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Décisions

CA Colmar, ch. 4 a, 30 septembre 2025, n° 22/03729

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 22/03729

30 septembre 2025

GLQ/KG

MINUTE N° 25/713

Copie exécutoire

aux avocats

le 30 septembre 2025

La greffière

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/03729

N° Portalis DBVW-V-B7G-H52N

Décision déférée à la Cour : 06 Septembre 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Colmar

APPELANT :

Monsieur [W] [J]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Emmanuelle RALLET, avocat au barreau de Mulhouse

INTIMÉES :

La S.A.R.L. AMBULANCES DE [Localité 6]

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 510 728 736

ayant siège [Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-Luc ROSSELOT, avocat au barreau de Mulhouse, substitué à la barre par Me Maéva MICLO, avocat au barreau de Mulhouse

La S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 531 690 279

ayant siège [Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me Steeve ROHMER, avocat au barreau de Mulhouse

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Mai 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Christine DORSCH, Président de Chambre

M. Edgard PALLIERES, Conseiller

M. Gurvan LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Claire BESSEY

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre

- signé par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre, et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

La S.A.R.L. AMBULANCES DE [Localité 6] a embauché M. [W] [J] en qualité d'ambulancier par contrat à durée indéterminée à compter du 03 septembre 2018.

Le 1er avril 2019, la société AMBULANCES DE [Localité 6] a cédé le fonds de commerce de transports sanitaires à la S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES.

Le 16 juillet 2020, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Colmar contre la société [Localité 5] AMBULANCES pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 11 février 2021, M. [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Par conclusions du 10 juin 2021, la société [Localité 5] AMBULANCES a appelé la société AMBULANCES DE [Localité 6] en intervention forcée.

Par jugement du 06 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a :

- dit que la prise d'acte par M. [J] s'analyse en une démission,

- condamné la société [Localité 5] AMBULANCES à payer à M. [J] les sommes suivantes :

* 41,52 euros brut au titre de l'indemnité des jours fériés du 1er et du 8 mai 2020,

* 49,56 euros net au titre de l'indemnité de repas unique,

- condamné la société AMBULANCES DE [Localité 6] à payer à M. [J] la somme de 222,63 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 1er juillet 2018 au 31 mars 2019, congés payés compris et avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- débouté M. [J] du surplus de ses demandes,

- condamné M. [J] à payer à la société [Localité 5] AMBULANCES la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d'exécution du préavis et rupture abusive,

- débouté la société [Localité 5] AMBULANCES du surplus de ses demandes,

- dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens.

M. [J] a interjeté appel le 05 octobre 2022.

Par ordonnance du 20 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré la société [Localité 5] AMBULANCES irrecevable à conclure et à déposer des pièces.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 mars 2025 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 20 mai 2025.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 05 janvier 2023, M. [J] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail M. [J] s'analyse en une démission et débouté Monsieur [J] de sa demande tendant à la condamnation de la société [Localité 5] AMBULANCES à lui payer les indemnités compensatrices de préavis, indemnité de licenciement et dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de la somme de 49,56 euros net au titre de l'indemnité de repas unique,

- condamné la société AMBULANCES DE [Localité 6] au paiement de la somme de 222,63 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 1er juillet 2018 au 31 mars 2019, congés payés compris,

- débouté M. [J] de ses demandes tendant à la condamnation de la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement des arriérés de salaires, des heures supplémentaires, de l'absence de paiement d'une partie du salaire du mois de mai, de l'indemnité pour jours fériés travaillés et de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la durée hebdomadaire de travail, refus de l'employeur de fournir les feuilles de route réglementaires, dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires, retards de paiement des salaires, délivrance tardive des bulletins de paie, temps d'habillage et de déshabillage non rémunérés, absence d'entretien des tenues professionnelles, non-respect de l'obligation de sécurité, harcèlement moral et travail dissimulé,

- débouté M. [J] de ses demandes de condamnation in solidum de la société AMBULANCES DE [Localité 6] et de la société [Localité 5] AMBULANCES au titre des heures supplémentaires pour la période du 1er juillet 2017 au 31 mars 2019, des dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la durée hebdomadaire de travail, pour temps d'habillage et de déshabillage non rémunérés et travail dissimulé,

