CA Lyon, ch. soc. a, 24 septembre 2025, n° 22/01116
LYON
Arrêt
Autre
AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 22/01116 - N° Portalis DBVX-V-B7G-ODRN
[G]
C/
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE
S.A.S. ZELDIS
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 06 Janvier 2022
RG : 20/00032
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2025
APPELANT :
[W] [G]
né le 29 Janvier 1985 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Raouda HATHROUBI, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE
RCS DE [Localité 10] N°428 268 023
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Yann BOISADAM de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
Société ZELDIS
RCS DE [Localité 9] N° 822 075 909
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Céline POMMIER de la SELARL DUMONT CONSEIL, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Catherine MAILHES, Présidente
Françoise CARRIER, conseillère honoraire, exerçant des fonctions juridictionnelles
Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller
Assistés pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 Septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Distribution Casino France (ci-après la société Casino) a pour activité principale l'exploitation hypermarchés, supermarchés et magasins.
La société Zeldis, quant à elle, gère, dans le cadre d'une location-gérance, un fonds de commerce loué par la société Distribution Casino France.
Les salariés de ces deux sociétés bénéficient des dispositions de la convention collective du commerce de détail de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.
M. [G] (ci-après le salarié) a été embauché le 12 décembre 2010 en qualité d'employé commercial confirmé, niveau 2, échelon à, à effet du 13 décembre 2010, par la société Distribution Casino France.
Le 1er juillet 2012, il a été promu au poste de manager commercial produit frais, position agent de maîtrise, niveau 5, qu'il exerçait en dernier lieu au sein du supermarché de [Localité 11] Perralière (69).
Le 22 août 2015, un incident l'a opposé à son supérieur hiérarchique.
Le salarié a été placé en arrêt maladie à compter du 24 août 2015, qui a été successivement prolongé jusqu'au terme du contrat.
Le 9 mai 2016, M. [G] a adressé un courrier à l'employeur lui exposant divers griefs concernant l'exécution du contrat de travail. Il se plaignait en particulier d'une surcharge de travail le contraignant à de grandes amplitudes horaires depuis avril 2015 en raison de l'adjonction à son poste de nouvelles responsabilités et une absence de soutien et de considération de sa hiérarchie ayant abouti à l'incident du 22 août, cette situation étant à l'origine de l'altération de son état de santé et de son arrêt de travail.
Par courrier du 18 août 2016, la société Distribution Casino France l'a informé du transfert de son contrat de travail à la société Zeldis en application de l'article L. 1224 - 1 du code du travail, le supermarché Casino de [Localité 11] Perralière passant en location-gérance, avec effet au 30 août 2016.
Lors de la visite de reprise du 6 mars 2017, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié en ces termes : " l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise ".
M. [G] a été convoqué à un entretien préalable le 30 mars 2017, en vue d'un éventuel licenciement. Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 avril 2017, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Préalablement à son licenciement, par requête enregistrée le 30 novembre 2016, M. [G] avait saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 9] aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, et de voir condamner celui-ci à lui payer un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires (18'240 €, sauf à parfaire, outre 1824 € au titre des congés payés afférents), un rappel de complément de salaire (5000 €), une indemnité compensatrice de préavis (4801,38 euros, outre 480,13 € au titre des congés payés afférents), une indemnité de licenciement (2880,82 €), des dommages et intérêts pour mauvaise exécution du contrat de travail (15'000 €), des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (30'000 €), une indemnité de procédure (2000 €), les dépens et l'exécution provisoire de la décision.
L'affaire, radiée le 30 septembre 2019, a été ré-enrôlée le 3 janvier 2020 et plaidée à l'audience du bureau de jugement du 22 février 2021. Par procès-verbal en date du 26 avril 2021, les conseillers se sont déclarés en partage de voix, et les parties ont été convoquées à l'audience de départage du 16 novembre 2021.
Par jugement du 6 janvier 2022, le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Lyon, statuant seule après avoir recueilli l'avis des conseillers présents, a :
- Rejeté les demandes formées par M. [G] tendant à constater l'existence d'un harcèlement moral, ou à tout le moins, un manquement à l'obligation de sécurité, à constater un manquement à l'obligation de payer le salaire et d'information sur la portabilité des droits et à déclarer non causé le licenciement intervenu ;
- Dit que la société Distribution Casino France avait commis un manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail conclu avec M. [G] ;
- Condamné la société Distribution Casino France à payer à M. [G] la somme de 2000 € à titre d'indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
- Condamné la société Distribution Casino France à verser à M. [G] la somme de 1600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté les demandes de la société Distribution Casino France et de la société Zeldis sur ce fondement ;
- Débouté les parties de plus amples demandes contraires au présent dispositif ;
- Condamné la société Distribution Casino France aux dépens de l'après et présente instance ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 7 février 2022, M. [G] a interjeté appel de ce jugement et sollicité son infirmation
en ce qu'il a dit :
- que le licenciement était motivé par une cause réelle et sérieuse,
- que l'obligation de sécurité avait été respectée,
- qu'il n'était pas victime de harcèlement moral,
en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et a dit que la convention de forfait était régulière,
en ce qu'il l'a débouté de sa demande de complément de salaire,
en ce qu'il a condamné la société Zeldis à la somme de 2000 € au titre de la mauvaise exécution du contrat de travail.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 6 mai 2022, M. [G] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- prononcer la nullité de la convention de forfait ;
- condamner la société Distribution Casino France à lui payer les sommes suivantes :
8705,99 € de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, outre 870,59 € de congés payés afférents ;
6805,71 € de rappel de salaire au titre des règlements de complément de salaire;
15 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou à tout le moins mauvaise exécution du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité par la société Distribution Casino France ;
- condamner la société Zeldis à lui payer la somme de 2000 € à titre de dommages et intérêts pour défaut d'information sur la portabilité ;
- dire que le licenciement prononcé par la société Zeldis à son encontre sans cause réelle et sérieuse ;
- dire que le licenciement prononcé à son encontre par la société Distribution Casino France (sic) est sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner à titre principal la société Distribution Casino France au paiement des sommes suivantes :
5304,48 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 530,44 € au titre des congés payés afférents ;
30 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- condamner à titre subsidiaire la société Zeldis au paiement des sommes suivantes :
5304,48 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 530,44 € au titre des congés payés afférents ;
30 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
condamner la société Distribution Casino France, la société Zeldis, ou qui de mieux devra au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 août 2022, la société Distribution Casino France demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 2000€ à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et à la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes ;
- subsidiairement, en cas d'annulation de la convention de forfait en heures, condamner M. [G] à rembourser, sur la période considérée, les jours de repos qui lui ont été accordés en exécution de ladite convention ;
- condamner M. [G] un au paiement de la somme de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et ce, tant au titre de la présente que de la première instance, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 2 août 2022, la société Zeldis demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [G] de l'ensemble des demandes formées à son encontre,
- débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [G] aux dépens.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir 'constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.
I.A - Sur les demandes d'annulation de la convention de forfait et de rappel d'heures supplémentaires.
