CA Colmar, ch. 4 a, 7 octobre 2025, n° 22/03717
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 25/730
Copie exécutoire
aux avocats
le 07 octobre 2025
La greffière
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/03717
N° Portalis DBVW-V-B7G-H5ZZ
Décision déférée à la Cour : 06 Septembre 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Colmar
APPELANT :
Madame [B] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Benoît NICOLAS, avocat au barreau de Colmar
INTIMÉES :
S.A.R.L. [Localité 6] AMBULANCES,
prise en la personne de son représentant légal,
N° SIRET : 531 690 279
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Steeve ROHMER, avocat au barreau de Mulhouse
S.A.R.L. AMBULANCES DE ROUFFACH,
prise en la personne de son représentant légal,
N° SIRET : 510 728 736
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-Luc ROSSELOT, avocat au barreau de Mulhouse
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Emmanuel ROBIN, Président de chambre (chargé du rapport)
M. Edgard PALLIERES, Conseiller
M. Gurvan LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Lucille WOLFF
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées, - signé par M. Emmanuel ROBIN, Président de chambre et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
FAITS ET PROCÉDURE
La société Ambulances de Rouffach a embauché Mme [B] [L] en qualité d'auxiliaire ambulancière à compter du 1er juin 2018 ; le 1er avril 2019, le fonds de commerce a été cédé à la société KLM services, ensuite devenue la société [Localité 6] ambulances, à laquelle le contrat de travail a été transféré. Le 28 juin 2020, Mme [B] [L] a démissionné de son emploi avec effet au 5 juillet.
Le 12 mars 2021, Mme [B] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Colmar en invoquant des manquements de l'employeur, tenant notamment au défaut de paiement des salaires et à un harcèlement moral, et en demandant que sa démission soit qualifiée de prise d'acte de rupture de son contrat de travail et que cette rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société [Localité 6] ambulances a appelé dans la cause la société Ambulances de Rouffach.
Par jugement du 6 septembre 2022, le conseil de prud'hommes de Colmar a jugé que la rupture du contrat de travail s'analysait en une démission, a condamné, d'une part, la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 260,70 euros au titre du maintien du salaire durant la maladie ainsi que celle de 54,34 euros au titre du salaire de la semaine du 16 au 22 mars 2020, et, d'autre part, la société Ambulances de Rouffach à lui payer la somme de 95,26 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er juillet 2018 au 31 mars 2019, mais a débouté la salariée du surplus de ses demandes.
Le 3 octobre 2022, Mme [B] [L] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré la société [Localité 6] ambulances irrecevable à conclure et à produire des pièces.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 février 2024, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 27 juin 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu'à ce jour.
*
* *
Par conclusions déposées le 22 juin 2023, Mme [B] [L] demande à la cour de réformer le jugement ci-dessus, de constater que la démission intervenue le 29 juin 2020 est une prise d'acte de rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société [Localité 6] ambulances à lui payer la somme de 3 185,08 euros au titre du préavis, celle de 318,50 euros au titre des congés payés afférents, celle de 796,27 euros au titre de l'indemnité de licenciement, celle de 5 573,89 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 1 872,85 euros au titre des heures supplémentaires, celle de 187,28 euros au titre des congés payés afférents, celle de 450 euros pour non-respect de la durée hebdomadaire de travail, celle de 784,45 euros au titre de l'indemnité pour dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires, celle de 82,60 euros au titre d'indemnités de repas, celle de 404,25 euros au titre du temps d'habillage et de déshabillage, et celle de 10 000 euros au titre du harcèlement moral ; elle sollicite également la condamnation in solidum de la société [Localité 6] ambulances et de la société Ambulances de Rouffach à lui payer la somme de 2 483,97 euros au titre des heures supplémentaires, celle de 248,39 euros au titre des congés payés afférents, celle de 1 200 euros pour non-respect de la durée hebdomadaire de travail, celle de 253,75 euros au titre des temps d'habillage et de déshabillage, celle de 9 555,24 euros au titre du travail dissimulé, et celle de 500 euros au titre de l'absence d'entretien des tenues professionnelles par l'employeur ; enfin elle réclame une indemnité de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour solliciter le paiement d'heures supplémentaires et une indemnisation au titre des dépassements de la durée de travail hebdomadaire maximale et du contingent annuel d'heures supplémentaires, Mme [B] [L] se réfère à des décomptes hebdomadaires du temps durant lequel elle devait rester à la disposition de son employeur et à des feuilles de route établies par ses soins. Elle soutient que les temps d'habillage et de déshabillage devaient donner lieu à une indemnité et reproche à ses employeurs un défaut d'entretien des tenues professionnelles.
