CA Douai, ch. 2 sect. 2, 25 septembre 2025, n° 24/03132
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 25/09/2025
N° de MINUTE :
N° RG 24/03132 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VUKB
Ordonnance de référé (N° 24/00001) rendue le 12 juin 2024 par le présiden du tribunal judiciaire de Béthune
APPELANTE
SASU Cham Tacos prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe Talleux, avocat constitué, substitué par Me Hugo Fort, avocats au barreau de Lille
INTIMÉE
Société civile immobilière Hazal, représentée par Madame [E] [H] en sa qualité de gérante
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me François Xavier Brunet, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué, assisté de Me Ali Atlar, avocat au barreau du Val d'Oise, avocat plaidant
DÉBATS à l'audience publique du 20 mai 2025 tenue par Stéphanie Barbot magistrate chargée d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 6 mai 2025
****
FAITS ET PROCEDURE
Par un acte du 27 janvier 2017, la SCI Hazal (la SCI) a consenti à la société Le Tacos un bail commercial portant sur un local commercial à usage de restauration, situé au [Adresse 2] à [Localité 3].
Par un acte du 24 avril 2020, la locataire a cédé son fonds de commerce à la société Cham Tacos (la société Cham).
Par une ordonnance du 16 novembre 2022, rendue par le président du tribunal judiciaire de Béthune, statuant en référé, la société Cham a sollicité et obtenu la condamnation de la SCI à procéder à des travaux destinés à assurer le clos et le couvert du local loué dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai, le juge des référés se réservant la liquidation de l'astreinte.
Le 29 juin 2023, les travaux ordonnés ont été achevés.
Le 28 décembre 2023, la société Cham a assigné la SCI en liquidation de l'astreinte assortissant la décision du 16 novembre 2022.
Par une ordonnance du 12 juin 2024, le président du tribunal judiciaire de Béthune, statuant en matière de référé, a :
' rejeté l'ensemble des demandes de la société Cham ;
' condamné la société Cham aux dépens ;
' rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le 25 juin 2024, la société Cham a relevé appel de cette ordonnance.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 avril 2025, la société Cham demande à la cour d'appel de :
' infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions [expressément mentionnées dans le dispositif, p. 15] ;
Statuant à nouveau,
' condamner la SCI au paiement de la somme de 29'600 euros au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 16 novembre 2022 ;
' condamner la SCI au paiement d'une indemnité procédure de 5 000 euros, ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que :
- le premier juge n'a pas caractérisé l'existence d'une cause étrangère justifiant la suppression de l'astreinte, contrairement à ce qu'exige la jurisprudence rendue en application de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE) ;
- le retard dans l'exécution des travaux est imputable à la SCI qui, bien qu'ayant conscience de ce que la toiture était composée de tôles amiantées devant être préalablement retirées, s'est d'abord opposée à ce retrait avant de l'accepter ;
- elle, appelante, ne s'est pas opposée à l'intervention des entreprises mandatées pour exécuter les travaux par la SCI, qui n'avait manifestement pas informé celles-là de la présence d'amiante ;
- la SCI bailleresse, tenue de respecter les dispositions légales en matière d'amiante, ne pouvait procéder à la réfection totale de la toiture sans se conformer à ces règles, sous peine de contrevenir à son obligation de délivrance.
- elle, appelante, n'a jamais renoncé à la réfection de la toiture, qui impliquait nécessairement la dépose des tôles amiantées « conformément à l'ordonnance », mais seulement accepté une intervention en urgence pour faire cesser les infiltrations ;
- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le retard pris dans les travaux n'est pas dû à une mésentente entre les parties sur la nature des travaux à entreprendre ; celles-ci étaient d'accord sur ce point dès le 9 février 2023. C'est l'inertie de la SCI qui a causé ce retard. Il convient donc de liquider l'astreinte dans sa totalité et de condamner la SCI à la somme de 29 600 euros (148 jours X 200 euros) ;
- la SCI, qui continue à soutenir que le retard est imputable à son comportement obstructif à elle, appelante, se fonde, d'abord, sur sa lettre du 9 février 2023 dont il est fait une lecture erronée. Ensuite, elle, appelante, n'a jamais changé d'avis concernant le retrait des tôles amiantées. La cause étrangère permettant de réduire ou de supprimer l'astreinte n'est donc pas démontrée ;
- plus encore, il est incontestable qu'entre le 28 mars et le 12 mai 2023, la SCI n'a entrepris aucune démarche pour mettre un terme à son préjudice à elle, appelante, qui n'est pas à l'origine de l'annulation de l'intervention du 10 avril 2023. Cette annulation « n'est pas une cause étrangère, puisqu'elle résulte de l'action de la société intervenant pour le compte de la SCI ». Par la suite, elle, appelante, a dû attendre jusqu'au 12 mai 2023 pour qu'une nouvelle intervention soit programmée et ce « sans respecter le délai de prévenance », puisqu'elle a été avertie 48 heures avant la date d'intervention. Ainsi, même s'il était jugé qu'un désaccord sur la nature des travaux a retardé ces derniers en janvier et février 2023 - ce qui est contesté -, la SCI ne démontre pas l'existence d'une opposition ou d'une discussion sur la nature des travaux « après le 28 mars 2023 ». En conséquence, le montant de l'astreinte ne pourrait être inférieur à la somme de 18 600 euros, correspondant à la période comprise entre le 28 mars et le 29 juin 2023 (soit 93 jours X 200 euros).
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2024, la SCI demande à la cour d'appel de :
Vu les articles L. 131-1 et suivants du code de procédure civile ;
Vu l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
' confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
' rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Cham ;
' condamner la société Cham au paiement d'une indemnité procédure de 4 000 euros, ainsi qu'aux dépens.
La SCI rappelle d'abord les principes juridiques applicables, et notamment le fait que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit ; le juge doit donc procéder au contrôle de proportionnalité entre le montant de l'astreinte et l'enjeu du litige (p. 17).
Ensuite, à titre principal (pp. 18 à 20), la SCI soutient qu'elle démontre que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provenait, en tout ou partie, d'une cause étrangère, et ce pour plusieurs raisons :
- la locataire a adopté un comportement de blocage qui a rendu toute intervention impossible et l'a retardée, en exigeant un désamiantage des lieux en dépit des solutions techniques permettant une intervention sans désamiantage. Cela a rendu « mathématiquement impossible » la réalisation des travaux dans le délai de deux mois imparti par le juge, puisque ces travaux nécessitent des formalités obligatoires (rapport avant travaux et plan de retrait) et qu'il a fallu obtenir des autorisations du voisinage pour évacuer les déchets, la locataire refusant un passage par son établissement ;
- la locataire s'est immiscée dans la mission des professionnels missionnés par la bailleresse, retardant ainsi la réalisation des travaux ;
- par son manque de réactivité, la locataire a retardé les visites des professionnels et est à l'origine du report des interventions ;
- en toute illégalité et en violation du bail (article IX), la locataire a exigé un délai de prévenance et une autorisation d'accès au local commercial ;
- au surplus, en imposant de passer par son avocat, la communication et les délais ont augmenté ;
- c'est à raison que le premier juge a relevé ces motifs : elle, bailleresse, a tenté de prendre des diligences pour respecter les termes de
l'ordonnance ; les parties n'étaient pas d'accord sur la matérialité et la nature des travaux à réaliser, qui ne relevaient pas des demandes initialement présentées au juge des référés, et cette mésentente n'est pas imputable au seul comportement de la bailleresse ; enfin, elle, SCI, n'a pas opposé de résistance à l'exécution de l'ordonnance rendue.