Au soutien de sa demande d'annulation de la convention de forfait à laquelle il était soumis, le salarié fait valoir les éléments suivants :
- Dans la mesure où il n'avait pas le statut de cadre, il ne pouvait se voir imposer une telle convention de forfait en heures ;
- Depuis le 1er décembre 2013, sa rémunération était inférieure au minimum légal, c'est-à-dire à la rémunération applicable dans l'entreprise augmentée des majorations prévues par les heures supplémentaires ; en effet, étant agent de maîtrise classification 5, effectuant 174 heures mensuelles, la rémunération minimale mensuelle s'élevait à 2 084,67 euros (salaire minimum applicable : 1760,67 euros + 22,33 heures supplémentaires par mois); qu'il a en réalité perçu une rémunération de 1 959,75 euros au titre du forfait heures;
- Il conteste le calcul réalisé par la société Casino et relève que la convention collective prévoit que le fait d'appliquer un forfait heures à un salarié est conditionné au paiement du minimum majoré des heures supplémentaires ; que, dans ces conditions, il ne peut être considéré que la condition de rémunération est remplie en tenant compte uniquement du taux horaire minimum conventionnel.
En conséquence de la nullité de la convention de forfait en heures, le salarié, qui indique avoir travaillé a minima 174 heures par mois, sollicite le paiement des heures supplémentaires correspondant à la différence avec le régime légal. En outre, il fait sommation à l'employeur de lui communiquer ses relevés d'heures en indiquant qu'il travaillait plus de 50 heures par semaine en moyenne, notamment dans le cadre de permanences. Il sollicite pour chaque mois travaillé des rappels de salaires correspondant aux 7,67 heures supplémentaires outrepassant les 22,33 habituellement réalisées.
Pour sa part, la société Casino soutient la validité de la convention de forfait du salarié, signée et acceptée par le salarié, en faisant valoir les éléments suivants :
- L'article L. 3121-56 du code du travail ne limite pas le bénéfice de ce dispositif aux seuls cadres, le critère essentiel étant celui de l'autonomie dans l'organisation de l'emploi du temps; que tel était le cas pour l'intéressé, l'article 4 de l'avenant à son contrat de travail qui établit la convention de forfait en heures rappelant les " variations aléatoires et imprévisibles " ainsi que la " relative liberté " dont il bénéficie dans l'organisation de son emploi du temps ;
- Le temps de travail de l'intéressé se décomposait de la manière suivante :
35 heures correspondant à la durée légale ;
3 heures supplémentaires majorées à 25 %, soit 38 heures de travail effectif ;
2 heures de temps de pause, prévues à l'article 5.4 de la convention collective, soit un total de 40 heures de temps de présence mais 38 heures de travail effectif ;
3h44 d'heures supplémentaires, lesquelles, en application de l'accord d'entreprise, n'étaient pas majorées mais donnaient lieu à 19 jours de RTT en compensation.
Dès lors, les 174 heures mensuelles mentionnées sur les bulletins de salaires de l'intéressé correspondent à son temps de présence hebdomadaire de 43h44, dont 41h44 de temps de travail effectif.
- En conséquence, les calculs de M. [D] quant à sa rémunération sont erronés à un double titre :
Il ne déduit pas de ses 174 heures mensuelles, qui correspondent uniquement à un temps de présence, ses temps de pause, à hauteur de 8,66 heures mensuelles ;
Seules les 3 premières heures supplémentaires devaient donner lieu à majoration, les 3 autres ayant été compensées par des jours de repos, en application de l'accord d'entreprise " Ombrelle ".
A titre subsidiaire, la société Casino fait valoir les observations suivantes sur la demande d'heures supplémentaires :
- Le salarié ne précise pas la période concernée par sa demande d'heures supplémentaires ;
- Il ne peut être retenu que le salarié a travaillé a minima 174 heures mensuelles dans la mesure où cette durée comprend 8,66 heures de pause ;
- Le salarié ne justifie pas de calcul correspondant au-delà de son forfait de 41h44 ;
- Le salarié ne produit aucun élément précis justifiant des heures supplémentaires invoquées ;
- La Cour de cassation (Cass Soc 16 juin 2021, n°20-13.109, n°20-15.829) a retenu qu'en cas d'inopposabilité d'une convention de forfait en jours, il convient de rechercher si la rémunération contractuelle versée par l'employeur en exécution du forfait irrégulier n'a pas pour effet d'opérer paiement, fût-ce partiellement, des heures accomplies au-delà de la 35ème heure dans le cadre du décompte de droit commun de la durée du travail ; or, en l'espèce, le salarié a perçu mensuellement 292,90 euros en plus du minimum conventionnel qu'il aurait dû percevoir pour 35 heures hebdomadaires travaillées, ce qui a eu pour effet d'opérer paiement des heures accomplies au-delà de la 35ème heure dans le cadre d'un décompte de droit commun de la durée du travail.
- Si la cour venait à annuler la convention de forfait, elle devrait alors ordonner le remboursement par le salarié des jours de repos dont il a bénéficié en application de ladite convention de forfait, c'est-à-dire 30 jours de repos pour les trois dernières années de la relation contractuelle.
Sur ce,
L'article L.3121-56 du code du travail dispose notamment que peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l'année dans la limite du nombre d'heures fixé par l'accord collectif, les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.
En l'espèce, l'article 4 de l'avenant au contrat de travail stipule qu'en sa qualité d'agent de maîtrise et compte-tenu des variations aléatoires et imprévisibles ainsi que de la relative liberté dont disposait le salarié dans l'organisation de son emploi du temps, il relèverait, pour le calcul de son temps de travail, du forfait hebdomadaire en heures prévu par l'accord de substitution et avenant du 19 avril 2001 à l'accord " Ombrelle " du 17 juin 1999 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, à charge pour lui de s'organiser pour ne pas dépasser le forfait.
M. [G] ne conteste pas avoir bénéficié d'une réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps. Il en résulte que, conformément à l'article L.3121-56, il était éligible au forfait annuel en heures et qu'il n'est pas fondé à prétendre à nullité de la convention de forfait au motif qu'il n'avait pas le statut de cadre.
L'article L.3121-57 du code du travail dispose que la rémunération du salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée, le cas échéant, si le forfait inclut des heures supplémentaires, des majorations prévues par la loi.
Selon la convention " Ombrelle " visée au contrat de travail, le forfait horaire est fixé à 40 heures par semaines dont 3 heures supplémentaires avec la bonification à 25% soit 38 heures de temps de travail effectif et 2 heures de temps de pause.
S'agissant des agents de maîtrise travaillant en magasins, la durée de travail effectif est portée à 41h44 centièmes ce qui correspond à un horaire journalier moyen de 8h28 centièmes. Les heures comprises entre 41h44 centièmes et 38h, soit 3h44 centièmes génèrent sur les 45,8 semaines travaillées annuellement 19 jours de repos.
Les bulletins de paie de M. [G] mentionnent " un horaire mensuel payé " de 174 heures. Cet horaire inclut les 2 heures de temps de pause hebdomadaire, soit 8,66 heures mensuelles, qui, si elles sont payées, ne constituent pas du temps de travail.
Il en résulte que l'horaire contractuel de M. [G] était, conformément à la convention collective, de 38 heures dont 3 heures supplémentaires.
