CA Nancy, ch. soc.-sect. 1, 24 septembre 2025, n° 24/02046
NANCY
Arrêt
Autre
ARRÊT N° /2025
SS
DU 24 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/02046 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FOBH
Pole social du TJ de [Localité 46]
18/00187
22 septembre 2020
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTS :
Madame [Y] [H] veuve [L] (veuve de M. [I] [L])
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Patrice MOEHNING de la SELARL Ledoux & Associés, avocat au barreau de PARIS
Madame [F] [L] (fille de M. [I] [L])
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Patrice MOEHNING de la SELARL Ledoux & Associés, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
[16]
[Adresse 7]
[Adresse 20]
[Localité 4]
Représentée par Madame [Z] [B], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
FIVA
[Adresse 1]
[Adresse 45]
[Localité 8]
Représenté par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. [43]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Frédéric BEAUPRE de la SELARL TELLUS AVOCATS, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : M. LIZET
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame PAPEGAY (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 06 Mai 2025 tenue par M. LIZET, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Corinne BOUC, présidente, Jérôme LIZET, président assesseur et Dominique BRUNEAU, conseiller, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 24 Septembre 2025 ;
Le 24 Septembre 2025, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCEDURE
M. [I] [L] a travaillé pour le compte de différentes entreprises au cours de sa carrière professionnelle en qualité de mécanicien automobile.
Le 22 septembre 2015, il a complété une déclaration de maladie professionnelle auprès de la [16] (la caisse), accompagnée d'un certificat médical initial du 31 août 2015 faisant état d'un carcinome bronchique.
Par décision du 23 mars 2016, la caisse a pris en charge la maladie de M. [L] au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles relatif aux expositions aux poussières d'amiante.
Par décision du 20 mai 2016, la caisse a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de M. [L] à 85 % à la date de consolidation, soit le 7 janvier 2016.
Par courrier du 3 août 2016, M. [I] [L] a saisi la caisse d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11], aux droits de laquelle vient la société [43].
M. [I] [L] a saisi le [25] ([24]) d'une demande d'indemnisation et a accepté l'offre du [24] pour le préjudice moral, les souffrances physiques, le préjudice d'agrément et le préjudice esthétique à hauteur de 115.200 euros.
Après contestation de l'offre du [24] relative au préjudice d'incapacité fonctionnelle, par arrêt du 27 avril 2017, la cour d'appel de Nancy a alloué à M. [I] [L] la somme de 5.627,75 euros.
Le 3 août 2016, M. [I] [L] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Longwy d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [9], aux droits de laquelle vient la société [43].
Au 1er janvier 2019, l'affaire a été transféré en l'état au pôle social du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Val-de-Briey, nouvellement compétent.
Les sociétés [22], [32], [31] et [40], ont été mises en cause.
Par jugement du 22 septembre 2020, le tribunal a :
- déclaré recevable l'action du [24], subrogé dans les droits de M. [I] [L],
- déclaré irrecevable la demande de la société [43] tendant à l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de M. [I] [L] au titre de la législation professionnelle,
- déclaré irrecevable la demande de la société [43] de production de pièces par la [17],
- rejeté la demande de M. [I] [L] et [24] en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur la société [43] venant aux droits de la société [11],
- rejeté la demande de majoration maximum des indemnités allouées à M. [I] [L] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
- rejeté la demande d'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal prévue à l'article L. 452-3,
- rejeté la demande d'expertise de M. [I] [L],
- rejeté la demande du [24] de fixation des préjudices de M. [I] [L],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice sexuel,
- rejeté la demande en remboursement de la [18],
- déclaré sans objet les demandes de la société [43] à l'encontre des sociétés [23], [32], [31] et [40],
- mis hors de cause les sociétés [23], [32], [31] et [40],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande du [24] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la [18] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la société [31] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la société [32] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [I] [L] à payer à la société [43] la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de la caisse,
- rejeté toutes autres prétentions,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 23 octobre 2020, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
M. [I] [L] est décédé des suites de sa maladie le 11 janvier 2021.
Par décision du 8 avril 2021, la caisse a reconnu l'imputabilité du décès à la maladie professionnelle.
Le 26 mai 2021, la caisse a allouée à la veuve, Mme [Y] [H], épouse [L], une rente d'ayant-droit.
Par courrier du 21 juin 2021, les héritiers de M. [I] [L] ont repris la procédure devant la cour d'appel.
Le 30 août 2021, Mme [Y] Veuve [L] a accepté l'offre du [24] d'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement à hauteur de 32.600 euros et de remboursement des frais funéraires à hauteur de 5.000 euros.
Le 16 mai 2023, Mme [F] [L], fille de M. [I] [L], a accepté l'offre du [24] d'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 8.700 euros.
L'affaire a fait l'objet d'un retrait du rôle par ordonnance du 9 novembre 2021 puis d'une radiation le 15 octobre 2024 après réinscription.
Le 18 octobre 2024, Mme [Y] [P] veuve [L] et Mme [F] [L] ont sollicité la réinscription de l'affaire au rôle.
Prétentions et moyens
Par conclusions récapitulatives n° 3 reçues au greffe le 14 avril 2025, Mme [Y] [P] veuve [L] et Mme [F] [L] demandent à la cour de :
Vu le code de la sécurité sociale, plus particulièrement le livre IV et notamment les articles L. 452-1 et suivants,
Vu notamment les articles L. 4121-1 et 4121-2 du code du travail,
- déclarer recevable et bien fondé le recours de M. [I] [L] et de ses ayants droit ;
- rejeter les fins de non-recevoir invoquées par la société défenderesse et la [15] ;
- juger que la maladie professionnelle dont a souffert et est décédé M. [I] [L] est due à la faute inexcusable de son employeur la société [12],
- ordonner la majoration maximum des indemnités (quelles qu'en soient les modalités de versement, rente ou capital) allouées à M. [I] [L] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale entre 8 janvier 2016 et le 11 janvier 2021 et dire cette majoration applicable aux arriérés dus,
- fixer, par principe et dans l'attente d'une décision définitive sur le contentieux relatif à la prise en charge du décès, au maximum légal le montant de la majoration de la rente due aux ayants droit de la victime,, en cas d'attribution de celle-ci par la caisse compétente,
Afin d'éviter toute difficulté d'exécution par la [17] des décisions du tribunal,
- préciser que cette majoration concerne la rente attribuée ou devant être attribuée à Mme [Y] [H] épouse [L], l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale disposant : « (...) Dans le cas mentionné à l'article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. (...) En cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et des majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel (...). » et l'article L 434-7 du même Code disposant que : « (...) En cas d'accident suivi de mort, une pension est servie, à partir du décès, aux personnes et dans les conditions mentionnées aux articles suivants. »,
- allouer à la succession de M. [I] [L] l'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation de l'aggravation soit au plus tard au 11 janvier 2021 conformément aux dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
A titre subsidiaire,
- faire injonction à la [15] de fixer ce taux après expertise sur pièce par ses services,
A titre infiniment subsidiaire,
- ordonner une expertise judiciaire avec mission de fixer le taux d'incapacité dont était atteint M. [I] [L] à l'instant de sa mort, préciser que cette expertise sera réalisée sur pièces,
A défaut,
- constater que l'absence de taux d'incapacité résulte d'une abstention fautive de la [17], en conséquence, vu l'article 1240 du code civil, condamner la [17] compétente à verser une indemnité équivalente au montant de l'allocation forfaitaire dont aurait pu prétendre la succession de M. [I] [L] au titre de la perte de chance,
- constater la subrogation légale du [24] pour les postes de préjudice qu'il a indemnisés et à hauteur des sommes versées ;
- fixer la réparation du préjudice des ayants-droit de M. [I] [L] au titre de l'action successorale comme suit :
' Préjudice sexuel : 3.000 euros
- juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société [10] SA et plus généralement toute partie succombante à verser à M. [I] [L] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner toutes parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile aux dépens.
Par conclusions n° 1 reçues au greffe le 9 avril 2024, la SAS [43], venant aux droits de la SA [10], demande à la cour de :
A titre liminaire,
- déclarer irrecevable les demandes pécuniaires du demandeur dirigées à l'encontre de [43] venant au droit du garage [11] SA,
A titre principal,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Briey du 22 septembre 2020 en ce qu'il a déclaré opposable à la société [43] la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [I] [L],
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Briey du 22 septembre 2020 en ce qu'il a rejeté la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [43] venant au droit du garage [11] SA dans la survenance de la maladie de M. [I] [L],
Par conséquent,
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, notamment celle relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter le [24] de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la [17] de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les appelants à lui verser 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
- débouter les appelants de leurs demandes d'indemnisations, ou les ramener à de plus justes proportions
- débouter le [24] de ses demandes d'indemnisations, ou les ramener à de plus justes proportions
- imputer les conséquences pécuniaires de la maladie de M. [L] [I] au compte spécial,
- répartir au prorata temporis les éventuelles condamnations portées en compte des employeurs de M. [I] [L], tel qu'indiqué dans le point VII ci-dessus, en ne mettant à la charge de [43] que 28,3% de ces éventuelles condamnations.
