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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 25 septembre 2025, n° 24/11076

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/11076

25 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 25 SEPTEMBRE 2025

N° 2025/493

Rôle N° RG 24/11076 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNVDT

S.A.R.L. SOCIETE K3

C/

[R] [H]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Olivier AVRAMO

Me Pascal ZECCHINI

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le TJ de [Localité 6] en date du 13 Août 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 24/00661.

APPELANTE

S.A.R.L. SOCIETE K3,

dont le siège social est [Adresse 4]

représentée par Me Olivier AVRAMO, avocat au barreau de TOULON, plaidant

INTIME

Monsieur [R] [H],

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pascal ZECCHINI, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Eléonore BODY, avocat au barreau de TOULON, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Angélique NETO, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur

M. Laurent DESGOUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [R] [H] est usufruitier d'un bien immobilier comprenant deux étages situé [Adresse 3].

La société à responsabilité limitée (SARL) K3 exploite un fonds de commerce de boulangerie au rez-de-chaussée de l'immeuble voisin situé au n° 9 de la même rue.

Au mois de décembre 2023, la société K3 a installé dans la cour intérieure de son local commercial, qui est contig'e à l'immeuble de M. [H], une chambre froide et plusieurs blocs de climatisation.

Se prévalant d'un trouble anormal de voisinage constitutif d'un trouble manifestement illicite, M. [H] a fait assigner, par acte de commissaire de justice en date du 6 mars 2024, la société K3 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulon aux fins qu'il lui soit enjoint de retirer sous astreinte la chambre froide et les six blocs de climatisation.

Par ordonnance en date du 13 août 2024, ce magistrat a :

- déclaré l'action introduite par M. [H] recevable ;

- ordonné à la société K3 de procéder au retrait de la chambre froide et des six blocs de climatisation sous astreinte provisoire de 100 euros à compter d'un délai d'un mois suivant la signification de la décision ;

- dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus ;

- condamné la société K3 à payer à M. [H] la somme de 900 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Il a considéré que les dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile prévoyant une tentative de règlement amiable préalablement à la saisine du juge, à peine d'irrecevabilité de l'assignation, ne s'appliquait pas au litige en l'état d'une urgence manifeste et au droit à la saisine d'un juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent. Sur le fond du référé, il a estimé que la preuve d'un trouble anormal de voisinage caractéristique d'un trouble manifestement illicite était rapportée tenant à la gêne auditive et visuelle provoquée par la chambre froide et les blocs de climatisation au regard des dispositions des articles R 1336-5 et suivants du code de la santé publique.

Suivant déclaration transmise au greffe le 10 septembre 2024, la société K3 a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 16 juin 2025 avec demande de révocation de l'ordonnance de clôture, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens et prétentions, elle demande à la cour de réformer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :

- déclarer l'intimé irrecevable et en tous cas mal fondé en ses demandes ;

- dire n'y avoir lieu à référé ;

- débouter l'appel de ses demandes ;

- de le condamner à lui verser la somme de 3 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec distraction au profit de Me Olivier Avramo, avocat sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du même code.

En premier lieu, elle se prévaut de la nullité de l'assignation pour non-respect de l'article 54 5°) du code de procédure civile faute pour cette dernière de préciser les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative.

En second lieu, elle soutient que l'assignation est irrecevable pour non-respect des dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile en procédant par une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, une tentative de médiation ou une tentative de procédure participative, sachant que cet article vise expressément les actions pour troubles anormaux de voisinage, la formule utilisée, à savoir que « Monsieur [H] est prêt à étudier toute proposition amiable permettant de trouver une issue amiable », ne répondant pas aux exigences requises. Il soutient qu'aucune urgence n'est établie au cas présent.

En troisième lieu, elle estime que l'intimé ne justifie pas de son droit d'agir, et notamment subir personnellement des troubles allégués, dès lors qu'il ne justifie aucunement qu'il exerce son usufruit et dans l'affirmative, selon quelles modalités, à usage d'habitation ou professionnelle.

