CA Lyon, jurid. premier président, 17 septembre 2025, n° 24/08351
LYON
Ordonnance
Autre
EXPOSE DU LITIGE
M. [R] [Z] a pris contact en août 2023 avec Me [M] [T] [V] dans le cadre d'une procédure de divorce.
Aucune convention d'honoraires n'est indiquée comme ayant été signée.
Me [T] [V] a adressé à M. [Z] une facture le 12 septembre 2023 d'un montant de 900 € intitulée «provision honoraires» que celui-ci a réglée.
Me [T] [V] a adressé à M. [Z] une facture le 13 juin 2024 d'un montant de 2 017 € TTC intitulée «solde honoraires».
Le 28 juin 2024, M. [Z] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Saint-Etienne d'une contestation des honoraires de Me [T] [V].
Me [T] [V] a adressé à M. [Z] une facture le 16 septembre 2024 d'un montant de 4 693 € TTC annulant et remplaçant la facture du 13 juin 2024.
Aucune décision n'ayant été rendue par le bâtonnier dans le délai de quatre mois, M. [Z] a procédé à la saisine directe du délégué du premier président par lettre recommandée du 29 octobre 2024 reçue au greffe le 30 octobre 2024.
Par lettre recommandée du 27 décembre 2024 reçue au greffe le 31 décembre 2024, M. [Z] indique qu'il a déposé un dossier de surendettement auprès de la Banque de France et qu'il a dû déclarer les honoraires de Me [T] [V] qu'il conteste.
A l'audience du 20 mai 2025, devant le délégué du premier président, les parties s'en sont remises à leurs écritures, qu'elles ont soutenues oralement.
Dans son courrier de saisine, M. [Z] conteste la note d'honoraires que lui réclame Me [T] [V] au motif qu'il n'a pas signé la moindre convention et que la note d'honoraires a été émise après un rendez-vous durant lequel ils n'étaient pas d'accord sur la ligne de défense et Me [T] [V] lui a annoncé ne plus vouloir défendre ses intérêts.
Dans son mémoire transmis au greffe le 22 avril 2025, M. [Z] affirme que Me [T] [V] lui aurait demandé de venir signer une convention lorsqu'ils étaient en désaccord le 29 avril 2024, alors même qu'elle défend ses intérêts depuis septembre 2023 et qu'il a obtenu l'aide juridictionnelle partielle le 6 octobre 2023. Il explique qu'il conteste la facture d'honoraires qui ne correspond à aucune convention et à un hypothétique travail puisque Me [T] [V] n'a rédigé aucune conclusion puisqu'elle refusait de le faire comme il l'entendait.
A l'audience, Me [T] [V] fait valoir que M. [Z] lui a réglé 900 € et qu'il n'a pas déclaré sa situation réelle auprès de la banque de France. Elle précise qu'elle a souhaité arrêter de travailler pour lui car sa conduite était inquiétante.
Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux mémoires et courriers régulièrement déposés ci-dessus visés.
MOTIFS
Attendu que selon les dispositions de l'article 175 du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, «Les réclamations sont soumises au bâtonnier par toutes parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé. Le bâtonnier accuse réception de la réclamation et informe l'intéressé que, faute de décision dans le délai de quatre mois, il lui appartiendra de saisir le premier président de la cour d'appel dans le délai d'un mois.
L'avocat peut de même saisir le bâtonnier de toute difficulté.
Le bâtonnier, ou le rapporteur qu'il désigne, recueille préalablement les observations de l'avocat et de la partie. Il prend sa décision dans les quatre mois. Cette décision est notifiée, dans les quinze jours de sa date, à l'avocat et à la partie, par le secrétaire de l'ordre, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La lettre de notification mentionne, à peine de nullité, le délai et les modalités du recours.
Le délai de quatre mois prévu au troisième alinéa peut être prorogé dans la limite de quatre mois par décision motivée du bâtonnier. Cette décision est notifiée aux parties, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans les conditions prévues au premier alinéa» ;
Que l'article 176 du même décret prévoit dans son alinéa 2 que «Lorsque le bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit.» ;
Attendu que le bâtonnier a été saisi par M. [Z] le 28 juin 2024 et aucune décision n'a été rendue dans le délai de quatre mois suivant cette date alors que ce délai n'a pas été prorogé par le bâtonnier ;
Attendu que M. [Z] a saisi directement le délégué du premier président le 29 octobre 2024, soit la première date utile pour former son recours ;
Que cette saisine directe est recevable comme faite dans le délai prévu par l'article 176 susvisé ;
Attendu que conformément à l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, sauf urgence ou force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat doit conclure par écrit avec son client une convention d'honoraires ;
Attendu que l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que «en cas d'aide juridictionnelle partielle, l'avocat a droit, de la part du bénéficiaire, à un honoraire complémentaire librement négocié. Une convention écrite préalable fixe, en tenant compte de la complexité du dossier, des diligences et des frais imposés par la nature de l'affaire, le montant et les modalités de paiement de ce complément d'honoraires, dans des conditions compatibles avec les ressources et le patrimoine du bénéficiaire.