C'est dès lors par une exacte analyse des minima en vigueur au cours des trois dernières années que le premier juge a retenu que la rémunération du salarié incluant ces trois heures supplémentaires n'était pas inférieure au minimum conventionnel et qu'il a débouté M. [G] de sa demande de nullité de la convention de forfait en heures.
La salarié reste néanmoins fondé à solliciter le paiement d'heures supplémentaires effectuées au-delà de son forfait.
Selon l'article L.3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par son salarié. Et, au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties, il appartient au salarié de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre ensuite à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l'espèce, M. [G] sollicite le paiement au taux de 11,60 € majoré de 25% de 30h supplémentaires mensuelles sur une période de 20 mois non située dans le temps.
Au soutien de cette demande, il présente les éléments suivants :
- une série de relevés d'heures effectuées aux mois d'avril, mai, juin, juillet et août 2015 faisant apparaître certaines semaines de plus de 45 et parfois de 50 heures,
- des relevés de permanences faisant apparaître qu'il assurait régulièrement la responsabilité du magasin de [Localité 11], de l'ouverture à la fermeture.
Ces éléments sont suffisamment précis et permettaient à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Or la société Casino ne produit aucun élément relatif à la durée du temps de travail réalisé par le salarié pendant la période considérée.
Son forfait étant valable, M. [G] a été rempli de ses droits s'agissant des trois heures supplémentaires hebdomadaires prévues à cette convention. Il ne prétend pas ne pas avoir pu bénéficier de ses temps de pause de sorte que ceux-ci ne sauraient lui ouvrir droit à rémunération majorée.
Toutefois, les pièces produites par le salarié permettent à la cour de retenir l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées au cours de la période d'avril à août 2015 dont la cour évalue la rémunération à la somme de 2 300 € outre 230 € au titre des congés payés afférents.
I.B - Sur les demandes de rappels de salaire au titre des indemnités journalières de la sécurité sociale et compléments de salaire
Au visa de l'article 4 de l'annexe II de la convention collective applicable, et des stipulations du contrat de prévoyance entreprise, le salarié soutient qu'il aurait dû bénéficier du maintien de salaire au cours de son arrêt maladie, à 100% pendant les 60 premiers jours soit du 24 août au 24 octobre 2015 et à 80% pendant les 120 jours suivants soit jusqu'au 25 février 2016, ce sur la base d'une rémunération mensuelle brute de 2 652,24 €.
L'employeur fait valoir que deux raisons s'opposent aux demandes du salarié :
- Le montant du salaire à maintenir était de 1 959,75 euros et non de 2 652,24 euros comme le soutient le salarié ;
- Les bulletins de salaires produits démontrent que le complément de salaire a bien été versé sur la base de 180 jours calendaires, comme le prévoit l'accord d'entreprise.
Sur ce,
Les dispositions légales en matière de maintien du salaire en cas d'accident ou de maladie ne sont applicables qu'en l'absence de dispositions conventionnelles ou contractuelles plus favorables.
Il en résulte qu'en présence d'une convention ou d'un accord plus favorable, c'est cette convention ou cet accord seul qui s'applique et le salarié ne peut pas prétendre être indemnisé pendant la durée cumulée du délai légal et du délai conventionnel.
En l'espèce, la convention applicable est l'annexe 9 de l'accord d'entreprise CASINO du 19 décembre 1996 qui dispose qu'en cas d'absence de plus de 23 jours, le délai de carence de 2 jours n'est pas maintenu et que le calcul du complément de salaire est effectué de manière à assurer aux salariés le maintien de leur salaire sur la base de la rémunération effective des trois derniers mois précédant l'événement, ce pendant 180 jours pour les agents de maîtrise ayant entre 1 et 10 ans d'ancienneté.
Il en résulte que l'employeur avait l'obligation de maintenir le salaire de M. [G] pendant 180 jours calendaires soit du 24 août au 11 novembre inclus.
Pour estimer cette somme insuffisante, M. [G] se prévaut d'un salaire mensuel de 2 652,24 € dont il n'explicite pas le montant et qui ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats.
Il ressort de ses bulletins de paie des mois de septembre 2015 à février 2016 que M. [G] a perçu au titre du complément maladie la somme de 3 876,58 €. Il justifie par un relevé de la CPAM que les indemnités journalières pour maladie se sont établies pour cette période à 7 149,60 € à raison de 39,72 € par jour.
Les indemnités journalières représentant 50% du salaire journalier de base, M. [G] aurait dû percevoir un complément du même montant.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande de rappel de complément de salaire à hauteur de la somme de 7 140,60 € - 3 876,58 € = 3 264,02 €.
I.C - Sur la demande au titre du harcèlement moral, et la demande subsidiaire au titre de la mauvaise exécution du contrat de travail.
M. [G] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral, ou caractérisant, à défaut, un manquement de l'employeur à ses obligations d'exécution loyale du contrat de travail et de sécurité, et fait valoir les éléments suivants :
- Alors qu'il a toujours été particulièrement investi et n'avait pas rencontré de difficultés dans l'exercice de son travail jusqu'en 2015, il a dû travailler dans des conditions de plus en plus difficiles en raison de la réduction des effectifs à compter de 2015,
- A compter d'avril 2015, il s'est vu imposer de nouvelles " UE " par la nouvelle directrice du magasin, sans effectif complémentaire alors que ceux dont il disposait étaient insuffisants; il a alors été submergé de travail, effectuant des amplitudes horaires avoisinant souvent les 50 heures, voire davantage. Il a dû travailler en boulangerie pour pallier l'absence du boulanger qui n'avait été remplacé que partiellement.
- Lorsqu'il a alerté la directrice du magasin, demandé de l'aide ou à être partiellement déchargé, celle-ci lui a opposé une fin de non-recevoir ; il a également fait l'objet de reproches injustifiés et propos vexatoires devant témoins.
- Cette surcharge de travail a engendré un non-respect répétitif des temps de repos quotidien et hebdomadaire, et, in fine, une fatigue physique insupportable.
- [Localité 8] août 2015, il a été victime d'une altercation avec la directrice, devant témoins, qui l'a choqué.
- Ces raisons l'ont conduit à être placé en arrêt de travail pour dépression.
- Les 4,5 jours de repos hebdomadaire accumulés au cours des trois dernières années et qu'il n'a jamais pu poser devaient lui être payés en septembre, mais cela n'a pas été le cas.
- Il s'est présenté au magasin début janvier afin de percevoir sa carte cadeau de fin d'année du CE, et il lui a été répondu qu'il n'y avait pas droit étant donné son absence depuis plus de 3 mois.
Pour sa part, la société Casino conteste tout harcèlement moral et tout manquement à ses obligations, et fait valoir les éléments suivants :
- L'effectif du magasin n'a subi aucune baisse significative entre les mois de janvier et décembre 2015, l'équipe ayant au contraire été renforcée par l'arrivée de deux collaborateurs
- Après qu'elle lui a fait part de ses réserves, la CPAM a refusé de reconnaître l'incident du 22 août 2015 comme un accident travail, ce que soutenait le salarié. En effet, l'altercation évoquée par le salarié avec sa directrice le 22 août 2015 n'en est pas une, et c'est le salarié qui s'est énervé.