Enfin, sur le fond du référé, elle relève qu'aucune violation manifeste des articles R 1336-5 et suivants du code de la santé publique concernant les nuisances sonores alléguées, pas plus que des articles 676 et suivants du code civil s'agissant des vues alléguées. Elle soutient que l'intimé n'apporte pas la preuve de troubles dommageables excédant les inconvénients normaux de voisinage au motif que le fonds de commerce qu'elle exploite se situe en plein centre ville dans une rue qui compte presque 20 professionnels, de sorte que les bruits dont se plaint l'appelant peuvent parfaitement provenir de cet environnement. De plus, elle indique que, lorsque a repris le fonds de commerce en mai 2022, il existait 11 groupes froids anciens qu'elle a décidé de moderniser en procédant aux installations litigieuses en octobre 2024, lesquels ont eu pour effet de diminuer sensiblement les émissions sonores de la boulangerie. Enfin, elle relève que les mesures ordonnées par le premier ne peuvent être de nature à mettre un terme aux troubles dénoncés dès lors qu'elle serait en droit de réinstaller les 11 groupes froids d'origine, sachant qu'elle a, en exécution de la décision entreprise, remis les lieux au plus proche de l'état dans lequel ils se trouvaient antérieurement en démontant 3 compresseurs, tel que cela a été constaté par Me [U] dans un procès-verbal dressé le 15 novembre 2024. Elle estime donc qu'il n'y a plus lieu à référé sur ce point.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 20 décembre 2024 et pièces 8 et 9 transmises les 3 et 5 juin 2025, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens et prétentions, M. [H] sollicite de la cour qu'elle :

- confirme l'ordonnance entreprise ;

- condamne l'appelante à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Il fait notamment valoir en premier lieu, qu'alors même que la société K3 avait soulevé devant le premier juge l'irrecevabilité de ses demandes, elle soulève, pour la première fois en appel, la nullité de son assignation au motif qu'elle ne préciserait pas les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative. Il considère que cette exception de nullité est irrecevable comme étant formée pour la première fois en appel. En tout état de cause, il affirme que l'absence de mention dans l'assignation des diligences amiables entreprises n'a causé aucun grief à la société K3, d'autant qu'il lui a adressé un courrier, deux mois avant d'avoir initié la procédure de référé, par lequel il lui proposait de trouver une issue amiable au différend qui les oppose en citant expressément l'article 54 du code de procédure civile.

En second lieu, il soutient que son action ne peut être déclarée irrecevable au regard de l'article 750-1 du code de procédure civile. Il relève que des dispositions légales instituant une procédure de médiation préalable et obligatoire ne peuvent faire obstacle à la saisine du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent. De plus, il se réfère au courrier qu'il a adressé deux mois avant d'avoir initié la procédure démontrant qu'il a tenté de résoudre le litige dans un cadre amiable. De même, il souligne que l'importance des nuisances subies caractérise l'urgence le dispensant de tout recours à la procédure de tentative de règlement amiable du litige.

En troisième lieu, il affirme avoir bien un intérêt à agir comme étant usufruitier de l'immeuble voisin à celui dans lequel se trouve le local exploité par la société K3. Le fait même pour lui d'avoir consenti la jouissance des lieux à un tiers ne le prive pas de son droit d'agir contre la société K3 dès lors qu'il peut être tenu, en tant que bailleur, d'assurer au preneur la jouissance paisible des lieux.

Enfin, sur le fond du référé, il relève que la chambre froide, qui a été installée à 30 cm de son mur devant les fenêtres du rez-de-chaussée, obstrue totalement une partie de ces fenêtres, de même que les six blocs de climatisation qui ont été installés sur le mur situé face à son bien, à 3,5 mètres de distance, génère des nuisances visuelle. Il soutient également que ces équipements sont à l'origine de nuisances sonores, tant diurnes que nocturnes, la porte de la chambre froide étant régulièrement claquée et le bruit des blocs de climatisation étant perceptible à l'intérieur de son bâtiment, même quand les fenêtres sont fermées. Il se réfère aux relevés acoustiques effectués par un commissaire de justice, lesquels révèlent une violation manifeste des dispositions des articles R 1336-5 et suivants du code de la santé publique, s'agissant de bruits continus excédant les inconvénients normaux de voisinage, la chambre froide étant en permanence en marche. Il insiste sur le fait que l'excuse due à l'antériorité ne peut être invoquée dès lors que l'activité de boulangerie ne s'est pas poursuivie dans les mêmes conditions, les blocs de climatisation ayant été changés à la fin de l'année 2022, et que l'activité n'est pas exercée dans le respect des lois et règlements.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 juin 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le rabat de l'ordonnance de clôture

Il résulte de l'article 802 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige, qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l'ordonnance de clôture.