En ce qui concerne le harcèlement moral, Mme [B] [L] invoque des propos et des observations injustifiés, des reproches infondés et une pression sur les salariés. Les conditions de travail seraient devenues intenables, ce qui aurait entraîné le départ de la salariée.
Pour solliciter une condamnation in solidum de la société [Localité 6] ambulances et de la société Ambulances de Rouffach pour la période antérieure au 1er avril 2019, Mme [B] [L] invoque une reprise de la société à compter de cette date.
Par conclusions déposées le 23 mars 2023, la société Ambulances de Rouffach demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de dommages intérêts au titre de l'absence d'entretien des tenues professionnelles ; elle sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de Mme [B] [L] à lui payer une indemnité de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Ambulances de Rouffach fait valoir que la demande nouvelle de Mme [B] [L] est irrecevable en cause d'appel et qu'au surplus elle est mal fondée. Par ailleurs, elle approuve le conseil de prud'hommes d'avoir pris en compte le temps de travail effectif pour examiner les demandes en paiement de rappels de salaire ; elle conteste avoir eu l'intention de commettre le délit de travail dissimulé et conteste devoir une indemnité au titre de temps d'habillage et de déshabillage.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande nouvelle en appel
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; cependant, conformément à l'article 566 du même code, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, la demande de Mme [B] [L] en paiement de la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice causé par l'absence d'entretien des tenues professionnelles par ses employeurs est nouvelle en appel pour ce qui concerne la société Ambulances de Rouffach ; en effet, en première instance, une telle demande avait été présentée uniquement contre la société [Localité 6] ambulances.
Néanmoins, cette demande, qui tend à compenser une charge que la salariée aurait supportée de manière injustifiée pour les besoins de son activité professionnelle, est un accessoire de celles formées contre la société Ambulances de Rouffach en première instance, qui tendaient notamment au paiement de rappels de rémunérations, dont une contrepartie aux temps d'habillage et de déshabillage.
Cette demande est donc recevable même si elle a été présentée pour la première fois en appel.
Sur la condamnation in solidum des employeurs
Pour solliciter une condamnation in solidum de la société Ambulances de Rouffach et de la société [Localité 6] ambulances à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail au cours de la période du 1er juin 2018 au 5 juillet 2020, Mme [B] [L] se contente d'affirmer qu'il serait constant que la première société a été « reprise » par la seconde à compter du 1er avril 2019, sans invoquer aucun moyen de droit ou de fait. Selon les explications de la société Ambulances de Rouffach, celle-ci aurait cédé son fonds de commerce à la société KLM services à compter du 1er avril 2019.
Dès lors, le transfert du contrat de travail intervenu en application de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étant pas contesté, conformément à l'article L. 1224-2 du même code, le nouvel employeur est tenu aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur.
La société [Localité 6] ambulances sera donc condamnée in solidum avec la société Ambulances de Rouffache au paiement des sommes dues par celle-ci ; en revanche, la société Ambulances de Rouffach ne peut être tenue au paiement de sommes au titre de l'exécution du contrat de travail après le 1er avril 2019.
Sur le temps de travail
Selon les deux premiers alinéas de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et, au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, pour solliciter le paiement d'heures supplémentaires, Mme [B] [L] produit, d'une part, des tableaux détaillant les heures supplémentaires dont elle revendique le paiement pour les années 2018 à 2020, et, d'autre part, des carnets de feuilles de route couvrant les périodes du 4 juin 2018 au 22 juillet 2018, du 30 juillet 2018 au 20 janvier 2019, et du 28 janvier 2019 au 5 juillet 2020.
Cependant, l'examen de ces documents démontre que le nombre d'heures supplémentaires revendiqué par le tableau ne correspond pas aux temps de travail révélés par les feuilles de route. En effet, le tableau sur lequel Mme [B] [L] fonde ses demandes mentionne, au titre du temps de travail hebdomadaire pour lequel elle revendique une rémunération, des durées supérieures au temps de travail effectif après déduction des pauses tel qu'il résulte des feuilles de route remplies par ses soins.