- débouté M. [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse,

- condamner la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement des sommes suivantes :

* 6 175,64 euros au titre du préavis,

* 617,56 euros au titre des congés payés sur préavis,

* 1 543,91 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 21 614,74 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement 10 807,37 euros,

* 7 281,96 euros au titre des arriérés de salaire,

* 11 467,68 euros au titre des heures supplémentaires, outre 1 146,76 euros au titre des congés payés sur heures supplémentaires,

* 5 850 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la durée hebdomadaire du travail,

* 500 euros à titre de dommages et intérêts pour refus de l'employeur de fournir les feuilles de route,

* 4 970,49 euros au titre de l'indemnité due en cas de dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires,

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les retards de paiement des salaires,

* 50,62 euros au titre de l'absence de paiement d'une partie du salaire du mois de mai 2020,

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la délivrance tardive des bulletins de salaire,

* 41,52 euros au titre de l'indemnité pour jours fériés travaillés,

* 231,28 euros au titre des indemnités de repas unique,

* 733,25 euros au titre des temps d'habillage et de déshabillage,

* 500 euros à titre de dommages et intérêts pour l'absence d'entretien des tenues professionnelles par l'employeur,

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité de l'employeur,

* 10 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 18 526,92 euros de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé.

A titre subsidiaire, il demande à la cour de :

- condamner la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement des sommes suivantes :

* 9 445,07 euros au titre des heures supplémentaires, outre 944,50 euros au titre des congés payés sur heures supplémentaires,

* 4 050 euros pour non-respect des dispositions relatives à la durée hebdomadaire du travail,

* 516,25 euros au titre des temps d'habillage et de déshabillage.

- condamner in solidum la société AMBULANCES DE [Localité 6] et la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement des sommes suivantes :

* 2 022,61 euros au titre des heures supplémentaires,

* 202,26 euros au titre des congés payés sur heures supplémentaires,

* 1 800 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la durée hebdomadaire du travail,

* 217 euros au titre des temps d'habillage et de déshabillage.

En tout état de cause, il demande à la cour de condamner la société [Localité 5] AMBULANCES aux dépens, y compris les frais de l'exécution de la décision, ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 mars 2023, la société AMBULANCES DE [Localité 6] demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. [J] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, la société [Localité 5] AMBULANCES ayant été déclarée irrecevable à conclure, il convient de constater qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, elle est réputée s'approprier les motifs du jugement de première instance.

Il convient par ailleurs de constater que la cour n'est saisie d'aucune demande d'infirmation s'agissant de la condamnation de la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de la somme de 41,52 euros brut au titre de l'indemnité des jours fériés du 1er et du 8 mai 2020 et de la condamnation de M. [J] au paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d'exécution du préavis et rupture abusive.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la modification unilatérale du contrat de travail

M. [J] reproche à l'employeur d'avoir modifié le contrat de travail en procédant à une augmentation de son salaire entre le mois de mars et le mois de juin 2020. Il justifie à ce titre avoir perçu un salaire horaire de 20,3588 euros brut de mars à juin 2020 alors qu'il percevait en temps normal un salaire horaire de 13,50 euros brut, conformément au contrat de travail.

M. [J] reconnaît que cette modification est intervenue sans son accord, qu'elle n'a pas donné lieu à la signature d'un avenant et que l'employeur a ensuite repris le versement du salaire conformément au contrat de travail. Il fait en outre grief de cette modification à l'employeur puisqu'il l'invoque pour justifier la prise d'acte de la rupture. Il résulte de ces éléments que cette augmentation temporaire de la rémunération n'a pas eu pour effet de modifier le contrat de travail. Le salarié échoue dès lors à démontrer que la société [Localité 5] AMBULANCES serait redevable d'un rappel de salaire à ce titre et le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires

Vu l'article L. 1224-2 du code du travail,

Vu la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport et l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire,

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Sur la période précédant le transfert du contrat de travail

M. [J] sollicite la condamnation in solidum de la société AMBULANCES DE [Localité 6] et de la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de la somme de 2 022,61 euros au titre des heures supplémentaires effectuées entre le 03 septembre 2018 au 31 mars 2019, outre 202,26 euros au titre des congés payés y afférents. À l'appui de cette demande, il produit un tableau récapitulatif par semaine de ses heures de travail. Cet élément apparaît suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre.