L'article 803 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue. Elle peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats sur décision du tribunal.

Par ailleurs, l'article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacun soit à même d'organiser sa défense.

Enfin, aux termes de l'article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il est admis que le juge dispose d'un pouvoir souverain pour apprécier si des conclusions et/ou des pièces ont été déposées en temps utile. Ainsi, s'il estime qu'elles ont été déposées peu de temps avant la date prévue pour l'ordonnance de clôture, il doit veiller au respect des droits de la défense et, éventuellement, les écarter des débats en caractérisant les circonstances particulières qui l'ont conduit à se prononcer en ce sens.

En l'espèce, l'appelante a transmis ses dernières conclusions le 16 juin 2025, postérieurement à l'ordonnance de clôture qui a été rendue le 10 juin précédent, en réplique à deux nouvelles pièces n° 8 et 9, transmises par l'intimé les 3 et 5 juin 2025.

A l'audience, avant le déroulement des débats, les avocats des parties ont indiqué qu'ils ne s'opposaient pas à la révocation de l'ordonnance de clôture afin d'admettre les derniers jeux de conclusions de chacune des parties.

La cour a donc, de l'accord général, révoqué ladite ordonnance puis clôturé à nouveau l'instruction de l'affaire, celle-ci étant en état d'être jugée.

Sur la nullité de l'assignation

En vertu de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication, pour chaque prétention, des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

En l'espèce, alors même que l'appelante développe dans le corps de ses écritures des moyens visant à obtenir la nullité de l'assignation pour ne pas avoir respecté le formalisme prévu par l'article 54 du code de procédure civile, cette prétention n'apparaît pas dans le dispositif, seule l'irrecevabilité des demandes de l'intimé étant sollicitée pour avoir méconnu les dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile. De plus, cette exception de nullité n'a jamais été soutenue devant le premier juge.

La cour n'étant pas saisie de l'exception de nullité, il n'y a pas lieu de se prononcer sur ce point.

Sur l'irrecevabilité des demandes

Pour défaut de tentative de conciliation ou de médiation

L'article 750-1 du code de procédure civile énonce qu'en application de l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.

Les parties sont dispensées de l'obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :

1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;

2° Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision ;

3° Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste, soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d'un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ;

4° Si le juge ou l'autorité administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;

5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l'article L. 125-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Il est de principe que la tentative de résolution amiable du litige n'étant pas, par principe, exclue en matière de référé, l'absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse peut, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1 alinéa 2 3°, et notamment par un motif tenant à l'urgence.

Il reste qu'il est également admis qu'en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions instituant une tentative de résolution amiable du litige obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés.

En l'espèce, M. [H] demande que des mesures soient prises à l'encontre de la société K3 pour faire cesser le trouble manifestement illicite qu'il affirme subir résultant de nuisances sonores et visuelles excédant les troubles normaux de voisinage.

Si le trouble anormal de voisinage fait partie des litiges devant faire obligatoirement l'objet d'un préliminaire de conciliation ou de médiation, il n'en demeure pas moins que M. [H] a saisi, non pas le juge du fond, mais le juge des référés afin de faire cesser un trouble manifestement illicite entendu comme toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Or, les notions de trouble manifestement illicite et de dommage imminent étant attachées à l'idée de l'urgence manifeste, raison pour laquelle le juge des référés n'a pas à caractériser une quelconque urgence pour ordonner une mesure destinée à prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés à l'article 750-1 du code de procédure civile susvisé par M. [H] ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés.

