CA Nancy, 2e ch., 25 septembre 2025, n° 24/01319
NANCY
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /25 DU 25 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/01319 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FMKO
Décision déférée à la cour :
jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G. n° 22/01051, en date du 13 juin 2024,
APPELANTE :
La S.A. BANQUE CIC EST
société anonyme immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 754800712, dont le siège social est [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me David COLLOT de la SELARL LORRAINE DEFENSE & CONSEIL, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉE :
Madame [Z] [W]
née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 5] (88), domiciliée [Adresse 4]
Représentée par Me Laurence BOURDEAUX de la SCP BOURDEAUX-MARCHETTI, avocat au barreau d'EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Août 2025, en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 25 Septembre 2025, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
La SARL Au Moulin Gourmand a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la SA Banque CIC EST suivant convention signée le 25 avril 2018.
Par acte sous seing privé du 2 juin 2018, la SA Banque CIC EST (ci-après la SA CIC EST) a consenti à la SARL Au Moulin Gourmand (ci-après la société) un prêt professionnel d'un montant de 160 000 euros, destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie le 13 juin 2018, remboursable sur le durée de 84 mois après une période de franchise de 5 mois (prorogée par avenants des 17 mai 2019, 12 août 2020 et 13 avril 2021) au taux de 1,10 % l'an, en garantie duquel Mme [Z] [W] (épouse du gérant de la société, M. [C] [W], caution solidaire) s'est portée caution solidaire dans la limite de la somme de 57 600 euros incluant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 113 mois.
Les locaux de la boulangerie pâtisserie ont subi un incendie le 15 février 2021 ne permettant pas de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce, et le bailleur a procédé à la réfection des locaux à compter de janvier 2022.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception en date du 15 janvier 2022, la SA CIC EST a mis la société en demeure de payer la somme de 1 942,91 euros dans un délai de huit jours, sous peine de déchéance du terme du prêt, et lui a notifié la clôture de son compte courant professionnel débiteur de 4 540,68 euros à l'expiration d'un délai de 60 jours au 21 mars 2022.
Le prêt a été remboursé partiellement au moyen des indemnités perçues de la société d'assurance MAAF suite à l'incendie des locaux d'exploitation du fonds de commerce.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception en date du 10 mars 2022, la SA CIC EST a notifié à la société la déchéance du terme du contrat de prêt et a mis la société et Mme [Z] [W], en sa qualité de caution solidaire, en demeure de payer les sommes exigibles évaluées à hauteur de 77 709,99 euros.
Par jugement du 13 septembre 2022, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société. Par courrier recommandé en date du 27 septembre 2022, la SA CIC EST a déclaré sa créance à la procédure collective à hauteur de 78 303,60 euros, outre 3 915,18 euros à titre d'indemnité de recouvrement, au titre du prêt consenti le 2 juin 2018 modifié par avenants.
- o0o-
Par acte de commissaire de justice délivré le 7 juin 2022, la SA CIC EST a fait assigner Mme [Z] [W] devant le tribunal judiciaire d'Epinal afin de la voir condamnée à lui payer la somme de 57 600 euros en vertu de son engagement de caution solidaire.
La SA CIC EST a soutenu que l'admission de sa créance déclarée à la procédure collective postérieurement à l'assignation n'était pas une condition de recevabilité de l'action contre les coobligés, et qu'elle pouvait poursuivre et obtenir la condamnation de Mme [Z] [W] devant le juge du cautionnement en établissant l'existence et le montant de sa créance. Elle a retenu sur le fond que les époux [W] étaient propriétaires d'un bien immobilier d'une valeur nette de 24 000 euros (prix de 160 000 - 136 000 d'encours) et que M. [W] percevait un revenu mensuel de 3 000 euros, sans autre charge déclarée que le prêt immobilier, ajoutant que la valeur du patrimoine immobilier avait augmenté au jour de l'assignation.
Mme [Z] [W] a conclu à l'irrecevabilité des demandes de la SA CIC EST, à défaut de justifier de l'admissibilité de sa créance à la liquidation judiciaire de la société cautionnée, et subsidiairement, à l'inopposabilité de l'engagement de caution manifestement disproportionné à ses biens et revenus au jour de l'acte (étant sans revenus en 2018 et avec une part de patrimoine en communauté évaluée à 12 000 euros), et à défaut de patrimoine lui permettant d'y faire face au jour de l'assignation (la part de la valeur nette du bien immobilier détenu en communauté étant évaluée à 20 562 euros).
Par jugement en date du 13 juin 2024, le tribunal judiciaire d'Epinal a :
- déclaré recevable l'action de la SA CIC EST,
- débouté la SA CIC EST de ses demandes,
- condamné la SA CIC EST aux dépens,
- condamné la SA CIC EST à payer à Mme [Z] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision.