Par conclusions d'intervention reçues au greffe le 6 mai 2024, le [24] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action du [24], subrogé dans les droits de M. [I] [L],
- infirmer le jugement entrepris pour le surplus, et, statuant à nouveau,
- déclarer recevable la demande formée par les consorts [L], dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur,
- déclarer recevable la demande du [26], subrogé dans les droits des ayants droit de M. [L],
- dire que la maladie professionnelle dont était atteint M. [I] [L] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [44],
- fixer à son maximum la majoration de la rente servie à M. [L] pendant la période ante mortem, et dire que cette majoration de rente ante mortem sera directement versée par la [19] à la succession de M. [L],
- accorder le bénéfice de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, et dire que cette indemnité forfaitaire sera versée par la [19] à la succession de M. [L],
- fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, et dire que cette majoration de rente de conjoint survivant sera directement versée à ce conjoint survivant par l'organisme de sécurité sociale,
- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [L] comme suit :
Souffrances morales : 69 700 €
Souffrances physiques : 22 500 €
Préjudice d'agrément : 22 500 €
Préjudice esthétique : 500 €
TOTAL 115 200 €
- fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit, comme suit :
Mme [L] [Y] (conjoint) 32 600 €
Mme [L] [F] (enfant) 8 700 €
TOTAL 41 300 €
- dire que la [19] devra verser ces sommes au [24], créancier subrogé, en application de l'article 1452-3 alinéa 3, du code de la sécurité sociale, soit un total de 156 500,
Statuer ce que de droit sur la demande d'indemnisation du préjudice sexuel, formée par les Consorts [L],
Y ajoutant,
- condamner la société [44] à lui payer une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 28 avril 2025, la [16] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 22 septembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Val-de-Briey en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société [43] tendant à l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de M. [I] [L] au titre de la législation professionnelle et à la production de pièces par la [17],
- dire si la maladie professionnelle dont était atteint M. [I] [L] et dont il est décédé est due ou non à une faute inexcusable commise par la société [43] ;
Le cas échéant,
- fixer les réparations correspondantes, sauf à débouter les consorts [L] de leur demande de versement de l'indemnité forfaitaire et de celles visant à fixer un taux d'incapacité permanente et les indemniser au titre d'une perte de chance,
- condamner la société [43] à lui rembourser toutes les condamnations prononcées du fait de cette faute inexcusable, en ce compris les éventuels frais d'expertise, ou condamner les employeurs fautifs de manière solidaire ou in solidum, à défaut de responsabilité pleine et entière d'un seul employeur, à lui rembourser l'ensemble des sommes qui devront être avancées du fait de cette faute inexcusable,
- condamner la société [43], ou de manière solidaire ou in solidum les employeurs fautifs, à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé des moyens des parties, il sera renvoyé aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité d'employeur de la SAS [42]
En cas de maladie professionnelle imputable à divers employeurs chez lequel le salarié a été exposé au risque, la victime n'est pas obligée de saisir le tribunal d'une demande à l'encontre de tous, il suffit que la victime établisse la faute inexcusable d'un seul pour obtenir une indemnisation complémentaire.( Cass. soc., 28 févr. 2002, n° 99-21.255 : RJS 2002, n° 626).
Le salarié peut agir en reconnaissance de la faute inexcusable contre l'employeur qu'il estime auteur de celle-ci, peu important les conventions passées entre ses employeurs successifs, comme il peut également agir, s'il y a lieu, contre le tiers cessionnaire des droits et obligations de toute nature afférents à la branche complète d'activités constituée par l'établissement où il travaillait lors de son exposition au risque considéré (Cass. 2e civ., 17 mars 2011, n° 09-17.439 et n° 09-17.488, Cass. 2e civ 22 février 2007 n° 05-17.428).
Néanmoins, l'employeur qui fait l'objet d'une action en reconnaissance de sa faute inexcusable, est recevable à rechercher, devant la juridiction de sécurité sociale, pour obtenir leur garantie, la faute inexcusable des autres employeurs au service desquels la victime a été exposée au même risque (Cass. 2e Civ.14 mars 2013 n° 11-26.459).
En l'espèce, M. [L] a travaillé pour les entreprises suivantes :
- [30] de 1964 à 1967 comme apprenti mécanicien,
- société [13], devenue [22], de 1967 à 1971 en qualité d'agent de fabrication (activité d'équipements automobile),
- Garage FORD [Localité 36] de 1972 à 1983 appartenant à la SA [11] à cette période,
- Garage PEUGEOT de 1983 à 1984, appartenant à [29] repris par [41],
- Garage MARINELLI du 5 juin 1989 au 19 octobre 1989,
- société [21] de 1990 à 1991 en qualité de monteur calorifugeur,
- Garage [38] du 29 mars 1999 au 23 avril 2000.
La SARL [33] a cédé 100 % des actions de la [11] à la SAS [43], le 1er juillet 2007.
La SAS [42] a cédé le fonds de commerce à la SA [35], le 30 décembre 2011. Aux termes de l'acte notarié de cession, le cédant n'est pas déchargé par le cessionnaire, de tout ou partie de ses obligations antérieures non comprises dans la convention en ce qui concerne le personnel, et il doit sa garantie pour les éventuels arriérés de salaires, d'heures supplémentaires, de primes, d'indemnités complémentaires en cas d'arrêt de travail, d'indemnités de congés payés ou de licenciement non acquittés par l'ancien employeur.
La cession partielle d'actifs n'ayant pas fait disparaître la personne morale qui avait été l'employeur de la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, lequel employeur demeure donc responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de la faute inexcusable.
Alors que les autres employeurs avaient été appelés à la procédure en première instance, la société [43] n'a pas fait appel incident à leur encontre en ce qui concerne leur mise hors de cause.
La société [43] a donc qualité d'employeur au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.
Sur la recevabilité de la demande en inopposabilité de la décision de la caisse en reconnaissance de la maladie professionnelle
Si l'employeur reste fondé pour défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, à contester le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, en revanche, il n'est pas recevable à contester à la faveur de cette instance et en défense à l'action récursoire de la caisse, l'opposabilité de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels (Cass. 2e Civ. 8 novembre 2018 n° 17-25.843).
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il déclaré la société [43] irrecevable en sa demande en inopposabilité de la décision de reconnaissance de la caisse.
Sur la faute inexcusable
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
En cas de maladie professionnelle imputable à divers employeurs chez lequel le salarié a été exposé au risque, la victime n'est pas obligée de saisir le tribunal d'une demande à l'encontre de tous, il suffit que la victime établisse la faute inexcusable d'un seul pour obtenir une indemnisation complémentaire.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La conscience du danger doit s'apprécier in abstracto.
En l'espèce, M. [L] a travaillé au Garage [28] de 1972 à 1983 ayant appartenu à la SA [11] aux droits de laquelle vient la société [43].
M. [L] a décrit, dans le cadre de l'enquête administrative, ses tâches ainsi : 'j'ai réparé des mécanismes de freinage et des mécanismes d'embrayage. J'ai utilisé des soufflettes pour nettoyer les freins et les embrayages'.
Il a joint deux attestations de ses frères, mécaniciens aussi, corroborant cette description des tâches. M. [E] [L] précise dans son attestation qu'ils sont tous les trois frères.
Ils nomment tous les deux le garage Ford '[39]'. S'agissant de la même concession, situé au même endroit, il ne peut s'agir que du même garage, portant des noms différents selon les époques et les propriétaires, contrairement à ce qu'ont pu affirmer les premiers juges.
Par ailleurs, les périodes d'activités sont pour partie communes : de 1972 à 1984 pour M. [E] [L] et de 1975 à 1988 pour M. [S] [L].
Il sera rappelé que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité. Il appartient au juge d'apprécier souverainement si l'attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.
Aux termes de l'attestation du 14 avril 2016, M. [E] [L] déclare : 'il fallait souvent démonter les plaquettes de frein, les embrayages et autre. Avant chaque intervention, il fallait souffler pour nettoyer les postes de travail (air comprimé) ensuite au grattage pour éliminer les parties collées (resoufflage). Cela créait une ambiance saturée par ces fibres d'amiante que nous respirions tous les jours. Pas de protection et aucune information ne nous était donnée sur les dangers de ce produit'. (pièces 16 et 41)
Aux termes de l'attestation du 14 avril 2016, M. [S] [L] écrit : 'Fréquemment nous étions tenus de faire des révisions des freins et de procéder au remplacement des plaquettes qui étaient composées d'amiante. Pour ce genre de travail et suite à l'usure de ceux-ci, la poussière était très présente. Il fallait dans un premier temps souffler ces postes de travail pour procéder au changement de ces pièces. Nous faisions les mêmes manoeuvres concernant les embrayages - joints d'échappement ou autres pièces qui sont également en amiante. Les protections individuelles étaient inadaptées. Aucune consigne particulière concernant la dangerosité de l'amiante'. (pièces 17 et 42)
M. [S] [L] a réitéré son témoignage par attestation du 12 avril 2025 (pièce 116) et précisait qu'ils avaient tous les deux travaillé dans le même garage [27].
M. [I] [L] a donc bien été exposé aux poussières d'amiante par des travaux d'entretien et de maintenance effectués sur des équipements contenant de l'amiante.
La reconnaissance des dangers d'une exposition à l'amiante fut admise pour la première fois par une ordonnance du 2 août 1945, créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles à propos de la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de la silice libre ou de l'amiante. Par la suite, le décret du 31 août 1951 a créé le tableau 30, propre à l'asbestose, maladie consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante. Par décrets du 5 janvier 1976 et du 14 avril 2000, il a été ajouté à la liste des maladies consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante le mésothéliome et le cancer broncho pulmonaire. En 1996, toute utilisation de l'amiante a été interdite.
S'agissant du tableau 30 Bis, créé le 14 avril 2000, il est visé les travaux d'usinage, de découpe et ponçage de matériaux contenant de l'amiante et les travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
Dès les années 1960, il était signalé dans un certain nombre d'études scientifiques les dangers liés à l'inhalation des poussières d'amiante, comme lors du congrès international sur l'asbestose de [Localité 14] en mai 1964.
