CA Amiens, tarification, 3 octobre 2025, n° 25/00502
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
Société [19]
C/
[9]
NORMANDIE
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Société [19]
- CARSAT DE
NORMANDIE
- Me Julien TSOUDEROS
Copie exécutoire :
- CARSAT DE
NORMANDIE
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 03 OCTOBRE 2025
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N° RG 25/00502 - N° Portalis DBV4-V-B7J-JIN6
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDERESSE
Société [19]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
ET :
DÉFENDERESSE
[10]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 17]
[Localité 5]
Représentée et plaidant par Mme [K] [L], munie d'un pouvoir régulier
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 juillet 2025, devant M. Philippe MELIN, président assisté de M. Jean-François D'HAUSSY et Mme Isabelle WATBLED, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2025, 26 mars 2025, 3 avril 2025 et 07 avril 2025.
M. Philippe MELIN a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 03 octobre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Charlotte RODRIGUES
PRONONCÉ :
Le 03 octobre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe MELIN, président et Mme Nathalie LÉPEINGLE, greffière.
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* *
DECISION
Mme [N] [E] épouse [Z] a travaillé pour la société [20], dans son établissement de [Localité 21] portant le n° SIRET [N° SIREN/SIRET 3], du 29 octobre 1971 au 31 octobre 2001. Elle a été affectée de 1971 à 1973 au montage de composants, de 1973 à 1993 au montage de moteurs et de 1993 à 2001 à la presse plastique.
À partir du 1er avril 2000, l'activité de fabrication de moteurs électriques pour les petits appareils et les appareils électroménagers a été cédée par la société [20] à la [14] (ci-après [11]), qui a ensuite été cédée le 1er octobre 2002 à la société [18].
Par jugement du 7 septembre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [20].
Par jugement du 22 octobre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté le plan de cession de la société [20] au profit de la société [22].
Par acte de cession du 18 mars 2002, la société [19] a repris le fonds de commerce d'activité de fabrication de petits matériels et d'appareils électroménagers.
Le 11 décembre 2019, Mme [E] épouse [Z] a demandé la reconnaissance de l'origine professionnelle d'un cancer du larynx ayant entraîné une laryngectomie totale.
La [7] (ci-après la [15]) a procédé à l'instruction du dossier. Dans ce cadre, elle a constaté que la maladie ne figurait dans aucun tableau de maladie professionnelle mais elle a estimé disposer d'éléments suffisants pour saisir un [13] (ci-après [16]).
Le 11 juin 2020, le [16] a constaté que l'activité professionnelle d'agent de production exercée par Mme [E] épouse [Z] l'avait vraisemblablement exposée de 1973 à 1993 à l'inhalation de poussières d'amiante, qui étaient connues comme pouvant être responsables d'apparition de carcinome du larynx. Le [16] a ajouté qu'il n'existait pas de facteurs de risque ou d'autres éléments explicatifs, extra-professionnels, pour la pathologie déclarée. En conséquence, le [16] a émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée.
La [15] a décidé de prendre en charge la maladie de Mme [E] épouse [Z] au titre de la législation sur les risques professionnels. La date de première constatation médicale a été fixée au 1er mars 2019.
Les incidences financières de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] ont été inscrites sur le compte employeur de la société [19], en sa qualité de repreneur de l'établissement de [Localité 21].
Par courrier en date du 3 mars 2022, la société [19] a contesté l'imputation de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] à son compte employeur auprès de la [6] (ci-après la [8]) et a sollicité le retrait des incidences financières de cette maladie. Au soutien de sa demande, elle a fait valoir qu'il avait été reconnu que Mme [E] épouse [Z] avait subi une exposition de 1973 à 1993, c'est-à-dire lorsqu'elle travaillait au sein de la branche qui fabriquait les moteurs électriques pour les petits appareils et les appareils électroménagers. Or, elle a considéré que les coûts de la maladie de Mme [E] épouse [Z] ne pouvaient pas être mis à sa charge, aux motifs, d'une part, qu'elle ne pouvait être considérée comme le successeur de la société [20] dès lors qu'elle n'avait pas repris la moitié des employés de la société [20] et, d'autre part, qu'elle n'avait pas repris la branche d'activité de fabrication de moteurs électriques.
Par courrier en date du 11 avril 2022, la [8] a rejeté le recours formé par la société [19], en expliquant que les éléments de tarification du prédécesseur devaient être intégralement reportés sur le successeur.
Par acte d'huissier en date du 10 juin 2022, la société [19] a assigné la [8] à comparaître par devant la cour d'appel d'Amiens statuant en matière de tarification à l'audience du 3 février 2023.
À cette date, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 8 septembre 2023 lors de laquelle, à la demande de la société [19] et en accord avec la [8], elle a fait l'objet d'un retrait du rôle.