- Différents interlocuteurs ont eu l'occasion, à plusieurs reprises, de demander au salarié de changer son comportement, ce qu'il a refusé de faire et qui a donné lieu à plusieurs sanctions disciplinaires pour le passé (mise à pied disciplinaire en juin 2015, avertissements en 2011, 2012 et 2013).
- A la demande du salarié, un entretien a eu lieu le 3 septembre 2015 avec Mme [P], responsable des ressources humaines, M. [K], directeur régional, et M. [B], délégué syndical, au cours duquel l'intéressé s'est très peu exprimé.
- Alors qu'il devait reprendre le travail le 16 janvier 2016, il ne s'est pas présenté, contraignant la société à lui réclamer un justificatif d'absence le 22 janvier suivant et à le relancer le 2 février suivant.
Sur ce,
Selon l'article L.1152-1 du code du travail, "aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".
Selon l'article 1152-4, il appartient à l'employeur de prendre toute disposition pour prévenir ces agissements.
Selon l'article L.1154-1, il appartient au salarié qui s'en prétend victime de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, apprécier si le salarié établit la matérialité des faits qu'il invoque et si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Selon l'article L. 1222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Le salarié a la charge de la preuve de manquements de l'employeur à ses obligations.
En l'espèce, le courrier adressé à l'employeur le 9 mai 2016 dans lequel M. [G] expose ses griefs est insuffisant à lui seul à établir la réalité des faits qui y sont exposés de sorte qu'il ne saurait faire la preuve de ses allégations.
S'il est néanmoins acquis que le salarié a effectué d'importantes heures supplémentaires au cours de ses cinq derniers mois d'activité au sein de l'entreprise, il ressort de ses relevés de temps de travail que sa charge de travail était modulée au fil du mois par des semaines allégées de sorte que l'exécution d'heures supplémentaires ne saurait faire présumer l'existence d'un harcèlement.
L'article L.3121-20 du code du travail dispose qu'au cours d'une même semaine, la durée maximale de travail est de 48 heures. C'est à l'employeur de rapporter la preuve du respect de cette disposition.
En l'espèce, il ressort des relevés produits par le salarié qu'il a été amené à travailler au-delà de 48 heures hebdomadaires à sept reprises au cours de ses cinq derniers mois de travail au sein de la société Casino.
Le manquement de l'employeur à la législation sur la durée du travail est caractérisé.
C'est par une juste appréciation que le premier juge a réparé l'atteinte au droit au repos et à la vie privée subie par M. [G] de ce fait par une indemnité de 2 000 € de sorte que le jugement est confirmé sur ce chef de demande.
II - Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail.
II.A - Sur la contestation du bienfondé du licenciement.
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir les arguments suivants :
- Il a été victime de harcèlement moral : face à la pression et à la charge de travail, il s'est trouvé, malgré lui, dans l'incapacité d'exercer ses fonctions ;
- L'avis d'inaptitude prohibe un reclassement dans l'entreprise, " laissant ainsi fortement supposer l'origine du mal " ;
- La société Zeldis a manqué à son obligation de reclassement : dès lors que l'avis d'inaptitude mentionne que " l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise ", l'employeur est uniquement dispensé d'effectuer des recherches de reclassement en son sein, mais se devait de les effectuer au sein du groupe. Or, la société Casino et la société Zeldis font partie d'un groupe, ce qui aurait dû conduire à des recherches de reclassement au sein de la société Casino.
- L'employeur a manqué à son obligation de consultation des délégués du personnel ; que même si la cour estimait que les termes de l'avis d'inaptitude emportaient dispense de reclassement, celle-ci ne dispense pas l'employeur de son obligation de consultation des délégués du personnel.
Pour sa part, la société Casino s'oppose à la demande en faisant valoir les éléments suivants:
- En application de l'article L. 1224-1 du code du travail, le contrat de travail a été transféré à la société Zeldis de sorte qu'au moment du licenciement, M. [G] n'était plus salarié en son sein ; que dès lors, elle ne saurait être tenue au paiement des indemnités de licenciement ;
- Il n'est nullement établi que la société Zeldis et elle aient pu appartenir au même groupe, dans la mesure où elles étaient totalement indépendantes l'une de l'autre et qu'il n'y a jamais eu entre elles aucune permutation de personnel que ce soit ;
- L'avis d'inaptitude écarte de manière expresse toute obligation de reclassement dans un emploi ; dès lors, la société Zeldis était dispensée de toute obligation de consultation des délégués du personnel.
La société Zeldis soutient le bienfondé du licenciement prononcé, à l'appui d'arguments identiques à ceux de la société Casino, et relève que, n'ayant pas été l'employeur du salarié au moment de l'exécution du contrat de travail, il ne peut lui être reproché un quelconque harcèlement moral.
Sur ce,
Il résulte des articles L.1235-3, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail que le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Les documents médicaux produits par M. [G] ne suffisent pas à faire présumer que la dégradation de son état de santé trouverait sa cause dans des manquements de ses employeurs successifs à leurs obligations de sorte qu'ils ne sauraient à eux seuls faire la preuve des allégations du salarié.
Le premier juge a justement retenu à cet égard que l'arrêt de travail de M. [G] n'avait pas été pris en charge au titre de la législation professionnelle.
En l'absence de tout élément objectivant un comportement fautif de l'employeur à cette occasion, l'incident ayant opposé le salarié à son supérieur hiérarchique le 22 août 2015 ne saurait être retenu comme la cause de l'inaptitude. Le fait que le salarié l'ait mal vécu est insuffisant à en faire porter la responsabilité à l'employeur.
L'avis d'inaptitude indique que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise.
M. [G] ne produit aucun élément laissant supposer que la société Zeldis appartiendrait à un groupe permettant son reclassement de sorte qu'il n'y avait pas lieu à consultation des délégués du personnel et qu'il ne saurait être retenu un quelconque manquement à l'obligation de reclassement.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur la demande au titre du manquement à l'obligation d'information sur la portabilité des droits.
Ainsi que le soutient la société Zeldis, le certificat de travail du 4 avril 2017 mentionne bien le maintien des garanties frais de santé et de prévoyance de sorte que la demande de M. [G] de ce chef n'est pas fondée.