Dès le début des années 1950 donc, et quelle que fut la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était tenu d'une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage alors encore licite de l'amiante et de matériaux contenant de l'amiante qui lorsqu'il se désagrège devient dangereux.
Par la suite, un décret du 17 août 1977 a fixé les limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer.
En effet, il était su, tant dans les milieux scientifiques qu'industriels, que l'amiante qui se désagrège en poussières peut être alors respirée et provoquer une des maladies professionnelles des tableaux 30 et 30 bis.
En l'espèce, l'employeur est une concession du groupe automobile [27], les plaquettes de freins et d'embrayage utilisés contenaient de l'amiante, ce que les garagistes ne pouvaient ignorer, il disposait de moyens de s'informer et d'être alertée au regard de son organisation.
Il ne peut se retrancher sur le fait que le décret interdisant toute utilisation de l'amiante date du 7 février 1996 et qu'il serait le point de départ de la prise de conscience des dangers pour l'exercice de son activité, ni de ce qu'avant le décret du 22 mai 1996 modifiant le tableau 30 des maladies professionnelles, seul le travail direct sur l'amiante faisait l'objet d'une réglementation.
Elle ne saurait, non plus, se dédouaner en invoquant une éventuelle responsabilité de l'État.
Dans ces conditions, la société [43] ne pouvait ignorer le danger lié à l'utilisation de l'amiante ou à tout le moins, elle aurait dû en avoir conscience.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Selon l'article L. 4121-2 du code du travail, l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il s'évince de ces articles que l'employeur doit prendre, au titre de son obligation légale de sécurité et de protection, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en adaptant le travail à l'homme s'agissant de la conception des postes de travail et des méthodes de travail et en planifiant la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral.
En application de l'article L. 4121-3 du code du travail, l'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.
À la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.
En application de l'article L. 4141-1 du code du travail, l'employeur organise et dispense une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier. Il organise et dispense également une information des travailleurs sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique ou l'environnement les produits et procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par l'établissement ainsi que sur les mesures prises pour y remédier.
Les premiers textes sur la lutte contre l'empoussièrement des locaux de travail date du début du XX ième (1893, 1904, 1912 et 1913). Ils préconisent notamment la mise en place de systèmes d'aspiration et de ventilation.
Un décret du 6 mars 1961 prévoit que, dans les cas où serait reconnue impossible l'exécution des mesures de protection collective, des appareils de protection individuelle seront mis à la disposition des travailleurs. L'employeur doit prendre toutes les mesures utiles pour que ces dispositifs de protection individuelle soient maintenues en bon état de fonctionnement et désinfectés avant d'être attribués à un nouveau titulaire.
Le décret du 17 août 1977 prévoit des mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante. Il est mis en place une surveillance médicale spécifique à l'amiante et un contrôle de l'empoussièrement dans les locaux. Il est fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail (2 fibres par cm3).
En l'espèce, si l'un des frères, M. [E] [L], fait état de l'absence de protection contre les poussières d'amiante, et l'autre, M. [S] [L], fait état d'une protection insuffisante, il n'en demeure pas moins qu'il est fait état d'une mise en oeuvre défectueuse des mesures de protection et, à tout le moins, les deux frères déclarent qu'ils n'ont pas eu d'information sur les dangers des poussières d'amiante.
S'agissant de faits négatifs et l'employeur étant tenu d'une obligation légale de sécurité, il lui appartient alors de justifier qu'il a mis en oeuvre une information sur les dangers liés à l'amiante et des mesures de protection, soit collectives (aération et ventilation des locaux), soit individuelles (masques).
La société [42] se contente d'invoquer le fait que le preuve de l'exposition ne serait pas rapportée et d'affirmer qu'étant une petite structure et au regard de la législation applicable lors de l'activité de M. [I] [L] au sein du garage [27], elle ne pouvait avoir conscience du risque.
Dans ces conditions, le jugement querellé sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Sur la recevabilité des consorts [L] à agir en indemnisation des préjudices complémentaires
Selon l'article 53 VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, le [26] est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes.
Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.
Si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive.
La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale. L'indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence.
Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 53 IV de la dite loi, il est prévu qu'une offre est présentée dans les mêmes conditions en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime ou si une indemnisation complémentaire est susceptible d'être accordée dans le cadre d'une procédure pour faute inexcusable de l'employeur.
La majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par la [15] dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement d'une rente, de sorte que le [24], recevable à continuer l'action en reconnaissance de faute inexcusable entreprise par la victime ou ses ayants droit est recevable par là-même à demander la fixation de la majoration de rente, peu important qu'il n'ait pas préalablement présenté à ceux-ci l'offre complémentaire prévue par l'article 53 IV, alinéa 2, de la loi du 23 décembre 2000 ( Cass. 2e Civ., 31 mai 2006, pourvoi n 05-17.362, 05-16.807, 25 octobre 2006 n° 05-21.167 ). Il en est de même s'agissant de l'indemnité forfaitaire. (Cass. 2e Civ., 3 juillet 2008, pourvois n 07-17.490 et n 07-16.678)
Il en résulte que, dans le cadre de la subrogation légale dont il bénéficie, le [24] est recevable, non seulement à faire constater l'existence d'une faute inexcusable et à demander la fixation des préjudices indemnisables visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et la condamnation, en tant que de besoin, de l'organisme social à lui rembourser, dans la limite des sommes qu'il a versées, celles correspondant à cette évaluation (Cass. 2e Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n 08-19.349) mais également, et nonobstant l'absence de versement préalable parce que subrogé, il a les mêmes droits que la victime, en particulier celui de faire fixer le montant de la majoration de rente pour en recueillir le bénéfice, le Fonds n'est point tenu de faire une offre complémentaire afférente à celle-ci. (Cass. 2e Civ, 19 décembre 2019 n° 18-23.804 et 10 février 2022, n° 20-13.779)
L'article 53 IV, dernier alinéa de la loi du 23 décembre 2000 énonce : L'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice.
Il en résulte que le salarié atteint d'une maladie professionnelle ou ses ayants droit en cas de décès, qui ont accepté l'offre d'indemnisation des victimes de l'amiante, ne sont plus recevables à se maintenir dans l'action en recherche de faute inexcusable qu'ils ont préalablement engagée et qui est reprise par le [24], que dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur.
L'article 53 I de la loi n°2000-1257 prévoyant la réparation intégrale des préjudices des victimes d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante et l'article 53 IV de la dite loi imposant au [26] de faire à la victime une offre pour chaque chef de préjudice, en tenant compte des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 pour le montant qui résulte, poste par poste, de l'application de l'article 31, alinéas 1er et 3, de cette loi, dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, il en résulte qu'en ne proposant pas d'indemnisation pour certains chefs de préjudices, le fonds estiment qu'ils ne sont pas constitués.
Dès lors, en acceptant l'offre d'indemnisation du préjudice subi par le salarié victime, celui-ci ou ses ayants droit sont irrecevables en toute action juridictionnelle de ce chef (Cass. 2e Civ. 10 novembre 2009, n° 08-15562, Cass. Avis du 6 octobre 2008 n° 08-00.009).
En l'espèce, le Fonds n'a pas proposé d'indemnisation au titre du préjudice sexuel et M. [L] a accepté l'offre. Le montant dû au titre du déficit fonctionnel a été fixé par la cour d'appel de Nancy par arrêt du 27 avril 2017, auquel le [24] a été condamné.
Dans ces conditions, les consorts [L] ne sont pas recevables en leurs demandes relatives à la majoration de la rente due à la victime, à la majoration de la rente allouée au conjoint survivant, à l'indemnité forfaitaire, à la fixation d'une nouveau taux d'IPP, au prononcé d'une expertise, à la mise en cause de la responsabilité de la caisse sur le fondement de l'article 1240 du code civil et à l'indemnité au titre du préjudice sexuel.
Sur la majoration de la rente allouée à la victime
La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente ayant été servie en application de l'article L. 452-2 alinéa 1 et 3 du code de la sécurité sociale.
La majoration sera payée par la caisse à la succession de M. [I] [L], qui en récupérera le capital représentatif auprès de l'employeur.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la majoration de la rente du conjoint survivant
La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente servie au conjoint survivant en application de l'article L. 452-2 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, à savoir
La majoration sera payée par la caisse au conjoint survivant, qui en récupérera le capital représentatif auprès de l'employeur.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'indemnité forfaitaire
L'article L.452-3 du code de la sécurité sociale relatif à la majoration de la rente en cas de faute inexcusable, prévoit que "si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation".
N'étant pas saisi d'une contestation relative à l'état ou au degré d'incapacité ou d'invalidité de la victime d'une maladie professionnelle, mais d'une demande d'indemnisation complémentaire en raison de la faute inexcusable de l'employeur, il appartient au juge, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui sont soumis, de vérifier que les ayants droit peuvent prétendre à l'allocation forfaitaire, telle que prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, soit en l'espèce un taux d'IPP de 100 %, et ce sans qu'il soit besoin de procéder à une mesure d'expertise. (C. Cass. Ch. Civ. 2, arrêt du 20 octobre 2021, n° 20-11.740)
Il appartient aux ayant-droits de rapporter la preuve qu'au jour du décès au plus tard, la victime était atteinte d'une incapacité permanente de 100 %.
En l'espèce, et contrairement à ce qu'indique le [24], la caisse a fixé un taux d'incapacité permanente partielle au jour de la consolidation, 85 % au 7 janvier 2016, date de la consolidation.
M. [L] est décédé le 11 janvier 2021.
Aucune demande en révision ou en rechute n'a été effectuée auprès de la caisse.
Le [24] se contente de renvoyer aux pièces médicales sans aucun développement.