Subsidiairement (pp. 20 à 22), la SCI demande à la cour d'appel d'user de son pouvoir souverain d'appréciation en modifiant le montant de l'astreinte « à de plus justes proportions » et en fixant le montant de l'astreinte en tenant compte de son comportement et des difficultés qu'elle a rencontrées pour exécuter l'ordonnance. En effet :
- dès la signification de l'ordonnance, elle a été diligente pour exécuter les travaux, en mandatant des professionnels, en mettant tout en oeuvre pour réaliser les travaux malgré l'attitude d'opposition de la locataire et son immixtion dans le choix des professionnels ;
- elle a été contrainte de faire réaliser les travaux selon les exigences de la locataire, alors que ces exigences ne correspondaient pas aux termes de l'ordonnance ;
- dès que la société GDB désamiantage a été mandatée, le 30 janvier 2023, de nombreuses difficultés indépendantes de sa volonté à elle, bailleresse, ont été rencontrées (rapport de désamiantage, dépôt d'un plan de retrait, plusieurs reports de l'intervention pour diverses raisons) ;
- il est donc demandé de réduire à de plus justes proportions le taux et le montant de l'astreinte. En l'espèce, le litige portait sur la réparation de la toiture en arrière-boutique, ce qui n'a eu aucun impact sur l'activité de la locataire. La nature du litige ne justifie donc pas la liquidation de l'astreinte à hauteur de 200 euros par jour. En outre, le montant de l'astreinte est trop élevé au regard des circonstances de la cause : de fait, le délai de deux mois imposé par le juge était « mathématiquement impossible à respecter » au regard de ces circonstances : le prononcé de l'ordonnance en période hivernale, non propice à l'intervention ordonnée et l'absence d'intégration de la problématique liée au désamiantage dans l'ordonnance.
MOTIVATION
Qu'elle soit provisoire - comme c'est en principe le cas - ou définitive, l'astreinte est une mesure comminatoire de nature judiciaire qui permet d'exercer une pression financière sur le débiteur afin qu'il exécute une décision de justice exécutoire prononçant une obligation à son égard.
L'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE) dispose ainsi que :
Tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.
Le juge de l'exécution peut assortir d'une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité.
L'article L. 131-2 de ce code précise que :
L'astreinte est indépendante des dommages-intérêts.
L'astreinte est provisoire ou définitive. L'astreinte est considérée comme provisoire, à moins que le juge n'ait précisé son caractère définitif.
Une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Si l'une de ces conditions n'a pas été respectée, l'astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire.
Une fois l'astreinte prononcée, il convient de la liquider, c'est-à-dire de déterminer la somme que le débiteur devra payer pour ne pas avoir exécuté, en tout ou partie, l'obligation principale mise à sa charge par le juge.
A cet égard, l'article L. 131-3 dispose que :
L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir.
Et l'article L. 131-4 que :
Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.
L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
Par exception au principe de la compétence exclusive du juge de l'exécution pour liquider une astreinte, édicté à l'article L. 131-3 précité, l'article 491 du code de procédure civile autorise le juge des référés qui assortit sa décision d'une astreinte à s'en réserver la liquidation. Dès lors qu'il s'est réservé ce pouvoir, le juge des référés doit statuer sur la demande de liquidation en appliquant les conditions édictées à l'article L.131-4.
L'action en liquidation d'astreinte ne peut être engagée que si la décision ordonnant l'astreinte a été notifiée au débiteur (v. par ex. Civ. 2e, 8 déc. 2005, n° 04-13616).
Lorsque la décision d'origine a clairement fixé les obligations assorties d'astreinte, le juge de la liquidation ne peut, sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée de cette décision, modifier les obligations ou dire que l'astreinte ne s'applique pas à certaines d'entre elles (v. par ex. : 2e Civ., 5 juin 2014, n° 13-14548).
A l'inverse, lorsque la décision initiale est ambiguë, il résulte d'une jurisprudence constante que le juge saisi d'une demande de liquidation d'astreinte doit interpréter cette décision afin de déterminer les obligations ou injonctions qui ont été assorties d'une astreinte (2e Civ., 26 mars 1997, n° 94-21.590, publié ; 2e Civ., 11 mai 2006, n° 04-15.213, publié), sans pouvoir se retrancher derrière l'imprécision des obligations pour refuser de liquider l'astreinte (Civ. 2e, 11 mars 2010, n° 09-13636, publié).
Il a lieu à liquidation de l'astreinte dès que l'injonction assortie de l'astreinte a été exécutée avec retard, peu important que l'injonction ait été exécutée au moment où le juge statue (2e Civ. 8 déc. 2005, n° 04-12643, publié ; 2e Civ., 21 mars 2019, n° 18-13260). La minoration de l'astreinte ne peut être motivée qu'au regard des deux critères fixés à l'article L. 131-4 précité (2e Civ. 8 déc. 2005, n° 04-13236). C'est uniquement si l'obligation a été exécutée dans le délai et les conditions fixés par le juge, avant le point de départ de l'astreinte, qu'il n'y a pas lieu à liquidation de celle-ci (2e Civ, 11 mai 2006, n° 05-17402, publié ; 2e Civ. 25 févr. 2010, n° 08-21718, publié).
Il incombe au débiteur de démontrer qu'il a exécuté l'obligation de faire mise à sa charge (2e Civ.,10 févr. 2005, n° 03-11607).
La constatation de l'inexécution de la décision d'origine est appréciée souverainement par le juge saisi de la demande de liquidation, mais celui-ci est tenu de motiver sa décision sur ce point. Il doit non seulement vérifier que l'astreinte a couru, mais aussi faire apparaître, dans les motifs de sa décision, que le débiteur n'a pas respecté l'injonction judiciaire dans les conditions et le délai fixés (v. par ex. 2e Civ., 14 nov. 2019, n°18-22209).
Si la fixation du montant de l'astreinte liquidée relève de l'appréciation souveraine du juge du fond, ce dernier est néanmoins tenu au respect de certaines règles :
- même en l'absence de contestation des parties sur ce point, il doit vérifier d'office que l'astreinte a commencé à courir et déterminer son point de départ (2e Civ., 6 juin 2019, n° 18-1.311, publié) ;
- le montant de l'astreinte liquidée ne peut être supérieur à celui de l'astreinte fixée par le juge qui l'a ordonnée (2e Civ., 11 mai 2006, n° 05-17402, publié) ;
- l'astreinte étant indépendante des dommages-intérêts, le montant de l'astreinte liquidée ne peut dépendre du préjudice éventuellement subi par le créancier. L'absence ou la faiblesse du préjudice ne peuvent donc justifier une décision de minoration de l'astreinte (2e Civ., 28 oct. 1999, n° 98-14.432) ;
- enfin, s'il s'agit d'une astreinte provisoire, le juge doit liquider son montant « en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter », conformément à l'article L. 131-4 du CPCE. La Cour de cassation exerce son contrôle de la motivation retenue sur ce point Pour limiter le montant de l'astreinte, le juge doit s'appuyer sur des faits précis, fondés sur les critères posés par l'article L. 131-4 (v. par ex. 2e Civ. 8 déc. 2005, n° 04-13236). Par ailleurs, le comportement du débiteur doit s'apprécier à compter du prononcé de la décision fixant l'injonction, et non à compter de sa signification (2e Civ., 9 janv. 2014, n° 12-25297) ou sur des faits antérieurs à cette décision (2e Civ., 17 mars 2016, n° 15-13122, publié).