- Sur les demandes accessoires
La société Casino, qui succombe partiellement, supporte les dépens et une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [W] [G] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et d'indemnités complémentaires aux indemnités journalières de la sécurité sociale ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Distribution Casino France à payer à M. [W] [G] :
- la somme de 2 300 € au titre d'heures supplémentaires outre 230 € au titre des congés payés afférents,
- la somme de 3 264,02 € à titre d'indemnités complémentaires aux indemnités journalières de la sécurité sociale ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la Distribution Casino France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes le 5 décembre 2016 ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du jour du jugement (6 janvier 2022) ;
Ordonne la remise par la Distribution Casino France à [G] d'un bulletin de salaire rectifié dans un délai de deux mois à compter de ce jour ;
Condamne la Distribution Casino France à verser à M. [W] [G] la somme de 2 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne la société Casino Distribution France aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
N° RG 22/01116 - N° Portalis DBVX-V-B7G-ODRN
[G]
C/
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE
S.A.S. ZELDIS
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 06 Janvier 2022
RG : 20/00032
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2025
APPELANT :
[W] [G]
né le 29 Janvier 1985 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Raouda HATHROUBI, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE
RCS DE [Localité 10] N°428 268 023
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Yann BOISADAM de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
Société ZELDIS
RCS DE [Localité 9] N° 822 075 909
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Céline POMMIER de la SELARL DUMONT CONSEIL, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Catherine MAILHES, Présidente
Françoise CARRIER, conseillère honoraire, exerçant des fonctions juridictionnelles
Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller
Assistés pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 Septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Distribution Casino France (ci-après la société Casino) a pour activité principale l'exploitation hypermarchés, supermarchés et magasins.
La société Zeldis, quant à elle, gère, dans le cadre d'une location-gérance, un fonds de commerce loué par la société Distribution Casino France.
Les salariés de ces deux sociétés bénéficient des dispositions de la convention collective du commerce de détail de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.
M. [G] (ci-après le salarié) a été embauché le 12 décembre 2010 en qualité d'employé commercial confirmé, niveau 2, échelon à, à effet du 13 décembre 2010, par la société Distribution Casino France.
Le 1er juillet 2012, il a été promu au poste de manager commercial produit frais, position agent de maîtrise, niveau 5, qu'il exerçait en dernier lieu au sein du supermarché de [Localité 11] Perralière (69).
Le 22 août 2015, un incident l'a opposé à son supérieur hiérarchique.
Le salarié a été placé en arrêt maladie à compter du 24 août 2015, qui a été successivement prolongé jusqu'au terme du contrat.
Le 9 mai 2016, M. [G] a adressé un courrier à l'employeur lui exposant divers griefs concernant l'exécution du contrat de travail. Il se plaignait en particulier d'une surcharge de travail le contraignant à de grandes amplitudes horaires depuis avril 2015 en raison de l'adjonction à son poste de nouvelles responsabilités et une absence de soutien et de considération de sa hiérarchie ayant abouti à l'incident du 22 août, cette situation étant à l'origine de l'altération de son état de santé et de son arrêt de travail.
Par courrier du 18 août 2016, la société Distribution Casino France l'a informé du transfert de son contrat de travail à la société Zeldis en application de l'article L. 1224 - 1 du code du travail, le supermarché Casino de [Localité 11] Perralière passant en location-gérance, avec effet au 30 août 2016.
Lors de la visite de reprise du 6 mars 2017, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié en ces termes : " l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise ".
M. [G] a été convoqué à un entretien préalable le 30 mars 2017, en vue d'un éventuel licenciement. Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 avril 2017, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Préalablement à son licenciement, par requête enregistrée le 30 novembre 2016, M. [G] avait saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 9] aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, et de voir condamner celui-ci à lui payer un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires (18'240 €, sauf à parfaire, outre 1824 € au titre des congés payés afférents), un rappel de complément de salaire (5000 €), une indemnité compensatrice de préavis (4801,38 euros, outre 480,13 € au titre des congés payés afférents), une indemnité de licenciement (2880,82 €), des dommages et intérêts pour mauvaise exécution du contrat de travail (15'000 €), des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (30'000 €), une indemnité de procédure (2000 €), les dépens et l'exécution provisoire de la décision.
L'affaire, radiée le 30 septembre 2019, a été ré-enrôlée le 3 janvier 2020 et plaidée à l'audience du bureau de jugement du 22 février 2021. Par procès-verbal en date du 26 avril 2021, les conseillers se sont déclarés en partage de voix, et les parties ont été convoquées à l'audience de départage du 16 novembre 2021.
Par jugement du 6 janvier 2022, le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Lyon, statuant seule après avoir recueilli l'avis des conseillers présents, a :
- Rejeté les demandes formées par M. [G] tendant à constater l'existence d'un harcèlement moral, ou à tout le moins, un manquement à l'obligation de sécurité, à constater un manquement à l'obligation de payer le salaire et d'information sur la portabilité des droits et à déclarer non causé le licenciement intervenu ;
- Dit que la société Distribution Casino France avait commis un manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail conclu avec M. [G] ;
- Condamné la société Distribution Casino France à payer à M. [G] la somme de 2000 € à titre d'indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
- Condamné la société Distribution Casino France à verser à M. [G] la somme de 1600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté les demandes de la société Distribution Casino France et de la société Zeldis sur ce fondement ;
- Débouté les parties de plus amples demandes contraires au présent dispositif ;
- Condamné la société Distribution Casino France aux dépens de l'après et présente instance ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 7 février 2022, M. [G] a interjeté appel de ce jugement et sollicité son infirmation
en ce qu'il a dit :
- que le licenciement était motivé par une cause réelle et sérieuse,
- que l'obligation de sécurité avait été respectée,
- qu'il n'était pas victime de harcèlement moral,
en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et a dit que la convention de forfait était régulière,
en ce qu'il l'a débouté de sa demande de complément de salaire,
en ce qu'il a condamné la société Zeldis à la somme de 2000 € au titre de la mauvaise exécution du contrat de travail.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 6 mai 2022, M. [G] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- prononcer la nullité de la convention de forfait ;
- condamner la société Distribution Casino France à lui payer les sommes suivantes :
8705,99 € de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, outre 870,59 € de congés payés afférents ;
6805,71 € de rappel de salaire au titre des règlements de complément de salaire;
15 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou à tout le moins mauvaise exécution du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité par la société Distribution Casino France ;
- condamner la société Zeldis à lui payer la somme de 2000 € à titre de dommages et intérêts pour défaut d'information sur la portabilité ;
- dire que le licenciement prononcé par la société Zeldis à son encontre sans cause réelle et sérieuse ;
- dire que le licenciement prononcé à son encontre par la société Distribution Casino France (sic) est sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner à titre principal la société Distribution Casino France au paiement des sommes suivantes :
5304,48 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 530,44 € au titre des congés payés afférents ;
30 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- condamner à titre subsidiaire la société Zeldis au paiement des sommes suivantes :
5304,48 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 530,44 € au titre des congés payés afférents ;
30 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
condamner la société Distribution Casino France, la société Zeldis, ou qui de mieux devra au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 août 2022, la société Distribution Casino France demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 2000€ à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et à la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes ;
- subsidiairement, en cas d'annulation de la convention de forfait en heures, condamner M. [G] à rembourser, sur la période considérée, les jours de repos qui lui ont été accordés en exécution de ladite convention ;
- condamner M. [G] un au paiement de la somme de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et ce, tant au titre de la présente que de la première instance, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 2 août 2022, la société Zeldis demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [G] de l'ensemble des demandes formées à son encontre,
- débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner M. [G] à lui verser la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [G] aux dépens.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir 'constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.
I.A - Sur les demandes d'annulation de la convention de forfait et de rappel d'heures supplémentaires.