Dès lors, le conseil de prud'hommes a considéré à juste titre que les demandes de Mme [B] [L] reposaient sur l'amplitude horaire et incluaient à tort les temps de pause, lesquels ne sont pas rémunérés.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a limité la condamnation de la société Ambulances de Rouffach aux sommes que celle-ci reconnaît devoir, à savoir 86,60 euros au titre de la rémunération des heures supplémentaires et 8,66 euros au titre des congés payés afférents, et en ce qu'il a débouté Mme [B] [L] de sa demande en paiement d'autres heures supplémentaires. La société [Localité 6] ambulances sera condamnée in solidum avec la société Ambulances de Rouffach au paiement des montants ci-dessus.
Mme [B] [L] est mal fondée à reprocher à ses employeurs un dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail ; en effet les durées mentionnées sur son tableau pour les semaines 27, 39, 40, 41 et 43 de l'année 2018, 6, 9, 11, 20 et 35 de l'année 2019 et 2 de l'année 2020, sont contredites par les feuilles de route dont il résulte qu'après déduction des temps de pause le temps de travail hebdomadaire n'a jamais dépassé 48 heures.
En l'absence de dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires, elle est également mal fondée à solliciter une indemnisation au titre de repos compensateurs dont elle aurait été privée.
Enfin, Mme [B] [L], qui ne se réfère à aucun élément de preuve démontrant que la société [Localité 6] ambulances a mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli et qu'elle, ou la société Ambulances de Rouffach, ont eu l'intention de commettre à son égard le délit de travail dissimulé, est mal fondée à solliciter le paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail.
Sur le paiement d'indemnités de repas
Mme [B] [L] produit la liste des jours pour lesquels elle prétend au paiement d'une indemnité de repas et justifie, par la production de ses feuilles de route, des circonstances motivant l'octroi de telles indemnités.
La société [Localité 6] ambulances ne justifie pas du paiement d'indemnités au-delà de celles que Mme [B] [L] reconnaît avoir reçues.
Il convient en conséquence de la condamner au paiement de la somme de 82,60 euros réclamée par la salariée pour les mois de mars et juin 2020.
Sur la contrepartie aux temps d'habillage et de déshabillage
Selon l'article L. 3121-3 du code du travail, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties.
En l'espèce, le port d'une tenue d'ambulancier était imposé à Mme [B] [L] par l'arrêté du 12 décembre 2017 fixant les caractéristiques et les installations matérielles exigées pour les véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres ; la salariée fait également valoir à juste titre que ces dispositions réglementaires prohibent le port de cette tenue en dehors de l'activité professionnelle, ce dont il se déduit que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise.
Dès lors, Mme [B] [L] est fondée à réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire aux temps d'habillage et de déshabillage. La société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances seront condamnées in solidum au paiement de la somme de 253,75 euros correspondant à la somme due pour la période écoulée jusqu'au 31 mars 2019 et la société [Localité 6] ambulances sera condamnée au paiement de la somme de 404,25 euros réclamée au titre de la période postérieure.
Sur l'entretien des tenues professionnelles
Conformément au 1° de l'article 22 bis de l'annexe 1 à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, et au dernier alinéa de l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire, étendu par arrêté du 19 juillet 2018, il appartient à l'employeur d'assurer l'entretien de la tenue professionnelle des personnels ambulanciers.
La simple mise à disposition d'un lave-linge, que les salariés doivent faire fonctionner en dehors de leurs heures de travail, ne satisfait pas à l'obligation incombant à l'employeur.
Mme [B] [L] est dès lors fondée à reprocher à la société Ambulances de Rouffach comme à la société [Localité 6] ambulances de ne pas avoir satisfait à leur obligation d'entretenir les tenues professionnelles.
Le préjudice subi par Mme [B] [L], qui s'est trouvée contrainte d'effectuer elle-même cet entretien durant deux ans, sera réparé par la somme de 500 euros qu'elle réclame. Toutefois la société Ambulances de Rouffach, qui n'était plus l'employeur de Mme [B] [L] à compter du 1er avril 2019, ne peut être tenue au paiement au-delà de la moitié du préjudice subi.
