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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 26 septembre 2025, n° 22/09061

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/09061

26 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 26 SEPTEMBRE 2025

N° 2025/184

Rôle N° RG 22/09061 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJT4R

[E] [V]

C/

S.A.S. CLEA

Copie exécutoire délivrée le :

26 SEPTEMBRE 2025

à :

Me Charles-andré PERRIN de l'ASSOCIATION PERRIN CHARLES ANDRE / CLEMENT STEPHANIE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Yves BOYER, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 14 Juin 2022 enregistré au répertoire général sous le n° F20/00149.

APPELANTE

Madame [E] [V], demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Charles-andré PERRIN de l'ASSOCIATION PERRIN CHARLES ANDRE / CLEMENT STEPHANIE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Géraldine BOYER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.S. CLEA, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Yves BOYER, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 26 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice DURAND, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre

Monsieur Fabrice DURAND, Président de chambre

Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2025

Signé par Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

1. M. [C] [L] exploitait un fonds de commerce de restaurant sous l'enseigne « Il Piccolo » sis [Adresse 2] à [Adresse 5] [Localité 1].

2. M. [L] a engagé Mme [E] [V] en qualité d'aide-cuisinière par contrat à durée déterminée de trois mois du 2 janvier au 31 mars 2006, contrat qui a été renouvelé du 1er avril au 30 juin 2006 avant de se poursuivre à durée indéterminée.

3. Le 9 janvier 2007, les parties ont conclu un avenant au contrat de travail confiant à Mme [V] un poste de cuisinière niveau I échelon 1 moyennant une rémunération brute de 1 075,10 euros pour 130 heures travaillées par mois.

4. Les parties ont réduit la durée de travail de Mme [V] à 108,33 heures par mois pour un salaire de 914,30 euros par mois à compter du 1er juillet 2007.

5. Par acte sous seing privé du 26 juin 2019 prenant effet le 27 juin 2019, M. [O] a vendu son fonds de commerce de restaurant à la société par actions simplifiée Cléa immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n°851 001 644. La présidente de cette société est Mme [M] [F].

6. Le contrat de travail de Mme [V] a été transféré à la société Cléa conformément à l'article L. 1224-1 du code du travail.

7. Le 1er juillet 2019, Mme [V] a adressé à la société Cléa un arrêt de travail pour maladie qui a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 24 septembre 2019.

8. Par avis rendu le 24 septembre 2019, le médecin du travail a déclaré Mme [V] inapte à son poste de travail avec impossibilité de reclassement au sein de l'entreprise.

9. Par courrier du 7 octobre 2019, la société Cléa a convoqué Mme [V] à un entretien préalable fixé le 16 octobre 2019.

10. La société Cléa a notifié à Mme [V] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par courrier recommandé du 21 octobre 2019.

11. Par requête déposée le 30 janvier 2020, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de condamnation de l'employeur à lui payer une créance salariale de congés payés et des dommages-intérêts pour harcèlement moral, licenciement nul et violation de l'obligation de sécurité.

12. Par jugement du 14 juin 2022, le conseil de prud'hommes de Marseille a débouté Mme [V] de toutes ses demande et l'a condamnée aux entiers dépens en rejetant les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

13. Par déclaration au greffe du 23 juin 2022, Mme [V] a relevé appel de ce jugement.

14. Vu les dernières conclusions n°2 de Mme [V] déposées au greffe le 21 mars 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

' juger qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur la société Cléa ;

' juger que le licenciement dont elle a fait l'objet est nul en raison du comportement fautif préalable de l'employeur et du harcèlement moral ;

A titre subsidiaire,

' juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

' condamner la société Cléa à lui payer le montant des 19 jours de congés payés non réglés soit 798,76 euros ;

' condamner la société Cléa à lui payer le montant de 7,5 jours de congés payés acquis durant la maladie soit 325,87 euros ;

' condamner les société Cléa à lui payer les sommes suivantes :

- 10 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 12 100 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- complément de salaires maladie (mémoire) ;

- 798,76 euros correspondant à 19 jours de congés payés ;

- congés payés sur rappel de salaires (mémoire) ;

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les intérêts capitalisés à compter de la décision pour les sommes à caractère indemnitaire et de la demande concernant les salaires et accessoires de salaires ;

' condamner la société Cléa à lui payer 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' juger que le montant des sommes qui lui sont allouées sera assorti de l'intérêt légal capitalisé.