Dans son jugement, le conseil de prud'hommes a constaté que le décompte du salarié avait été établi à partir de ses amplitudes horaires et non sur la base du temps de travail effectif tel que définit dans la convention collective, c'est-à-dire en incluant les temps de pause et de coupure. Si M. [J] explique qu'il a déduit les temps de pause dans un nouveau décompte (annexes C10 et C11), force est de constater que ces décomptes sont uniquement relatifs à l'année 2020 et aucun élément ne permet de considérer que le décompte établi pour la période antérieure au 1er avril 2019 n'intègre pas les temps de pause. M. [J] ne démontre pas non plus qu'il n'était pas en mesure de bénéficier de ces temps de pause pendant cette période.

La société AMBULANCES DE [Localité 6] a par ailleurs produit un tableau qui, selon elle, a été établi à partir du logiciel de gestion du temps de travail et qui fait apparaître un reliquat d'heures supplémentaires impayées de 11,99 heures sur cette période. Il sera toutefois observé que ce tableau mentionne uniquement pour chaque mois un nombre d'heures supplémentaires payées et un nombre d'heures supplémentaires recalculé. Aucun élément ne permet donc de considérer qu'il aurait été établi à partir des horaires de travail effectifs du salarié.

Au vu du décompte produit par le salarié, qui doit être corrigé après prise en compte des observations de l'employeur et des pièces produites par ce dernier, la cour est en mesure de fixer à 500 euros brut le montant dû à M. [J] au titre des heures supplémentaires effectuées au cours de la période du 03 septembre 2018 au 31 mars 2019, outre 50 euros brut au titre des congés payés afférents et de condamner la société AMBULANCES DE [Localité 6] et la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de cette somme, le conseil de prud'hommes étant infirmé de ce chef.

Sur la période postérieure au transfert du contrat de travail

Pour débouter le salarié de sa demande pour la période postérieure au 31 mars 2019, le conseil de prud'hommes a constaté que l'employeur soutenait avoir payé les heures supplémentaires conformément à la convention collective et il a

considéré qu'il n'était pas en mesure de vérifier les calculs effectués par M. [J]. Il apparaît toutefois que le salarié produit pour cette période un décompte mensuel de son temps de travail et cet élément apparaît suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre.

Il résulte par ailleurs des pièces produites que le salarié a établi un tableau détaillé de ses heures de travail entre le 02 mars 2020 et le 14 février 2021 dans lequel il a intégré les temps de pause conformément aux feuilles de route correspondantes. Il apparaît toutefois que son décompte pour la période correspondante (annexe C9) intègre les temps de pause comme du temps de travail effectif : M. [J] décompte par exemple 46,75 heures de travail lors de la semaine 28 en 2020 alors qu'après prise en compte des temps de pause, il n'a effectivement travaillé que 41h25.

Au vu de ces éléments, la cour est en mesure de fixer à 2 000 euros brut le montant dû à M. [J] au titre des heures supplémentaires effectuées postérieurement au 31 mars 2019, outre 200 euros brut au titre des congés payés afférents et de condamner la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de cette somme, le conseil de prud'hommes étant infirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé

En application de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Aux termes de l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours dans les conditions prévues à l'article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 a droit à une indemnité égale à six mois de salaire.

M. [J] fait valoir que la société AMBULANCES DE [Localité 6] avait connaissance du fait qu'il effectuait des heures supplémentaires sans le rémunérer en conséquence. Cet élément est toutefois insuffisant pour démontrer le caractère intentionnel exigé par les dispositions précitées. Le fait que la société [Localité 5] AMBULANCES aurait cherché à rémunérer ces heures supplémentaires en augmentant sa rémunération globale, ce qui n'est aucunement démontré par le salarié, ne permet pas non plus de démontrer l'existence du travail dissimulé allégué. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le dépassement de la durée hebdomadaire de travail

Vu l'article L. 3121-20 du code du travail,

Le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation (Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-21.636).