Le 21 janvier 2025, la société [19] a sollicité la reprise de l'instance, si bien que l'affaire a été réinscrite au rôle.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société [19] sollicite :
- à titre principal :
- que la décision de la [8] du 19 mars 2024 (sic) soit annulée,
- qu'il soit enjoint à la [8] de retirer de ses comptes employeur 2019 et 2020 les frais de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] du 1er mars 2019,
- à titre subsidiaire, qu'il soit enjoint à la [8] d'inscrire au compte spécial les frais de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] du 1er mars 2019,
- en tout état de cause :
- qu'il soit enjoint à la [8] de rectifier ses taux de cotisation 2022 et suivants,
- que la [8] soit condamnée aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :
- qu'il est de principe que les dépenses afférentes à une maladie professionnelle doivent être imputées sur le compte employeur du dernier employeur ayant exposé l'assuré au risque afférent à sa maladie,
- qu'un employeur ne saurait se voir imputer des frais dès lors que l'exposition au risque de la victime a pris fin antérieurement à son recrutement par ledit employeur,
- qu'au cas présent, si elle a repris le contrat de travail de Mme [E] épouse [Z] à compter du 29 octobre 2001 en exécution du plan de cession autorisé par le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 22 octobre 2001, l'assurée travaillait alors au département presse plastique depuis huit ans,
- que d'ailleurs, Mme [E] épouse [Z] a travaillé peu de temps pour elle, puisqu'elle n'a exécuté son contrat de travail que jusqu'au 31 octobre 2001 et qu'elle a fait valoir ses droits à la retraite le 20 janvier 2002,
- qu'elle ne peut être regardée comme le successeur de la société [20], dans la mesure où les conditions posées par l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale ne se trouvaient pas réunies à la date de la cession,
- qu'aux termes de cet article, « ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel »,
- qu'en l'espèce, au moins l'une de ces conditions fait défaut, puisqu'elle a repris 1819 salariés de la société [20], dont les 293 du site de [Localité 21], sur les 5106 que comptait la société [20] à la date de la cession,
- que ceci représente moins de la moitié du personnel,
- qu'elle ne peut donc être regardée comme le successeur de la société [20],
- que dès lors, les cotisations dues par elle ne peuvent être calculées en fonction des éléments de tarification afférents à la branche d'activité de fabrication de moteurs électriques pour les petits appareils et les appareils électroménagers anciennement exploitée par la société [20],
- que dans une affaire en tous points similaire d'un assuré anciennement salarié au sein de la branche « moteurs » de la société [20] avant le 1er avril 2020, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ([12]), par un arrêt du 31 janvier 2017, avait jugé le contraire, au motif qu'elle avait repris l'activité de la société [20], en sorte que les frais afférents à la maladie contractée chez le prédécesseur devaient être imputés à son compte employeur,
- que la Cour de cassation, par arrêt du 31 mai 2018, a cassé et annulé cet arrêt de la [12] au visa de l'article D. 242-6-17, au motif qu'« en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société n'avait pas repris au moins la moitié du personnel de la société [20], qui exploitait antérieurement cet établissement, la cour d'appel, qui n'a[vait] pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a[vait] violé le texte susvisé »,
- qu'à titre subsidiaire, pour le cas où il serait malgré tout jugé qu'elle doit être considérée comme le successeur de la société [20], les conséquences de la prise en charge de la maladie de Mme [E] épouse [Z] devraient être imputées au compte spécial,
- qu'il résulte de l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas comprises dans la valeur du risque propre d'un établissement mais inscrites à un compte spécial,
- que de même, il résulte de l'article D. 242-6-7 du même code que les maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas imputées au compte de l'employeur mais inscrites à un compte spécial,
- qu'il résulte de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 que les dépenses sont inscrites au compte spécial [...] lorsque la maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale a été constatée postérieurement au 29 mars 1993 mais que la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993,
- que tel est précisément le cas en l'espèce, puisque tant la [15] que le [16] n'ont retenu l'exposition de Mme [E] épouse [Z] à l'inhalation de poussières d'amiante que dans le cadre de son emploi de montage de moteurs,
- qu'il n'a jamais été soutenu qu'elle aurait été exposée à ce risque dans le cadre de son dernier emploi de presse plastique,
- que Mme [E] épouse [Z] a cessé de travailler au montage des moteurs, et donc d'être exposée au risque de sa maladie, à la date du 30 mars 1993 visée par l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995,
- que par ailleurs, il est constant que la maladie de Mme [E] épouse [Z] n'a été constatée que le 1er mars 2019, soit postérieurement au 29 mars 1993,
- qu'ainsi, les conditions de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 sont satisfaites,
- que la [8] croit pouvoir s'opposer à la demande d'inscription au compte spécial, aux motifs que les pièces du dossier constitué par la [15] ne permettent pas de savoir précisément à quelle date la salariée a quitté son emploi de montage de moteurs pour une activité de presse plastique et que la charge de la preuve pèserait sur l'employeur,
- que cette thèse est discutable,
- qu'il est constant que c'est à la [15] qu'il incombe de procéder à l'instruction de la demande de prise en charge de la maladie professionnelle et d'enquêter sur les conditions d'exposition au risque, ce qui implique la détermination du début et de la fin de l'exposition retenue,
- que, tirant argument de l'insuffisance de l'instruction réalisée par la [15], la [8] tente d'ajouter à sa charge une preuve impossible à déterminer,
- qu'il faut rappeler que l'exposition de Mme [E] épouse [Z] n'a pas eu lieu en son sein mais au sein de la société [20],
- qu'il faut également rappeler que la branche d'activité moteurs, au sein de laquelle Mme [E] épouse [Z] a été exposée, ne lui a pas été transférée mais a été cédée à la [11], entreprise qui elle-même a été cédée à la société [18],
- qu'il n'existe donc aucune raison susceptible de justifier qu'elle soit en possession des documents justificatifs de la date exacte de la fin de l'affectation de Mme [E] épouse [Z] à l'activité de montage de moteurs,
- qu'en conséquence, l'incertitude quant à la date de cessation de l'exposition de Mme [E] épouse [Z] doit conduire à considérer que la [8] ne rapporte pas la preuve de l'exposition au risque postérieurement à la date retenue,
- qu'elle est donc fondée à demander l'inscription au compte spécial des frais afférents à la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], la rectification de ses comptes employeur 2019 et 2020, ainsi que la rectification de ses taux de cotisation impactés par ces frais.