De surcroît, au-delà des termes mêmes de l'article L. 131-4, « le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit, lorsque la demande lui en est faite, apprécier, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 19-22435, publié ; Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 21-25582, publié). En l'absence d'une telle demande, le juge a la faculté, et non l'obligation, de vérifier d'office l'existence d'un tel rapport de proportionnalité, mais il doit alors mettre les parties en mesure de s'expliquer sur ce moyen, conformément au principe de la contradiction (Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 22-15810).
Enfin, le débiteur peut obtenir non seulement la suppression de l'astreinte, en tout ou partie, ainsi que le prévoit l'article L. 131-4 du CPCE, mais aussi le rejet de la demande de liquidation de l'astreinte s'il démontre que l'inexécution de la décision, ou le retard dans l'exécution, provient d'une cause étrangère.
La charge de la preuve de la cause étrangère repose sur le débiteur (v. par ex. Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 05-15983).
La cause étrangère, plus large que la notion de force majeure, recouvre tous les cas dans lesquels le débiteur démontre s'être trouvé dans l'impossibilité d'exécuter l'obligation mise à sa charge, pour une raison quelconque, qui peut en particulier tenir au comportement du créancier. La cause étrangère s'apprécie donc au cas par cas.
Le juge apprécie souverainement l'existence d'une cause étrangère fondant le rejet d'une demande de liquidation d'astreinte (v. par ex. Civ. 2e, 5 juin 2014, n° 13-19774), mais il doit caractériser les circonstances établissant la cause étrangère, sous peine de censure de sa décision (v. par ex. Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 17-21618).
En l'espèce, dans son ordonnance du 16 novembre 2022 (l'ordonnance d'origine), le juge des référés s'est expressément réservé le pouvoir de liquider l'astreinte assortissant l'obligation de faire mise à la charge de la SCI.
Cette ordonnance de référé, exécutoire de droit à titre provisoire, a été signifiée à la SCI par un acte du 1er décembre 2022.
Après avoir, dans ses motifs, relevé qu'il ressortait d'un constat d'huissier du 12 avril 2022 l'existence d'infiltrations et de fissures de la couverture du local constituée de tôles alvéolées en fibre de ciment au niveau de la chambre froide, l'ordonnance d'origine, dans son dispositif, condamne la SCI à « procéder aux travaux nécessaires afin de mettre un terme aux infiltrations subies et pour assurer le clos et le couvert du local commercial » donné à bail à la société Cham, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, sous peine d'une astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai.
Par conséquent, les travaux auraient dû être exécutés au plus tard le 1er février 2023, ce qui n'est pas le cas, les parties coïncidant pour dire qu'ils se sont achevés le 28 juin 2023.
L'astreinte, provisoire en application de l'article L. 131-2 précité, a donc couru du 1er février au 28 juin 2023, soit une période de 148 jours, tel que l'indique exactement la société Cham.
Cependant, pour liquider cette astreinte provisoire, il convient d'examiner la chronologie des événements qui se sont succédé pendant cette période de cinq mois.
La lecture des pièces versées aux débats par les parties permet de mettre en lumière les points suivants :
En premier lieu, entre le mercredi 16 novembre 2022 - date de prononcé de l'ordonnance enjoignant à la SCI d'exécuter les travaux - et le 5 décembre 2022 - date du premier courriel officiel envoyé par son conseil au conseil adverse (cf. sa pièce n° 1), soit pendant 19 jours, la SCI ne justifie pas avoir accompli la moindre diligence pour se conformer à l'ordonnance. La SCI reconnaît d'ailleurs elle-même n'avoir accompli les premières diligences qu'après la signification de l'ordonnance ;
En deuxième lieu, s'il est acquis que les travaux à accomplir ont englobé des opérations de désamiantage, il n'est pas démontré que, contrairement à ce que soutient la société Cham, la SCI savait dès l'origine que la toiture à l'origine des infiltrations contenait des matériaux amiantés. Le constat d'huissier sur lequel se fonde l'ordonnance du 16 novembre 2022 ne contient aucune précision en ce sens. Et ni les motifs ni le dispositif des conclusions soutenues par la locataire devant le juge ayant rendu cette ordonnance, ni les motifs ni le dispositif de l'ordonnance ne précisaient que la toiture à réparer contenait de l'amiante.
Dans ces conditions, il est normal qu'il ait fallu aux parties un certain délai pour s'entendre sur le fait que les travaux de réparation de la toiture incluraient des opérations de désamiantage.
Il est démontré que dès le 4 janvier 2023, la SCI savait que les travaux impliqueraient la dépose de tôles amiantées, et la locataire a accepté de tels travaux (cf. pièces n° 4, 6 et 7 de l'intimée). Compte tenu de l'accord conclu entre les parties sur la nature des travaux à entreprendre, la SCI n'est donc pas fondée à reprocher à la société Cham de ne pas avoir accepté, par la suite, d'autres solutions techniques ne requérant pas de désamiantage. C'est également à tort que la SCI prétend qu'il résulte d'un courriel du conseil de la société Cham rédigé le 9 février 2023 que la locataire serait revenue sur son accord pour la réalisation de travaux de désamiantage dès lors que, dans cette lettre, elle fait uniquement part de son accord sur la réalisation de « réparations urgentes », avant la réalisation, « dans un second temps », de travaux de désamiantage (cf. pièce n° 21 de l'appelante) ;
En troisième lieu, la réalisation de travaux incluant un désamiantage a augmenté le délai d'exécution des travaux ordonnés sous astreinte, puisque :
' d'abord, ce type d'opération nécessite de recourir à une entreprise spécialisée. C'est ainsi que l'entreprise GND a établi un devis le 27 janvier 2023, en annonçant pouvoir intervenir durant la deuxième quinzaine du mois de mars compte tenu de ses propres contingences (pièce n° 20 de l'intimée) ;
' ensuite, les travaux de désamiantage sont eux-mêmes soumis au respect de formalités préalables obligatoires incluant, premièrement, un diagnostic aux fins de prélèvements à analyser afin de corroborer, ou non, la présence d'amiante. En l'occurrence, et après avoir tenu compte des disponibilités de la locataire, le diagnostiqueur (distinct de la société de désamiantage) a pu se rendre sur les lieux le 27 janvier 2023 pour effectuer ses premiers prélèvements qui, après analyse réalisée le 9 février 2023, se sont révélés négatifs. Toutefois, les seconds prélèvements réalisés le 27 février 2023, destinés à confirmer l'absence d'amiante, ont mis au jour la présence de ce matériau dans certains éléments de la toiture, ainsi qu'il résulte du rapport final du diagnostiqueur communiqué à la SCI le 26 février 2023 et transféré à la société GND le lendemain pour adaptation du plan de son retrait (pièces n° 28 et 30 de l'intimée). En effet, avant la réalisation des travaux de désamiantage, la société GND a dû déposer un plan de retrait de l'amiante le 7 février 2023 - seconde formalité légalement obligatoire -, revoir ce plan à la suite des prélèvements positifs et réviser son devis initial le 27 février 2023 (cf. pièces n° 31 et 33 de l'intimée) ;
' enfin, la SCI a dû coordonner l'intervention de deux entreprises différentes, l'une pour réaliser le désamiantage proprement dit (la société GND), l'autre les travaux de couverture à exécuter dans la foulée de manière que le local ne demeure pas à ciel ouvert, étant souligné qu'il a fallu tenir compte à la fois des délais légaux - qui n'autorisaient pas la société GND à intervenir avant la deuxième quinzaine du mois de mars (cf. pièces 20 et n° 22 de l'intimée) - et des contraintes climatiques - qui n'ont pas permis au couvreur d'intervenir dès la mi-mars 2013 (cf. pièces n° 34 et 36 de l'intimée). En définitive, par un courriel du 15 mars 2023, le calendrier d'intervention des deux sociétés mandatées par la bailleresse a été transmis à l'avocat de la locataire : les 27 et 28 mars 2023 pour la société de désamiantage et les 29 et 30 mars 2023 pour le couvreur (pièce n° 22 de l'appelante), et la société Cham a, par la voix de son conseil, expressément consenti à ce calendrier (pièce n° 23 de l'appelante).