La fixation d'un taux à 100 % ne peut résulter des seuls éléments tirés de la gravité de la maladie et/ou de la prise en charge du décès au titre de la maladie professionnelle.
Dans ces conditions, le [24] sera débouté de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire et le jugement sera modifié en conséquence.
Sur les souffrances physiques et morales
Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Il s'ensuit aussi que le salarié ne saurait dans ces conditions prétendre à la réparation intégrale de ses préjudices selon les règles de droit commun, la réparation de la faute inexcusable de l'employeur continuant à relever du régime spécifique prévu par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de sécurité sociale et seuls les chefs de préjudice qui ne sont pas déjà couverts par le livre IV du code de sécurité sociale peuvent faire l'objet d'une indemnisation dans les conditions du droit commun.
Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947) que désormais la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent et qu'elle n'a pas pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
Par deux arrêts des 28 septembre 2023 et 16 mai 2024 (n° de pourvoi 21-25.690 et 22-23.314), la deuxième chambre civile de la cour de cassation a dit que la victime d'une faute inexcusable peut, désormais, prétendre à la réparation du préjudice causé par les souffrances morales et physiques endurées que la rente ou l'indemnité en capital n'ont pas pour objet d'indemniser.
Ainsi la victime d'une faute inexcusable pourra être indemnisée des souffrances morales et physiques que celles-ci soient antérieures ou postérieures à la consolidation.
En l'espèce, les souffrances morales et physiques résultent du traitement lourd subi par M. [L], à savoir des examens (biopsie par thoracoscopie, acte effectué sous anesthésie locale, avec introduction d'un endoscope au travers d'une petite incision réalisée entre deux côtes, pour visualiser le poumon et pratiquer les biopsies à partir de l'analyse desquelles le caractère malin des cellules pourra être posé avec certitude) et les traitements par radiothérapie et chimiothérapie, aux effets secondaires importants comme les nausées, les vomissements, les troubles digestifs, l'anémie, la leucopénie, l'immunodépression et la chute des cheveux. Il a reçu des soins morphiniques et un traitement médicamenteux lourd via des protocoles de soins. Il a aussi subi des injections de '[34] 350'. (pièces 10, 11, 12, 13, 15 et 18 du FIVA)
Le cancer broncho-pulmonaire a entraîné une perte respiratoire irrémédiable et irréversible. Il conduit à une dégénérescence générale aboutissant au décès.
Le préjudice moral de M. [L] résulte du fait que dès l'annonce de la maladie en 2015, il a su qu'il s'agissait d'une pathologie irréversible, entraînant une espérance de vie limitée à 5 ans pour 5% des personnes atteintes de cancers broncho-pulmonaires de stade 4, à savoir très étendus et donc inopérables. Tel est le cas de M. [L] qui n'a pas pu être opéré au regard de l'atteinte (métastases repérées dès 2015).
Dans ces conditions, il y a lieu de fixer à 22.500 euros le montant du préjudice subi du fait des souffrances physiques et à 69.700 euros celui résultant des souffrances morales.
La caisse versera ces sommes au [24], créancier subrogé.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
Sur le préjudice d'agrément
Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du même code est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir ; que ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure (Civ. 2ème 28 février 2013, n° 11-21.015, Bull II 48, 2e Civ., 10 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.791)
En l'espèce, le [24] se contente de la formule suivante : 'en raison de sa maladie, M. [L] ne pouvait plus se livrer à ses activités favorites'. Aucune précision n'est donnée quant à 'ses activités favorites'.
Le [24] sera donc débouté de ce chef de demande et le jugement sera modifié en conséquence.
Sur le préjudice esthétique
En raison des traitements subis (chimiothérapie et radiothérapie), M. [L] s'est considérablement amaigri et a perdu ses cheveux.
Dans ces conditions, le préjudice esthétique sera fixé à 500 euros et la caisse versera cette somme au [24], créancier subrogé.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le préjudice moral des ayants droits
M. [L] est mort à 69 ans et il était marié depuis 28 ans avec Mme [Y] [H].
Leur fille, [F] [L] justifie qu'elle demeurait avec ses parents au moment de la maladie et du décès (pièces 22 et 23 du [24]).
Dans ces conditions, le préjudice moral de Mme [Y] [L] sera fixé à 32.700 euros et celui de Mme [F] [L] à 8.700 euros.
La caisse versera ces sommes au [24], créancier subrogé.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
Sur la répartition prorata temporis
En application des articles L. 451-1 et L. 451-4 du code de la sécurité sociale, en cas d'exposition au risque au sein de plusieurs entreprises, l'employeur, qui fait l'objet d'une action en reconnaissance de sa faute inexcusable, est recevable à rechercher la faute inexcusable des autres employeurs au service desquels la victime a été exposé au même risque, pour obtenir leur garantie. (C. Cass. 2e Civ, 14 mars 2013 n° 11-26.459)
La charge de la preuve de la faute inexcusable pèse alors sur l'employeur.
En l'espèce, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, la société [42] n'a pas fait d'appel incident à l'encontre des autres sociétés mises en causes en première instance, à savoir la société [37], la société [31], la société [32] et la société [22]. Elles n'ont pas été attraites à hauteur d'appel.
Elle ne sollicite pas l'infirmation des chefs du jugement déclarant sans objet les demandes à l'encontre de ces sociétés et les mettant hors de cause.
La société [43] n'invoque ni ne démontre l'existence d'une faute inexcusable commise par ces sociétés.
La société [43] sera donc déboutée de sa demande de répartition prorata temporis.
Sur l'action récursoire de la caisse
En application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la caisse dispose d'une action récursoire à l'encontre de l'employeur pour les sommes versées au titre de l'indemnisation des préjudices du salarié victime d'une faute inexcusable.
Il sera donc fait à la demande de la [16] et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'imputation au compte spécial
En application des articles L. 142-1, 7° du code de la sécurité sociale et D. 311-12 du code de l'organisation judiciaire, les demandes de l'employeur aux fins de retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle ou d'inscription de ces dépenses au compte spécial, même formées avant notification de son taux de cotisation, relèvent de la seule compétence de la juridiction du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles (C. Cass. Ch. Civ. 2, arrêt du 28 septembre 2023, n° 21-25.719).
Par ailleurs, la caisse a d'ores et déjà affecté le sinistre au compte spécial.
Dans ces conditions, la société [43] sera déclarée irrecevable en ce chef de demande et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Partie perdante principale, la société [43] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Elle sera condamnée, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à payer les sommes suivantes :
- aux consorts [L] : 1.500 euros,
- au [24] : 1.500 euros,
- à la caisse : 500 euros.
Elle sera, dès lors, débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera infirmé en conséquence.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire, publiquement et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 22 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Val de Briey en ce qu'il a déclaré la SAS [43] irrecevable en sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle,
Infirme le dit jugement en ce qu'il a :
- rejeté la demande de M. [I] [L] et [24] en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur la société [43] venant aux droits de la société [11],
- rejeté la demande de majoration maximum des indemnités allouées à M. [I] [L] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
- rejeté la demande d'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal prévue à l'article L. 452-3,
- rejeté la demande d'expertise de M. [I] [L],
- rejeté la demande du [24] de fixation des préjudices de M. [I] [L],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice sexuel,
- rejeté la demande en remboursement de la [18],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande du [24] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la [18] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [I] [L] à payer à la société [43] la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de la caisse,
- rejeté toutes autres prétentions,
Statuant à nouveau,
Dit que la maladie dont a souffert M. [I] [L] et dont il est décédé est due à la faute inexcusable de la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Déclare Mme [Y] Veuve [L] et Mme [F] [L], ayants droits de M. [I] [L] en leurs demandes relatives à la majoration de la rente due à la victime, à la majoration de la rente allouée au conjoint survivant, à l'indemnité forfaitaire, à la fixation d'une nouveau taux d'IPP, au prononcé d'une expertise, à la mise en cause de la responsabilité de la caisse sur le fondement de l'article 1240 du code civil et à l'indemnité au titre du préjudice sexuel,
Ordonne la majoration de la rente servie à M. [I] [L] à son taux maximum conformément aux alinéas 1 et 3 de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
Dit que cette majoration sera versée à la succession de M. [I] [L] par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Ordonne la majoration de la rente de conjoint-survivant servie à Mme [Y] [H], Veuve [L], conformément aux dispositions de l'alinéa 4 de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
Dit que cette majoration sera versée à Mme [Y] [H], Veuve [L], par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Déboute le [24] de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire,
Déboute le [24] de sa demande au titre du préjudice d'agrément,
Fixe l'indemnisation des préjudices personnels de M. [I] [L] comme suit :
- souffrances morales : 69.700 euros
- souffrances physiques : 22.500 euros
- préjudice esthétique : 500 euros,
Dit ces sommes seront versées au [24], créancier subrogé, par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Fixe l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droits comme suit :
- Mme [Y] [H], Veuve [L], épouse : 32.600 euros
- Mme [F] [L], fille : 8.700 euros,
Dit ces sommes seront versées au [24], créancier subrogé, par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Déboute la SAS [43] venant aux droits de la société [10], de sa demande de répartition au prorata temporis,
Déclare irrecevable la SAS [43] venant aux droits de la société [10], en sa demande au titre de l'imputation au compte spécial,
Condamne [43] venant aux droits de la société [10], aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne [43] venant aux droits de la société [10], aux dépens d'appel,
Condamne [43] venant aux droits de la société [10], à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- la somme de 1.500 euros à Mme [Y] [L] et Mme [F] [R],
- la somme de 1.500 euros au [24],
- la somme de 500 euros à la [16].