En l'espèce, les décomptes produits par M. [J] pour la période antérieure au mois de mars 2020, qui intègrent les temps de pause et de coupure, ne permettent pas de démontrer que le salarié aurait travaillé au-delà de la durée maximale hebdomadaire de travail, fixée à 48 heures et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [J] de la demande formée contre la société AMBULANCES DE [Localité 6].

Il résulte en revanche de l'annexe C10 produite par le salarié que cette durée maximale aurait été dépassée à neuf reprises entre le mois de mars et le mois de mai 2020. Cette situation a nécessairement causé un préjudice à M. [J] qu'il convient de réparer en condamnant la société [Localité 5] AMBULANCES, seul employeur à cette date, à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur le dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires

Vu l'article L. 3121-30 du code du travail,

Au vu des pièces produites et du nombre d'heures supplémentaires effectuées par M. [J], il ne peut être considéré que le contingent annuel d'heures supplémentaires aurait été dépassé et que M. [J] aurait été privé de la contrepartie obligatoire sous forme de repos. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

Sur les retards de paiement du salaire

M. [J] reproche à l'employeur d'avoir versé certains salaires après le 15 du mois. Pour en justifier, il produit uniquement un courriel adressé le 18 juin 2020 dans lequel il informe l'employeur qu'il n'a toujours pas reçu son salaire du mois. Il ne justifie toutefois d'aucun préjudice résultant de cette situation et le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

Sur la demande de rappel de salaire pour le mois de mai 2020

Il résulte du bulletin de paie du mois de mai 2020 que le montant net à payer au salarié s'élevait à 2 200,62 euros. M. [J] soutient qu'il n'a perçu que la somme de 2 150 euros. La société [Localité 5] AMBULANCES n'ayant produit aucun élément susceptible de démontrer que le salaire dû aurait été versé en intégralité à M. [J], il convient de condamner l'employeur au paiement de la somme de 50,62 euros à ce titre, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur la délivrance tardive des bulletins de salaire

M. [J] ne justifiant d'aucun préjudice résultant de la délivrance tardive des bulletins de salaire par l'employeur, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

Sur l'indemnité de repas unique

Vu l'article 8 du protocole du 30 avril 1974 relatif aux ouvriers frais de déplacement,

Il résulte notamment de ce texte que le salarié ne peut prétendre à l'indemnité de repas unique si l'amplitude de la journée de travail ne couvre pas entièrement la période comprise soit entre 11 heures et 14 h 30, soit entre 18 h 30 et 22 heures ou s'il dispose à son lieu de travail d'une coupure ou d'une fraction de coupure d'une durée ininterrompue d'au moins 1 heure, soit entre 11 heures et 14 h 30, soit entre 18 h 30 et 22 heures.

Au vu des décomptes produits par le salarié, celui-ci démontre que l'employeur est redevable de 7 indemnités au mois de mars 2020, 5 indemnités au mois d'avril 2020 et 4 indemnités au mois de mai 2020. Il convient en conséquence de condamner la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de la somme de 132,16 euros net au titre de l'indemnité de repas unique, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur le temps d'habillage et de déshabillage

Selon l'article L. 3121-3 du code du travail, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties.

En l'espèce, le port d'une tenue d'ambulancier était imposé à M. [J] par l'arrêté du 12 décembre 2017 fixant les caractéristiques et les installations matérielles exigées pour les véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres. Le salarié fait également valoir à juste titre que ces dispositions réglementaires prohibent le port de cette tenue en dehors de l'activité professionnelle, ce dont il se déduit que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise.

Dès lors, M. [J] est fondé à réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire aux temps d'habillage et de déshabillage. La société [Localité 5] AMBULANCES ambulances sera condamnée au paiement de la somme de 200 euros à ce titre, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur l'entretien des tenues professionnelles

Aucun élément ne permet de considérer que l'employeur respectait son obligation d'assurer l'entretien des tenues professionnelles. Compte tenu du préjudice résultant pour M. [J] de la nécessité de procéder lui-même à ce nettoyage, il convient de condamner la société [Localité 5] AMBULANCES au paiement de la somme de 250 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité dont il doit assurer l'effectivité, ce qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.