En quatrième lieu, les interventions convenues entre les parties ont été reportées à deux reprises, sans que cela soit imputable au fait de la SCI :
' l'intervention de la société GND, initialement programmée le 27 mars 2023, a été reportée au 10 avril. Même en retenant la thèse la plus favorable à la locataire, telle qu'elle ressort de sa pièce n° 14, ce report est dû à la décision de la société GND, qui a voulu régler en amont des travaux certaines questions pratiques (accès à l'eau et à l'électricité, méthode d'évacuation des matériaux amiantés, notamment). La SCI ne peut être tenue pour responsable de ce report de date décidé unilatéralement par la société GND, à l'inverse de ce que prétend la société Cham. Ce grief est d'autant moins fondé que cette dernière avait été informée, par le courriel du 15 mars 2023, ci-dessus évoqué, des demandes de la société GND sur ces questions d'organisation pratique ;
' puis l'intervention du 10 avril 2023 a également été reportée. A cet égard, la SCI indique, sans démenti de la locataire, que ce report est dû au fait que la société GND n'avait pas sollicité l'autorisation des voisins pour évacuer les matériaux amiantés et que le passage par un fonds voisin a été rendu nécessaire par le refus de la locataire que ces matériaux transitent par le local commercial (cf. pp. 12 et 21 des conclusions de l'intimée) ;
En dernier lieu, à la suite du second report de la date des travaux, la SCI a relancé la société GND une semaine après, les 17 et 25 avril 2023 en s'enquérant de la suite à donner au chantier et, le 27 avril 2023, cette société lui a proposé plusieurs solutions (pièces n° 44 et 58 de l'intimée). Toutefois, ayant perdu confiance dans ce professionnel, la SCI a mis fin au contrat conclu avec lui le 9 mai 2023, en en informant l'avocat de la locataire concomitamment, en lui indiquant avoir mandaté une nouvelle entreprise susceptible d'intervenir les 12 et 13 mai 2023, ou les 26 et 27 mai 2023, mais seulement pour réaliser les travaux sans désamiantage (pièces n° 45, 46 et 49 de l'intimée). La locataire a refusé cette intervention en arguant notamment de ce que les travaux envisagés n'incluaient pas le retrait des tôles amiantées (pièces 47 et 50 de l'intimée). Eu égard à l'accord qui préexistait entre les parties, dès le mois de janvier 2023, sur le retrait de ces tôles, un tel refus était justifié, peu important que la nouvelle société ait assuré pouvoir assurer rapidement le clos et le couvert « sans désamiantage et sans danger » (cf. pièce n° 48 de l'intimée).
La SCI a donc repris attache avec la société GND, qui lui a répondu le 23 mai 2023 et a accepté, le 24 mai 2023, de réaliser sa mission en proposant d'intervenir le 5 juin 2023. Néanmoins, ainsi que l'indique la SCI sans que ce soit contesté par la locataire, celle-ci a refusé l'évacuation des déchets par son local comme le demandait la société GND, contraignant de ce fait cette dernière à solliciter et à obtenir l'autorisation des voisins pour accéder à leur propriété aux fins d'évacuer ces déchets. Ainsi, après obtention de cette autorisation et coordination entre les deux sociétés intervenantes pour la réalisation des travaux, l'avocat de la SCI a, le 8 juin 2023, informé l'avocat de la locataire du nouveau calendrier d'intervention : les 26 et 27 juin pour le désamiantage et les 28 et 29 juin pour la pose de nouvelles tôles et la couverture, ce que la locataire a accepté le 9 juin suivant, en consentant à fermer son établissement ce jour-là et à mettre à la disposition des professionnels des points d'eau et d'électricité (pièces 54 et 55 de l'intimée).
Il découle de ce tout ce qui précède que, si la SCI ne justifie pas de l'existence d'une cause étrangère susceptible de fonder le rejet intégral de la demande de liquidation de l'astreinte provisoire, cette société établit toutefois que, pour réaliser les travaux ordonnés par la décision du 16 novembre 2022, elle s'est heurtée à des difficultés sérieuses d'exécution qui ne lui sont pas imputables et sont liées, cumulativement, à l'imprécision de la décision d'origine, au temps nécessaire à l'accomplissement des formalités afférentes aux travaux de désamiantiage sur lesquels se sont finalement entendues les parties, au report de la date de début des travaux à deux reprises et à la nécessité de passer par des fonds voisins pour évacuer les matériaux amiantés. Au total, depuis que l'astreinte a couru, seul le temps écoulé entre la nouvelle proposition d'intervention de la société de désamiantage, fin avril 2023 et la conclusion du nouveau contrat entre la SCI et cette société, le 24 mai 2023, peut être imputé à la SCI, soit un retard que la cour d'appel évalue, au vu des pièces communiquées, à 30 jours.
Par conséquent, l'astreinte peut être liquidée à la somme totale de 6 000 euros (30 jours X 200 euros), cette somme étant proportionnée à l'enjeu du litige, lequel ne peut s'apprécier en fonction de l'absence de préjudice subi par la locataire contrairement à ce que prétend la SCI (p. 21 de ses conclusions), mais consistait à assurer au locataire la jouissance d'un local commercial intégralement clos et couvert dans les meilleurs délais.