Sur le harcèlement moral
Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément à l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions ci-dessus, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, pour soutenir qu'elle a été victime d'un harcèlement moral, Mme [B] [L] invoque :
1) un courriel adressé le 26 mars 2020 par le dirigeant de la société [Localité 6] ambulances à dix salariés, dont elle-même, pour leur reprocher d'avoir exercé leur droit de retrait à l'occasion de l'épidémie de Covid19, de s'être ligué contre l'entreprise et d'être responsable de la perte financière de la société, et pour leur signaler qu'il avait donné les nom et prénom de chacun d'eux à l'Agence régionale de santé,
2) un échange de SMS durant la période de préavis faisant suite à la démission de la salariée, lors duquel le représentant de l'employeur déclare à celle-ci « un grand merci de votre témoignage chez l'avocat ça m'étonne pas de vous » et « vous faites pitié avec vos textes de loi ».
Ces échanges, qui démontrent des relations tendues entre l'employeur et ses salariés, ne laissent cependant pas supposer que Mme [B] [L] a subi une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Elle est dès lors mal fondée à invoquer des faits de harcèlement moral.
Sur la rupture du contrat de travail
Par lettre datée du 28 juin 2020 et remise en main propre le lendemain à l'employeur, dont l'objet est « démission », Mme [B] [L] a déclaré son « intention de démissionner de [ses] fonctions » en ajoutant que, conformément à la convention collective, elle respecterait un préavis d'une semaine.
Cette lettre, qui ne formule aucun reproche, n'impute pas la rupture du contrat à la société [Localité 6] ambulances.
Mme [B] [L], dont les conclusions précisent qu'elle « a entendu démissionner » n'invoque pas de circonstances susceptibles de créer une quelconque équivoque quant à la nature de la rupture. La circonstance que la gravité des griefs de la salariée à l'égard de son employeur aurait permis, le cas échéant, de justifier une prise d'acte de rupture, ne suffit pas à requalifier une démission non équivoque en prise d'acte de rupture du contrat de travail.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] [L] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances, qui succombent partiellement, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Les circonstances de l'espèce justifient de condamner in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] une indemnité de 1 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés à l'occasion du présent procès ; la société Ambulances de Rouffach sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
DÉCLARE recevable la demande de Mme [B] [L] de condamnation de la société Ambulances de Rouffach à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par sa carence dans l'entretien des tenues professionnelles ;
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions frappées d'appel sauf en ce qu'il a :
1) débouté Mme [B] [L] de sa demande en paiement d'indemnités de repas
2) débouté Mme [B] [L] de ses demandes au titre de la contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage,
3) débouté Mme [B] [L] de sa demande en paiement par la société [Localité 6] ambulances de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la carence de l'employeur dans l'entretien des tenues professionnelles,
4) débouté Mme [B] [L] de sa demande de condamnation de la société [Localité 6] ambulances in solidum avec la société ambulances de Rouffach,
5) dit que chaque partie supportera ses propres frais et dépens ;
INFIRME le jugement déféré de ces chefs ;
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement déféré,
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances, in solidum avec la société Ambulances de Rouffach, à payer à Mme [B] [L] la somme de 95,26 euros (quatre vingt quinze euros et vingt six centimes) au titre des heures supplémentaires et congés payés pour la période du 1er juillet 2018 au 31 mars 2019 ;
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 82,60 euros (quatre vingt deux euros et soixante centimes) au titre d'indemnités de repas ;
CONDAMNE in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 253,75 euros (deux cent cinquante trois euros et soixante quinze centimes) au titre de la contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage pour la période écoulée jusqu'au 31 mars 2019 ;
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 404,25 euros (quatre cent quatre euros et vingt cinq centimes) au titre de la contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage pour la période postérieure au 31 mars 2019 ;
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 500 euros (cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par sa carence dans l'entretien des tenues professionnelles ;
CONDAMNE la société Ambulances de Rouffach, in solidum avec la société [Localité 6] ambulances, à payer les dommages et intérêts alloués ci-dessus, dans la limite de 250 euros (deux cent cinquante euros) ;
CONDAMNE in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances aux dépens de première instance et d'appel ;
CONDAMNE in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 1 000 euros (mille euros) à titre d'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Ambulances de Rouffach de sa demande d'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière, Le Président,