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Madame Corinne BOUC, Présidente de Chambre, et par Madame Sümeyye YAZICI, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en vingt et une pages
SS
DU 24 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/02046 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FOBH
Pole social du TJ de [Localité 46]
18/00187
22 septembre 2020
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTS :
Madame [Y] [H] veuve [L] (veuve de M. [I] [L])
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Patrice MOEHNING de la SELARL Ledoux & Associés, avocat au barreau de PARIS
Madame [F] [L] (fille de M. [I] [L])
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Patrice MOEHNING de la SELARL Ledoux & Associés, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
[16]
[Adresse 7]
[Adresse 20]
[Localité 4]
Représentée par Madame [Z] [B], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
FIVA
[Adresse 1]
[Adresse 45]
[Localité 8]
Représenté par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. [43]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Frédéric BEAUPRE de la SELARL TELLUS AVOCATS, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : M. LIZET
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame PAPEGAY (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 06 Mai 2025 tenue par M. LIZET, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Corinne BOUC, présidente, Jérôme LIZET, président assesseur et Dominique BRUNEAU, conseiller, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 24 Septembre 2025 ;
Le 24 Septembre 2025, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCEDURE
M. [I] [L] a travaillé pour le compte de différentes entreprises au cours de sa carrière professionnelle en qualité de mécanicien automobile.
Le 22 septembre 2015, il a complété une déclaration de maladie professionnelle auprès de la [16] (la caisse), accompagnée d'un certificat médical initial du 31 août 2015 faisant état d'un carcinome bronchique.
Par décision du 23 mars 2016, la caisse a pris en charge la maladie de M. [L] au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles relatif aux expositions aux poussières d'amiante.
Par décision du 20 mai 2016, la caisse a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de M. [L] à 85 % à la date de consolidation, soit le 7 janvier 2016.
Par courrier du 3 août 2016, M. [I] [L] a saisi la caisse d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11], aux droits de laquelle vient la société [43].
M. [I] [L] a saisi le [25] ([24]) d'une demande d'indemnisation et a accepté l'offre du [24] pour le préjudice moral, les souffrances physiques, le préjudice d'agrément et le préjudice esthétique à hauteur de 115.200 euros.
Après contestation de l'offre du [24] relative au préjudice d'incapacité fonctionnelle, par arrêt du 27 avril 2017, la cour d'appel de Nancy a alloué à M. [I] [L] la somme de 5.627,75 euros.
Le 3 août 2016, M. [I] [L] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Longwy d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [9], aux droits de laquelle vient la société [43].
Au 1er janvier 2019, l'affaire a été transféré en l'état au pôle social du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Val-de-Briey, nouvellement compétent.
Les sociétés [22], [32], [31] et [40], ont été mises en cause.
Par jugement du 22 septembre 2020, le tribunal a :
- déclaré recevable l'action du [24], subrogé dans les droits de M. [I] [L],
- déclaré irrecevable la demande de la société [43] tendant à l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de M. [I] [L] au titre de la législation professionnelle,
- déclaré irrecevable la demande de la société [43] de production de pièces par la [17],
- rejeté la demande de M. [I] [L] et [24] en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur la société [43] venant aux droits de la société [11],
- rejeté la demande de majoration maximum des indemnités allouées à M. [I] [L] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
- rejeté la demande d'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal prévue à l'article L. 452-3,
- rejeté la demande d'expertise de M. [I] [L],
- rejeté la demande du [24] de fixation des préjudices de M. [I] [L],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice sexuel,
- rejeté la demande en remboursement de la [18],
- déclaré sans objet les demandes de la société [43] à l'encontre des sociétés [23], [32], [31] et [40],
- mis hors de cause les sociétés [23], [32], [31] et [40],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande du [24] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la [18] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la société [31] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la société [32] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [I] [L] à payer à la société [43] la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de la caisse,
- rejeté toutes autres prétentions,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 23 octobre 2020, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
M. [I] [L] est décédé des suites de sa maladie le 11 janvier 2021.
Par décision du 8 avril 2021, la caisse a reconnu l'imputabilité du décès à la maladie professionnelle.
Le 26 mai 2021, la caisse a allouée à la veuve, Mme [Y] [H], épouse [L], une rente d'ayant-droit.
Par courrier du 21 juin 2021, les héritiers de M. [I] [L] ont repris la procédure devant la cour d'appel.
Le 30 août 2021, Mme [Y] Veuve [L] a accepté l'offre du [24] d'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement à hauteur de 32.600 euros et de remboursement des frais funéraires à hauteur de 5.000 euros.
Le 16 mai 2023, Mme [F] [L], fille de M. [I] [L], a accepté l'offre du [24] d'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 8.700 euros.
L'affaire a fait l'objet d'un retrait du rôle par ordonnance du 9 novembre 2021 puis d'une radiation le 15 octobre 2024 après réinscription.
Le 18 octobre 2024, Mme [Y] [P] veuve [L] et Mme [F] [L] ont sollicité la réinscription de l'affaire au rôle.
Prétentions et moyens
Par conclusions récapitulatives n° 3 reçues au greffe le 14 avril 2025, Mme [Y] [P] veuve [L] et Mme [F] [L] demandent à la cour de :
Vu le code de la sécurité sociale, plus particulièrement le livre IV et notamment les articles L. 452-1 et suivants,
Vu notamment les articles L. 4121-1 et 4121-2 du code du travail,
- déclarer recevable et bien fondé le recours de M. [I] [L] et de ses ayants droit ;
- rejeter les fins de non-recevoir invoquées par la société défenderesse et la [15] ;
- juger que la maladie professionnelle dont a souffert et est décédé M. [I] [L] est due à la faute inexcusable de son employeur la société [12],
- ordonner la majoration maximum des indemnités (quelles qu'en soient les modalités de versement, rente ou capital) allouées à M. [I] [L] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale entre 8 janvier 2016 et le 11 janvier 2021 et dire cette majoration applicable aux arriérés dus,
- fixer, par principe et dans l'attente d'une décision définitive sur le contentieux relatif à la prise en charge du décès, au maximum légal le montant de la majoration de la rente due aux ayants droit de la victime,, en cas d'attribution de celle-ci par la caisse compétente,
Afin d'éviter toute difficulté d'exécution par la [17] des décisions du tribunal,
- préciser que cette majoration concerne la rente attribuée ou devant être attribuée à Mme [Y] [H] épouse [L], l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale disposant : « (...) Dans le cas mentionné à l'article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. (...) En cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et des majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel (...). » et l'article L 434-7 du même Code disposant que : « (...) En cas d'accident suivi de mort, une pension est servie, à partir du décès, aux personnes et dans les conditions mentionnées aux articles suivants. »,
- allouer à la succession de M. [I] [L] l'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation de l'aggravation soit au plus tard au 11 janvier 2021 conformément aux dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
A titre subsidiaire,
- faire injonction à la [15] de fixer ce taux après expertise sur pièce par ses services,
A titre infiniment subsidiaire,
- ordonner une expertise judiciaire avec mission de fixer le taux d'incapacité dont était atteint M. [I] [L] à l'instant de sa mort, préciser que cette expertise sera réalisée sur pièces,
A défaut,
- constater que l'absence de taux d'incapacité résulte d'une abstention fautive de la [17], en conséquence, vu l'article 1240 du code civil, condamner la [17] compétente à verser une indemnité équivalente au montant de l'allocation forfaitaire dont aurait pu prétendre la succession de M. [I] [L] au titre de la perte de chance,
- constater la subrogation légale du [24] pour les postes de préjudice qu'il a indemnisés et à hauteur des sommes versées ;
- fixer la réparation du préjudice des ayants-droit de M. [I] [L] au titre de l'action successorale comme suit :
' Préjudice sexuel : 3.000 euros
- juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société [10] SA et plus généralement toute partie succombante à verser à M. [I] [L] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner toutes parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile aux dépens.
Par conclusions n° 1 reçues au greffe le 9 avril 2024, la SAS [43], venant aux droits de la SA [10], demande à la cour de :
A titre liminaire,
- déclarer irrecevable les demandes pécuniaires du demandeur dirigées à l'encontre de [43] venant au droit du garage [11] SA,
A titre principal,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Briey du 22 septembre 2020 en ce qu'il a déclaré opposable à la société [43] la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [I] [L],
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Briey du 22 septembre 2020 en ce qu'il a rejeté la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [43] venant au droit du garage [11] SA dans la survenance de la maladie de M. [I] [L],
Par conséquent,
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, notamment celle relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter le [24] de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la [17] de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les appelants à lui verser 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
- débouter les appelants de leurs demandes d'indemnisations, ou les ramener à de plus justes proportions
- débouter le [24] de ses demandes d'indemnisations, ou les ramener à de plus justes proportions
- imputer les conséquences pécuniaires de la maladie de M. [L] [I] au compte spécial,
- répartir au prorata temporis les éventuelles condamnations portées en compte des employeurs de M. [I] [L], tel qu'indiqué dans le point VII ci-dessus, en ne mettant à la charge de [43] que 28,3% de ces éventuelles condamnations.