Le tribunal a retenu que ' si la décision du juge de la procédure collective, rendue dans les rapports entre le créancier et le débiteur principal, s'impose à la caution, le créancier peut poursuivre et obtenir la condamnation de la caution devant le juge du cautionnement avant toute déclaration ou, si la déclaration a été faite, avant toute admission, en établissant l'existence et le montant de sa créance selon les règles du droit commun '. Il a constaté que Mme [Z] [W] ne contestait ni le montant, ni l'existence de la créance déclarée par la SA CIC EST à la procédure collective de la société cautionnée après l'assignation.
Il a jugé qu'à la date de son engagement et selon les renseignements déclarés, Mme [Z] [W] ne percevait aucun revenu et que la part de la maison détenue en communauté avec son époux (bénéficiant de revenus mensuels de 3 000 euros) pouvait être évaluée à 12 000 euros, déterminant la disproportion de l'engagement de caution de 57 600 euros par rapport à ses biens et revenus. Il a constaté que la part de la maison détenue en communauté avec son époux pouvait être évaluée à 20 611,75 euros au jour de son assignation en paiement, de sorte que son patrimoine ne lui permettait pas à cette date de faire face à son engagement de caution.
- o0o-
Le 1er juillet 2024, la SA CIC EST a formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs contestés, hormis en ce qu'il a déclaré son action recevable.
Dans ses dernières conclusions transmises le 26 mars 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA CIC EST, appelante, demande à la cour sur le fondement des articles 1103, 1104, 1315 et 2288 du code civil :
- de déclarer son appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Epinal le 13 juin 2024 recevable et bien fondé,
- de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a déclaré recevable son action à l'encontre de Mme [Z] [W],
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
* l'a déboutée de ses demandes,
* l'a condamnée aux dépens,
* l'a condamnée à payer à Mme [Z] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de déclarer l'engagement de caution du 2 juin 2018 opposable à Mme [Z] [W], En conséquence,
- de déclarer son action bien fondée et de condamner Mme [Z] [W], en sa qualité de caution solidaire du prêt n° [XXXXXXXXXX02], à lui payer la somme de 57 600 euros, outre intérêts conventionnels à compter de la date du décompte et jusqu'à parfait règlement,
- de condamner dans tous les cas Mme [Z] [W] à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Mme [Z] [W] aux entiers dépens de première instance ainsi qu'aux dépens à hauteur de cour.
Au soutien de ses demandes, la SA CIC EST fait valoir en substance :
- que l'engagement de caution de Mme [Z] [W] n'était pas disproportionné à ses revenus et ses biens lors de son engagement ; que le tribunal a constaté que Mme [Z] [W] était sans revenus sans tenir compte du salaire mensuel de M. [C] [W] déclaré à hauteur de 3 000 euros (soit 36 000 euros par an), alors que les cautions constituées simultanément pour la garantie d'une même dette sont mariées sous le régime de la communauté, qui se trouve engagée au regard de l'ensemble des biens et revenus propres et communs, comprenant un patrimoine commun d'une valeur nette de 24 000 euros à cette date (après déduction de l'encours du prêt de financement) ; que la fiche de renseignements remplie et signée le 2 juin 2018 par les époux [W], qui ne contient aucune anomalie apparente, indique clairement le salaire mensuel de M. [W], sans indication qu'il s'agissait d'un prévisionnel de salaire qu'il allait tirer de l'exploitation de sa boulangerie ; qu'elle n'avait pas l'obligation de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement ; que le salaire indiqué correspondait à celui précisé dans le cadre de la souscription postérieure d'un crédit de restructuration accordé le 28 mai 2019 (soit 2 700 euros) ;
- que Mme [Z] [W] dispose d'un patrimoine lui permettant de faire face à son obligation de caution au moment où elle est appelée ; que le crédit immobilier a été remboursé sur une période supplémentaire de cinq ans, représentant une somme de plus de 40 000 euros en capital, intérêts et assurance, de sorte que la valeur nette de l'immeuble évaluée en 2018 à 160 000 euros s'est accrue (à hauteur de 64 000, soit 160 000-136 000-40 000) et permet de faire face à la créance résiduelle évaluée à hauteur de 77 868,70 euros.