Copie exécutoire
aux avocats
le 07 octobre 2025
La greffière
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/03717
N° Portalis DBVW-V-B7G-H5ZZ
Décision déférée à la Cour : 06 Septembre 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Colmar
APPELANT :
Madame [B] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Benoît NICOLAS, avocat au barreau de Colmar
INTIMÉES :
S.A.R.L. [Localité 6] AMBULANCES,
prise en la personne de son représentant légal,
N° SIRET : 531 690 279
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Steeve ROHMER, avocat au barreau de Mulhouse
S.A.R.L. AMBULANCES DE ROUFFACH,
prise en la personne de son représentant légal,
N° SIRET : 510 728 736
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-Luc ROSSELOT, avocat au barreau de Mulhouse
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Emmanuel ROBIN, Président de chambre (chargé du rapport)
M. Edgard PALLIERES, Conseiller
M. Gurvan LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Lucille WOLFF
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées, - signé par M. Emmanuel ROBIN, Président de chambre et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société Ambulances de Rouffach a embauché Mme [B] [L] en qualité d'auxiliaire ambulancière à compter du 1er juin 2018 ; le 1er avril 2019, le fonds de commerce a été cédé à la société KLM services, ensuite devenue la société [Localité 6] ambulances, à laquelle le contrat de travail a été transféré. Le 28 juin 2020, Mme [B] [L] a démissionné de son emploi avec effet au 5 juillet.
Le 12 mars 2021, Mme [B] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Colmar en invoquant des manquements de l'employeur, tenant notamment au défaut de paiement des salaires et à un harcèlement moral, et en demandant que sa démission soit qualifiée de prise d'acte de rupture de son contrat de travail et que cette rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société [Localité 6] ambulances a appelé dans la cause la société Ambulances de Rouffach.
Par jugement du 6 septembre 2022, le conseil de prud'hommes de Colmar a jugé que la rupture du contrat de travail s'analysait en une démission, a condamné, d'une part, la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 260,70 euros au titre du maintien du salaire durant la maladie ainsi que celle de 54,34 euros au titre du salaire de la semaine du 16 au 22 mars 2020, et, d'autre part, la société Ambulances de Rouffach à lui payer la somme de 95,26 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er juillet 2018 au 31 mars 2019, mais a débouté la salariée du surplus de ses demandes.
Le 3 octobre 2022, Mme [B] [L] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 20 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré la société [Localité 6] ambulances irrecevable à conclure et à produire des pièces.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 février 2024, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 27 juin 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu'à ce jour.
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Par conclusions déposées le 22 juin 2023, Mme [B] [L] demande à la cour de réformer le jugement ci-dessus, de constater que la démission intervenue le 29 juin 2020 est une prise d'acte de rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société [Localité 6] ambulances à lui payer la somme de 3 185,08 euros au titre du préavis, celle de 318,50 euros au titre des congés payés afférents, celle de 796,27 euros au titre de l'indemnité de licenciement, celle de 5 573,89 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 1 872,85 euros au titre des heures supplémentaires, celle de 187,28 euros au titre des congés payés afférents, celle de 450 euros pour non-respect de la durée hebdomadaire de travail, celle de 784,45 euros au titre de l'indemnité pour dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires, celle de 82,60 euros au titre d'indemnités de repas, celle de 404,25 euros au titre du temps d'habillage et de déshabillage, et celle de 10 000 euros au titre du harcèlement moral ; elle sollicite également la condamnation in solidum de la société [Localité 6] ambulances et de la société Ambulances de Rouffach à lui payer la somme de 2 483,97 euros au titre des heures supplémentaires, celle de 248,39 euros au titre des congés payés afférents, celle de 1 200 euros pour non-respect de la durée hebdomadaire de travail, celle de 253,75 euros au titre des temps d'habillage et de déshabillage, celle de 9 555,24 euros au titre du travail dissimulé, et celle de 500 euros au titre de l'absence d'entretien des tenues professionnelles par l'employeur ; enfin elle réclame une indemnité de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour solliciter le paiement d'heures supplémentaires et une indemnisation au titre des dépassements de la durée de travail hebdomadaire maximale et du contingent annuel d'heures supplémentaires, Mme [B] [L] se réfère à des décomptes hebdomadaires du temps durant lequel elle devait rester à la disposition de son employeur et à des feuilles de route établies par ses soins. Elle soutient que les temps d'habillage et de déshabillage devaient donner lieu à une indemnité et reproche à ses employeurs un défaut d'entretien des tenues professionnelles.