Par conclusions d'intervention reçues au greffe le 6 mai 2024, le [24] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action du [24], subrogé dans les droits de M. [I] [L],
- infirmer le jugement entrepris pour le surplus, et, statuant à nouveau,
- déclarer recevable la demande formée par les consorts [L], dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur,
- déclarer recevable la demande du [26], subrogé dans les droits des ayants droit de M. [L],
- dire que la maladie professionnelle dont était atteint M. [I] [L] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [44],
- fixer à son maximum la majoration de la rente servie à M. [L] pendant la période ante mortem, et dire que cette majoration de rente ante mortem sera directement versée par la [19] à la succession de M. [L],
- accorder le bénéfice de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, et dire que cette indemnité forfaitaire sera versée par la [19] à la succession de M. [L],
- fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, et dire que cette majoration de rente de conjoint survivant sera directement versée à ce conjoint survivant par l'organisme de sécurité sociale,
- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [L] comme suit :
Souffrances morales : 69 700 €
Souffrances physiques : 22 500 €
Préjudice d'agrément : 22 500 €
Préjudice esthétique : 500 €
TOTAL 115 200 €
- fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit, comme suit :
Mme [L] [Y] (conjoint) 32 600 €
Mme [L] [F] (enfant) 8 700 €
TOTAL 41 300 €
- dire que la [19] devra verser ces sommes au [24], créancier subrogé, en application de l'article 1452-3 alinéa 3, du code de la sécurité sociale, soit un total de 156 500,
Statuer ce que de droit sur la demande d'indemnisation du préjudice sexuel, formée par les Consorts [L],
Y ajoutant,
- condamner la société [44] à lui payer une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 28 avril 2025, la [16] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 22 septembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Val-de-Briey en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société [43] tendant à l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de M. [I] [L] au titre de la législation professionnelle et à la production de pièces par la [17],
- dire si la maladie professionnelle dont était atteint M. [I] [L] et dont il est décédé est due ou non à une faute inexcusable commise par la société [43] ;
Le cas échéant,
- fixer les réparations correspondantes, sauf à débouter les consorts [L] de leur demande de versement de l'indemnité forfaitaire et de celles visant à fixer un taux d'incapacité permanente et les indemniser au titre d'une perte de chance,
- condamner la société [43] à lui rembourser toutes les condamnations prononcées du fait de cette faute inexcusable, en ce compris les éventuels frais d'expertise, ou condamner les employeurs fautifs de manière solidaire ou in solidum, à défaut de responsabilité pleine et entière d'un seul employeur, à lui rembourser l'ensemble des sommes qui devront être avancées du fait de cette faute inexcusable,
- condamner la société [43], ou de manière solidaire ou in solidum les employeurs fautifs, à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé des moyens des parties, il sera renvoyé aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité d'employeur de la SAS [42]
En cas de maladie professionnelle imputable à divers employeurs chez lequel le salarié a été exposé au risque, la victime n'est pas obligée de saisir le tribunal d'une demande à l'encontre de tous, il suffit que la victime établisse la faute inexcusable d'un seul pour obtenir une indemnisation complémentaire.( Cass. soc., 28 févr. 2002, n° 99-21.255 : RJS 2002, n° 626).
Le salarié peut agir en reconnaissance de la faute inexcusable contre l'employeur qu'il estime auteur de celle-ci, peu important les conventions passées entre ses employeurs successifs, comme il peut également agir, s'il y a lieu, contre le tiers cessionnaire des droits et obligations de toute nature afférents à la branche complète d'activités constituée par l'établissement où il travaillait lors de son exposition au risque considéré (Cass. 2e civ., 17 mars 2011, n° 09-17.439 et n° 09-17.488, Cass. 2e civ 22 février 2007 n° 05-17.428).
Néanmoins, l'employeur qui fait l'objet d'une action en reconnaissance de sa faute inexcusable, est recevable à rechercher, devant la juridiction de sécurité sociale, pour obtenir leur garantie, la faute inexcusable des autres employeurs au service desquels la victime a été exposée au même risque (Cass. 2e Civ.14 mars 2013 n° 11-26.459).
En l'espèce, M. [L] a travaillé pour les entreprises suivantes :
- [30] de 1964 à 1967 comme apprenti mécanicien,
- société [13], devenue [22], de 1967 à 1971 en qualité d'agent de fabrication (activité d'équipements automobile),
- Garage FORD [Localité 36] de 1972 à 1983 appartenant à la SA [11] à cette période,
- Garage PEUGEOT de 1983 à 1984, appartenant à [29] repris par [41],
- Garage MARINELLI du 5 juin 1989 au 19 octobre 1989,
- société [21] de 1990 à 1991 en qualité de monteur calorifugeur,
- Garage [38] du 29 mars 1999 au 23 avril 2000.
La SARL [33] a cédé 100 % des actions de la [11] à la SAS [43], le 1er juillet 2007.
La SAS [42] a cédé le fonds de commerce à la SA [35], le 30 décembre 2011. Aux termes de l'acte notarié de cession, le cédant n'est pas déchargé par le cessionnaire, de tout ou partie de ses obligations antérieures non comprises dans la convention en ce qui concerne le personnel, et il doit sa garantie pour les éventuels arriérés de salaires, d'heures supplémentaires, de primes, d'indemnités complémentaires en cas d'arrêt de travail, d'indemnités de congés payés ou de licenciement non acquittés par l'ancien employeur.
La cession partielle d'actifs n'ayant pas fait disparaître la personne morale qui avait été l'employeur de la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, lequel employeur demeure donc responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de la faute inexcusable.
Alors que les autres employeurs avaient été appelés à la procédure en première instance, la société [43] n'a pas fait appel incident à leur encontre en ce qui concerne leur mise hors de cause.
La société [43] a donc qualité d'employeur au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.
Sur la recevabilité de la demande en inopposabilité de la décision de la caisse en reconnaissance de la maladie professionnelle
Si l'employeur reste fondé pour défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, à contester le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, en revanche, il n'est pas recevable à contester à la faveur de cette instance et en défense à l'action récursoire de la caisse, l'opposabilité de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels (Cass. 2e Civ. 8 novembre 2018 n° 17-25.843).
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il déclaré la société [43] irrecevable en sa demande en inopposabilité de la décision de reconnaissance de la caisse.
Sur la faute inexcusable
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
En cas de maladie professionnelle imputable à divers employeurs chez lequel le salarié a été exposé au risque, la victime n'est pas obligée de saisir le tribunal d'une demande à l'encontre de tous, il suffit que la victime établisse la faute inexcusable d'un seul pour obtenir une indemnisation complémentaire.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La conscience du danger doit s'apprécier in abstracto.
En l'espèce, M. [L] a travaillé au Garage [28] de 1972 à 1983 ayant appartenu à la SA [11] aux droits de laquelle vient la société [43].
M. [L] a décrit, dans le cadre de l'enquête administrative, ses tâches ainsi : 'j'ai réparé des mécanismes de freinage et des mécanismes d'embrayage. J'ai utilisé des soufflettes pour nettoyer les freins et les embrayages'.
Il a joint deux attestations de ses frères, mécaniciens aussi, corroborant cette description des tâches. M. [E] [L] précise dans son attestation qu'ils sont tous les trois frères.
Ils nomment tous les deux le garage Ford '[39]'. S'agissant de la même concession, situé au même endroit, il ne peut s'agir que du même garage, portant des noms différents selon les époques et les propriétaires, contrairement à ce qu'ont pu affirmer les premiers juges.
Par ailleurs, les périodes d'activités sont pour partie communes : de 1972 à 1984 pour M. [E] [L] et de 1975 à 1988 pour M. [S] [L].
Il sera rappelé que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité. Il appartient au juge d'apprécier souverainement si l'attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.
Aux termes de l'attestation du 14 avril 2016, M. [E] [L] déclare : 'il fallait souvent démonter les plaquettes de frein, les embrayages et autre. Avant chaque intervention, il fallait souffler pour nettoyer les postes de travail (air comprimé) ensuite au grattage pour éliminer les parties collées (resoufflage). Cela créait une ambiance saturée par ces fibres d'amiante que nous respirions tous les jours. Pas de protection et aucune information ne nous était donnée sur les dangers de ce produit'. (pièces 16 et 41)
Aux termes de l'attestation du 14 avril 2016, M. [S] [L] écrit : 'Fréquemment nous étions tenus de faire des révisions des freins et de procéder au remplacement des plaquettes qui étaient composées d'amiante. Pour ce genre de travail et suite à l'usure de ceux-ci, la poussière était très présente. Il fallait dans un premier temps souffler ces postes de travail pour procéder au changement de ces pièces. Nous faisions les mêmes manoeuvres concernant les embrayages - joints d'échappement ou autres pièces qui sont également en amiante. Les protections individuelles étaient inadaptées. Aucune consigne particulière concernant la dangerosité de l'amiante'. (pièces 17 et 42)
M. [S] [L] a réitéré son témoignage par attestation du 12 avril 2025 (pièce 116) et précisait qu'ils avaient tous les deux travaillé dans le même garage [27].
M. [I] [L] a donc bien été exposé aux poussières d'amiante par des travaux d'entretien et de maintenance effectués sur des équipements contenant de l'amiante.
La reconnaissance des dangers d'une exposition à l'amiante fut admise pour la première fois par une ordonnance du 2 août 1945, créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles à propos de la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de la silice libre ou de l'amiante. Par la suite, le décret du 31 août 1951 a créé le tableau 30, propre à l'asbestose, maladie consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante. Par décrets du 5 janvier 1976 et du 14 avril 2000, il a été ajouté à la liste des maladies consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante le mésothéliome et le cancer broncho pulmonaire. En 1996, toute utilisation de l'amiante a été interdite.
S'agissant du tableau 30 Bis, créé le 14 avril 2000, il est visé les travaux d'usinage, de découpe et ponçage de matériaux contenant de l'amiante et les travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
Dès les années 1960, il était signalé dans un certain nombre d'études scientifiques les dangers liés à l'inhalation des poussières d'amiante, comme lors du congrès international sur l'asbestose de [Localité 14] en mai 1964.
Dès le début des années 1950 donc, et quelle que fut la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était tenu d'une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage alors encore licite de l'amiante et de matériaux contenant de l'amiante qui lorsqu'il se désagrège devient dangereux.