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en toutes ses dispositions
Succombant pour l'essentiel, la SCI sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Et statuant à nouveau,
- CONDAMNE la SCI Hazal à payer à la société Cham Tacos la somme de 6 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire assortissant l'ordonnance de référé du 16 novembre 2022 ;
- CONDAMNE la SCI Hazal aux dépens de première instance et d'appel ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de la SCI Hazal et LA CONDAMNE à payer à la société Cham Tacos la somme de 3 000 euros.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 25/09/2025
N° de MINUTE :
N° RG 24/03132 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VUKB
Ordonnance de référé (N° 24/00001) rendue le 12 juin 2024 par le présiden du tribunal judiciaire de Béthune
APPELANTE
SASU Cham Tacos prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe Talleux, avocat constitué, substitué par Me Hugo Fort, avocats au barreau de Lille
INTIMÉE
Société civile immobilière Hazal, représentée par Madame [E] [H] en sa qualité de gérante
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me François Xavier Brunet, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué, assisté de Me Ali Atlar, avocat au barreau du Val d'Oise, avocat plaidant
DÉBATS à l'audience publique du 20 mai 2025 tenue par Stéphanie Barbot magistrate chargée d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 6 mai 2025
****
FAITS ET PROCEDURE
Par un acte du 27 janvier 2017, la SCI Hazal (la SCI) a consenti à la société Le Tacos un bail commercial portant sur un local commercial à usage de restauration, situé au [Adresse 2] à [Localité 3].
Par un acte du 24 avril 2020, la locataire a cédé son fonds de commerce à la société Cham Tacos (la société Cham).
Par une ordonnance du 16 novembre 2022, rendue par le président du tribunal judiciaire de Béthune, statuant en référé, la société Cham a sollicité et obtenu la condamnation de la SCI à procéder à des travaux destinés à assurer le clos et le couvert du local loué dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai, le juge des référés se réservant la liquidation de l'astreinte.
Le 29 juin 2023, les travaux ordonnés ont été achevés.
Le 28 décembre 2023, la société Cham a assigné la SCI en liquidation de l'astreinte assortissant la décision du 16 novembre 2022.
Par une ordonnance du 12 juin 2024, le président du tribunal judiciaire de Béthune, statuant en matière de référé, a :
' rejeté l'ensemble des demandes de la société Cham ;
' condamné la société Cham aux dépens ;
' rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le 25 juin 2024, la société Cham a relevé appel de cette ordonnance.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 avril 2025, la société Cham demande à la cour d'appel de :
' infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions [expressément mentionnées dans le dispositif, p. 15] ;
Statuant à nouveau,
' condamner la SCI au paiement de la somme de 29'600 euros au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 16 novembre 2022 ;
' condamner la SCI au paiement d'une indemnité procédure de 5 000 euros, ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que :
- le premier juge n'a pas caractérisé l'existence d'une cause étrangère justifiant la suppression de l'astreinte, contrairement à ce qu'exige la jurisprudence rendue en application de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE) ;
- le retard dans l'exécution des travaux est imputable à la SCI qui, bien qu'ayant conscience de ce que la toiture était composée de tôles amiantées devant être préalablement retirées, s'est d'abord opposée à ce retrait avant de l'accepter ;
- elle, appelante, ne s'est pas opposée à l'intervention des entreprises mandatées pour exécuter les travaux par la SCI, qui n'avait manifestement pas informé celles-là de la présence d'amiante ;
- la SCI bailleresse, tenue de respecter les dispositions légales en matière d'amiante, ne pouvait procéder à la réfection totale de la toiture sans se conformer à ces règles, sous peine de contrevenir à son obligation de délivrance.
- elle, appelante, n'a jamais renoncé à la réfection de la toiture, qui impliquait nécessairement la dépose des tôles amiantées « conformément à l'ordonnance », mais seulement accepté une intervention en urgence pour faire cesser les infiltrations ;
- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le retard pris dans les travaux n'est pas dû à une mésentente entre les parties sur la nature des travaux à entreprendre ; celles-ci étaient d'accord sur ce point dès le 9 février 2023. C'est l'inertie de la SCI qui a causé ce retard. Il convient donc de liquider l'astreinte dans sa totalité et de condamner la SCI à la somme de 29 600 euros (148 jours X 200 euros) ;
- la SCI, qui continue à soutenir que le retard est imputable à son comportement obstructif à elle, appelante, se fonde, d'abord, sur sa lettre du 9 février 2023 dont il est fait une lecture erronée. Ensuite, elle, appelante, n'a jamais changé d'avis concernant le retrait des tôles amiantées. La cause étrangère permettant de réduire ou de supprimer l'astreinte n'est donc pas démontrée ;
- plus encore, il est incontestable qu'entre le 28 mars et le 12 mai 2023, la SCI n'a entrepris aucune démarche pour mettre un terme à son préjudice à elle, appelante, qui n'est pas à l'origine de l'annulation de l'intervention du 10 avril 2023. Cette annulation « n'est pas une cause étrangère, puisqu'elle résulte de l'action de la société intervenant pour le compte de la SCI ». Par la suite, elle, appelante, a dû attendre jusqu'au 12 mai 2023 pour qu'une nouvelle intervention soit programmée et ce « sans respecter le délai de prévenance », puisqu'elle a été avertie 48 heures avant la date d'intervention. Ainsi, même s'il était jugé qu'un désaccord sur la nature des travaux a retardé ces derniers en janvier et février 2023 - ce qui est contesté -, la SCI ne démontre pas l'existence d'une opposition ou d'une discussion sur la nature des travaux « après le 28 mars 2023 ». En conséquence, le montant de l'astreinte ne pourrait être inférieur à la somme de 18 600 euros, correspondant à la période comprise entre le 28 mars et le 29 juin 2023 (soit 93 jours X 200 euros).
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2024, la SCI demande à la cour d'appel de :
Vu les articles L. 131-1 et suivants du code de procédure civile ;
Vu l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
' confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
' rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Cham ;
' condamner la société Cham au paiement d'une indemnité procédure de 4 000 euros, ainsi qu'aux dépens.
La SCI rappelle d'abord les principes juridiques applicables, et notamment le fait que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit ; le juge doit donc procéder au contrôle de proportionnalité entre le montant de l'astreinte et l'enjeu du litige (p. 17).
Ensuite, à titre principal (pp. 18 à 20), la SCI soutient qu'elle démontre que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provenait, en tout ou partie, d'une cause étrangère, et ce pour plusieurs raisons :
- la locataire a adopté un comportement de blocage qui a rendu toute intervention impossible et l'a retardée, en exigeant un désamiantage des lieux en dépit des solutions techniques permettant une intervention sans désamiantage. Cela a rendu « mathématiquement impossible » la réalisation des travaux dans le délai de deux mois imparti par le juge, puisque ces travaux nécessitent des formalités obligatoires (rapport avant travaux et plan de retrait) et qu'il a fallu obtenir des autorisations du voisinage pour évacuer les déchets, la locataire refusant un passage par son établissement ;
- la locataire s'est immiscée dans la mission des professionnels missionnés par la bailleresse, retardant ainsi la réalisation des travaux ;
- par son manque de réactivité, la locataire a retardé les visites des professionnels et est à l'origine du report des interventions ;
- en toute illégalité et en violation du bail (article IX), la locataire a exigé un délai de prévenance et une autorisation d'accès au local commercial ;
- au surplus, en imposant de passer par son avocat, la communication et les délais ont augmenté ;
- c'est à raison que le premier juge a relevé ces motifs : elle, bailleresse, a tenté de prendre des diligences pour respecter les termes de
l'ordonnance ; les parties n'étaient pas d'accord sur la matérialité et la nature des travaux à réaliser, qui ne relevaient pas des demandes initialement présentées au juge des référés, et cette mésentente n'est pas imputable au seul comportement de la bailleresse ; enfin, elle, SCI, n'a pas opposé de résistance à l'exécution de l'ordonnance rendue.