Dans ses dernières conclusions transmises le 2 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [Z] [W], intimée, demande à la cour sur le fondement de l'article L. 332-1 du code de la consommation :
- de dire et juger que la SA CIC EST est mal fondée en son appel, et de l'en débouter,
- de dire et juger que l'engagement de caution qu'elle a régularisé le 2 juin 2018 est manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
- de dire et juger que son patrimoine au moment elle est appelée, ne lui permet pas de faire face à son obligation,
- de dire et juger l'engagement de caution du 2 juin 2018 inopposable à Mme [Z] [W],
En conséquence,
- de confirmer le jugement du 13 juin 2024 en toutes ses dispositions,
- de condamner la SA CIC EST à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles devant la cour sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la SA CIC EST aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Au soutien de ses demandes, Mme [Z] [W] fait valoir en substance :
- que la disproportion était apparente et flagrante au jour de la signature de l'engagement de caution ; qu'elle ne percevait aucun revenu au moment de l'engagement de caution tel que déclaré à la fiche patrimoniale en qualité de ' conjoint collaborateur '; que la banque ne pouvait ignorer que la rémunération envisagée par le gérant de la société, époux de Mme [Z] [W] et également caution solidaire, correspondait au prévisionnel de rémunération envisagé (en qualité ' d'artisan boulanger '), dans la mesure où le couple n'avait pas commencé son activité liée à l'acquisition du fonds de commerce, et que la banque avait nécessairement demandé aux époux de justifier de leurs revenus ; que le revenu annuel pour 2018 s'est élevé à 7 337 euros ; que dans le cadre de l'ouverture d'un compte courant près de deux mois avant l'acquisition du fonds de commerce, la banque leur avait demandé de fournir un prévisionnel des revenus tirés de l'activité à financer, de sorte qu'elle avait parfaitement conscience que le revenu de 3 000 euros était hypothétique ; que la banque connaissait leurs revenus réels au jour de l'acte, à savoir 611 euros par mois pour Mme [Z] [W] et 1 944 euros pour M. [C] [W] ;
- que chaque engagement de caution doit être examiné individuellement pour l'appréciation de la proportionnalité (devant faire face à un engagement de 57 600 euros avec une part nette de l'immeuble détenu en communauté de 12 000 euros), et que le 2 juin 2018, elle n'avait aucun revenu et était co-empruntrice d'un prêt immobilier de 150 000 euros présentant un capital restant du de 136 000 euros, de sorte que les revenus de M. [C] [W] devaient être affectés au paiement de toutes les charges ; que si la cour doit prendre en considération les revenus et biens de la communauté des époux, elle doit, dans ce cas, prendre en considération les engagements de caution du couple dans leur globalité, soit un engagement du couple à hauteur de 115 200 euros, M. et Mme [W] s'étant engagés à hauteur de 57 600 euros chacun ;
- que son patrimoine ne lui permettait pas de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée en qualité de caution le 7 juin 2022 et que la SA CIC EST ne produit aucun élément de nature à démontrer le contraire ; qu'elle ne percevait aucun revenu en l'absence d'activité de la société suite à l'incendie des locaux d'exploitation du fonds de commerce ; qu'ils ont été contraints de solliciter la suspension du remboursement du prêt immobilier à la suite de l'incendie de la boulangerie, et qu'ils restaient devoir au 1er juin 2022 la somme de 118 876,01 euros, déterminant une valeur nette de leur bien immobilier de 41 124 euros, et une part de communauté lui revenant de 20 562 euros.
- o0o-
La clôture de l'instruction a été prononcée le 4 juin 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Au préalable, il y a lieu de constater qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre du chef du jugement ayant déclaré recevable l'action de la SA CIC EST.
Sur la disproportion de l'engagement de caution
L'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, dispose ' qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. '
Il résulte de ce texte que la proportionnalité de l'engagement d'une caution s'apprécie soit, au moment de sa conclusion, soit, le cas échéant, lorsque la caution est appelée à exécuter son engagement.
Aussi, il appartient à la caution qui s'en prévaut de démontrer l'impossibilité manifeste de faire face à son engagement lors de sa conclusion, sans qu'il soit fait de distinction au regard de son caractère averti.
Mais c'est au créancier professionnel qui entend se prévaloir du cautionnement manifestement disproportionné lors de son engagement d'établir, qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de cette dernière lui permet de faire face à son obligation.
Toutefois, lorsque la caution a, lors de son engagement, déclaré des éléments sur sa situation financière ou patrimoniale à la banque, qui l'a interrogée, cette dernière peut, en l'absence d'anomalie apparente se fier à de tels éléments, et n'a pas à en vérifier l'exactitude, de sorte que la caution ne sera pas admise à établir devant le juge que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque, sauf à démontrer que la banque avait connaissance de l'existence de charges ou de dettes non déclarées.
Au préalable, il y a lieu de constater que Mme [Z] [W] a déclaré dans la fiche de renseignements patrimoniale remplie et signée le 2 juin 2018, qu'elle était mariée à M. [C] [W] sous le régime matrimonial correspondant au régime légal, de sorte qu'il convient de considérer que Mme [Z] [W] a engagé les revenus et biens de la communauté en vertu de son engagement de caution, également consenti par son époux en garantie de la même dette et dans le même acte, ceux-ci ayant au surplus rempli et signé cette même fiche de renseignements.