En ce qui concerne le harcèlement moral, Mme [B] [L] invoque des propos et des observations injustifiés, des reproches infondés et une pression sur les salariés. Les conditions de travail seraient devenues intenables, ce qui aurait entraîné le départ de la salariée.
Pour solliciter une condamnation in solidum de la société [Localité 6] ambulances et de la société Ambulances de Rouffach pour la période antérieure au 1er avril 2019, Mme [B] [L] invoque une reprise de la société à compter de cette date.
Par conclusions déposées le 23 mars 2023, la société Ambulances de Rouffach demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de dommages intérêts au titre de l'absence d'entretien des tenues professionnelles ; elle sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de Mme [B] [L] à lui payer une indemnité de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Ambulances de Rouffach fait valoir que la demande nouvelle de Mme [B] [L] est irrecevable en cause d'appel et qu'au surplus elle est mal fondée. Par ailleurs, elle approuve le conseil de prud'hommes d'avoir pris en compte le temps de travail effectif pour examiner les demandes en paiement de rappels de salaire ; elle conteste avoir eu l'intention de commettre le délit de travail dissimulé et conteste devoir une indemnité au titre de temps d'habillage et de déshabillage.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande nouvelle en appel
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; cependant, conformément à l'article 566 du même code, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, la demande de Mme [B] [L] en paiement de la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice causé par l'absence d'entretien des tenues professionnelles par ses employeurs est nouvelle en appel pour ce qui concerne la société Ambulances de Rouffach ; en effet, en première instance, une telle demande avait été présentée uniquement contre la société [Localité 6] ambulances.
Néanmoins, cette demande, qui tend à compenser une charge que la salariée aurait supportée de manière injustifiée pour les besoins de son activité professionnelle, est un accessoire de celles formées contre la société Ambulances de Rouffach en première instance, qui tendaient notamment au paiement de rappels de rémunérations, dont une contrepartie aux temps d'habillage et de déshabillage.
Cette demande est donc recevable même si elle a été présentée pour la première fois en appel.
Sur la condamnation in solidum des employeurs
Pour solliciter une condamnation in solidum de la société Ambulances de Rouffach et de la société [Localité 6] ambulances à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail au cours de la période du 1er juin 2018 au 5 juillet 2020, Mme [B] [L] se contente d'affirmer qu'il serait constant que la première société a été « reprise » par la seconde à compter du 1er avril 2019, sans invoquer aucun moyen de droit ou de fait. Selon les explications de la société Ambulances de Rouffach, celle-ci aurait cédé son fonds de commerce à la société KLM services à compter du 1er avril 2019.
Dès lors, le transfert du contrat de travail intervenu en application de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étant pas contesté, conformément à l'article L. 1224-2 du même code, le nouvel employeur est tenu aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur.
La société [Localité 6] ambulances sera donc condamnée in solidum avec la société Ambulances de Rouffache au paiement des sommes dues par celle-ci ; en revanche, la société Ambulances de Rouffach ne peut être tenue au paiement de sommes au titre de l'exécution du contrat de travail après le 1er avril 2019.
Sur le temps de travail
Selon les deux premiers alinéas de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et, au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, pour solliciter le paiement d'heures supplémentaires, Mme [B] [L] produit, d'une part, des tableaux détaillant les heures supplémentaires dont elle revendique le paiement pour les années 2018 à 2020, et, d'autre part, des carnets de feuilles de route couvrant les périodes du 4 juin 2018 au 22 juillet 2018, du 30 juillet 2018 au 20 janvier 2019, et du 28 janvier 2019 au 5 juillet 2020.
Cependant, l'examen de ces documents démontre que le nombre d'heures supplémentaires revendiqué par le tableau ne correspond pas aux temps de travail révélés par les feuilles de route. En effet, le tableau sur lequel Mme [B] [L] fonde ses demandes mentionne, au titre du temps de travail hebdomadaire pour lequel elle revendique une rémunération, des durées supérieures au temps de travail effectif après déduction des pauses tel qu'il résulte des feuilles de route remplies par ses soins.