De plus, alors même que M. [H] n'était pas tenu d'engager un véritable processus de médiation ou de conciliation préalablement à la saisine du juge des référés, il démontre avoir, par courrier en date du 23 janvier 2024, soit moins de deux mois avant la saisine du juge des référés, par l'intermédiaire de son avocat, indiqué à la société K3 être 'prêt à étudier toute proposition sérieuse qui permettrait de trouver une issue amiable au litige' conformément à l'article 54 du code de procédure civile.

Dans ces conditions, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société K3 pour inobservation par M. [H] du préliminaire obligation de conciliation ou de médiation.

Pour défaut de droit d'agir de M. [H]

En application de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité et d'intérêt.

L'article 31 du même code énonce que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas où la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'article 32 du même code dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

Par ailleurs, il résulte de l'article 578 du code civil que l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.

Enfin, dès lors qu'un bailleur est tenu de garantir à son locataire la jouissance paisible des lieux loués en application de l'article 1719 du code civil, le preneur peut, en cas de troubles apportés à la jouissance par le fait de tiers, quelle que soit sa qualité, agir directement contre le bailleur.

En l'espèce, en agissant à l'encontre de la société K3 afin de faire cesser les troubles sonores et visuels affectant l'immeuble dont il a l'usufruit, M. [H] entend poursuivre, à la fois, la préservation de son droit d'user et de jouir de la chose dont il est usufruitier et la conservation de la substance du bien.

Même à supposer que M. [H] n'occupe pas les lieux, cette circonstance ne le prive pas de son droit d'agir personnellement et directement contre les tiers troublant la jouissance de la chose dont il est usufruitier.

Dans ces conditions, il y a lieu d'ajouter à l'ordonnance entreprise, qui ne s'est pas prononcée sur ce point, en rejetant la fin de non-recevoir soulevée par la société K3 tirée du défaut de droit d'agir de M. [H].

Sur les troubles manifestement illicite

Il résulte de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. L'illicéité du fait ou de l'action critiquée peut résulter d'une règle de droit mais aussi d'un simple usage. Elle doit être évidente.

Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.

La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier a cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.

Il est de principe que 'nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage', un tel trouble étant susceptible de constituer un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 du code de procédure civile. Ainsi, le juge des référés a le pouvoir de constater son existence dès lors que la preuve en est faite avec l'évidence requise.

Le trouble anormal de voisinage étant indépendant de la notion de faute, le juge doit en toute hypothèse rechercher si le trouble allégué dépasse les inconvénients normaux du voisinage, que son auteur ait ou pas enfreint la réglementation applicable à son activité. Cette appréciation s'exerce concrètement notamment selon les circonstances de temps (nuit et jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle). L'anormalité du trouble de voisinage s'apprécie en fonction des circonstances locales, doit revêtir une gravité certaine et être établie par celui qui s'en prévaut.

Par ailleurs, le décret du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage a inséré dans le code de la santé publique un certain nombre de dispositions destinées à lutter contre le bruit qui ont été depuis modifiées par le décret du 7 août 2017. Il résulte de l'article R 1336-4 du code de la santé publique que les dispositions des articles R 1336-5 à R 1336-11 s'appliquent à tous les bruits de voisinage, à l'exception de ceux qui proviennent de certaines activités.

En application de l'article R 1336-5 du code de la santé publique, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité.

L'article suivant dispose que si le bruit mentionné à l'article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.

Lorsque le bruit mentionné à l'alinéa précédent, perçu à l'intérieur des pièces principales de tout logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d'activités professionnelles, l'atteinte est également caractérisée si l'émergence spectrale de ce bruit, définie à l'article R 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.

Toutefois, l'émergence globale et, le cas échéant, l'émergence spectrale ne sont recherchées que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comportant le bruit particulier, est supérieur à 25 décibels (dB) pondérés A si la mesure est effectuée à l'intérieur des pièces principales d'un logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas.

En vertu de l'article R 1336-7 du code de la santé publique, l'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause.

Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 dB pondérés A en période diurne (de 7h à 22h) et de 3 dB pondérés A en période nocturne (de 22h à 7h), valeurs auxquels s'ajoutent un terme correctif en dB pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier.