Subsidiairement (pp. 20 à 22), la SCI demande à la cour d'appel d'user de son pouvoir souverain d'appréciation en modifiant le montant de l'astreinte « à de plus justes proportions » et en fixant le montant de l'astreinte en tenant compte de son comportement et des difficultés qu'elle a rencontrées pour exécuter l'ordonnance. En effet :
- dès la signification de l'ordonnance, elle a été diligente pour exécuter les travaux, en mandatant des professionnels, en mettant tout en oeuvre pour réaliser les travaux malgré l'attitude d'opposition de la locataire et son immixtion dans le choix des professionnels ;
- elle a été contrainte de faire réaliser les travaux selon les exigences de la locataire, alors que ces exigences ne correspondaient pas aux termes de l'ordonnance ;
- dès que la société GDB désamiantage a été mandatée, le 30 janvier 2023, de nombreuses difficultés indépendantes de sa volonté à elle, bailleresse, ont été rencontrées (rapport de désamiantage, dépôt d'un plan de retrait, plusieurs reports de l'intervention pour diverses raisons) ;
- il est donc demandé de réduire à de plus justes proportions le taux et le montant de l'astreinte. En l'espèce, le litige portait sur la réparation de la toiture en arrière-boutique, ce qui n'a eu aucun impact sur l'activité de la locataire. La nature du litige ne justifie donc pas la liquidation de l'astreinte à hauteur de 200 euros par jour. En outre, le montant de l'astreinte est trop élevé au regard des circonstances de la cause : de fait, le délai de deux mois imposé par le juge était « mathématiquement impossible à respecter » au regard de ces circonstances : le prononcé de l'ordonnance en période hivernale, non propice à l'intervention ordonnée et l'absence d'intégration de la problématique liée au désamiantage dans l'ordonnance.
MOTIVATION
Qu'elle soit provisoire - comme c'est en principe le cas - ou définitive, l'astreinte est une mesure comminatoire de nature judiciaire qui permet d'exercer une pression financière sur le débiteur afin qu'il exécute une décision de justice exécutoire prononçant une obligation à son égard.
L'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE) dispose ainsi que :
Tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.
Le juge de l'exécution peut assortir d'une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité.
L'article L. 131-2 de ce code précise que :
L'astreinte est indépendante des dommages-intérêts.
L'astreinte est provisoire ou définitive. L'astreinte est considérée comme provisoire, à moins que le juge n'ait précisé son caractère définitif.
Une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Si l'une de ces conditions n'a pas été respectée, l'astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire.
Une fois l'astreinte prononcée, il convient de la liquider, c'est-à-dire de déterminer la somme que le débiteur devra payer pour ne pas avoir exécuté, en tout ou partie, l'obligation principale mise à sa charge par le juge.
A cet égard, l'article L. 131-3 dispose que :
L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir.
Et l'article L. 131-4 que :
Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.
L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
Par exception au principe de la compétence exclusive du juge de l'exécution pour liquider une astreinte, édicté à l'article L. 131-3 précité, l'article 491 du code de procédure civile autorise le juge des référés qui assortit sa décision d'une astreinte à s'en réserver la liquidation. Dès lors qu'il s'est réservé ce pouvoir, le juge des référés doit statuer sur la demande de liquidation en appliquant les conditions édictées à l'article L.131-4.
L'action en liquidation d'astreinte ne peut être engagée que si la décision ordonnant l'astreinte a été notifiée au débiteur (v. par ex. Civ. 2e, 8 déc. 2005, n° 04-13616).
Lorsque la décision d'origine a clairement fixé les obligations assorties d'astreinte, le juge de la liquidation ne peut, sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée de cette décision, modifier les obligations ou dire que l'astreinte ne s'applique pas à certaines d'entre elles (v. par ex. : 2e Civ., 5 juin 2014, n° 13-14548).
A l'inverse, lorsque la décision initiale est ambiguë, il résulte d'une jurisprudence constante que le juge saisi d'une demande de liquidation d'astreinte doit interpréter cette décision afin de déterminer les obligations ou injonctions qui ont été assorties d'une astreinte (2e Civ., 26 mars 1997, n° 94-21.590, publié ; 2e Civ., 11 mai 2006, n° 04-15.213, publié), sans pouvoir se retrancher derrière l'imprécision des obligations pour refuser de liquider l'astreinte (Civ. 2e, 11 mars 2010, n° 09-13636, publié).
Il a lieu à liquidation de l'astreinte dès que l'injonction assortie de l'astreinte a été exécutée avec retard, peu important que l'injonction ait été exécutée au moment où le juge statue (2e Civ. 8 déc. 2005, n° 04-12643, publié ; 2e Civ., 21 mars 2019, n° 18-13260). La minoration de l'astreinte ne peut être motivée qu'au regard des deux critères fixés à l'article L. 131-4 précité (2e Civ. 8 déc. 2005, n° 04-13236). C'est uniquement si l'obligation a été exécutée dans le délai et les conditions fixés par le juge, avant le point de départ de l'astreinte, qu'il n'y a pas lieu à liquidation de celle-ci (2e Civ, 11 mai 2006, n° 05-17402, publié ; 2e Civ. 25 févr. 2010, n° 08-21718, publié).
Il incombe au débiteur de démontrer qu'il a exécuté l'obligation de faire mise à sa charge (2e Civ.,10 févr. 2005, n° 03-11607).
La constatation de l'inexécution de la décision d'origine est appréciée souverainement par le juge saisi de la demande de liquidation, mais celui-ci est tenu de motiver sa décision sur ce point. Il doit non seulement vérifier que l'astreinte a couru, mais aussi faire apparaître, dans les motifs de sa décision, que le débiteur n'a pas respecté l'injonction judiciaire dans les conditions et le délai fixés (v. par ex. 2e Civ., 14 nov. 2019, n°18-22209).
Si la fixation du montant de l'astreinte liquidée relève de l'appréciation souveraine du juge du fond, ce dernier est néanmoins tenu au respect de certaines règles :
- même en l'absence de contestation des parties sur ce point, il doit vérifier d'office que l'astreinte a commencé à courir et déterminer son point de départ (2e Civ., 6 juin 2019, n° 18-1.311, publié) ;
- le montant de l'astreinte liquidée ne peut être supérieur à celui de l'astreinte fixée par le juge qui l'a ordonnée (2e Civ., 11 mai 2006, n° 05-17402, publié) ;
- l'astreinte étant indépendante des dommages-intérêts, le montant de l'astreinte liquidée ne peut dépendre du préjudice éventuellement subi par le créancier. L'absence ou la faiblesse du préjudice ne peuvent donc justifier une décision de minoration de l'astreinte (2e Civ., 28 oct. 1999, n° 98-14.432) ;
- enfin, s'il s'agit d'une astreinte provisoire, le juge doit liquider son montant « en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter », conformément à l'article L. 131-4 du CPCE. La Cour de cassation exerce son contrôle de la motivation retenue sur ce point Pour limiter le montant de l'astreinte, le juge doit s'appuyer sur des faits précis, fondés sur les critères posés par l'article L. 131-4 (v. par ex. 2e Civ. 8 déc. 2005, n° 04-13236). Par ailleurs, le comportement du débiteur doit s'apprécier à compter du prononcé de la décision fixant l'injonction, et non à compter de sa signification (2e Civ., 9 janv. 2014, n° 12-25297) ou sur des faits antérieurs à cette décision (2e Civ., 17 mars 2016, n° 15-13122, publié).