Dès lors, le conseil de prud'hommes a considéré à juste titre que les demandes de Mme [B] [L] reposaient sur l'amplitude horaire et incluaient à tort les temps de pause, lesquels ne sont pas rémunérés.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a limité la condamnation de la société Ambulances de Rouffach aux sommes que celle-ci reconnaît devoir, à savoir 86,60 euros au titre de la rémunération des heures supplémentaires et 8,66 euros au titre des congés payés afférents, et en ce qu'il a débouté Mme [B] [L] de sa demande en paiement d'autres heures supplémentaires. La société [Localité 6] ambulances sera condamnée in solidum avec la société Ambulances de Rouffach au paiement des montants ci-dessus.
Mme [B] [L] est mal fondée à reprocher à ses employeurs un dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail ; en effet les durées mentionnées sur son tableau pour les semaines 27, 39, 40, 41 et 43 de l'année 2018, 6, 9, 11, 20 et 35 de l'année 2019 et 2 de l'année 2020, sont contredites par les feuilles de route dont il résulte qu'après déduction des temps de pause le temps de travail hebdomadaire n'a jamais dépassé 48 heures.
En l'absence de dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires, elle est également mal fondée à solliciter une indemnisation au titre de repos compensateurs dont elle aurait été privée.
Enfin, Mme [B] [L], qui ne se réfère à aucun élément de preuve démontrant que la société [Localité 6] ambulances a mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli et qu'elle, ou la société Ambulances de Rouffach, ont eu l'intention de commettre à son égard le délit de travail dissimulé, est mal fondée à solliciter le paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail.
Sur le paiement d'indemnités de repas
Mme [B] [L] produit la liste des jours pour lesquels elle prétend au paiement d'une indemnité de repas et justifie, par la production de ses feuilles de route, des circonstances motivant l'octroi de telles indemnités.
La société [Localité 6] ambulances ne justifie pas du paiement d'indemnités au-delà de celles que Mme [B] [L] reconnaît avoir reçues.
Il convient en conséquence de la condamner au paiement de la somme de 82,60 euros réclamée par la salariée pour les mois de mars et juin 2020.
Sur la contrepartie aux temps d'habillage et de déshabillage
Selon l'article L. 3121-3 du code du travail, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties.
En l'espèce, le port d'une tenue d'ambulancier était imposé à Mme [B] [L] par l'arrêté du 12 décembre 2017 fixant les caractéristiques et les installations matérielles exigées pour les véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres ; la salariée fait également valoir à juste titre que ces dispositions réglementaires prohibent le port de cette tenue en dehors de l'activité professionnelle, ce dont il se déduit que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise.
Dès lors, Mme [B] [L] est fondée à réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire aux temps d'habillage et de déshabillage. La société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances seront condamnées in solidum au paiement de la somme de 253,75 euros correspondant à la somme due pour la période écoulée jusqu'au 31 mars 2019 et la société [Localité 6] ambulances sera condamnée au paiement de la somme de 404,25 euros réclamée au titre de la période postérieure.
Sur l'entretien des tenues professionnelles
Conformément au 1° de l'article 22 bis de l'annexe 1 à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, et au dernier alinéa de l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire, étendu par arrêté du 19 juillet 2018, il appartient à l'employeur d'assurer l'entretien de la tenue professionnelle des personnels ambulanciers.
La simple mise à disposition d'un lave-linge, que les salariés doivent faire fonctionner en dehors de leurs heures de travail, ne satisfait pas à l'obligation incombant à l'employeur.
Mme [B] [L] est dès lors fondée à reprocher à la société Ambulances de Rouffach comme à la société [Localité 6] ambulances de ne pas avoir satisfait à leur obligation d'entretenir les tenues professionnelles.
Le préjudice subi par Mme [B] [L], qui s'est trouvée contrainte d'effectuer elle-même cet entretien durant deux ans, sera réparé par la somme de 500 euros qu'elle réclame. Toutefois la société Ambulances de Rouffach, qui n'était plus l'employeur de Mme [B] [L] à compter du 1er avril 2019, ne peut être tenue au paiement au-delà de la moitié du préjudice subi.
