaître un paiement à ce titre, sans aucun autre justificatif comptable, échoue à rapporter la preuve de celui-ci. Elle doit donc être condamnée au règlement des sommes réclamées par le bailleur de 910,80, 1225,20 et 1212,56 euros au titre du remboursement de la quote-part de taxe foncière pour les années 2021, 2022 et 2023, soit un total de 3 348,56 euros.
Concernant les charges locatives, le bailleur sollicite à ce titre les sommes de':
- 1 138,39 euros au titre d'un reste dû sur solde de charges locatives de juillet 2020 à mars 2021 (sa pièce 2),
- 2 817,80 euros au titre du solde des charges locatives de juillet 2021 à mars 2022 (sa pièce 2),
- 2 899,15 euros au titre des charges locatives de avril 2022 à mars 2023 (sa pièce 27).
Pour échapper à leur paiement, l'appelante ne peut valablement invoquer la prescription extinctive des charges pour la période du 7 juillet 2020 au 3 novembre 2021, le délai applicable à l'action en paiement ou en régularisation des charges locatives étant de 5 ans s'agissant d'un bail commercial et non de 3 ans comme elle le fait valoir à tort.
Toutefois, les comptes individuels de charges établis par la société Nexity à destination de l'intimée (ses pièces 4 et 24) et datés du 23 mars 2022 et 16 octobre 2023 concernant l'ensemble des lots détenus par le bailleur, sans production d'un décompte annuel, de la répartition par locataires, ni de justificatif de ventilation entre les différents postes de charges (eau, électricité, entretien des locaux) sont insuffisants pour établir le solde de charges dont l'appelante est redevable.
L'ordonnance querellée est donc infirmée sur ce point et l'association appelante sera condamnée au paiement provisionnel de la somme de 16 665,12 euros (13 316,56 + 3 348,56) au titre de la dette locative.
Au titre de l'indemnité d'occupation :
En raison de sa nature mixte, compensatoire et indemnitaire, l'indemnité d'occupation assure la réparation du préjudice résultant pour le bailleur d'une occupation sans bail.
Compte tenu de la résiliation du bail, c'est à bon droit que le premier juge a condamné l'association appelante au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle égale au montant du loyer contractuel outre les taxes et charges, soit la somme de 1 568 euros, à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire du bail, soit le 25 février 2024, jusqu'à la libération effective des lieux.
L'ordonnance querellée est donc confirmée sur ce point.
3- Sur les frais de procédure et les dépens
La décision querellée sera confirmée s'agissant des dépens de première instance.
L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
L'ordonnance entreprise sera confirmée concernant les condamnations prononcées au titre des frais de procédure.
Débouté de ses prétentions, l'appelante ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.
L'équité justifie d'allouer à l'intimée la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance entreprise'sauf en ce qu'elle a condamné à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme 25 900,59 euros correspondant à la dette locative selon décompte arrêté au 31 août 2024,
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
Condamne à titre provisionnel l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 16 665,12 euros correspondant à la dette locative';
Condamne l'association l'éternel est ma force aux dépens d'appel';
Condamne l'association l'éternel est ma force à payer à la SCI [Adresse 6] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
La déboute de sa demande formée à ce titre.
Le greffier La présidente de chambre