En effet, la disproportion des engagements d'une caution mariée sous le régime légal de la communauté doit s'apprécier tant au regard de l'ensemble de ses biens et revenus propres que des biens communs, incluant les revenus de son époux.
En l'espèce, il ressort de la fiche patrimoniale signée par Mme [Z] [W] et M. [C] [W] le 2 juin 2018, concomitamment à l'acte de cautionnement consenti dans la limite de 57 600 euros, que le couple a déclaré les éléments suivants concernant leur situation personnelle et financière :
- nature de l'activité de M. [C] [W] et date de début d'exercice : ' artisan boulanger', sans mention de la date de début d'exercice,
- nature de l'activité de Mme [Z] [W] et date de début d'exercice : ' conjoint collaborateur ', sans mention de la date de début d'exercice,
- salaire mensuel de M. [C] [W] : 3 000 euros,
- un enfant à charge,
- patrimoine immobilier composé d'une maison d'habitation acquise en 2013 au prix de 150 000 euros financé au moyen d'un prêt présentant un encours de 136 000 euros, et ayant une valeur estimée de 160 000 euros,
- prêts en cours : mensualités de 715 euros en remboursement du prêt destiné à l'acquisition de la maison d'habitation.
Or, la SA CIC EST n'avait pas l'obligation de vérifier l'exactitude des mentions déclarées sur la fiche patrimoniale en l'absence d'anomalie apparente l'affectant, et pouvait se fier aux éléments y figurant.
En effet, l'absence d'indication portée sur la fiche patrimoniale concernant la date de début d'exercice d'activité de la caution ne saurait caractériser une anomalie apparente qui devait amener la banque à ne pas se fier aux éléments de ressources déclarés au motif qu'ils pourraient correspondre aux revenus escomptés du prêt garanti.
Par ailleurs, si la banque doit tenir compte dans l'appréciation de la disproportion de l'engagement de caution de dettes ou de charges non déclarées dont elle aurait eu connaissance, en revanche, les cautions ne peuvent utilement reprocher à la banque une prétendue surévaluation de leurs revenus, tels que figurant dans leur déclaration manuscrite signée, certifiée exacte et sincère, sauf à se prévaloir de leur propre turpitude.
Au surplus, Mme [Z] [W] qui se prévaut des revenus réels du couple mentionnés à l'avis d'imposition 2019 sur les revenus 2018 ne disposait pas de cette pièce à la date de signature du cautionnement, étant ajouté qu'elle ne justifie pas des revenus du couple par la production de l'avis d'imposition 2017 sur les revenus 2016, seule pièce dont elle pouvait être en possession au jour du cautionnement.
Aussi, il résulte de l'examen de la fiche patrimoniale que le couple disposait d'un bien immobilier d'une valeur nette de 24 000 euros à la date de l'engagement de caution de Mme [Z] [W] couvrant 41,6% de la garantie consentie à hauteur de 57 600 euros, et que le remboursement du surplus (soit 33 600 euros) représentait 14,70 mois de revenu mensuel disponible du couple (2 285 euros).
Dans ces conditions, Mme [Z] [W] ne rapporte pas la preuve du caractère manifestement disproportionné de la somme garantie à hauteur de 57 600 euros avec la valeur des biens et revenus déclarés dans la fiche patrimoniale au jour de son engagement, de sorte que le cautionnement consenti le 2 juin 2018 est opposable à Mme [Z] [W].
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur le montant de la créance
La SA CIC EST sollicite la condamnation de Mme [Z] [W] à lui payer la somme de 57 600 euros, outre intérêts conventionnels à compter de la date du décompte et jusqu'à parfait règlement.
En l'espèce, il y a lieu de constater que la SA CIC EST a déclaré sa créance à la procédure collective de la société à hauteur de 78 303,60 euros, outre 3 915,18 euros à titre d'indemnité de recouvrement, au titre du prêt consenti le 2 juin 2018 modifié par avenants.
Par ailleurs, Mme [Z] [W] n'a formulé aucune observation sur le montant de la créance admise à la procédure collective de la société.
Aussi, Mme [Z] [W] est redevable de la créance garantie à hauteur de 57 600 euros incluant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités ou intérêts de retard.