15. Vu les dernières conclusions de la société Cléa déposées au greffe le 14 octobre 2022 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

' confirmer le jugement du déféré dans toutes ses dispositions y ajoutant toutefois la condamnation de Mme [V] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' débouter en conséquence Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme mal fondées ;

' condamner Mme [V] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner Mme [V] aux entiers dépens de l'instance ;

16. Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

17. L'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 mai 2025.

MOTIFS DE L'ARRÊT

18. A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler», « dire » ou « juger » sans formuler de prétentions ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'i1 soit tranché sur un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.

Sur la demande de congés payés afférents à la période de suspension du contrat pour maladie,

19. Mme [V] sollicite une indemnité de congés payés de 798,76 euros sans indiquer les modalités de son calcul ni la période de travail ouvrant droit à ces jours de congés payés.

20. Le reçu pour solde de tout compte signé par Mme [V] le 21 octobre 2019 indique que la salariée a déjà perçu 710,44 euros d'indemnité compensatrice de congés payés. La preuve n'est pas apportée par Mme [V] d'une erreur de calcul affectant le calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés qui lui a déjà été versée.

21. En conséquence, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de 798,76 euros correspondant à 19 jours de congés payés.

22. En revanche, il convient de faire application du revirement de jurisprudence de la Cour de cassation intervenu le 13 septembre 2023 et d'allouer à Mme [V] la somme de 325,87 euros indemnisant les 7,5 jours de congés payés acquis par la salariée durant son congé maladie du 1er juillet au 25 septembre 2019. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt avec capitalisation à compter de cette même date.

Sur le harcèlement moral,

23. En application des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

24. Il incombe au salarié d'établir la matérialité de faits précis, concordants et objectifs permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, lesquels sont laissés à l'appréciation du juge du fond qui les examine dans leur ensemble. Si les éléments rapportés permettent de présumer de l'existence d'un harcèlement moral, l'employeur doit alors prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

25. Au soutien de son allégation de harcèlement, Mme [V] fait valoir des échanges de messages irrespectueux et méprisants de la part de son employeur, des propos vexatoires, une violation de l'obligation de sécurité et la privation de son assurance de prévoyance.

26. La cour observe en premier lieu que tous les sms envoyés par l'employeur à Mme [V] (pièce n°28), bien que parfois très familiers, ont toujours été empreints de courtoisie, de respect voire même de camaraderie, Mme [V] allant parfois jusqu'à appeler son nouvel employeur « Bichette ».

27. Ces échanges de sms démontrent que Mme [F] a été informée le 24 mai 2019 par l'expert-comptable de l'entreprise que le cédant du fonds M. [L] avait pour habitude de verser à sa salariée Mme [V] un complément de rémunération non déclaré aux organismes sociaux. Cette situation ressort notamment des échanges de sms du 24 mai 2019 à 19h05 :

- Mme [F] à Mme [V] :

« Je viens de sortir du rdv avec l'expert-comptable deux heures d'entretien avec ma mère aussi ... on a abordé pas mal de points dont ta situation ... et pour tout te dire ce n'est pas viable et je n'ai pas envie de me mettre dans la merde. Donc la situation à venir va devoir changer [E]. L'expert-comptable m'a dit d'assainir la situation sur ton salaire suis désolée mais c'est pour le bien de la société' Qu'en penses-tu''Mais Ça va devoir changer si tu acceptes de continuer avec moi' »

- Mme [V] : « c'est-à-dire changer ' »

- Mme [F] : « changer rémunération ».

- Mme [V] : « Ca ve rien dire ca jai compris tu ve faire quoi ' »

- Mme [F] : « Tout au clair' »

28. Mme [V] n'a manifestement pas accepté de faire figurer sur ses bulletins de paie ce complément de rémunération jusqu'alors dissimulé : « (') je vais discuter avec toi et [W] cela dit sache que plus tu me déclares et plus tu paieras des charges, surtout qu'au blac je te coûte sur 22 jours ouvrables 23 euros ».

29. Suite à l'incident du 24 mai 2019, les échanges se sont tendus entre Mme [F] et Mme [V]. Mais contrairement aux allégations en ce sens de Mme [V], il ne ressort pas de ces messages que l'employeur « n'aurait eu de cesse de que de provoquer Mme [V] pour parvenir à sa démission » ni que Mme [F] lui aurait adressé des reproches excessifs, des réflexions désobligeantes ou encore « des menaces à peine voilées sur la poursuite de son contrat de travail ».