Au soutien de sa demande d'annulation de la convention de forfait à laquelle il était soumis, le salarié fait valoir les éléments suivants :
- Dans la mesure où il n'avait pas le statut de cadre, il ne pouvait se voir imposer une telle convention de forfait en heures ;
- Depuis le 1er décembre 2013, sa rémunération était inférieure au minimum légal, c'est-à-dire à la rémunération applicable dans l'entreprise augmentée des majorations prévues par les heures supplémentaires ; en effet, étant agent de maîtrise classification 5, effectuant 174 heures mensuelles, la rémunération minimale mensuelle s'élevait à 2 084,67 euros (salaire minimum applicable : 1760,67 euros + 22,33 heures supplémentaires par mois); qu'il a en réalité perçu une rémunération de 1 959,75 euros au titre du forfait heures;
- Il conteste le calcul réalisé par la société Casino et relève que la convention collective prévoit que le fait d'appliquer un forfait heures à un salarié est conditionné au paiement du minimum majoré des heures supplémentaires ; que, dans ces conditions, il ne peut être considéré que la condition de rémunération est remplie en tenant compte uniquement du taux horaire minimum conventionnel.
En conséquence de la nullité de la convention de forfait en heures, le salarié, qui indique avoir travaillé a minima 174 heures par mois, sollicite le paiement des heures supplémentaires correspondant à la différence avec le régime légal. En outre, il fait sommation à l'employeur de lui communiquer ses relevés d'heures en indiquant qu'il travaillait plus de 50 heures par semaine en moyenne, notamment dans le cadre de permanences. Il sollicite pour chaque mois travaillé des rappels de salaires correspondant aux 7,67 heures supplémentaires outrepassant les 22,33 habituellement réalisées.
Pour sa part, la société Casino soutient la validité de la convention de forfait du salarié, signée et acceptée par le salarié, en faisant valoir les éléments suivants :
- L'article L. 3121-56 du code du travail ne limite pas le bénéfice de ce dispositif aux seuls cadres, le critère essentiel étant celui de l'autonomie dans l'organisation de l'emploi du temps; que tel était le cas pour l'intéressé, l'article 4 de l'avenant à son contrat de travail qui établit la convention de forfait en heures rappelant les " variations aléatoires et imprévisibles " ainsi que la " relative liberté " dont il bénéficie dans l'organisation de son emploi du temps ;
- Le temps de travail de l'intéressé se décomposait de la manière suivante :
35 heures correspondant à la durée légale ;
3 heures supplémentaires majorées à 25 %, soit 38 heures de travail effectif ;
2 heures de temps de pause, prévues à l'article 5.4 de la convention collective, soit un total de 40 heures de temps de présence mais 38 heures de travail effectif ;
3h44 d'heures supplémentaires, lesquelles, en application de l'accord d'entreprise, n'étaient pas majorées mais donnaient lieu à 19 jours de RTT en compensation.
Dès lors, les 174 heures mensuelles mentionnées sur les bulletins de salaires de l'intéressé correspondent à son temps de présence hebdomadaire de 43h44, dont 41h44 de temps de travail effectif.
- En conséquence, les calculs de M. [D] quant à sa rémunération sont erronés à un double titre :
Il ne déduit pas de ses 174 heures mensuelles, qui correspondent uniquement à un temps de présence, ses temps de pause, à hauteur de 8,66 heures mensuelles ;
Seules les 3 premières heures supplémentaires devaient donner lieu à majoration, les 3 autres ayant été compensées par des jours de repos, en application de l'accord d'entreprise " Ombrelle ".
A titre subsidiaire, la société Casino fait valoir les observations suivantes sur la demande d'heures supplémentaires :
- Le salarié ne précise pas la période concernée par sa demande d'heures supplémentaires ;
- Il ne peut être retenu que le salarié a travaillé a minima 174 heures mensuelles dans la mesure où cette durée comprend 8,66 heures de pause ;
- Le salarié ne justifie pas de calcul correspondant au-delà de son forfait de 41h44 ;
- Le salarié ne produit aucun élément précis justifiant des heures supplémentaires invoquées ;
- La Cour de cassation (Cass Soc 16 juin 2021, n°20-13.109, n°20-15.829) a retenu qu'en cas d'inopposabilité d'une convention de forfait en jours, il convient de rechercher si la rémunération contractuelle versée par l'employeur en exécution du forfait irrégulier n'a pas pour effet d'opérer paiement, fût-ce partiellement, des heures accomplies au-delà de la 35ème heure dans le cadre du décompte de droit commun de la durée du travail ; or, en l'espèce, le salarié a perçu mensuellement 292,90 euros en plus du minimum conventionnel qu'il aurait dû percevoir pour 35 heures hebdomadaires travaillées, ce qui a eu pour effet d'opérer paiement des heures accomplies au-delà de la 35ème heure dans le cadre d'un décompte de droit commun de la durée du travail.
- Si la cour venait à annuler la convention de forfait, elle devrait alors ordonner le remboursement par le salarié des jours de repos dont il a bénéficié en application de ladite convention de forfait, c'est-à-dire 30 jours de repos pour les trois dernières années de la relation contractuelle.
Sur ce,
L'article L.3121-56 du code du travail dispose notamment que peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l'année dans la limite du nombre d'heures fixé par l'accord collectif, les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.
En l'espèce, l'article 4 de l'avenant au contrat de travail stipule qu'en sa qualité d'agent de maîtrise et compte-tenu des variations aléatoires et imprévisibles ainsi que de la relative liberté dont disposait le salarié dans l'organisation de son emploi du temps, il relèverait, pour le calcul de son temps de travail, du forfait hebdomadaire en heures prévu par l'accord de substitution et avenant du 19 avril 2001 à l'accord " Ombrelle " du 17 juin 1999 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, à charge pour lui de s'organiser pour ne pas dépasser le forfait.
M. [G] ne conteste pas avoir bénéficié d'une réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps. Il en résulte que, conformément à l'article L.3121-56, il était éligible au forfait annuel en heures et qu'il n'est pas fondé à prétendre à nullité de la convention de forfait au motif qu'il n'avait pas le statut de cadre.
L'article L.3121-57 du code du travail dispose que la rémunération du salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée, le cas échéant, si le forfait inclut des heures supplémentaires, des majorations prévues par la loi.
Selon la convention " Ombrelle " visée au contrat de travail, le forfait horaire est fixé à 40 heures par semaines dont 3 heures supplémentaires avec la bonification à 25% soit 38 heures de temps de travail effectif et 2 heures de temps de pause.
S'agissant des agents de maîtrise travaillant en magasins, la durée de travail effectif est portée à 41h44 centièmes ce qui correspond à un horaire journalier moyen de 8h28 centièmes. Les heures comprises entre 41h44 centièmes et 38h, soit 3h44 centièmes génèrent sur les 45,8 semaines travaillées annuellement 19 jours de repos.
Les bulletins de paie de M. [G] mentionnent " un horaire mensuel payé " de 174 heures. Cet horaire inclut les 2 heures de temps de pause hebdomadaire, soit 8,66 heures mensuelles, qui, si elles sont payées, ne constituent pas du temps de travail.
Il en résulte que l'horaire contractuel de M. [G] était, conformément à la convention collective, de 38 heures dont 3 heures supplémentaires.