De surcroît, au-delà des termes mêmes de l'article L. 131-4, « le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit, lorsque la demande lui en est faite, apprécier, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 19-22435, publié ; Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 21-25582, publié). En l'absence d'une telle demande, le juge a la faculté, et non l'obligation, de vérifier d'office l'existence d'un tel rapport de proportionnalité, mais il doit alors mettre les parties en mesure de s'expliquer sur ce moyen, conformément au principe de la contradiction (Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 22-15810).
Enfin, le débiteur peut obtenir non seulement la suppression de l'astreinte, en tout ou partie, ainsi que le prévoit l'article L. 131-4 du CPCE, mais aussi le rejet de la demande de liquidation de l'astreinte s'il démontre que l'inexécution de la décision, ou le retard dans l'exécution, provient d'une cause étrangère.
La charge de la preuve de la cause étrangère repose sur le débiteur (v. par ex. Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 05-15983).
La cause étrangère, plus large que la notion de force majeure, recouvre tous les cas dans lesquels le débiteur démontre s'être trouvé dans l'impossibilité d'exécuter l'obligation mise à sa charge, pour une raison quelconque, qui peut en particulier tenir au comportement du créancier. La cause étrangère s'apprécie donc au cas par cas.
Le juge apprécie souverainement l'existence d'une cause étrangère fondant le rejet d'une demande de liquidation d'astreinte (v. par ex. Civ. 2e, 5 juin 2014, n° 13-19774), mais il doit caractériser les circonstances établissant la cause étrangère, sous peine de censure de sa décision (v. par ex. Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 17-21618).
En l'espèce, dans son ordonnance du 16 novembre 2022 (l'ordonnance d'origine), le juge des référés s'est expressément réservé le pouvoir de liquider l'astreinte assortissant l'obligation de faire mise à la charge de la SCI.
Cette ordonnance de référé, exécutoire de droit à titre provisoire, a été signifiée à la SCI par un acte du 1er décembre 2022.
Après avoir, dans ses motifs, relevé qu'il ressortait d'un constat d'huissier du 12 avril 2022 l'existence d'infiltrations et de fissures de la couverture du local constituée de tôles alvéolées en fibre de ciment au niveau de la chambre froide, l'ordonnance d'origine, dans son dispositif, condamne la SCI à « procéder aux travaux nécessaires afin de mettre un terme aux infiltrations subies et pour assurer le clos et le couvert du local commercial » donné à bail à la société Cham, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, sous peine d'une astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai.
Par conséquent, les travaux auraient dû être exécutés au plus tard le 1er février 2023, ce qui n'est pas le cas, les parties coïncidant pour dire qu'ils se sont achevés le 28 juin 2023.
L'astreinte, provisoire en application de l'article L. 131-2 précité, a donc couru du 1er février au 28 juin 2023, soit une période de 148 jours, tel que l'indique exactement la société Cham.
Cependant, pour liquider cette astreinte provisoire, il convient d'examiner la chronologie des événements qui se sont succédé pendant cette période de cinq mois.
La lecture des pièces versées aux débats par les parties permet de mettre en lumière les points suivants :
En premier lieu, entre le mercredi 16 novembre 2022 - date de prononcé de l'ordonnance enjoignant à la SCI d'exécuter les travaux - et le 5 décembre 2022 - date du premier courriel officiel envoyé par son conseil au conseil adverse (cf. sa pièce n° 1), soit pendant 19 jours, la SCI ne justifie pas avoir accompli la moindre diligence pour se conformer à l'ordonnance. La SCI reconnaît d'ailleurs elle-même n'avoir accompli les premières diligences qu'après la signification de l'ordonnance ;
En deuxième lieu, s'il est acquis que les travaux à accomplir ont englobé des opérations de désamiantage, il n'est pas démontré que, contrairement à ce que soutient la société Cham, la SCI savait dès l'origine que la toiture à l'origine des infiltrations contenait des matériaux amiantés. Le constat d'huissier sur lequel se fonde l'ordonnance du 16 novembre 2022 ne contient aucune précision en ce sens. Et ni les motifs ni le dispositif des conclusions soutenues par la locataire devant le juge ayant rendu cette ordonnance, ni les motifs ni le dispositif de l'ordonnance ne précisaient que la toiture à réparer contenait de l'amiante.
Dans ces conditions, il est normal qu'il ait fallu aux parties un certain délai pour s'entendre sur le fait que les travaux de réparation de la toiture incluraient des opérations de désamiantage.
Il est démontré que dès le 4 janvier 2023, la SCI savait que les travaux impliqueraient la dépose de tôles amiantées, et la locataire a accepté de tels travaux (cf. pièces n° 4, 6 et 7 de l'intimée). Compte tenu de l'accord conclu entre les parties sur la nature des travaux à entreprendre, la SCI n'est donc pas fondée à reprocher à la société Cham de ne pas avoir accepté, par la suite, d'autres solutions techniques ne requérant pas de désamiantage. C'est également à tort que la SCI prétend qu'il résulte d'un courriel du conseil de la société Cham rédigé le 9 février 2023 que la locataire serait revenue sur son accord pour la réalisation de travaux de désamiantage dès lors que, dans cette lettre, elle fait uniquement part de son accord sur la réalisation de « réparations urgentes », avant la réalisation, « dans un second temps », de travaux de désamiantage (cf. pièce n° 21 de l'appelante) ;
En troisième lieu, la réalisation de travaux incluant un désamiantage a augmenté le délai d'exécution des travaux ordonnés sous astreinte, puisque :
' d'abord, ce type d'opération nécessite de recourir à une entreprise spécialisée. C'est ainsi que l'entreprise GND a établi un devis le 27 janvier 2023, en annonçant pouvoir intervenir durant la deuxième quinzaine du mois de mars compte tenu de ses propres contingences (pièce n° 20 de l'intimée) ;
' ensuite, les travaux de désamiantage sont eux-mêmes soumis au respect de formalités préalables obligatoires incluant, premièrement, un diagnostic aux fins de prélèvements à analyser afin de corroborer, ou non, la présence d'amiante. En l'occurrence, et après avoir tenu compte des disponibilités de la locataire, le diagnostiqueur (distinct de la société de désamiantage) a pu se rendre sur les lieux le 27 janvier 2023 pour effectuer ses premiers prélèvements qui, après analyse réalisée le 9 février 2023, se sont révélés négatifs. Toutefois, les seconds prélèvements réalisés le 27 février 2023, destinés à confirmer l'absence d'amiante, ont mis au jour la présence de ce matériau dans certains éléments de la toiture, ainsi qu'il résulte du rapport final du diagnostiqueur communiqué à la SCI le 26 février 2023 et transféré à la société GND le lendemain pour adaptation du plan de son retrait (pièces n° 28 et 30 de l'intimée). En effet, avant la réalisation des travaux de désamiantage, la société GND a dû déposer un plan de retrait de l'amiante le 7 février 2023 - seconde formalité légalement obligatoire -, revoir ce plan à la suite des prélèvements positifs et réviser son devis initial le 27 février 2023 (cf. pièces n° 31 et 33 de l'intimée) ;
' enfin, la SCI a dû coordonner l'intervention de deux entreprises différentes, l'une pour réaliser le désamiantage proprement dit (la société GND), l'autre les travaux de couverture à exécuter dans la foulée de manière que le local ne demeure pas à ciel ouvert, étant souligné qu'il a fallu tenir compte à la fois des délais légaux - qui n'autorisaient pas la société GND à intervenir avant la deuxième quinzaine du mois de mars (cf. pièces 20 et n° 22 de l'intimée) - et des contraintes climatiques - qui n'ont pas permis au couvreur d'intervenir dès la mi-mars 2013 (cf. pièces n° 34 et 36 de l'intimée). En définitive, par un courriel du 15 mars 2023, le calendrier d'intervention des deux sociétés mandatées par la bailleresse a été transmis à l'avocat de la locataire : les 27 et 28 mars 2023 pour la société de désamiantage et les 29 et 30 mars 2023 pour le couvreur (pièce n° 22 de l'appelante), et la société Cham a, par la voix de son conseil, expressément consenti à ce calendrier (pièce n° 23 de l'appelante).