Dans ces conditions, Mme [Z] [W] sera condamnée à payer à la SA CIC EST la somme de 57 600 euros, augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,10% l'an à compter du 29 avril 2022, date du décompte.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Mme [Z] [W] qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré dans la limite des chefs contestés et, statuant à nouveau,
DIT que l'engagement de caution de Mme [Z] [W] n'est pas manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus à la date de sa signature,
CONDAMNE Mme [Z] [W] à payer à la SA CIC EST la somme de 57 600 euros, augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,10 % l'an à compter du 29 avril 2022,
DEBOUTE Mme [Z] [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [Z] [W] au paiement des dépens,
Y ajoutant,
DEBOUTE Mme [Z] [W] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [Z] [W] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en dix pages.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /25 DU 25 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/01319 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FMKO
Décision déférée à la cour :
jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G. n° 22/01051, en date du 13 juin 2024,
APPELANTE :
La S.A. BANQUE CIC EST
société anonyme immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 754800712, dont le siège social est [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me David COLLOT de la SELARL LORRAINE DEFENSE & CONSEIL, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉE :
Madame [Z] [W]
née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 5] (88), domiciliée [Adresse 4]
Représentée par Me Laurence BOURDEAUX de la SCP BOURDEAUX-MARCHETTI, avocat au barreau d'EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Août 2025, en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 25 Septembre 2025, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
La SARL Au Moulin Gourmand a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la SA Banque CIC EST suivant convention signée le 25 avril 2018.
Par acte sous seing privé du 2 juin 2018, la SA Banque CIC EST (ci-après la SA CIC EST) a consenti à la SARL Au Moulin Gourmand (ci-après la société) un prêt professionnel d'un montant de 160 000 euros, destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie le 13 juin 2018, remboursable sur le durée de 84 mois après une période de franchise de 5 mois (prorogée par avenants des 17 mai 2019, 12 août 2020 et 13 avril 2021) au taux de 1,10 % l'an, en garantie duquel Mme [Z] [W] (épouse du gérant de la société, M. [C] [W], caution solidaire) s'est portée caution solidaire dans la limite de la somme de 57 600 euros incluant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 113 mois.
Les locaux de la boulangerie pâtisserie ont subi un incendie le 15 février 2021 ne permettant pas de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce, et le bailleur a procédé à la réfection des locaux à compter de janvier 2022.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception en date du 15 janvier 2022, la SA CIC EST a mis la société en demeure de payer la somme de 1 942,91 euros dans un délai de huit jours, sous peine de déchéance du terme du prêt, et lui a notifié la clôture de son compte courant professionnel débiteur de 4 540,68 euros à l'expiration d'un délai de 60 jours au 21 mars 2022.
Le prêt a été remboursé partiellement au moyen des indemnités perçues de la société d'assurance MAAF suite à l'incendie des locaux d'exploitation du fonds de commerce.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception en date du 10 mars 2022, la SA CIC EST a notifié à la société la déchéance du terme du contrat de prêt et a mis la société et Mme [Z] [W], en sa qualité de caution solidaire, en demeure de payer les sommes exigibles évaluées à hauteur de 77 709,99 euros.
Par jugement du 13 septembre 2022, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société. Par courrier recommandé en date du 27 septembre 2022, la SA CIC EST a déclaré sa créance à la procédure collective à hauteur de 78 303,60 euros, outre 3 915,18 euros à titre d'indemnité de recouvrement, au titre du prêt consenti le 2 juin 2018 modifié par avenants.
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Par acte de commissaire de justice délivré le 7 juin 2022, la SA CIC EST a fait assigner Mme [Z] [W] devant le tribunal judiciaire d'Epinal afin de la voir condamnée à lui payer la somme de 57 600 euros en vertu de son engagement de caution solidaire.
La SA CIC EST a soutenu que l'admission de sa créance déclarée à la procédure collective postérieurement à l'assignation n'était pas une condition de recevabilité de l'action contre les coobligés, et qu'elle pouvait poursuivre et obtenir la condamnation de Mme [Z] [W] devant le juge du cautionnement en établissant l'existence et le montant de sa créance. Elle a retenu sur le fond que les époux [W] étaient propriétaires d'un bien immobilier d'une valeur nette de 24 000 euros (prix de 160 000 - 136 000 d'encours) et que M. [W] percevait un revenu mensuel de 3 000 euros, sans autre charge déclarée que le prêt immobilier, ajoutant que la valeur du patrimoine immobilier avait augmenté au jour de l'assignation.
Mme [Z] [W] a conclu à l'irrecevabilité des demandes de la SA CIC EST, à défaut de justifier de l'admissibilité de sa créance à la liquidation judiciaire de la société cautionnée, et subsidiairement, à l'inopposabilité de l'engagement de caution manifestement disproportionné à ses biens et revenus au jour de l'acte (étant sans revenus en 2018 et avec une part de patrimoine en communauté évaluée à 12 000 euros), et à défaut de patrimoine lui permettant d'y faire face au jour de l'assignation (la part de la valeur nette du bien immobilier détenu en communauté étant évaluée à 20 562 euros).
Par jugement en date du 13 juin 2024, le tribunal judiciaire d'Epinal a :
- déclaré recevable l'action de la SA CIC EST,
- débouté la SA CIC EST de ses demandes,
- condamné la SA CIC EST aux dépens,
- condamné la SA CIC EST à payer à Mme [Z] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision.