C'est dès lors par une exacte analyse des minima en vigueur au cours des trois dernières années que le premier juge a retenu que la rémunération du salarié incluant ces trois heures supplémentaires n'était pas inférieure au minimum conventionnel et qu'il a débouté M. [G] de sa demande de nullité de la convention de forfait en heures.
La salarié reste néanmoins fondé à solliciter le paiement d'heures supplémentaires effectuées au-delà de son forfait.
Selon l'article L.3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par son salarié. Et, au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties, il appartient au salarié de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre ensuite à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l'espèce, M. [G] sollicite le paiement au taux de 11,60 € majoré de 25% de 30h supplémentaires mensuelles sur une période de 20 mois non située dans le temps.
Au soutien de cette demande, il présente les éléments suivants :
- une série de relevés d'heures effectuées aux mois d'avril, mai, juin, juillet et août 2015 faisant apparaître certaines semaines de plus de 45 et parfois de 50 heures,
- des relevés de permanences faisant apparaître qu'il assurait régulièrement la responsabilité du magasin de [Localité 11], de l'ouverture à la fermeture.
Ces éléments sont suffisamment précis et permettaient à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Or la société Casino ne produit aucun élément relatif à la durée du temps de travail réalisé par le salarié pendant la période considérée.
Son forfait étant valable, M. [G] a été rempli de ses droits s'agissant des trois heures supplémentaires hebdomadaires prévues à cette convention. Il ne prétend pas ne pas avoir pu bénéficier de ses temps de pause de sorte que ceux-ci ne sauraient lui ouvrir droit à rémunération majorée.
Toutefois, les pièces produites par le salarié permettent à la cour de retenir l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées au cours de la période d'avril à août 2015 dont la cour évalue la rémunération à la somme de 2 300 € outre 230 € au titre des congés payés afférents.
I.B - Sur les demandes de rappels de salaire au titre des indemnités journalières de la sécurité sociale et compléments de salaire
Au visa de l'article 4 de l'annexe II de la convention collective applicable, et des stipulations du contrat de prévoyance entreprise, le salarié soutient qu'il aurait dû bénéficier du maintien de salaire au cours de son arrêt maladie, à 100% pendant les 60 premiers jours soit du 24 août au 24 octobre 2015 et à 80% pendant les 120 jours suivants soit jusqu'au 25 février 2016, ce sur la base d'une rémunération mensuelle brute de 2 652,24 €.
L'employeur fait valoir que deux raisons s'opposent aux demandes du salarié :
- Le montant du salaire à maintenir était de 1 959,75 euros et non de 2 652,24 euros comme le soutient le salarié ;
- Les bulletins de salaires produits démontrent que le complément de salaire a bien été versé sur la base de 180 jours calendaires, comme le prévoit l'accord d'entreprise.
Sur ce,
Les dispositions légales en matière de maintien du salaire en cas d'accident ou de maladie ne sont applicables qu'en l'absence de dispositions conventionnelles ou contractuelles plus favorables.
Il en résulte qu'en présence d'une convention ou d'un accord plus favorable, c'est cette convention ou cet accord seul qui s'applique et le salarié ne peut pas prétendre être indemnisé pendant la durée cumulée du délai légal et du délai conventionnel.
En l'espèce, la convention applicable est l'annexe 9 de l'accord d'entreprise CASINO du 19 décembre 1996 qui dispose qu'en cas d'absence de plus de 23 jours, le délai de carence de 2 jours n'est pas maintenu et que le calcul du complément de salaire est effectué de manière à assurer aux salariés le maintien de leur salaire sur la base de la rémunération effective des trois derniers mois précédant l'événement, ce pendant 180 jours pour les agents de maîtrise ayant entre 1 et 10 ans d'ancienneté.
Il en résulte que l'employeur avait l'obligation de maintenir le salaire de M. [G] pendant 180 jours calendaires soit du 24 août au 11 novembre inclus.
Pour estimer cette somme insuffisante, M. [G] se prévaut d'un salaire mensuel de 2 652,24 € dont il n'explicite pas le montant et qui ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats.
Il ressort de ses bulletins de paie des mois de septembre 2015 à février 2016 que M. [G] a perçu au titre du complément maladie la somme de 3 876,58 €. Il justifie par un relevé de la CPAM que les indemnités journalières pour maladie se sont établies pour cette période à 7 149,60 € à raison de 39,72 € par jour.
Les indemnités journalières représentant 50% du salaire journalier de base, M. [G] aurait dû percevoir un complément du même montant.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande de rappel de complément de salaire à hauteur de la somme de 7 140,60 € - 3 876,58 € = 3 264,02 €.
I.C - Sur la demande au titre du harcèlement moral, et la demande subsidiaire au titre de la mauvaise exécution du contrat de travail.
M. [G] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral, ou caractérisant, à défaut, un manquement de l'employeur à ses obligations d'exécution loyale du contrat de travail et de sécurité, et fait valoir les éléments suivants :
- Alors qu'il a toujours été particulièrement investi et n'avait pas rencontré de difficultés dans l'exercice de son travail jusqu'en 2015, il a dû travailler dans des conditions de plus en plus difficiles en raison de la réduction des effectifs à compter de 2015,
- A compter d'avril 2015, il s'est vu imposer de nouvelles " UE " par la nouvelle directrice du magasin, sans effectif complémentaire alors que ceux dont il disposait étaient insuffisants; il a alors été submergé de travail, effectuant des amplitudes horaires avoisinant souvent les 50 heures, voire davantage. Il a dû travailler en boulangerie pour pallier l'absence du boulanger qui n'avait été remplacé que partiellement.
- Lorsqu'il a alerté la directrice du magasin, demandé de l'aide ou à être partiellement déchargé, celle-ci lui a opposé une fin de non-recevoir ; il a également fait l'objet de reproches injustifiés et propos vexatoires devant témoins.
- Cette surcharge de travail a engendré un non-respect répétitif des temps de repos quotidien et hebdomadaire, et, in fine, une fatigue physique insupportable.
- [Localité 8] août 2015, il a été victime d'une altercation avec la directrice, devant témoins, qui l'a choqué.
- Ces raisons l'ont conduit à être placé en arrêt de travail pour dépression.
- Les 4,5 jours de repos hebdomadaire accumulés au cours des trois dernières années et qu'il n'a jamais pu poser devaient lui être payés en septembre, mais cela n'a pas été le cas.
- Il s'est présenté au magasin début janvier afin de percevoir sa carte cadeau de fin d'année du CE, et il lui a été répondu qu'il n'y avait pas droit étant donné son absence depuis plus de 3 mois.
Pour sa part, la société Casino conteste tout harcèlement moral et tout manquement à ses obligations, et fait valoir les éléments suivants :
- L'effectif du magasin n'a subi aucune baisse significative entre les mois de janvier et décembre 2015, l'équipe ayant au contraire été renforcée par l'arrivée de deux collaborateurs
- Après qu'elle lui a fait part de ses réserves, la CPAM a refusé de reconnaître l'incident du 22 août 2015 comme un accident travail, ce que soutenait le salarié. En effet, l'altercation évoquée par le salarié avec sa directrice le 22 août 2015 n'en est pas une, et c'est le salarié qui s'est énervé.