L'article R 1336-8 du même code énonce que l'émergence spectrale est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant dans une bande d'octave normalisée, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau de bruit résiduel dans la même bande d'octave, constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux mentionnés au deuxième alinéa de l'article R. 1336-6, en l'absence du bruit particulier en cause.

Les valeurs limites de l'émergence spectrale sont de 7 décibels dans les bandes d'octave normalisées centrées sur 125 Hz et 250 Hz et de 5 décibels dans les bandes d'octave normalisées centrées sur 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'immeuble dont M. [H] est usufruitier comporte deux étages. Alors même que le premier est à usage de réserves, le deuxième a pour destination un appartement tandis que le rez-de-chaussée comprend un local commercial.

L'une des façades de cet immeuble donne sur une cour intérieur occupée par la société K3 qui exploite une boulangerie au rez-de-chaussée de l'immeuble voisin.

Le procès-verbal de constat dressé le 11 janvier 2024 révèle que plusieurs fenêtres de l'immeuble de M. [H] donnent sur la cour intérieure. Concernant deux d'entre elles, situées à chacun des étages, il constate, juste en dessous, la présence d'une chambre froide, large de 2 mètres, longue de 4 mètres et haute de 2 mètres, qui a été installée dans le renfoncement de la cour intérieure à environ à 30 centimètres au plus proche du mur de l'immeuble de M. [H]. Par ailleurs, il relève la présence de six blocs de climatisation installés sur le mur de façade côté Ouest de l'immeuble voisin à 3,5 centimètres de la fenêtre située au 1er étage. Concernant la fenêtre du deuxième étage donnant sur la rue commerçante principale, il relève la présence de six autres blocs de climatisation.

A l'aide d'un sonomètre de marque Volcraft SL 300 disposant d'une prise minimale et maximale de la mesure des bruits, positionnée en pression acoustique dba, le commissaire de justice procède à différents relevés acoustiques le 11 janvier 2024 à 10 heures. Depuis la fenêtre située au 1er étage située au-dessus de la chambre froide, il relève que le bruit engendré par les blocs est de 61.2 db lorsque la fenêtre est ouverte, 41.8 db lorsqu'elle est fermée et 37.4 db lorsqu'il se place à 1,5 mètres de la fenêtre fermée. Depuis la fenêtre située au 2ème étage située au-dessus de la chambre froide, il constate que ce bruit est de 58.7 db lorsque la fenêtre est ouverte et 37.4 db à un mètre de la fenêtre fermée.

Par ailleurs, il indique avoir perçu distinctement et clairement la porte de la chambre froide qui est claquée lors de sa fermeture engendrant un bruit dans toutes les pièces de la maison.

Il en résulte que le fonctionnement des blocs de climatisation installés au-dessus de la chambre froide et la manipulation de la porte de ladite chambre font apparaître dans les pièces de l'immeuble de M. [H] des niveaux sonores qui dépassent le seuil de tolérance et les valeurs limites fixées par la réglementation.

Critiquant ces mesures et constatations, la société K3 a fait appel à M. [V] qui a procédé à des mesures acoustiques à l'aide d'un sonomètre intégrateur de classe 1 de marque 01 dB modèle fusion le 4 avril 2024 à 14h30. En se plaçant dans la cour intérieure à hauteur d'homme, il constate que le niveau de bruit ambiant mesure en période diurne atteint la valeur moyenne de 58,5 db. Outre le fait que ce résultat correspond à ceux relevés par le commissaire de justice depuis les fenêtres situées au-dessus de la chambre froide lorsqu'elles sont fermées, M. [V] relève que certains compresseurs ne sont pas fixés par l'intermédiaire de plots anti-vibratiles réduisant généralement les vibrations transmises par les éléments tournants. De plus, il souligne que les valeurs partielles des bruits mesurés dans la cour intérieure tendraient à accréditer l'hypothèse d'un environnement sonore important, bien qu'il considère que l'émergence globale n'est pas caractérisée et qu'il est nécessaire de réaliser des mesurages dans une pièce principale du logement d'habitation du tiers, fenêtre ouverte ou fermée, afin de quantifier les émergences spectrales et les comparer aux valeurs limites autorisées par la réglementation.