À l'appui de sa demande de dommages et intérêts, M. [J] reproche à l'employeur d'avoir manqué à ses obligations relatives à la mise à disposition des tenues professionnelles. Il lui reproche également ses carences en matière d'information et de mise à disposition du matériel de protection pendant la crise sanitaire liée au Covid-19. Il fait notamment valoir qu'il a dû faire usage de son droit de retrait suite à la contamination d'un collègue de travail avec lequel il devait travailler.

S'il ne résulte pas du jugement que l'employeur aurait démontré qu'il avait pris les mesures nécessaires à la protection de la santé des salariés, M. [J] ne démontre pas l'existence du préjudice allégué. Il sera souligné à ce titre qu'il a fait usage de son droit de retrait au mois de janvier 2021, refusant de travailler avec le salarié qui avait été déclaré positif au Covid-19 le 23 décembre précédant, et que, si l'employeur a contesté la légitimité de l'usage de ce droit de retrait, il n'a donné lieu à aucune retenue sur salaire ni sanction disciplinaire.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [J] de la demande de dommages et intérêts formée à ce titre.

Sur le manquement à l'obligation de délivrer des feuilles de route

M. [J] reproche à l'employeur de ne plus lui avoir fourni de feuilles de route, notamment après le mois d'août 2020, lorsqu'il n'était plus en mesure de les éditer lui-même. Il ne vise toutefois aucune pièce à l'appui de cette demande et ne justifie en outre pas du préjudice qui aurait résulté de ce manquement de l'employeur, étant relevé qu'il a pu faire valoir ses droits en matière d'heures supplémentaires jusqu'à la fin du contrat de travail. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour caractériser l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination, M. [J] invoque une forte pression qui aurait été exercée sur lui par l'employeur et une surveillance permanente de ses faits et gestes. Si les différents messages qu'il produit permettent de constater une certaine familiarité dans les échanges entre le salarié et son interlocuteur, celle-ci apparaît réciproque et ne permet pas de caractériser une pression particulière de la part de l'employeur. Il apparaît par ailleurs que l'activité des salariés faisait l'objet d'un suivi dans le cadre de la régulation des interventions des ambulances et il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir sollicité à plusieurs reprises le salarié pour connaître sa situation ou s'assurer de sa disponibilité.

M. [J] échoue dès lors à établir la matérialité des éléments invoqués pour caractériser un harcèlement moral ou d'une discrimination. Ces éléments ne permettent pas non plus de démontrer une déloyauté de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la prise d'acte

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

La réalité et la gravité des manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont souverainement appréciés par les juges du fond. En principe, il incombe au salarié de rapporter la preuve des manquements de l'employeur qu'il invoque et le doute doit profiter à l'employeur, sauf à appliquer des règles de preuve spécifiques.

La rupture du contrat de travail produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d'un licenciement nul si les manquements reprochés à l'employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement, soit dans le cas contraire, d'une démission.

M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail le 20 juillet 2020 avant de prendre acte de la rupture par un courrier du 11 février 2021.

Il a certes été constaté ci-dessus que la société AMBULANCES DE [Localité 6] avait manqué à ses obligations en procédant à la modification unilatérale du contrat de travail. Mais M. [J] ne démontre pas en quoi ce manquement, qui a pris la forme d'une augmentation ponctuelle de sa rémunération, présentait une gravité susceptible de justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

M. [J] soutient par ailleurs dans ses conclusions qu'il a déposé la demande de résiliation judiciaire lorsqu'il a constaté la diminution de son salaire. Cette diminution apparaît sur le bulletin de paie du mois de juillet 2020 qui mentionne un paiement au 31 juillet 2020. Aucun élément ne permet donc de considérer que M. [J] aurait pris connaissance d'une diminution de son salaire dès le 10 juillet 2020, date de la requête qui a été reçue par le conseil de prud'hommes le 20 juillet 2020. Au surplus, cette modification correspond à une mise en conformité du salaire versé par rapport aux stipulations contractuelles qui a ainsi mis un terme à la modification unilatérale que M. [J] reproche par ailleurs à la société [Localité 5] AMBULANCES et ne peut dès lors caractériser un manquement de l'employeur à ses obligations.