- Différents interlocuteurs ont eu l'occasion, à plusieurs reprises, de demander au salarié de changer son comportement, ce qu'il a refusé de faire et qui a donné lieu à plusieurs sanctions disciplinaires pour le passé (mise à pied disciplinaire en juin 2015, avertissements en 2011, 2012 et 2013).
- A la demande du salarié, un entretien a eu lieu le 3 septembre 2015 avec Mme [P], responsable des ressources humaines, M. [K], directeur régional, et M. [B], délégué syndical, au cours duquel l'intéressé s'est très peu exprimé.
- Alors qu'il devait reprendre le travail le 16 janvier 2016, il ne s'est pas présenté, contraignant la société à lui réclamer un justificatif d'absence le 22 janvier suivant et à le relancer le 2 février suivant.
Sur ce,
Selon l'article L.1152-1 du code du travail, "aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".
Selon l'article 1152-4, il appartient à l'employeur de prendre toute disposition pour prévenir ces agissements.
Selon l'article L.1154-1, il appartient au salarié qui s'en prétend victime de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, apprécier si le salarié établit la matérialité des faits qu'il invoque et si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Selon l'article L. 1222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Le salarié a la charge de la preuve de manquements de l'employeur à ses obligations.
En l'espèce, le courrier adressé à l'employeur le 9 mai 2016 dans lequel M. [G] expose ses griefs est insuffisant à lui seul à établir la réalité des faits qui y sont exposés de sorte qu'il ne saurait faire la preuve de ses allégations.
S'il est néanmoins acquis que le salarié a effectué d'importantes heures supplémentaires au cours de ses cinq derniers mois d'activité au sein de l'entreprise, il ressort de ses relevés de temps de travail que sa charge de travail était modulée au fil du mois par des semaines allégées de sorte que l'exécution d'heures supplémentaires ne saurait faire présumer l'existence d'un harcèlement.
L'article L.3121-20 du code du travail dispose qu'au cours d'une même semaine, la durée maximale de travail est de 48 heures. C'est à l'employeur de rapporter la preuve du respect de cette disposition.
En l'espèce, il ressort des relevés produits par le salarié qu'il a été amené à travailler au-delà de 48 heures hebdomadaires à sept reprises au cours de ses cinq derniers mois de travail au sein de la société Casino.
Le manquement de l'employeur à la législation sur la durée du travail est caractérisé.
C'est par une juste appréciation que le premier juge a réparé l'atteinte au droit au repos et à la vie privée subie par M. [G] de ce fait par une indemnité de 2 000 € de sorte que le jugement est confirmé sur ce chef de demande.
II - Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail.
II.A - Sur la contestation du bienfondé du licenciement.
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir les arguments suivants :
- Il a été victime de harcèlement moral : face à la pression et à la charge de travail, il s'est trouvé, malgré lui, dans l'incapacité d'exercer ses fonctions ;
- L'avis d'inaptitude prohibe un reclassement dans l'entreprise, " laissant ainsi fortement supposer l'origine du mal " ;
- La société Zeldis a manqué à son obligation de reclassement : dès lors que l'avis d'inaptitude mentionne que " l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise ", l'employeur est uniquement dispensé d'effectuer des recherches de reclassement en son sein, mais se devait de les effectuer au sein du groupe. Or, la société Casino et la société Zeldis font partie d'un groupe, ce qui aurait dû conduire à des recherches de reclassement au sein de la société Casino.
- L'employeur a manqué à son obligation de consultation des délégués du personnel ; que même si la cour estimait que les termes de l'avis d'inaptitude emportaient dispense de reclassement, celle-ci ne dispense pas l'employeur de son obligation de consultation des délégués du personnel.
Pour sa part, la société Casino s'oppose à la demande en faisant valoir les éléments suivants:
- En application de l'article L. 1224-1 du code du travail, le contrat de travail a été transféré à la société Zeldis de sorte qu'au moment du licenciement, M. [G] n'était plus salarié en son sein ; que dès lors, elle ne saurait être tenue au paiement des indemnités de licenciement ;
- Il n'est nullement établi que la société Zeldis et elle aient pu appartenir au même groupe, dans la mesure où elles étaient totalement indépendantes l'une de l'autre et qu'il n'y a jamais eu entre elles aucune permutation de personnel que ce soit ;
- L'avis d'inaptitude écarte de manière expresse toute obligation de reclassement dans un emploi ; dès lors, la société Zeldis était dispensée de toute obligation de consultation des délégués du personnel.
La société Zeldis soutient le bienfondé du licenciement prononcé, à l'appui d'arguments identiques à ceux de la société Casino, et relève que, n'ayant pas été l'employeur du salarié au moment de l'exécution du contrat de travail, il ne peut lui être reproché un quelconque harcèlement moral.
Sur ce,
Il résulte des articles L.1235-3, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail que le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Les documents médicaux produits par M. [G] ne suffisent pas à faire présumer que la dégradation de son état de santé trouverait sa cause dans des manquements de ses employeurs successifs à leurs obligations de sorte qu'ils ne sauraient à eux seuls faire la preuve des allégations du salarié.
Le premier juge a justement retenu à cet égard que l'arrêt de travail de M. [G] n'avait pas été pris en charge au titre de la législation professionnelle.
En l'absence de tout élément objectivant un comportement fautif de l'employeur à cette occasion, l'incident ayant opposé le salarié à son supérieur hiérarchique le 22 août 2015 ne saurait être retenu comme la cause de l'inaptitude. Le fait que le salarié l'ait mal vécu est insuffisant à en faire porter la responsabilité à l'employeur.
L'avis d'inaptitude indique que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise.
M. [G] ne produit aucun élément laissant supposer que la société Zeldis appartiendrait à un groupe permettant son reclassement de sorte qu'il n'y avait pas lieu à consultation des délégués du personnel et qu'il ne saurait être retenu un quelconque manquement à l'obligation de reclassement.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur la demande au titre du manquement à l'obligation d'information sur la portabilité des droits.
Ainsi que le soutient la société Zeldis, le certificat de travail du 4 avril 2017 mentionne bien le maintien des garanties frais de santé et de prévoyance de sorte que la demande de M. [G] de ce chef n'est pas fondée.
- Sur les demandes accessoires
La société Casino, qui succombe partiellement, supporte les dépens et une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [W] [G] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et d'indemnités complémentaires aux indemnités journalières de la sécurité sociale ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Distribution Casino France à payer à M. [W] [G] :
- la somme de 2 300 € au titre d'heures supplémentaires outre 230 € au titre des congés payés afférents,
- la somme de 3 264,02 € à titre d'indemnités complémentaires aux indemnités journalières de la sécurité sociale ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la Distribution Casino France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes le 5 décembre 2016 ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du jour du jugement (6 janvier 2022) ;
Ordonne la remise par la Distribution Casino France à [G] d'un bulletin de salaire rectifié dans un délai de deux mois à compter de ce jour ;
Condamne la Distribution Casino France à verser à M. [W] [G] la somme de 2 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne la société Casino Distribution France aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,