Par ailleurs, pour remédier au bruit causé par la porte de la chambre froide, qui comporte deux portes métalliques bruyantes qui sont manipulées toute la journée, il préconise la mise en place de joints en caoutchouc en périphérie des ouvrants, une butée voire un groom afin d'amortir les chocs métalliques potentiellement gênants.

Il en résulte que, loin de remettre en cause les nuisances sonores causées par le fonctionnement des blocs de climatisation installés sur le mur de façade de la boulangerie côté Ouest et la manipulation des portes métalliques de la chambre froide, M. [V], qui préconise des solutions afin d'y remédier et des mesures acoustiques supplémentaires, n'exclut pas l'existence de bruits excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Si la société K3 verse aux débats des procès-verbaux afin d'établir que les blocs de climatisation qui se trouvaient au-dessus de la chambre froide ont été déposés en exécution de d'ordonnance entreprise, il n'en demeure pas moins que la cour doit se placer au moment où le premier juge a statué pour apprécier l'existence ou non d'un trouble manifestement illicite.

De plus, le fait pour M. [V] de constater le 5 mai 2025, soit postérieurement à l'ordonnance entreprise, après avoir procédé à des mesures sonores, que le bruit occasionné par la fermeture de la porte de la chambre froide est largement couvert par celui occasionné par les deux autres portes métalliques de la boulangerie et de la pâtisserie, atteste de la réalité du bruit occasionné par la porte de chambre froide, notamment en raison de sa proximité comme se trouvant à 30 centimètres au plus proche du mur de l'immeuble de M. [H], sans que la société K3 n'allègue ni ne démontre la moindre mesure pour y remédier.

Enfin, la société K3 se prévaut d'un droit au maintien d'une situation acquise faisant obstacle aux mesures sollicitées par M. [H].

Or, en indiquant n'avoir fait que remplacer les 16 groupes de climatisation froid qui préexistaient par 4 groupes de climatisation (3 Sylensis et un Optimax), créer un groupe climatiseur et conserver un vieux groupe Sylensis en le déplaçant du mur de façade côté Nord à celui côté Ouest, la société K3 reconnaît avoir modifié la nature et la disposition des blocs de climatisation, outre le fait qu'il n'est pas contesté que la chambre froide litigieuse est un équipement qu'elle a récemment installé avec son groupe compresseur associé.

Dès lors que la société K3 ne démontre aucunement avoir poursuivi son activité de boulangerie dans les mêmes conditions que celles qui existaient depuis environ 30 ans, elle n'est pas fondée à se prévaloir du privilège dû à l'antériorité, pas plus que d'une acceptation des risques par M. [H].

Pour toutes ces raisons, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que, pour faire cesser le trouble manifestement illicite causé à M. [N], il y avait lieu d'ordonner à la société K3, sous astreinte, de procéder au retrait de la chambre froide et des six blocs de climatisation installés au-dessus.

Dès lors que les conditions dans lesquelles l'activité de boulangerie était exercée avant que la société K3 ne procède aux installations dénoncées par M. [N] ne résultent pas des pièces de la procédure, l'appelante ne peut sérieusement soutenir que la mesure prononcée à son encontre n'est pas de nature à faire cesser les nuisances causées à M. [N].

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Dès lors que la société K3 succombe en appel, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens et à verser à M. [H] la somme de 900 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera également condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande en outre de la condamner à verser à M. [H] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens.

En tant que partie perdante, la société K3 sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rappelle que la cour a révoqué, à l'audience, de l'accord général des parties, l'ordonnance de clôture puis clôturé à nouveau l'instruction de l'affaire, celle-ci étant en état d'être jugée ;

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SARL K3 tirée du défaut de droit d'agir de M. [R] [H] ;

Condamne la SARL K3 à verser à M. [R] [H] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens ;

Déboute la SARL K3 de sa demande formée sur le même fondement ;

Condamne la SARL K3 aux dépens de la procédure d'appel.

La greffière Le président

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