En quatrième lieu, les interventions convenues entre les parties ont été reportées à deux reprises, sans que cela soit imputable au fait de la SCI :
' l'intervention de la société GND, initialement programmée le 27 mars 2023, a été reportée au 10 avril. Même en retenant la thèse la plus favorable à la locataire, telle qu'elle ressort de sa pièce n° 14, ce report est dû à la décision de la société GND, qui a voulu régler en amont des travaux certaines questions pratiques (accès à l'eau et à l'électricité, méthode d'évacuation des matériaux amiantés, notamment). La SCI ne peut être tenue pour responsable de ce report de date décidé unilatéralement par la société GND, à l'inverse de ce que prétend la société Cham. Ce grief est d'autant moins fondé que cette dernière avait été informée, par le courriel du 15 mars 2023, ci-dessus évoqué, des demandes de la société GND sur ces questions d'organisation pratique ;
' puis l'intervention du 10 avril 2023 a également été reportée. A cet égard, la SCI indique, sans démenti de la locataire, que ce report est dû au fait que la société GND n'avait pas sollicité l'autorisation des voisins pour évacuer les matériaux amiantés et que le passage par un fonds voisin a été rendu nécessaire par le refus de la locataire que ces matériaux transitent par le local commercial (cf. pp. 12 et 21 des conclusions de l'intimée) ;
En dernier lieu, à la suite du second report de la date des travaux, la SCI a relancé la société GND une semaine après, les 17 et 25 avril 2023 en s'enquérant de la suite à donner au chantier et, le 27 avril 2023, cette société lui a proposé plusieurs solutions (pièces n° 44 et 58 de l'intimée). Toutefois, ayant perdu confiance dans ce professionnel, la SCI a mis fin au contrat conclu avec lui le 9 mai 2023, en en informant l'avocat de la locataire concomitamment, en lui indiquant avoir mandaté une nouvelle entreprise susceptible d'intervenir les 12 et 13 mai 2023, ou les 26 et 27 mai 2023, mais seulement pour réaliser les travaux sans désamiantage (pièces n° 45, 46 et 49 de l'intimée). La locataire a refusé cette intervention en arguant notamment de ce que les travaux envisagés n'incluaient pas le retrait des tôles amiantées (pièces 47 et 50 de l'intimée). Eu égard à l'accord qui préexistait entre les parties, dès le mois de janvier 2023, sur le retrait de ces tôles, un tel refus était justifié, peu important que la nouvelle société ait assuré pouvoir assurer rapidement le clos et le couvert « sans désamiantage et sans danger » (cf. pièce n° 48 de l'intimée).
La SCI a donc repris attache avec la société GND, qui lui a répondu le 23 mai 2023 et a accepté, le 24 mai 2023, de réaliser sa mission en proposant d'intervenir le 5 juin 2023. Néanmoins, ainsi que l'indique la SCI sans que ce soit contesté par la locataire, celle-ci a refusé l'évacuation des déchets par son local comme le demandait la société GND, contraignant de ce fait cette dernière à solliciter et à obtenir l'autorisation des voisins pour accéder à leur propriété aux fins d'évacuer ces déchets. Ainsi, après obtention de cette autorisation et coordination entre les deux sociétés intervenantes pour la réalisation des travaux, l'avocat de la SCI a, le 8 juin 2023, informé l'avocat de la locataire du nouveau calendrier d'intervention : les 26 et 27 juin pour le désamiantage et les 28 et 29 juin pour la pose de nouvelles tôles et la couverture, ce que la locataire a accepté le 9 juin suivant, en consentant à fermer son établissement ce jour-là et à mettre à la disposition des professionnels des points d'eau et d'électricité (pièces 54 et 55 de l'intimée).
Il découle de ce tout ce qui précède que, si la SCI ne justifie pas de l'existence d'une cause étrangère susceptible de fonder le rejet intégral de la demande de liquidation de l'astreinte provisoire, cette société établit toutefois que, pour réaliser les travaux ordonnés par la décision du 16 novembre 2022, elle s'est heurtée à des difficultés sérieuses d'exécution qui ne lui sont pas imputables et sont liées, cumulativement, à l'imprécision de la décision d'origine, au temps nécessaire à l'accomplissement des formalités afférentes aux travaux de désamiantiage sur lesquels se sont finalement entendues les parties, au report de la date de début des travaux à deux reprises et à la nécessité de passer par des fonds voisins pour évacuer les matériaux amiantés. Au total, depuis que l'astreinte a couru, seul le temps écoulé entre la nouvelle proposition d'intervention de la société de désamiantage, fin avril 2023 et la conclusion du nouveau contrat entre la SCI et cette société, le 24 mai 2023, peut être imputé à la SCI, soit un retard que la cour d'appel évalue, au vu des pièces communiquées, à 30 jours.
Par conséquent, l'astreinte peut être liquidée à la somme totale de 6 000 euros (30 jours X 200 euros), cette somme étant proportionnée à l'enjeu du litige, lequel ne peut s'apprécier en fonction de l'absence de préjudice subi par la locataire contrairement à ce que prétend la SCI (p. 21 de ses conclusions), mais consistait à assurer au locataire la jouissance d'un local commercial intégralement clos et couvert dans les meilleurs délais.
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en toutes ses dispositions
Succombant pour l'essentiel, la SCI sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Et statuant à nouveau,
- CONDAMNE la SCI Hazal à payer à la société Cham Tacos la somme de 6 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire assortissant l'ordonnance de référé du 16 novembre 2022 ;
- CONDAMNE la SCI Hazal aux dépens de première instance et d'appel ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de la SCI Hazal et LA CONDAMNE à payer à la société Cham Tacos la somme de 3 000 euros.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot