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CA Montpellier, 4e ch. civ., 18 septembre 2025, n° 24/02538

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 24/02538

18 septembre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

4e chambre civile

ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 24/02538 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QHUT

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 18 AVRIL 2024

JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION DE [Localité 9]

N° RG 1123000671

APPELANTE :

La Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon

Banque coopérative régie par les art. L512-85 et s. du Code monétaire et financier - SA à Directoire et Conseil d'Orientation et de Surveillance - capital social 370 000 000 euros - RCS [Localité 9] 383 451 267 euros - Siège social [Adresse 4] - Intermédiaire d'assurance immatriculé à l'ORIAS sous le n° 07 005 729- Titulaire de la carte professionnelle 'Transactions sur immeubles et fonds de commerce, sans perception de fonds, effets ou valeurs' n° 2008/34/2106, délivrée par la Préfecture de l'Hérault, garantie par CEGC [Adresse 2] représentée par le président de son Directoire en exercice

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée sur l'audience par Me Céline LAPEYRE substituant Me Alexia ROLAND de la SELARL VPNG, avocat au barreau de MONTPELLIER, qui a déposé

INTIMEE :

Madame [C] [D] épouse [U]

née le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée sur l'audience par Me Solène MORIN substituant Me Sabine NGO, avocat au barreau de MONTPELLIER, qui n'a ni plaidé ni déposé

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 JUIN 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre

M. Philippe BRUEY, Conseiller

Mme Marie-José FRANCO, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme [C] ABEN-MOHA, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS:

1. Mme [C] [U] est titulaire d'un compte bancaire joint ouvert à la Caisse d'épargne de [Localité 10].

2. Le 16 septembre 2022, elle a reçu un appel d'une personne se faisant passer pour un conseiller du service des fraudes de la Caisse d'épargne, lui demandant ses identifiants et codes aux fins de sécuriser ses avoirs. Mme [P] a déploré à la suite de cette communication un virement de 10 000 € et un débit de 2 749 € depuis son compte bancaire qu'elle conteste avoir autorisés.

3. Mme [U] a déposé plainte pour escroquerie et sollicité le remboursement de ces opérations auprès de la Caisse d'épargne, en vain.

4. C'est dans ce contexte que, par acte du 9 février 2023, Mme [U] a fait assigner la Caisse d'épargne devant le tribunal judiciaire de Montpellier aux fins de remboursement.

5. Par jugement contradictoire du 18 avril 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Montpellier a :

- Condamné la Caisse d'épargne à payer à Mme [U] la somme de 7 326,61 € ;

- Débouté Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts ;

- Condamné la Caisse d'épargne à payer à Mme [U] la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouté la Caisse d'épargne de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la Caisse d'épargne aux dépens ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

6. La Caisse d'épargne a relevé appel de ce jugement le 13 mai 2024.

7. Par uniques conclusions remises par voie électronique le 9 août 2024, la Caisse d'épargne demande en substance à la cour, au visa des articles L. 133-16 à L. 133-19 du Code monétaire et financier, de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 18 avril 2024,

En conséquence,

- Débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- La condamner au paiement d'une somme de 4 000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

8. Mme [U] a constitué avocat mais n'a pas conclu.

9. Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 mai 2025.

10. Vu la note en délibéré adressée le 2 juillet 2025 à la cour et à sa demande par le conseil de la caisse d'Epargne.

11. Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

12. Il résulte de l'article 954 dernier alinéa, du code de procédure civile que l'intimé qui n'a pas conclu est réputé s'être approprié les motifs du jugement. En application de l'article 472, alinéa 2, du code de procédure civile si l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.

13. Les dispositions applicables au litige sont celles issues de l'ordonnance n°2009-866 du 15 juillet 2009 ayant transposé en droit français la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 sur le service de paiement et codifiées aux articles L.133-1 à L.133-45 du code monétaire financier.

14. Les contestations et responsabilités en cas d'opération de paiement non autorisées sont régies plus précisément par les dispositions des articles L.133-18 à L.133-24 dudit code.

15. En vertu de l'article L133-18, ' En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu. (...)

16. L'article L133-19 du même code dispose :

- en son §II que : ' la responsabilité du payeur n'est pas engagée si l'opération non autorisée a été effectuée en détournant à son insu, l'instrument de paiement ou les données qui lui sont liées.

- en son §IV que: ' le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L133-17 ".