Les autres manquements pour lesquels la société [Localité 5] AMBULANCES n'a pas démontré qu'elle avait respecté ses obligations ne présentent pas non plus une gravité suffisante pour justifier la résiliation dès lors que M. [J] ne justifie d'aucun préjudice ou d'un préjudice d'un faible montant.

S'agissant enfin du non-paiement des heures supplémentaires, il convient de constater que M. [J] ne justifie d'aucune réclamation adressée à l'employeur à ce titre alors qu'il fait état d'heures supplémentaires impayées depuis 2018. Dans la requête du 10 juillet 2020 il évoque uniquement des arriérés d'heures à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire sans demande précise quant au paiement d'heures supplémentaires. Il n'évoque pas non plus les heures supplémentaires dans son courrier de prise d'acte du 11 février 2021 et ne formulera explicitement une demande à ce titre que dans des conclusions datées du 18 février 2021. Au vu de ces éléments, ce manquement ne présente dès lors pas une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la prise d'acte s'analysait en une démission et en ce qu'il a débouté M. [J] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a laissé à chacune des parties la charge de ses dépens et débouté M. [J] et la société [Localité 5] AMBULANCES de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l'issue du litige, il convient de condamner la société [Localité 5] AMBULANCES aux dépens de l'appel. Il n'appartient en revanche pas à la cour d'appel de statuer par avance sur la charge des frais liés à une éventuelle exécution forcée du présent arrêt, comme demandé par M. [J], ces frais étant régis par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code des procédures d'exécution et relevant de la compétence exclusive du juge de l'exécution en cas de litige.

Par équité, la société [Localité 5] AMBULANCES sera en outre condamnée à payer à M. [J] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société AMBULANCES DE [Localité 6] sera par ailleurs déboutée de la demande présentée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Colmar du 06 septembre 2022 en ce qu'il a :

- condamné la S.A.R.L. AMBULANCES DE [Localité 6] au paiement de la somme de 222,63 euros au titre des heures supplémentaires effectuées au cours de la période du 03 septembre 2018 au 31 mars 2019,

- débouté M. [W] [J] de ses demandes au titre des heures supplémentaires effectuées postérieurement au 31 mars 2019,

- débouté M. [W] [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre du dépassement de la durée hebdomadaire de travail,

- débouté M. [W] [J] de sa demande de rappel de salaire pour le mois de mai 2020,

- condamné la S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES au paiement de la somme de 49,56 euros net au titre de l'indemnité de repas unique,

- débouté M. [W] [J] de sa demande au titre des temps d'habillage et de déshabillage,

- débouté M. [W] [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'entretien des tenues professionnelles ;

CONFIRME le jugement sur le surplus de ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES à payer à M. [W] [J] les sommes suivantes :

- 2 000 euros brut (deux mille euros) au titre des heures supplémentaires effectuées postérieurement au 31 mars 2019, outre 200 euros brut (deux cents euros) au titre des congés payés y afférents,

- 1 000 euros net (mille euros) à titre de dommages et intérêts pour dépassement de la durée hebdomadaire de travail,

- 50,62 euros brut (cinquante euros et soixante-deux centimes) à titre de rappel de salaire pour le mois de mai 2020,

- 132,16 euros net (cent trente-deux euros et seize centimes) au titre de l'indemnité de repas unique,

- 200 euros brut (deux cents euros) au titre des temps d'habillage et de déshabillage,

- 250 euros net (deux cent cinquante euros) à titre de dommages et intérêts pour l'entretien des tenues professionnelles ;

CONDAMNE in solidum la S.A.R.L. AMBULANCES DE [Localité 6] et la S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES à payer à M. [W] [J] la somme de 500 euros brut (cinq cents euros) au titre des heures supplémentaires effectuées du 03 septembre 2018 au 31 mars 2019, outre 50 euros brut (cinquante euros) au titre des congés payés y afférents ;

CONDAMNE la S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES aux dépens de la procédure d'appel ;

CONDAMNE la S.A.R.L. [Localité 5] AMBULANCES à payer à M. [W] [J] la somme de 1 000 euros (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la S.A.R.L. AMBULANCES DE [Localité 6] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière, Le Président,

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