Sur le harcèlement moral
Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément à l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions ci-dessus, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, pour soutenir qu'elle a été victime d'un harcèlement moral, Mme [B] [L] invoque :
1) un courriel adressé le 26 mars 2020 par le dirigeant de la société [Localité 6] ambulances à dix salariés, dont elle-même, pour leur reprocher d'avoir exercé leur droit de retrait à l'occasion de l'épidémie de Covid19, de s'être ligué contre l'entreprise et d'être responsable de la perte financière de la société, et pour leur signaler qu'il avait donné les nom et prénom de chacun d'eux à l'Agence régionale de santé,
2) un échange de SMS durant la période de préavis faisant suite à la démission de la salariée, lors duquel le représentant de l'employeur déclare à celle-ci « un grand merci de votre témoignage chez l'avocat ça m'étonne pas de vous » et « vous faites pitié avec vos textes de loi ».
Ces échanges, qui démontrent des relations tendues entre l'employeur et ses salariés, ne laissent cependant pas supposer que Mme [B] [L] a subi une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Elle est dès lors mal fondée à invoquer des faits de harcèlement moral.
Sur la rupture du contrat de travail
Par lettre datée du 28 juin 2020 et remise en main propre le lendemain à l'employeur, dont l'objet est « démission », Mme [B] [L] a déclaré son « intention de démissionner de [ses] fonctions » en ajoutant que, conformément à la convention collective, elle respecterait un préavis d'une semaine.
Cette lettre, qui ne formule aucun reproche, n'impute pas la rupture du contrat à la société [Localité 6] ambulances.
Mme [B] [L], dont les conclusions précisent qu'elle « a entendu démissionner » n'invoque pas de circonstances susceptibles de créer une quelconque équivoque quant à la nature de la rupture. La circonstance que la gravité des griefs de la salariée à l'égard de son employeur aurait permis, le cas échéant, de justifier une prise d'acte de rupture, ne suffit pas à requalifier une démission non équivoque en prise d'acte de rupture du contrat de travail.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] [L] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances, qui succombent partiellement, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Les circonstances de l'espèce justifient de condamner in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] une indemnité de 1 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés à l'occasion du présent procès ; la société Ambulances de Rouffach sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
DÉCLARE recevable la demande de Mme [B] [L] de condamnation de la société Ambulances de Rouffach à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par sa carence dans l'entretien des tenues professionnelles ;
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions frappées d'appel sauf en ce qu'il a :
1) débouté Mme [B] [L] de sa demande en paiement d'indemnités de repas
2) débouté Mme [B] [L] de ses demandes au titre de la contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage,
3) débouté Mme [B] [L] de sa demande en paiement par la société [Localité 6] ambulances de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la carence de l'employeur dans l'entretien des tenues professionnelles,
4) débouté Mme [B] [L] de sa demande de condamnation de la société [Localité 6] ambulances in solidum avec la société ambulances de Rouffach,
5) dit que chaque partie supportera ses propres frais et dépens ;
INFIRME le jugement déféré de ces chefs ;
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement déféré,
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances, in solidum avec la société Ambulances de Rouffach, à payer à Mme [B] [L] la somme de 95,26 euros (quatre vingt quinze euros et vingt six centimes) au titre des heures supplémentaires et congés payés pour la période du 1er juillet 2018 au 31 mars 2019 ;
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 82,60 euros (quatre vingt deux euros et soixante centimes) au titre d'indemnités de repas ;
CONDAMNE in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 253,75 euros (deux cent cinquante trois euros et soixante quinze centimes) au titre de la contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage pour la période écoulée jusqu'au 31 mars 2019 ;
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 404,25 euros (quatre cent quatre euros et vingt cinq centimes) au titre de la contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage pour la période postérieure au 31 mars 2019 ;
CONDAMNE la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 500 euros (cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par sa carence dans l'entretien des tenues professionnelles ;
CONDAMNE la société Ambulances de Rouffach, in solidum avec la société [Localité 6] ambulances, à payer les dommages et intérêts alloués ci-dessus, dans la limite de 250 euros (deux cent cinquante euros) ;
CONDAMNE in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances aux dépens de première instance et d'appel ;
CONDAMNE in solidum la société Ambulances de Rouffach et la société [Localité 6] ambulances à payer à Mme [B] [L] la somme de 1 000 euros (mille euros) à titre d'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Ambulances de Rouffach de sa demande d'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière, Le Président,