Le tribunal a retenu que ' si la décision du juge de la procédure collective, rendue dans les rapports entre le créancier et le débiteur principal, s'impose à la caution, le créancier peut poursuivre et obtenir la condamnation de la caution devant le juge du cautionnement avant toute déclaration ou, si la déclaration a été faite, avant toute admission, en établissant l'existence et le montant de sa créance selon les règles du droit commun '. Il a constaté que Mme [Z] [W] ne contestait ni le montant, ni l'existence de la créance déclarée par la SA CIC EST à la procédure collective de la société cautionnée après l'assignation.
Il a jugé qu'à la date de son engagement et selon les renseignements déclarés, Mme [Z] [W] ne percevait aucun revenu et que la part de la maison détenue en communauté avec son époux (bénéficiant de revenus mensuels de 3 000 euros) pouvait être évaluée à 12 000 euros, déterminant la disproportion de l'engagement de caution de 57 600 euros par rapport à ses biens et revenus. Il a constaté que la part de la maison détenue en communauté avec son époux pouvait être évaluée à 20 611,75 euros au jour de son assignation en paiement, de sorte que son patrimoine ne lui permettait pas à cette date de faire face à son engagement de caution.
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Le 1er juillet 2024, la SA CIC EST a formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs contestés, hormis en ce qu'il a déclaré son action recevable.
Dans ses dernières conclusions transmises le 26 mars 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA CIC EST, appelante, demande à la cour sur le fondement des articles 1103, 1104, 1315 et 2288 du code civil :
- de déclarer son appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Epinal le 13 juin 2024 recevable et bien fondé,
- de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a déclaré recevable son action à l'encontre de Mme [Z] [W],
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
* l'a déboutée de ses demandes,
* l'a condamnée aux dépens,
* l'a condamnée à payer à Mme [Z] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de déclarer l'engagement de caution du 2 juin 2018 opposable à Mme [Z] [W], En conséquence,
- de déclarer son action bien fondée et de condamner Mme [Z] [W], en sa qualité de caution solidaire du prêt n° [XXXXXXXXXX02], à lui payer la somme de 57 600 euros, outre intérêts conventionnels à compter de la date du décompte et jusqu'à parfait règlement,
- de condamner dans tous les cas Mme [Z] [W] à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Mme [Z] [W] aux entiers dépens de première instance ainsi qu'aux dépens à hauteur de cour.
Au soutien de ses demandes, la SA CIC EST fait valoir en substance :
- que l'engagement de caution de Mme [Z] [W] n'était pas disproportionné à ses revenus et ses biens lors de son engagement ; que le tribunal a constaté que Mme [Z] [W] était sans revenus sans tenir compte du salaire mensuel de M. [C] [W] déclaré à hauteur de 3 000 euros (soit 36 000 euros par an), alors que les cautions constituées simultanément pour la garantie d'une même dette sont mariées sous le régime de la communauté, qui se trouve engagée au regard de l'ensemble des biens et revenus propres et communs, comprenant un patrimoine commun d'une valeur nette de 24 000 euros à cette date (après déduction de l'encours du prêt de financement) ; que la fiche de renseignements remplie et signée le 2 juin 2018 par les époux [W], qui ne contient aucune anomalie apparente, indique clairement le salaire mensuel de M. [W], sans indication qu'il s'agissait d'un prévisionnel de salaire qu'il allait tirer de l'exploitation de sa boulangerie ; qu'elle n'avait pas l'obligation de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement ; que le salaire indiqué correspondait à celui précisé dans le cadre de la souscription postérieure d'un crédit de restructuration accordé le 28 mai 2019 (soit 2 700 euros) ;
- que Mme [Z] [W] dispose d'un patrimoine lui permettant de faire face à son obligation de caution au moment où elle est appelée ; que le crédit immobilier a été remboursé sur une période supplémentaire de cinq ans, représentant une somme de plus de 40 000 euros en capital, intérêts et assurance, de sorte que la valeur nette de l'immeuble évaluée en 2018 à 160 000 euros s'est accrue (à hauteur de 64 000, soit 160 000-136 000-40 000) et permet de faire face à la créance résiduelle évaluée à hauteur de 77 868,70 euros.