30. S'agissant de la demande de congé de Mme [V] du 6 au 14 juillet 2019, Mme [F] n'était matériellement pas en mesure d'y répondre positivement puisque l'acte d'achat du fonds de commerce n'était pas encore signé.

31. Les échanges entre Mme [F] et Mme [V] au sujet de l'ouverture du restaurant, du nettoyage de la cuisine et du choix des menus relèvent de l'organisation et du pouvoir de direction de l'employeur. Concernant l'état de saleté de la cuisine, il ne saurait être fait grief à l'employeur d'avoir souligné dans plusieurs messages l'importance des souillures affectant l'outil de travail ayant rendu nécessaire un important travail de remise en état et de nettoyage.

32. Les messages précités relèvent de simples échanges dans le cadre de professionnel dont il ne ressort aucun élément susceptible d'avoir contribué à des agissements à caractère de harcèlement moral.

33. Aucun élément du dossier ne permet de lier les troubles psychiatriques de Mme [V] à des faits de harcèlement imputables à l'employeur. En revanche, la cour relève que l'apparition de ces troubles est concomitante à l'accès de colère brutal de Mme [V] survenu le 24 mai 2019 lorsqu'elle a appris qu'elle ne percevrait plus la rémunération dissimulée payée par le précédent exploitant du restaurant qui la payait « au blac » (pièce Mme [V] n°28).

34. La cour observe que Mme [V] a été fréquemment virulente et incorrecte dans ses propos tenus à l'employeur, ainsi que cela ressort par exemple des messages « vous m'avez bien niquer aussi bien lun que l'autre » ou « Je vais te faire chier à toi ».

35. Mme [V] n'apporte pas la preuve de ce que la société Cléa aurait commis un quelconque manquement contractuel concernant un régime de prévoyance obligatoire au sein de l'entreprise.

36. Mme [V] ne démontre pas davantage que son employeur aurait tenté « de salir la réputation de sa cuisinière dans les réseaux sociaux alors qu'elle est à l'origine de ses arrêts de travail initial ». Le nom de la salariée n'est jamais mentionné dans la pièce n°48 versée aux débats par Mme [V].

37. Mme [V] évoque « un défaut de respect de l'obligation de sécurité de résultat » par l'employeur sans aucunement préciser la nature du manquement qu'elle reproche à la société Cléa.

38. Il ne ressort des éléments précités, pris dans leur ensemble, aucune présomption de harcèlement de la part de l'employeur envers Mme [V].

39. Les pièces versées aux débats établissent au contraire que c'est l'incident du 24 mai 2019 concernant la suppression de sa rémunération dissimulée qui a conduit Mme [V] à multiplier les provocations à l'encontre de Mme [F] jusqu'à son arrêt de travail pour maladie le 1er juillet 2019, jour d'ouverture du restaurant par la société Cléa.

40. La cour partage donc l'analyse du premier ayant retenu que la société Cléa apportait la preuve de l'absence de harcèlement moral commis au préjudice de Mme [V].

41. Le jugement déféré est donc confirmé en ses dispositions ayant débouté Mme [V] de ses demandes de dommages-intérêts et de nullité du licenciement fondées sur l'existence d'un harcèlement moral.

Sur le licenciement pour inaptitude,

42. En l'absence de tout harcèlement, le licenciement de Mme [V] a été valablement fondé sur l'inaptitude médicale de la salariée.

43. En conséquence, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté Mme [V] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires,

44. Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

45. Mme [V] succombe intégralement en appel, à l'exception de sa demande nouvelle de congés payés faisant suite au revirement jurisprudentiel du 13 septembre 2023. Elle doit donc supporter les entiers dépens d'appel.

46. L'équité commande en outre, au regard des circonstances particulières du présent litige, de condamner Mme [V] à payer à la société Cléa une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne la société Cléa à payer à Mme [E] [V] une indemnité compensatrice de congés payés de 325,87 euros assortie des intérêts légaux à compter du présent arrêt et avec capitalisation à compter de cette même date ;

Condamne Mme [E] [V] à supporter les entiers dépens d'appel ;

Condamne Mme [E] [V] à payer à la société Cléa la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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