La convention rappelle le montant de la part contributive de l'Etat. Elle indique les voies de recours ouvertes en cas de contestation. A peine de nullité, elle est communiquée dans les quinze jours de sa signature au bâtonnier qui contrôle sa régularité ainsi que le montant du complément d'honoraires.» ;
Que si la loi du 6 août 2015 a prévu en modifiant l'article 10 susvisé comme l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991 l'obligation de soumettre à la signature du client une convention d'honoraires, cette convention ne constitue pas une condition de validité de la demande d'honoraires mais un mode de preuve de l'accord des parties sur les modalités de rémunération de l'avocat ;
Attendu que l'absence de convention d'honoraires ne prive ainsi pas l'avocat de la possibilité de réclamer la couverture de ses diligences, et les honoraires doivent être fixés en application de l'article 10 susvisé selon les critères de l'article susvisé soit : les usages, la situation de fortune du client, les difficultés du litige, les frais de l'avocat, sa notoriété et les diligences accomplies ;
Attendu que M. [Z] a obtenu l'aide juridictionnelle partielle à 55 % par une décision rendue par le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Saint-Etienne le 6 octobre 2023, désignant Me [T] [V], qui avait alors accepté de travailler dans le cadre d'une aide juridictionnelle ;
Attendu qu'il n'est pas discuté qu'aucune convention d'honoraires n'a été signée par les parties, même si Me [T] [V] verse aux débats un projet en ce sens ; qu'il n'est pas discuté que Me [T] [V] s'est dessaisie des intérêts de M. [Z] par un courrier du 15 mai 2024 et qu'une autre avocate, Me Karine Pays, a été missionnée par M. [Z] ; que ce dessaisissement avant l'issue de la procédure n'a manifestement pas conduit à la délivrance de la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
Attendu qu'il appartient dès lors au délégué du premier président, dans le cadre de sa saisine directe, de procéder à l'appréciation des honoraires en application de l'article 10 susvisé comme l'a soutenu à bon droit Me [T] [V] ; que cette dernière a sollicité la fixation de ses honoraires à hauteur de sa dernière facture du 16 septembre 2024 ;
Attendu que dans le courrier adressé au bâtonnier le saisissant de la fixation de ses honoraires, Me [T] [V] a indiqué que M. [Z] lui avait versé en tout et pour tout à ce jour la somme de 900 € TTC sans se soucier du travail important effectué dans son dossier et qu'elle avait entendu reprendre ses droits et le facturer au temps passé, lequel est considérable ;
Attendu que M. [Z] a initialement saisi le bâtonnier d'une contestation des honoraires réclamés par Me [T] [V] au travers de sa facture du 13 juin 2024 d'un montant de 2 017 € TTC, concernant la seule procédure de divorce ;
Que les factures émises par Me [T] [V] au titre d'une autre procédure de composition pénale, prises en charge partiellement par la protection juridique de M. [Z] ne sont pas concernées par la contestation des honoraires qu'il a présentée initialement au bâtonnier ;
Attendu que Me [T] [V] a entendu émettre une nouvelle facture n°2024.09.9 le 16 septembre 2024 liste les diligences suivantes dans le cadre de la procédure en divorce :
« 1 - assignation en divorce classique : 850 €
2 - bordereau de pièces : 250 €
3 - requête à bref délai et ordonnance : 650 €
4 - assignation à bref délai : 850 €
5 - plaidoirie-audience d'orientation 8.01.2024 : 950 €
6 - projet de conclusions au fond : 350 €
7 - 3 autres bordereaux de pièces avec traitement de 66 pièces (3 x 250 €) : 750 €
Montant HT : 4 650 €
TVA à 20 % : 930 €
Timbre CNBF : 13 €
Montant total TTC : 5 593 €
A déduire règlement facture du 12.09.2023 n°2023.09.15 : - 900 €
Montant total TTC à régler : 4 693 €»
Attendu que Me [T] [V] a fourni l'intégralité de son dossier dans le cadre de ce recours et les diligences engagées sont justifiées par les nombreuses pièces produites ;
Que ces diligences ont été engagées dans le cadre d'un dossier particulièrement conflictuel de divorce, ayant connu les affres d'une séparation non encore effective entre les époux qui se sont affrontés directement ou par avocat interposé ; que la difficulté pour l'avocate a été de trouver les solutions pour apaiser les relations et veiller aux intérêts de son client dont la clairvoyance était clairement affectée par la situation de son couple ;
Attendu que M. [Z] soutient pourtant que les diligences de Me [T] [V] se sont limitées à deux ou trois rendez-vous, et qu'il n'a pas eu de conclusions de sa part, ce qui est formellement contredit par les éléments fournis par l'avocat dans le cadre de la présente saisine directe ;
Qu'en effet, il est justifié de la décision rendue par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Saint-Etienne le 8 janvier 2024 suite à une saisine à bref délai réalisée à la demande de M. [Z] par Me [T] [V], qui fournit la copie de la requête pour assigner à bref délai, de l'ordonnance d'autorisation du 27 octobre 2023 et de l'assignation du 3 novembre 2023 ;
Attendu que le dossier de Me [T] [V] porte traces de très nombreux courriers et courriels échangés notamment avec M. [Z] portant sur les conditions de la séparation, les démarches à lancer, sur l'orientation de la procédure, sur l'audition des enfants réalisée au début du mois de décembre 2023 et sur l'analyse des conclusions adverses, ces seuls courriers ayant nécessité à tout le moins que l'avocat y consacre plusieurs heures, durée déterminée en l'absence de précision par cette dernière à quatre heures ;
Attendu que trois notes en délibéré ont été faites au juge aux affaires familiales dans le cadre de son ordonnance sur orientation ;
Que la lecture des échanges de courriel objective par ailleurs l'existence de trois rendez-vous au cabinet de Me [T] [V] (fin août 2023, 25 mars et 6 mai 2024) qui ont nécessité à tout le moins, en l'absence de précision sur leur durée, deux heures de travail ;
Qu'elle n'a pas plus précisé dans sa facture n°2024.09.9 le détail des heures passées pour chaque diligence effectuée ni même le taux horaire qu'elle a entendu appliquer ;
Attendu que les parties sont contraires sur la situation de fortune de M. [Z] ;
Attendu que le bureau d'aide juridictionnelle a retenu, pour accorder une aide juridictionnelle partielle à 55 %, des ressources annuelles de 17 658 € et un patrimoine mobilier de 14 500 €, alors que les éléments communiqués par Me [T] [V], concernant une situation plus actuelle de M. [Z] qui s'engageait en mars 2024 pour l'acquisition d'un fonds de commerce «Bistrot du grand hôtel» pour un prix avoisinant les 30 000 € ; que M. [Z] a précisé lors de l'audience que la reprise du fonds de commerce était effective depuis le 2 avril 2025 et allégué que son activité ne lui dégageait aucun revenu ;
Que M. [Z] ne tente pas de fournir d'éléments financiers susceptibles de contredire les termes de la décision du bureau d'aide juridictionnelle et sa situation financière n'est pas susceptible d'être retenue comme impécunieuse ou au contraire comme confortable ;
Attendu que l'ouverture même d'une procédure de surendettement, dont l'existence n'est pas discutée par les parties, est inopérante en l'absence d'une décision statuant sur la capacité de remboursement et sur le sort des dettes à permettre de discerner la situation de fortune actuelle de M. [Z] ;
Attendu que les forfaits pratiqués par Me [T] [V] dans sa dernière facture, au regard du temps qu'elle a nécessairement passé pour réaliser chacune des diligences objectivent qu'elle n'a pas entendu pratiquer un taux horaire de 150 € HT, montant prenant à la fois en compte le coût nécessaire du fonctionnement de son cabinet et les facultés financières de son client ; que ces forfaits sont néanmoins supérieurs à ceux qu'elle avait proposés à son client dans son projet de convention d'honoraires ;
Attendu que si certains montants, particulièrement ceux concernant les bordereaux de communication de pièces sont disproportionnés, l'absence d'imputation dans la facturation des trois rendez-vous et du temps passé aux très nombreux courriers conduisent à valider le montant global facturé, sous réserve particulièrement des 350 € HT facturés pour un projet de conclusions ;
Attendu que le projet de conclusions produit par Me [T] [V] qu'elle facture ne constitue qu'une ébauche et ne peut être retenu pour le montant facturé ;
Attendu que les honoraires et frais de Me [T] [V] doivent être fixés en raison des éléments avérés de la situation de fortune de M. [Z] à un montant de 3 500 € HT, soit 4 200 € TTC auquel il convient d'ajouter le droit de plaidoirie de 13 € (timbre CNBF) qui s'y ajoute nécessairement et après déduction d'un versement de 900 € soit en définitive un montant de 3 313 € TTC ; qu'il est ordonné à M. [Z] de verser cette somme à Me [T] [V] ;
Attendu que compte tenu du résultat obtenu respectivement par les parties et du fait que leurs difficultés tiennent dans l'absence de respect de l'obligation légale de faire signer une convention d'honoraires, elles doivent chacune garder la charge de leurs propres dépens ; que les éventuels frais de recouvrement forcé doivent néanmoins demeurer à la charge de M. [Z] ;
PAR CES MOTIFS
Le délégué du premier président, statuant publiquement et par ordonnance contradictoire,
Statuant sur la saisine directe effectuée par M. [R] [Z],
Fixons les honoraires de Me [M] [T] [V] à la somme de 3 313 € TTC et ordonnons à M. [R] [Z] de lui payer cette somme au titre du solde de ses honoraires,
Disons que chaque partie garde la charge de leurs propres dépens inhérents au présent recours, mais que M. [R] [Z] devra supporter les éventuels frais de recouvrement forcé.