Dans ses dernières conclusions transmises le 2 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [Z] [W], intimée, demande à la cour sur le fondement de l'article L. 332-1 du code de la consommation :
- de dire et juger que la SA CIC EST est mal fondée en son appel, et de l'en débouter,
- de dire et juger que l'engagement de caution qu'elle a régularisé le 2 juin 2018 est manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
- de dire et juger que son patrimoine au moment elle est appelée, ne lui permet pas de faire face à son obligation,
- de dire et juger l'engagement de caution du 2 juin 2018 inopposable à Mme [Z] [W],
En conséquence,
- de confirmer le jugement du 13 juin 2024 en toutes ses dispositions,
- de condamner la SA CIC EST à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles devant la cour sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la SA CIC EST aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Au soutien de ses demandes, Mme [Z] [W] fait valoir en substance :
- que la disproportion était apparente et flagrante au jour de la signature de l'engagement de caution ; qu'elle ne percevait aucun revenu au moment de l'engagement de caution tel que déclaré à la fiche patrimoniale en qualité de ' conjoint collaborateur '; que la banque ne pouvait ignorer que la rémunération envisagée par le gérant de la société, époux de Mme [Z] [W] et également caution solidaire, correspondait au prévisionnel de rémunération envisagé (en qualité ' d'artisan boulanger '), dans la mesure où le couple n'avait pas commencé son activité liée à l'acquisition du fonds de commerce, et que la banque avait nécessairement demandé aux époux de justifier de leurs revenus ; que le revenu annuel pour 2018 s'est élevé à 7 337 euros ; que dans le cadre de l'ouverture d'un compte courant près de deux mois avant l'acquisition du fonds de commerce, la banque leur avait demandé de fournir un prévisionnel des revenus tirés de l'activité à financer, de sorte qu'elle avait parfaitement conscience que le revenu de 3 000 euros était hypothétique ; que la banque connaissait leurs revenus réels au jour de l'acte, à savoir 611 euros par mois pour Mme [Z] [W] et 1 944 euros pour M. [C] [W] ;
- que chaque engagement de caution doit être examiné individuellement pour l'appréciation de la proportionnalité (devant faire face à un engagement de 57 600 euros avec une part nette de l'immeuble détenu en communauté de 12 000 euros), et que le 2 juin 2018, elle n'avait aucun revenu et était co-empruntrice d'un prêt immobilier de 150 000 euros présentant un capital restant du de 136 000 euros, de sorte que les revenus de M. [C] [W] devaient être affectés au paiement de toutes les charges ; que si la cour doit prendre en considération les revenus et biens de la communauté des époux, elle doit, dans ce cas, prendre en considération les engagements de caution du couple dans leur globalité, soit un engagement du couple à hauteur de 115 200 euros, M. et Mme [W] s'étant engagés à hauteur de 57 600 euros chacun ;
- que son patrimoine ne lui permettait pas de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée en qualité de caution le 7 juin 2022 et que la SA CIC EST ne produit aucun élément de nature à démontrer le contraire ; qu'elle ne percevait aucun revenu en l'absence d'activité de la société suite à l'incendie des locaux d'exploitation du fonds de commerce ; qu'ils ont été contraints de solliciter la suspension du remboursement du prêt immobilier à la suite de l'incendie de la boulangerie, et qu'ils restaient devoir au 1er juin 2022 la somme de 118 876,01 euros, déterminant une valeur nette de leur bien immobilier de 41 124 euros, et une part de communauté lui revenant de 20 562 euros.
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La clôture de l'instruction a été prononcée le 4 juin 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Au préalable, il y a lieu de constater qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre du chef du jugement ayant déclaré recevable l'action de la SA CIC EST.
Sur la disproportion de l'engagement de caution
L'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, dispose ' qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. '
Il résulte de ce texte que la proportionnalité de l'engagement d'une caution s'apprécie soit, au moment de sa conclusion, soit, le cas échéant, lorsque la caution est appelée à exécuter son engagement.
Aussi, il appartient à la caution qui s'en prévaut de démontrer l'impossibilité manifeste de faire face à son engagement lors de sa conclusion, sans qu'il soit fait de distinction au regard de son caractère averti.
Mais c'est au créancier professionnel qui entend se prévaloir du cautionnement manifestement disproportionné lors de son engagement d'établir, qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de cette dernière lui permet de faire face à son obligation.
Toutefois, lorsque la caution a, lors de son engagement, déclaré des éléments sur sa situation financière ou patrimoniale à la banque, qui l'a interrogée, cette dernière peut, en l'absence d'anomalie apparente se fier à de tels éléments, et n'a pas à en vérifier l'exactitude, de sorte que la caution ne sera pas admise à établir devant le juge que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque, sauf à démontrer que la banque avait connaissance de l'existence de charges ou de dettes non déclarées.
Au préalable, il y a lieu de constater que Mme [Z] [W] a déclaré dans la fiche de renseignements patrimoniale remplie et signée le 2 juin 2018, qu'elle était mariée à M. [C] [W] sous le régime matrimonial correspondant au régime légal, de sorte qu'il convient de considérer que Mme [Z] [W] a engagé les revenus et biens de la communauté en vertu de son engagement de caution, également consenti par son époux en garantie de la même dette et dans le même acte, ceux-ci ayant au surplus rempli et signé cette même fiche de renseignements.
En effet, la disproportion des engagements d'une caution mariée sous le régime légal de la communauté doit s'apprécier tant au regard de l'ensemble de ses biens et revenus propres que des biens communs, incluant les revenus de son époux.