17. En vertu de l'article L.133-23 du même code,

' Lorsqu'un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l'opération de paiement n'a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l'opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre. L'utilisation de l'instrument de paiement telle qu'enregistrée par le prestataire de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l'opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière.'

18. Enfin, l'article L133-24 précise:' L'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III.

19. Il résulte de ces dispositions que la charge de la preuve de la régularité de l'opération pèse sur le prestataire de services de paiement qui doit établir :

- que l'ordre émane bien de l'utilisateur du service, cette preuve ne pouvant se déduire du seul fait que l'instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont été effectivement utilisées

(Com.,26 juin 2019, pourvoi n°18-12.581),

- que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre,

Il incombe également au prestataire de paiement qui entend échapper à sa responabilité de rapporter la preuve que l'opération en cause a été rendue possible par un manquement de l'utilisateur, intentionnel ou négligence grave (Com. 12 novembre 2020 n° 19-12-112 ; Com. 20 novembre 2024 n°23-15.099).

20. Au cas d'espèce, il ressort des mentions du jugement déféré que Mme [U] a expliqué en première instance que les opérations ayant conduit aux virement et paiement litigieux ont été réalisées depuis l'application mobile de la Caisse d'Epargne après qu'elle a reçu le 16 septembre 2022 un appel téléphonique d'une personne se présentant comme le conseiller de son agence bancaire lequel l'a convaincue que des tentatives de manipulations frauduleuses avaient été opérées sur ses comptes et qu'elle devait effectuer des opérations destinées à sécuriser ses avoirs. Elle précise que le numéro de téléphone de son interlocuteur correspondait bien à celui de son agence de la Caisse d'Epargne à [Localité 10] et que les SMS reçus ensuite de cette communication venaient immédiatement dans le fil de ceux échangés plusieurs mois auparavant et se terminaient de la même manière par la mention ' contactez votre agence en cas de doute', ce qui a renforcé sa mise en confiance.

21. Il appartient à la Caisse d'Epargne qui fait grief au premier juge de l'avoir condamnée à rembourser à sa cliente le montant des prélèvements litigieux déduction faite des restitutions déjà opérées dans le cadre de la procédure dite de 'recall' de rapporter la preuve que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

22. Or si la banque a déféré à la demande de la cour en produisant par note en délibéré une grille de lecture permettant la compréhension des mentions portées sur le document produit en pièce n°3 destiné à établir que les opérations litigieuses avaient été réalisées au moyen du système d'authentification forte 'Secur Pass', par ce seul document interne non corroboré par d'autres éléments de preuve, la caisse d'epargne échoue à rapporter la preuve que les opérations en cause ont bien été authentifiées, de même qu'elle ne justifie pas en tout état de cause de l'infaillibilité de son dispositif de sécurité dite renforcée, puisqu'à le supposer employé, associé au piratage de la ligne téléphonique de la banque, il a permis aisément à son auteur de parvenir aux virements litigieux.

23. Enfin, la banque ne rapporte pas davantage à hauteur d'appel qu'en première instance la preuve d'une négligence grave de sa cliente qui serait à l'origine des opérations litigieuses dès lors que celles-ci n'ont pu se produire que grâce à l'usurpation de la ligne téléphonique de la banque et que la réception d'un appel téléphonique provenant du numéro de sa banque, associée à la réception des SMS s'insérant dans la file de ceux réellement reçus de celle-ci, est de nature à vaincre la vigilance de tout utilisateur d'un service de paiement fût-il normalement avisé et prudent auquel on explique que son compte subit des tentatives de paiement frauduleux et qu'il est urgent d'y remédier. Par ailleurs, la banque ne peut avec succès arguer du défaut de vigilance de sa cliente en invoquant l'envoi de messages incitant ses clients à la prudence, étant observé qu'en l'espèce la Caisse d'Epargne ne justifie pas de la réalité de l'envoi à Mme [U] du message d'alerte produit en pièce 6, qu'en aurait-elle justifiée, cet envoi était en tout état de cause antérieur de plus d'un an aux opérations litigieuses, et surtout ne précisait pas que le numéro de téléphone de la banque pouvait être usurpé.

24. C'est en conséquence à raison que le premier juge a condamné la Caisse D'Epargne à rembourser l'entièreté des sommes objets des virement et paiement contestés.

25. Partie succombante, la SA Caisse d'Epargne supportera la charge des dépens d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Statuant par arrêt contradictoire ,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

Condamne la SA Caisse d'Epargne aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président ,

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