Par la suite, un décret du 17 août 1977 a fixé les limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer.
En effet, il était su, tant dans les milieux scientifiques qu'industriels, que l'amiante qui se désagrège en poussières peut être alors respirée et provoquer une des maladies professionnelles des tableaux 30 et 30 bis.
En l'espèce, l'employeur est une concession du groupe automobile [27], les plaquettes de freins et d'embrayage utilisés contenaient de l'amiante, ce que les garagistes ne pouvaient ignorer, il disposait de moyens de s'informer et d'être alertée au regard de son organisation.
Il ne peut se retrancher sur le fait que le décret interdisant toute utilisation de l'amiante date du 7 février 1996 et qu'il serait le point de départ de la prise de conscience des dangers pour l'exercice de son activité, ni de ce qu'avant le décret du 22 mai 1996 modifiant le tableau 30 des maladies professionnelles, seul le travail direct sur l'amiante faisait l'objet d'une réglementation.
Elle ne saurait, non plus, se dédouaner en invoquant une éventuelle responsabilité de l'État.
Dans ces conditions, la société [43] ne pouvait ignorer le danger lié à l'utilisation de l'amiante ou à tout le moins, elle aurait dû en avoir conscience.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Selon l'article L. 4121-2 du code du travail, l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il s'évince de ces articles que l'employeur doit prendre, au titre de son obligation légale de sécurité et de protection, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en adaptant le travail à l'homme s'agissant de la conception des postes de travail et des méthodes de travail et en planifiant la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral.
En application de l'article L. 4121-3 du code du travail, l'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.
À la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.
En application de l'article L. 4141-1 du code du travail, l'employeur organise et dispense une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier. Il organise et dispense également une information des travailleurs sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique ou l'environnement les produits et procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par l'établissement ainsi que sur les mesures prises pour y remédier.
Les premiers textes sur la lutte contre l'empoussièrement des locaux de travail date du début du XX ième (1893, 1904, 1912 et 1913). Ils préconisent notamment la mise en place de systèmes d'aspiration et de ventilation.
Un décret du 6 mars 1961 prévoit que, dans les cas où serait reconnue impossible l'exécution des mesures de protection collective, des appareils de protection individuelle seront mis à la disposition des travailleurs. L'employeur doit prendre toutes les mesures utiles pour que ces dispositifs de protection individuelle soient maintenues en bon état de fonctionnement et désinfectés avant d'être attribués à un nouveau titulaire.
Le décret du 17 août 1977 prévoit des mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante. Il est mis en place une surveillance médicale spécifique à l'amiante et un contrôle de l'empoussièrement dans les locaux. Il est fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail (2 fibres par cm3).
En l'espèce, si l'un des frères, M. [E] [L], fait état de l'absence de protection contre les poussières d'amiante, et l'autre, M. [S] [L], fait état d'une protection insuffisante, il n'en demeure pas moins qu'il est fait état d'une mise en oeuvre défectueuse des mesures de protection et, à tout le moins, les deux frères déclarent qu'ils n'ont pas eu d'information sur les dangers des poussières d'amiante.
S'agissant de faits négatifs et l'employeur étant tenu d'une obligation légale de sécurité, il lui appartient alors de justifier qu'il a mis en oeuvre une information sur les dangers liés à l'amiante et des mesures de protection, soit collectives (aération et ventilation des locaux), soit individuelles (masques).
La société [42] se contente d'invoquer le fait que le preuve de l'exposition ne serait pas rapportée et d'affirmer qu'étant une petite structure et au regard de la législation applicable lors de l'activité de M. [I] [L] au sein du garage [27], elle ne pouvait avoir conscience du risque.
Dans ces conditions, le jugement querellé sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Sur la recevabilité des consorts [L] à agir en indemnisation des préjudices complémentaires
Selon l'article 53 VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, le [26] est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes.
Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.
Si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive.
La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale. L'indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence.
Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 53 IV de la dite loi, il est prévu qu'une offre est présentée dans les mêmes conditions en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime ou si une indemnisation complémentaire est susceptible d'être accordée dans le cadre d'une procédure pour faute inexcusable de l'employeur.
La majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par la [15] dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement d'une rente, de sorte que le [24], recevable à continuer l'action en reconnaissance de faute inexcusable entreprise par la victime ou ses ayants droit est recevable par là-même à demander la fixation de la majoration de rente, peu important qu'il n'ait pas préalablement présenté à ceux-ci l'offre complémentaire prévue par l'article 53 IV, alinéa 2, de la loi du 23 décembre 2000 ( Cass. 2e Civ., 31 mai 2006, pourvoi n 05-17.362, 05-16.807, 25 octobre 2006 n° 05-21.167 ). Il en est de même s'agissant de l'indemnité forfaitaire. (Cass. 2e Civ., 3 juillet 2008, pourvois n 07-17.490 et n 07-16.678)
Il en résulte que, dans le cadre de la subrogation légale dont il bénéficie, le [24] est recevable, non seulement à faire constater l'existence d'une faute inexcusable et à demander la fixation des préjudices indemnisables visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et la condamnation, en tant que de besoin, de l'organisme social à lui rembourser, dans la limite des sommes qu'il a versées, celles correspondant à cette évaluation (Cass. 2e Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n 08-19.349) mais également, et nonobstant l'absence de versement préalable parce que subrogé, il a les mêmes droits que la victime, en particulier celui de faire fixer le montant de la majoration de rente pour en recueillir le bénéfice, le Fonds n'est point tenu de faire une offre complémentaire afférente à celle-ci. (Cass. 2e Civ, 19 décembre 2019 n° 18-23.804 et 10 février 2022, n° 20-13.779)
L'article 53 IV, dernier alinéa de la loi du 23 décembre 2000 énonce : L'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice.
Il en résulte que le salarié atteint d'une maladie professionnelle ou ses ayants droit en cas de décès, qui ont accepté l'offre d'indemnisation des victimes de l'amiante, ne sont plus recevables à se maintenir dans l'action en recherche de faute inexcusable qu'ils ont préalablement engagée et qui est reprise par le [24], que dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur.
L'article 53 I de la loi n°2000-1257 prévoyant la réparation intégrale des préjudices des victimes d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante et l'article 53 IV de la dite loi imposant au [26] de faire à la victime une offre pour chaque chef de préjudice, en tenant compte des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 pour le montant qui résulte, poste par poste, de l'application de l'article 31, alinéas 1er et 3, de cette loi, dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, il en résulte qu'en ne proposant pas d'indemnisation pour certains chefs de préjudices, le fonds estiment qu'ils ne sont pas constitués.
Dès lors, en acceptant l'offre d'indemnisation du préjudice subi par le salarié victime, celui-ci ou ses ayants droit sont irrecevables en toute action juridictionnelle de ce chef (Cass. 2e Civ. 10 novembre 2009, n° 08-15562, Cass. Avis du 6 octobre 2008 n° 08-00.009).
En l'espèce, le Fonds n'a pas proposé d'indemnisation au titre du préjudice sexuel et M. [L] a accepté l'offre. Le montant dû au titre du déficit fonctionnel a été fixé par la cour d'appel de Nancy par arrêt du 27 avril 2017, auquel le [24] a été condamné.
Dans ces conditions, les consorts [L] ne sont pas recevables en leurs demandes relatives à la majoration de la rente due à la victime, à la majoration de la rente allouée au conjoint survivant, à l'indemnité forfaitaire, à la fixation d'une nouveau taux d'IPP, au prononcé d'une expertise, à la mise en cause de la responsabilité de la caisse sur le fondement de l'article 1240 du code civil et à l'indemnité au titre du préjudice sexuel.
Sur la majoration de la rente allouée à la victime
La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente ayant été servie en application de l'article L. 452-2 alinéa 1 et 3 du code de la sécurité sociale.
La majoration sera payée par la caisse à la succession de M. [I] [L], qui en récupérera le capital représentatif auprès de l'employeur.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la majoration de la rente du conjoint survivant
La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente servie au conjoint survivant en application de l'article L. 452-2 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, à savoir
La majoration sera payée par la caisse au conjoint survivant, qui en récupérera le capital représentatif auprès de l'employeur.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'indemnité forfaitaire
L'article L.452-3 du code de la sécurité sociale relatif à la majoration de la rente en cas de faute inexcusable, prévoit que "si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation".
N'étant pas saisi d'une contestation relative à l'état ou au degré d'incapacité ou d'invalidité de la victime d'une maladie professionnelle, mais d'une demande d'indemnisation complémentaire en raison de la faute inexcusable de l'employeur, il appartient au juge, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui sont soumis, de vérifier que les ayants droit peuvent prétendre à l'allocation forfaitaire, telle que prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, soit en l'espèce un taux d'IPP de 100 %, et ce sans qu'il soit besoin de procéder à une mesure d'expertise. (C. Cass. Ch. Civ. 2, arrêt du 20 octobre 2021, n° 20-11.740)
Il appartient aux ayant-droits de rapporter la preuve qu'au jour du décès au plus tard, la victime était atteinte d'une incapacité permanente de 100 %.
En l'espèce, et contrairement à ce qu'indique le [24], la caisse a fixé un taux d'incapacité permanente partielle au jour de la consolidation, 85 % au 7 janvier 2016, date de la consolidation.
M. [L] est décédé le 11 janvier 2021.
Aucune demande en révision ou en rechute n'a été effectuée auprès de la caisse.
Le [24] se contente de renvoyer aux pièces médicales sans aucun développement.
La fixation d'un taux à 100 % ne peut résulter des seuls éléments tirés de la gravité de la maladie et/ou de la prise en charge du décès au titre de la maladie professionnelle.