En l'espèce, il ressort de la fiche patrimoniale signée par Mme [Z] [W] et M. [C] [W] le 2 juin 2018, concomitamment à l'acte de cautionnement consenti dans la limite de 57 600 euros, que le couple a déclaré les éléments suivants concernant leur situation personnelle et financière :
- nature de l'activité de M. [C] [W] et date de début d'exercice : ' artisan boulanger', sans mention de la date de début d'exercice,
- nature de l'activité de Mme [Z] [W] et date de début d'exercice : ' conjoint collaborateur ', sans mention de la date de début d'exercice,
- salaire mensuel de M. [C] [W] : 3 000 euros,
- un enfant à charge,
- patrimoine immobilier composé d'une maison d'habitation acquise en 2013 au prix de 150 000 euros financé au moyen d'un prêt présentant un encours de 136 000 euros, et ayant une valeur estimée de 160 000 euros,
- prêts en cours : mensualités de 715 euros en remboursement du prêt destiné à l'acquisition de la maison d'habitation.
Or, la SA CIC EST n'avait pas l'obligation de vérifier l'exactitude des mentions déclarées sur la fiche patrimoniale en l'absence d'anomalie apparente l'affectant, et pouvait se fier aux éléments y figurant.
En effet, l'absence d'indication portée sur la fiche patrimoniale concernant la date de début d'exercice d'activité de la caution ne saurait caractériser une anomalie apparente qui devait amener la banque à ne pas se fier aux éléments de ressources déclarés au motif qu'ils pourraient correspondre aux revenus escomptés du prêt garanti.
Par ailleurs, si la banque doit tenir compte dans l'appréciation de la disproportion de l'engagement de caution de dettes ou de charges non déclarées dont elle aurait eu connaissance, en revanche, les cautions ne peuvent utilement reprocher à la banque une prétendue surévaluation de leurs revenus, tels que figurant dans leur déclaration manuscrite signée, certifiée exacte et sincère, sauf à se prévaloir de leur propre turpitude.
Au surplus, Mme [Z] [W] qui se prévaut des revenus réels du couple mentionnés à l'avis d'imposition 2019 sur les revenus 2018 ne disposait pas de cette pièce à la date de signature du cautionnement, étant ajouté qu'elle ne justifie pas des revenus du couple par la production de l'avis d'imposition 2017 sur les revenus 2016, seule pièce dont elle pouvait être en possession au jour du cautionnement.
Aussi, il résulte de l'examen de la fiche patrimoniale que le couple disposait d'un bien immobilier d'une valeur nette de 24 000 euros à la date de l'engagement de caution de Mme [Z] [W] couvrant 41,6% de la garantie consentie à hauteur de 57 600 euros, et que le remboursement du surplus (soit 33 600 euros) représentait 14,70 mois de revenu mensuel disponible du couple (2 285 euros).
Dans ces conditions, Mme [Z] [W] ne rapporte pas la preuve du caractère manifestement disproportionné de la somme garantie à hauteur de 57 600 euros avec la valeur des biens et revenus déclarés dans la fiche patrimoniale au jour de son engagement, de sorte que le cautionnement consenti le 2 juin 2018 est opposable à Mme [Z] [W].
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur le montant de la créance
La SA CIC EST sollicite la condamnation de Mme [Z] [W] à lui payer la somme de 57 600 euros, outre intérêts conventionnels à compter de la date du décompte et jusqu'à parfait règlement.
En l'espèce, il y a lieu de constater que la SA CIC EST a déclaré sa créance à la procédure collective de la société à hauteur de 78 303,60 euros, outre 3 915,18 euros à titre d'indemnité de recouvrement, au titre du prêt consenti le 2 juin 2018 modifié par avenants.
Par ailleurs, Mme [Z] [W] n'a formulé aucune observation sur le montant de la créance admise à la procédure collective de la société.
Aussi, Mme [Z] [W] est redevable de la créance garantie à hauteur de 57 600 euros incluant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités ou intérêts de retard.
Dans ces conditions, Mme [Z] [W] sera condamnée à payer à la SA CIC EST la somme de 57 600 euros, augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,10% l'an à compter du 29 avril 2022, date du décompte.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Mme [Z] [W] qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré dans la limite des chefs contestés et, statuant à nouveau,
DIT que l'engagement de caution de Mme [Z] [W] n'est pas manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus à la date de sa signature,
CONDAMNE Mme [Z] [W] à payer à la SA CIC EST la somme de 57 600 euros, augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,10 % l'an à compter du 29 avril 2022,
DEBOUTE Mme [Z] [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [Z] [W] au paiement des dépens,
Y ajoutant,
DEBOUTE Mme [Z] [W] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [Z] [W] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en dix pages.