Dans ces conditions, le [24] sera débouté de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire et le jugement sera modifié en conséquence.
Sur les souffrances physiques et morales
Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Il s'ensuit aussi que le salarié ne saurait dans ces conditions prétendre à la réparation intégrale de ses préjudices selon les règles de droit commun, la réparation de la faute inexcusable de l'employeur continuant à relever du régime spécifique prévu par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de sécurité sociale et seuls les chefs de préjudice qui ne sont pas déjà couverts par le livre IV du code de sécurité sociale peuvent faire l'objet d'une indemnisation dans les conditions du droit commun.
Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947) que désormais la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent et qu'elle n'a pas pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
Par deux arrêts des 28 septembre 2023 et 16 mai 2024 (n° de pourvoi 21-25.690 et 22-23.314), la deuxième chambre civile de la cour de cassation a dit que la victime d'une faute inexcusable peut, désormais, prétendre à la réparation du préjudice causé par les souffrances morales et physiques endurées que la rente ou l'indemnité en capital n'ont pas pour objet d'indemniser.
Ainsi la victime d'une faute inexcusable pourra être indemnisée des souffrances morales et physiques que celles-ci soient antérieures ou postérieures à la consolidation.
En l'espèce, les souffrances morales et physiques résultent du traitement lourd subi par M. [L], à savoir des examens (biopsie par thoracoscopie, acte effectué sous anesthésie locale, avec introduction d'un endoscope au travers d'une petite incision réalisée entre deux côtes, pour visualiser le poumon et pratiquer les biopsies à partir de l'analyse desquelles le caractère malin des cellules pourra être posé avec certitude) et les traitements par radiothérapie et chimiothérapie, aux effets secondaires importants comme les nausées, les vomissements, les troubles digestifs, l'anémie, la leucopénie, l'immunodépression et la chute des cheveux. Il a reçu des soins morphiniques et un traitement médicamenteux lourd via des protocoles de soins. Il a aussi subi des injections de '[34] 350'. (pièces 10, 11, 12, 13, 15 et 18 du FIVA)
Le cancer broncho-pulmonaire a entraîné une perte respiratoire irrémédiable et irréversible. Il conduit à une dégénérescence générale aboutissant au décès.
Le préjudice moral de M. [L] résulte du fait que dès l'annonce de la maladie en 2015, il a su qu'il s'agissait d'une pathologie irréversible, entraînant une espérance de vie limitée à 5 ans pour 5% des personnes atteintes de cancers broncho-pulmonaires de stade 4, à savoir très étendus et donc inopérables. Tel est le cas de M. [L] qui n'a pas pu être opéré au regard de l'atteinte (métastases repérées dès 2015).
Dans ces conditions, il y a lieu de fixer à 22.500 euros le montant du préjudice subi du fait des souffrances physiques et à 69.700 euros celui résultant des souffrances morales.
La caisse versera ces sommes au [24], créancier subrogé.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
Sur le préjudice d'agrément
Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du même code est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir ; que ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure (Civ. 2ème 28 février 2013, n° 11-21.015, Bull II 48, 2e Civ., 10 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.791)
En l'espèce, le [24] se contente de la formule suivante : 'en raison de sa maladie, M. [L] ne pouvait plus se livrer à ses activités favorites'. Aucune précision n'est donnée quant à 'ses activités favorites'.
Le [24] sera donc débouté de ce chef de demande et le jugement sera modifié en conséquence.
Sur le préjudice esthétique
En raison des traitements subis (chimiothérapie et radiothérapie), M. [L] s'est considérablement amaigri et a perdu ses cheveux.
Dans ces conditions, le préjudice esthétique sera fixé à 500 euros et la caisse versera cette somme au [24], créancier subrogé.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le préjudice moral des ayants droits
M. [L] est mort à 69 ans et il était marié depuis 28 ans avec Mme [Y] [H].
Leur fille, [F] [L] justifie qu'elle demeurait avec ses parents au moment de la maladie et du décès (pièces 22 et 23 du [24]).
Dans ces conditions, le préjudice moral de Mme [Y] [L] sera fixé à 32.700 euros et celui de Mme [F] [L] à 8.700 euros.
La caisse versera ces sommes au [24], créancier subrogé.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
Sur la répartition prorata temporis
En application des articles L. 451-1 et L. 451-4 du code de la sécurité sociale, en cas d'exposition au risque au sein de plusieurs entreprises, l'employeur, qui fait l'objet d'une action en reconnaissance de sa faute inexcusable, est recevable à rechercher la faute inexcusable des autres employeurs au service desquels la victime a été exposé au même risque, pour obtenir leur garantie. (C. Cass. 2e Civ, 14 mars 2013 n° 11-26.459)
La charge de la preuve de la faute inexcusable pèse alors sur l'employeur.
En l'espèce, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, la société [42] n'a pas fait d'appel incident à l'encontre des autres sociétés mises en causes en première instance, à savoir la société [37], la société [31], la société [32] et la société [22]. Elles n'ont pas été attraites à hauteur d'appel.
Elle ne sollicite pas l'infirmation des chefs du jugement déclarant sans objet les demandes à l'encontre de ces sociétés et les mettant hors de cause.
La société [43] n'invoque ni ne démontre l'existence d'une faute inexcusable commise par ces sociétés.
La société [43] sera donc déboutée de sa demande de répartition prorata temporis.
Sur l'action récursoire de la caisse
En application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la caisse dispose d'une action récursoire à l'encontre de l'employeur pour les sommes versées au titre de l'indemnisation des préjudices du salarié victime d'une faute inexcusable.
Il sera donc fait à la demande de la [16] et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'imputation au compte spécial
En application des articles L. 142-1, 7° du code de la sécurité sociale et D. 311-12 du code de l'organisation judiciaire, les demandes de l'employeur aux fins de retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle ou d'inscription de ces dépenses au compte spécial, même formées avant notification de son taux de cotisation, relèvent de la seule compétence de la juridiction du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles (C. Cass. Ch. Civ. 2, arrêt du 28 septembre 2023, n° 21-25.719).
Par ailleurs, la caisse a d'ores et déjà affecté le sinistre au compte spécial.
Dans ces conditions, la société [43] sera déclarée irrecevable en ce chef de demande et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Partie perdante principale, la société [43] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Elle sera condamnée, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à payer les sommes suivantes :
- aux consorts [L] : 1.500 euros,
- au [24] : 1.500 euros,
- à la caisse : 500 euros.
Elle sera, dès lors, débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera infirmé en conséquence.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire, publiquement et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 22 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Val de Briey en ce qu'il a déclaré la SAS [43] irrecevable en sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle,
Infirme le dit jugement en ce qu'il a :
- rejeté la demande de M. [I] [L] et [24] en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur la société [43] venant aux droits de la société [11],
- rejeté la demande de majoration maximum des indemnités allouées à M. [I] [L] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
- rejeté la demande d'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal prévue à l'article L. 452-3,
- rejeté la demande d'expertise de M. [I] [L],
- rejeté la demande du [24] de fixation des préjudices de M. [I] [L],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice sexuel,
- rejeté la demande en remboursement de la [18],
- rejeté la demande de M. [I] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande du [24] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la [18] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [I] [L] à payer à la société [43] la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de la caisse,
- rejeté toutes autres prétentions,
Statuant à nouveau,
Dit que la maladie dont a souffert M. [I] [L] et dont il est décédé est due à la faute inexcusable de la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Déclare Mme [Y] Veuve [L] et Mme [F] [L], ayants droits de M. [I] [L] en leurs demandes relatives à la majoration de la rente due à la victime, à la majoration de la rente allouée au conjoint survivant, à l'indemnité forfaitaire, à la fixation d'une nouveau taux d'IPP, au prononcé d'une expertise, à la mise en cause de la responsabilité de la caisse sur le fondement de l'article 1240 du code civil et à l'indemnité au titre du préjudice sexuel,
Ordonne la majoration de la rente servie à M. [I] [L] à son taux maximum conformément aux alinéas 1 et 3 de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
Dit que cette majoration sera versée à la succession de M. [I] [L] par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Ordonne la majoration de la rente de conjoint-survivant servie à Mme [Y] [H], Veuve [L], conformément aux dispositions de l'alinéa 4 de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
Dit que cette majoration sera versée à Mme [Y] [H], Veuve [L], par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Déboute le [24] de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire,
Déboute le [24] de sa demande au titre du préjudice d'agrément,
Fixe l'indemnisation des préjudices personnels de M. [I] [L] comme suit :
- souffrances morales : 69.700 euros
- souffrances physiques : 22.500 euros
- préjudice esthétique : 500 euros,
Dit ces sommes seront versées au [24], créancier subrogé, par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Fixe l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droits comme suit :
- Mme [Y] [H], Veuve [L], épouse : 32.600 euros
- Mme [F] [L], fille : 8.700 euros,
Dit ces sommes seront versées au [24], créancier subrogé, par la [16] qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la SAS [43] venant aux droits de la société [10],
Déboute la SAS [43] venant aux droits de la société [10], de sa demande de répartition au prorata temporis,
Déclare irrecevable la SAS [43] venant aux droits de la société [10], en sa demande au titre de l'imputation au compte spécial,
Condamne [43] venant aux droits de la société [10], aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne [43] venant aux droits de la société [10], aux dépens d'appel,
Condamne [43] venant aux droits de la société [10], à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- la somme de 1.500 euros à Mme [Y] [L] et Mme [F] [R],
- la somme de 1.500 euros au [24],
- la somme de 500 euros à la [16].
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Madame Corinne BOUC, Présidente de Chambre, et par Madame Sümeyye YAZICI, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
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