Suivant conclusions datées du 16 mai 2025 et transmises au greffe le 23 mai 2025, la [8] demande à la cour de :
- dire que la société [19] n'est pas recevable à contester son taux de cotisation de l'année 2021,
- débouter la société [19] de sa demande tendant au retrait de son compte employeur de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z],
- qu'elle soit également déboutée de sa demande tendant à l'inscription sur le compte spécial de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z],
- que le recours de la société soit rejeté.
Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :
- que la société [19] demande le retrait des frais de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] de ses comptes employeur 2019 et 2021, tout en ne sollicitant formellement que la rectification de ses taux de cotisation des années 2022 et suivantes,
- que toutefois, pour éviter toute ambiguïté sur la portée de la décision à intervenir, il y a lieu de préciser que la société n'est plus recevable à contester son taux de cotisation de l'année 2021,
- qu'en effet, en application de l'article R. 142-1-A III du code de la sécurité sociale, « s'il n'en est disposé autrement, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la notification de la décision contestée »,
- que dans le cadre du système de notification électronique déployé depuis 2020, la date de notification d'un taux correspond en principe à la date de consultation de ce taux par une personne habilitée au sein de la société et, en l'absence de consultation dans le délai de 15 jours à partir de la mise à disposition, elle correspond à la date de mise à disposition,
- qu'en l'espèce, le taux de cotisation de l'année 2021 de l'établissement de [Localité 21] de la société [19], prenant en compte le coût moyen d'incapacité temporaire de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], a été notifié à la société le 4 janvier 2021, date à laquelle une personne habilitée a accédé à la décision,
- que cependant, ce n'est que par courrier du 3 mars 2022 que la société [19] a introduit un recours gracieux pour contester la prise en compte de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] dans sa tarification,
- que par conséquent, le taux 2021 est devenu définitif et toute contestation à son égard est irrecevable,
- que pour le reste, la demande de retrait du compte employeur de la société [19] est mal fondée,
- que la société sollicite le retrait de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] au motif qu'elle ne serait ni le dernier employeur exposant, ni le successeur du dernier employeur exposant,
- que cependant, il est constant que la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire,
- qu'il est tout aussi constant qu'un établissement ne peut pas être considéré comme nouveau, c'est-à-dire se voir appliquer un taux de cotisation collectif, lorsqu'il est issu d'un précédent établissement, sans rupture de risque, de sorte qu'un employeur doit voir sa tarification être fixé en considération des sinistres survenus aux salariés des établissements qu'il a repris, quand bien même il n'aurait jamais employé lui-même ces salariés,
- que l'existence d'une reprise d'établissement s'apprécie à partir de critères fixés par des dispositions réglementaires, contenues à l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale, qui énoncent que « ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel »,
- que Mme [E] épouse [Z], dans sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle, a évoqué, au titre des emplois susceptibles de l'avoir exposée au risque, exclusivement celui exercé de 1973 à 2001 dans l'établissement de [Localité 21] de la société [20],
- qu'aux termes de son instruction, la [15] a confirmé une exposition à l'amiante de 1973 à 1993 dans cet établissement de [Localité 21],
- que de même, le [16] saisi par la [15] a estimé qu'il y avait eu une exposition de 1973 à 1993 à l'inhalation de poussières d'amiante,
- qu'ainsi, le caractère professionnel de la maladie a été reconnu hors tableau, en considération d'une exposition au sein de l'établissement de [Localité 21] de la société [20] entre 1973 et 1993,
- que la société [19] ne conteste pas cette exposition mais fait valoir que le sinistre ne pourrait pas lui être imputé car elle ne devrait pas être considérée comme le repreneur de l'établissement de Saint-Lô de la société [20], au motif que si elle a bien repris des activités et du personnel de la société [20] lors de la cession ordonnée par le tribunal de commerce de Nanterre, elle a cependant repris moins de la moitié du personnel et, en outre, n'a pas pas repris l'activité de fabrication de moteurs électriques pour les petits matériels et les appareils électroménagers, qui a été cédée à la [11],
- que cependant, la tarification s'opère par établissement, de sorte que l'enjeu est uniquement de savoir si la société [19] a repris l'établissement de [Localité 21] de la société [20], au regard des critères posés par l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale,
- qu'à cet égard, il apparaît que la société [19] s'est vu céder l'établissement de Saint-Lô par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 22 octobre 2021,
- qu'au regard de cette cession d'établissement indiscutable, c'est à la société [19] d'établir une rupture du risque si elle prétend que les sinistres générés par l'activité passée ne doivent pas lui être imputés pour sa tarification,
- que pour sa part, elle estime qu'il n'y a pas eu de rupture de risque et que l'ensemble des critères de l'article D. 242-6-17 étaient réunis,
- que la société [19] a repris l'ensemble des éléments incorporels du fonds de commerce, les immeubles mobiliers et matériels attachés,
- que de ce point de vue, seule doit entrer en considération l'activité principale, comme l'a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 février 2019, de sorte qu'il est indifférent de savoir si une activité secondaire, à savoir l'activité de fabrication de moteurs électriques, qui contribuait à l'activité principale de fabrication de petits matériels et d'appareils électroménagers, aurait été cédée à la [11],
- qu'au demeurant, la société [19] ne produit aucune pièce de nature à renseigner sur la reprise d'activité qui serait ainsi intervenue,
- que s'agissant du critère de la reprise d'au moins la moitié de l'effectif existant, la question n'est pas de savoir si la société [19] a repris au moins la moitié de l'effectif de la société [20] mais de savoir si elle a repris au moins la moitié de l'effectif existant dans l'établissement de [Localité 21] au jour de la cession,
- qu'il ne saurait être contesté que ce critère de reprise d'au moins la moitié de l'effectif de l'établissement est également rempli,
- qu'ainsi, dans une précédente affaire ayant donné lieu à un arrêt de la [12] du 29 mars 2017, la personne qui représentait la société [19] à l'audience de plaidoiries, répondant à une question du magistrat, a indiqué que la société avait repris plus de la moitié de l'effectif de [Localité 21] de la société [20],
- que conformément à l'article 457 du code de procédure civile, cette décision de justice a la force probante d'un acte authentique, notamment quant à ses mentions relatives aux déclarations faites par les parties devant les juges,
- qu'ainsi, un représentant de la société [19] a reconnu lui-même, lors d'une audience publique, que cette société avait repris au moins la moitié de l'effectif de l'établissement de Saint-Lô à l'occasion de la cession intervenue par le jugement du tribunal de commerce de Nanterre,
- qu'il y a donc lieu de tenir la société [19] comme le repreneur en tarification de l'établissement de [Localité 21] de la société [20],
- que d'ailleurs, contrairement à ce que tente de faire croire la société requérante, la reprise de l'établissement de [Localité 21] n'a pas été infirmée par les juridictions qui ont été amenées à en connaître,
- qu'en effet, si la Cour de cassation a certes cassé, dans un arrêt du 31 mai 2018, l'arrêt de la [12] en date du 31 janvier 2017, c'est uniquement parce que cet arrêt était mal motivé,
- que dans un autre arrêt en date du 29 mars 2017, la [12] a une nouvelle fois estimé pouvoir retenir une reprise de l'établissement de [Localité 21] de la société [20] par la société [19] en retenant une motivation plus solide et que, dans cette affaire, le pourvoi de la société [19] a été rejeté par arrêt du 31 mai 2018 parce qu'il n'était manifestement pas de nature à entraîner la cassation,
- que par conséquent, la société [19] doit être considérée comme repreneur en tarification de l'établissement de [Localité 21] et doit supporter la charge de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], qui est survenue en raison d'un lien avec une exposition dans cet établissement,
- que la demande de retrait de la société doit être rejetée,
- qu'à titre subsidiaire, la société [19] sollicite l'inscription des conséquences financières de la maladie professionnelle sur le compte spécial sur le fondement de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995, selon lequel la maladie est inscrite au compte spécial lorsqu'elle a été reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, qu'elle a été constatée postérieurement au 29 mars 1993 mais que la victime n'a été exposée au risque de la maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993,
- que la Cour de cassation a précisé dernièrement, dans un arrêt du 27 février 2025, que la charge de la preuve pesait sur l'employeur,
- que cette solution est logique, car c'est au demandeur de justifier qu'il soit fait exception au principe de l'imputation au compte du dernier employeur exposant,
- qu'en l'espèce, la société [19] n'apporte aucune preuve de son assertion selon laquelle Mme [E] épouse [Z] aurait cessé d'être exposée au risque de sa maladie au plus tard le 30 mars 1993,
- que les pièces du dossier constitué par la [15] ne permettent pas de déterminer précisément à quelle date la salariée a quitté son emploi de montage de moteurs reprendre une activité de presse plastique,
- que l'on sait simplement que l'exposition a eu lieu jusqu'en 1993, sans plus de précisions,
- que le doute sur la fin de l'activité exposante doit profiter à l'organisme tarificateur,
- qu'il n'y a donc pas lieu non plus d'accueillir la demande d'inscription au compte spécial.
L'examen de l'affaire a été porté à l'audience du 4 juillet 2025, lors de laquelle chacune des parties a réitéré ses prétentions et son argumentation. La société [19] a notamment indiqué qu'elle ne présentait aucune demande relative au taux de cotisation 2021.
Motifs de l'arrêt :
Sur le caractère définitif du taux de cotisation 2021 :
Il résulte de l'article R. 142-1-A III du code de la sécurité sociale que, s'il n'en est disposé autrement, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. Ces délais ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision contestée ou, en cas de décision implicite, dans l'accusé de réception de la demande.
S'il est toujours possible à un employeur de demander le retrait de son compte employeur des conséquences financières d'une maladie professionnelle par avance, sans attendre les notifications des taux pour les années qui vont suivre, il ne peut le faire, au soutien de la contestation d'un taux déjà notifié, que dans le délai de deux mois suivant la notification en question.
À compter de 2020, la notification par voie électronique a été déployée. L'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, dispose : « [...] Les décisions relatives au taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles et au classement des risques dans les différentes catégories sont notifiées à l'employeur par voie électronique par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail compétente selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale [...] ».
L'arrêté en question a été pris le 8 octobre 2020 et il précise notamment que la notification des décisions mentionnées à l'article L. 242-5 s'effectue par voie électronique par l'intermédiaire du téléservice « compte AT/MP » accessible sur le portail « www. net-entreprises.fr », qu'un avis de dépôt informe l'employeur qu'une décision est mise à sa disposition, qu'il peut en prendre connaissance et qu'à défaut de consultation de la décision dans un délai de 15 jours à compter de sa mise à disposition, cette dernière est réputée notifiée à la date de sa mise à disposition. Cet arrêté prévoit également que la notification est obligatoirement dématérialisée à compter du 1er janvier 2022 pour toutes les entreprises.
En l'espèce, l'examen du dossier révèle que les coûts afférents à la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] ont été inscrits sur les comptes employeur 2019 et 2020 de la société [19] et qu'ils ont eu un impact sur les taux de cotisation AT/MP de la société à compter de 2021.
Il apparaît par ailleurs que la société [19] a reçu notification de son taux de cotisation 2021, à effet du 1er janvier 2021 à la date du 4 janvier 2021, date de consultation par un membre du personnel habilité.
La société avait donc deux mois à compter de cette date pour introduire un recours gracieux ou contentieux.
En ne formulant son recours gracieux que par courrier en date du 3 mars 2022, la société a agi tardivement pour le taux de cotisation 2021, qui était devenu définitif.
D'ailleurs, la société n'en disconvient pas et a indiqué à l'audience qu'elle ne formulait pas de demande au titre du taux de cotisation 2021.
Il convient de lui en donner acte.
Elle a en revanche réitéré ses demandes au titre des taux de cotisation 2022 et suivants.
Sur la demande de retrait du compte employeur :
L'article D. 242-6-1 du code de la sécurité sociale énonce :
« Le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement [...] ».
L'article D. 242-6-2 précise :
« Le mode de tarification est déterminé en fonction de l'effectif global de l'entreprise, tel que défini à l'article R. 130-1, que celle-ci comporte un ou plusieurs établissements :
1° La tarification collective est applicable aux entreprises dont l'effectif est inférieur à 20 salariés ;
2° La tarification individuelle est applicable aux entreprises dont l'effectif est au moins égal à 150 salariés ;
3° La tarification mixte est applicable aux entreprises dont l'effectif est au moins égal à 20 et inférieur à 150 ».
En outre, l'article D. 242-6-17 prévoit :
« Les taux nets collectifs sont applicables aux établissements nouvellement créés durant l'année de leur création et les deux années civiles suivantes, quel que soit leur effectif ou celui de l'entreprise dont ils relèvent. [...]
À l'expiration de ce délai, les taux nets collectif, mixte ou individuel sont applicables à ces établissements en fonction de leur effectif ou de l'effectif de l'entreprise dont ils relèvent. Pour les taux individuel ou mixte, il est tenu compte des résultats propres à ces établissements et afférents aux années civiles, complètes ou non, écoulées depuis leur création.
Ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel ».
Il est de principe qu'une maladie professionnelle doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, et que les dépenses afférentes à cette maladie doivent être imputées sur le compte de cet employeur, sauf à ce qu'il rapporte la preuve contraire.
Il est tout aussi constant qu'un employeur ne peut tirer argument du fait qu'il n'a pas personnellement exposé un salarié au risque de sa maladie s'il a repris un établissement dans lequel ce salarié a été exposé. En effet, un employeur doit voir sa tarification établie en considération des sinistres survenus aux salariés des établissements qu'il a repris, quand bien même il n'aurait jamais employé lui-même ces salariés.
La disposition de l'article D. 242-6-17 alinéa 3 est ainsi destinée à éviter, en cas de reprise ou de continuation d'activité ou d'une activité proche, qu'aucune structure ne reprenne le risque sous prétexte que le taux de cotisation individuel est désavantageux par rapport au taux collectif. Elle pose ainsi trois critères cumulatifs pour qu'un établissement déjà existant ne puisse être considéré comme nouvellement créé, à savoir une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et la reprise d'au moins la moitié du personnel.
En l'espèce, il résulte de l'enquête de la [15] et de l'avis du [16] que Mme [E] épouse [Z] a été exposée au risque d'inhalation de poussières d'amiante entre 1973 et 1993, ce qui correspond à l'époque où elle était affectée au montage de moteurs.
La société [19] soutient en premier lieu qu'elle ne pourrait pas être regardée comme le successeur de la société [20] au motif que les conditions posées par l'article D. 242-6-17 ne seraient pas remplies, et en particulier la condition relative à la reprise d'au moins la moitié du personnel, dans la mesure où elle n'a repris que 1819 salariés sur les 5106 que comptait la société [20] à la date de la cession.
Cependant, ainsi que cela a été ci-dessus rappelé, la tarification s'opère par établissement. Il n'y a donc pas lieu de rechercher si la société [19] a repris plus de la moitié des salariés de la société [20] mais de rechercher si la société [19] a repris plus de la moitié des salariés de l'établissement de [Localité 21].
À cet égard, il s'évince du jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 22 octobre 2001 (page 9) que la société [19] a repris 293 salariés sur le site de Saint-Lô et il s'évince de l'arrêt de la [12] en date du 29 mars 2017 (page 8), validé par un arrêt de rejet non spécialement motivé de la Cour de cassation en date du 31 mai 2018, que le représentant de la société [19] avait indiqué lors de l'audience que cette société avait repris plus de la moitié du personnel de l'établissement de Saint-Lô.
Par ailleurs, il n'est pas contesté que l'activité et les moyens de production ont également été repris.
À cet égard, la société [19] tire argument du fait que Mme [E] épouse [Z] a été exposée lorsqu'elle travaillait à la fabrication des moteurs, activité qu'elle n'a pas reprise et qui avait été cédée dès le 1er avril 2000 à la [11], qui a ensuite fait l'objet d'une cession à la société [18].
Cependant, il échet de relever en premier lieu que la société [19] ne verse pas la moindre pièce au soutien de ses allégations relatives aux sessions successives de la branche moteurs.
En tout état de cause, quand bien même elle aurait étayé ses allégations par la production de pièces idoines, cela aurait été indifférent puisque l'article D. 242-6-17 alinéa 3, cité ci-dessus, qui exclut la qualité d'établissement nouvellement créé dans certains cas, n'évoque pas une activité identique mais une activité similaire. Il est constant que la société [19] a repris l'activité principale de la société [20], à savoir la fabrication de petits appareils et d'appareils électroménagers, et il importe peu que les moteurs entrant dans le processus de fabrication de ces appareils soient fabriqués sur place, comme avant le 1er avril 2000, ou qu'ils soient simplement achetés à une autre entreprise et incorporés aux appareils, comme à partir du 1er avril 2000.
En cas de scission d'un établissement au profit d'entreprises ou d'établissements d'entreprises différentes, c'est l'établissement reprenant l'activité principale, les moyens de production qui y sont liés et le plus grand nombre de salariés qui doit être considéré comme le successeur de l'établissement cédant. À l'inverse, le ou les établissements reprenant une activité secondaire sont considérés comme n'exerçant pas une activité similaire et doivent être qualifiés d'établissements nouvellement créés en application de l'article D. 242-6-17.
En l'état de ces éléments, la société [19] doit être considérée comme le repreneur, au sens tarifaire, de l'établissement de [Localité 21] de la société [20]. Dès lors, elle doit supporter, sur le plan tarifaire, la charge de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], qui est survenue en lien avec une exposition ayant eu lieu exclusivement dans cet établissement de [Localité 21].
Dans ces conditions, c'est donc à bon droit que la [8] a refusé de retirer les incidences financières de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] du compte employeur de la société [19]. Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de ce chef.
Sur la demande d'inscription au compte spécial sur le fondement de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 :
Aux termes des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale fixant les règles de tarification des risques des accidents du travail et maladies professionnelles, il est prévu que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais inscrites à un compte spécial.
L'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 pris pour l'application des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, relatif à la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles, dispose, dans sa rédaction applicable au présent litige : « sont inscrites au compte spécial, conformément aux dispositions des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes : [...] 2° [...] la maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale (c'est-à-dire après avis motivé d'un [16]) a été constatée postérieurement au 29 mars 1993, mais la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993 ».
En cas de demande d'inscription au compte spécial, c'est à l'employeur qu'il incombe de prouver que les conditions posées par ce texte sont réunies, à savoir que la maladie professionnelle a été reconnue après le 29 mars 1993 mais que la victime a été exposée au risque de cette maladie avant le 30 mars 1993.
S'il est vrai, comme l'indique la société [19], que la preuve de l'exposition au risque à des dates précises peut être difficile à rapporter pour l'employeur, il y a lieu de faire remarquer qu'elle le serait tout autant pour la [8].
Cela étant, dans la mesure où il s'agit de faire exception au principe selon lequel la maladie professionnelle doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, il est logique que la charge de la preuve repose sur la partie qui y a intérêt, c'est-à-dire sur l'employeur.
En l'espèce, il résulte de plusieurs pièces que Mme [E] épouse [Z] a été exposée à l'inhalation de poussières d'amiante jusque 1993 mais on ignore jusqu'à quelle date précise. En particulier, on ignore si cette exposition a cessé avant le 30 mars 1993 ou après.
Dès lors que la société [19] ne rapporte pas la preuve d'une cessation de l'exposition au risque avant le 30 mars 1993, elle doit être déboutée de sa demande d'inscription au compte spécial sur ce fondement.
Sur les mesures accessoires :
Il y a lieu de condamner la société [19], qui succombe, aux dépens de l'instance.
Par ces motifs :
La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en premier et dernier ressort :
- Donne acte à la société [19] de ce qu'elle ne formule aucune demande s'agissant du taux de cotisation 2021, devenu définitif,
- Déboute la société [19] de l'ensemble de ses demandes,
- Condamne la société [19] aux dépens.
Le greffier, Le président,
N°
Société [19]
C/
[9]
NORMANDIE
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Société [19]
- CARSAT DE
NORMANDIE
- Me Julien TSOUDEROS
Copie exécutoire :
- CARSAT DE
NORMANDIE
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 03 OCTOBRE 2025
*************************************************************
N° RG 25/00502 - N° Portalis DBV4-V-B7J-JIN6
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDERESSE
Société [19]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
ET :
DÉFENDERESSE
[10]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 17]
[Localité 5]
Représentée et plaidant par Mme [K] [L], munie d'un pouvoir régulier
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 juillet 2025, devant M. Philippe MELIN, président assisté de M. Jean-François D'HAUSSY et Mme Isabelle WATBLED, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2025, 26 mars 2025, 3 avril 2025 et 07 avril 2025.
M. Philippe MELIN a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 03 octobre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Charlotte RODRIGUES
PRONONCÉ :
Le 03 octobre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe MELIN, président et Mme Nathalie LÉPEINGLE, greffière.
*
* *
DECISION
Mme [N] [E] épouse [Z] a travaillé pour la société [20], dans son établissement de [Localité 21] portant le n° SIRET [N° SIREN/SIRET 3], du 29 octobre 1971 au 31 octobre 2001. Elle a été affectée de 1971 à 1973 au montage de composants, de 1973 à 1993 au montage de moteurs et de 1993 à 2001 à la presse plastique.
À partir du 1er avril 2000, l'activité de fabrication de moteurs électriques pour les petits appareils et les appareils électroménagers a été cédée par la société [20] à la [14] (ci-après [11]), qui a ensuite été cédée le 1er octobre 2002 à la société [18].
Par jugement du 7 septembre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [20].
Par jugement du 22 octobre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté le plan de cession de la société [20] au profit de la société [22].
Par acte de cession du 18 mars 2002, la société [19] a repris le fonds de commerce d'activité de fabrication de petits matériels et d'appareils électroménagers.
Le 11 décembre 2019, Mme [E] épouse [Z] a demandé la reconnaissance de l'origine professionnelle d'un cancer du larynx ayant entraîné une laryngectomie totale.
La [7] (ci-après la [15]) a procédé à l'instruction du dossier. Dans ce cadre, elle a constaté que la maladie ne figurait dans aucun tableau de maladie professionnelle mais elle a estimé disposer d'éléments suffisants pour saisir un [13] (ci-après [16]).
Le 11 juin 2020, le [16] a constaté que l'activité professionnelle d'agent de production exercée par Mme [E] épouse [Z] l'avait vraisemblablement exposée de 1973 à 1993 à l'inhalation de poussières d'amiante, qui étaient connues comme pouvant être responsables d'apparition de carcinome du larynx. Le [16] a ajouté qu'il n'existait pas de facteurs de risque ou d'autres éléments explicatifs, extra-professionnels, pour la pathologie déclarée. En conséquence, le [16] a émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée.
La [15] a décidé de prendre en charge la maladie de Mme [E] épouse [Z] au titre de la législation sur les risques professionnels. La date de première constatation médicale a été fixée au 1er mars 2019.
Les incidences financières de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] ont été inscrites sur le compte employeur de la société [19], en sa qualité de repreneur de l'établissement de [Localité 21].
Par courrier en date du 3 mars 2022, la société [19] a contesté l'imputation de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] à son compte employeur auprès de la [6] (ci-après la [8]) et a sollicité le retrait des incidences financières de cette maladie. Au soutien de sa demande, elle a fait valoir qu'il avait été reconnu que Mme [E] épouse [Z] avait subi une exposition de 1973 à 1993, c'est-à-dire lorsqu'elle travaillait au sein de la branche qui fabriquait les moteurs électriques pour les petits appareils et les appareils électroménagers. Or, elle a considéré que les coûts de la maladie de Mme [E] épouse [Z] ne pouvaient pas être mis à sa charge, aux motifs, d'une part, qu'elle ne pouvait être considérée comme le successeur de la société [20] dès lors qu'elle n'avait pas repris la moitié des employés de la société [20] et, d'autre part, qu'elle n'avait pas repris la branche d'activité de fabrication de moteurs électriques.
Par courrier en date du 11 avril 2022, la [8] a rejeté le recours formé par la société [19], en expliquant que les éléments de tarification du prédécesseur devaient être intégralement reportés sur le successeur.
Par acte d'huissier en date du 10 juin 2022, la société [19] a assigné la [8] à comparaître par devant la cour d'appel d'Amiens statuant en matière de tarification à l'audience du 3 février 2023.
À cette date, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 8 septembre 2023 lors de laquelle, à la demande de la société [19] et en accord avec la [8], elle a fait l'objet d'un retrait du rôle.
Le 21 janvier 2025, la société [19] a sollicité la reprise de l'instance, si bien que l'affaire a été réinscrite au rôle.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société [19] sollicite :
- à titre principal :
- que la décision de la [8] du 19 mars 2024 (sic) soit annulée,
- qu'il soit enjoint à la [8] de retirer de ses comptes employeur 2019 et 2020 les frais de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] du 1er mars 2019,
- à titre subsidiaire, qu'il soit enjoint à la [8] d'inscrire au compte spécial les frais de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] du 1er mars 2019,
- en tout état de cause :
- qu'il soit enjoint à la [8] de rectifier ses taux de cotisation 2022 et suivants,
- que la [8] soit condamnée aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :
- qu'il est de principe que les dépenses afférentes à une maladie professionnelle doivent être imputées sur le compte employeur du dernier employeur ayant exposé l'assuré au risque afférent à sa maladie,
- qu'un employeur ne saurait se voir imputer des frais dès lors que l'exposition au risque de la victime a pris fin antérieurement à son recrutement par ledit employeur,
- qu'au cas présent, si elle a repris le contrat de travail de Mme [E] épouse [Z] à compter du 29 octobre 2001 en exécution du plan de cession autorisé par le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 22 octobre 2001, l'assurée travaillait alors au département presse plastique depuis huit ans,
- que d'ailleurs, Mme [E] épouse [Z] a travaillé peu de temps pour elle, puisqu'elle n'a exécuté son contrat de travail que jusqu'au 31 octobre 2001 et qu'elle a fait valoir ses droits à la retraite le 20 janvier 2002,
- qu'elle ne peut être regardée comme le successeur de la société [20], dans la mesure où les conditions posées par l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale ne se trouvaient pas réunies à la date de la cession,
- qu'aux termes de cet article, « ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel »,
- qu'en l'espèce, au moins l'une de ces conditions fait défaut, puisqu'elle a repris 1819 salariés de la société [20], dont les 293 du site de [Localité 21], sur les 5106 que comptait la société [20] à la date de la cession,
- que ceci représente moins de la moitié du personnel,
- qu'elle ne peut donc être regardée comme le successeur de la société [20],
- que dès lors, les cotisations dues par elle ne peuvent être calculées en fonction des éléments de tarification afférents à la branche d'activité de fabrication de moteurs électriques pour les petits appareils et les appareils électroménagers anciennement exploitée par la société [20],
- que dans une affaire en tous points similaire d'un assuré anciennement salarié au sein de la branche « moteurs » de la société [20] avant le 1er avril 2020, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ([12]), par un arrêt du 31 janvier 2017, avait jugé le contraire, au motif qu'elle avait repris l'activité de la société [20], en sorte que les frais afférents à la maladie contractée chez le prédécesseur devaient être imputés à son compte employeur,
- que la Cour de cassation, par arrêt du 31 mai 2018, a cassé et annulé cet arrêt de la [12] au visa de l'article D. 242-6-17, au motif qu'« en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société n'avait pas repris au moins la moitié du personnel de la société [20], qui exploitait antérieurement cet établissement, la cour d'appel, qui n'a[vait] pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a[vait] violé le texte susvisé »,
- qu'à titre subsidiaire, pour le cas où il serait malgré tout jugé qu'elle doit être considérée comme le successeur de la société [20], les conséquences de la prise en charge de la maladie de Mme [E] épouse [Z] devraient être imputées au compte spécial,
- qu'il résulte de l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas comprises dans la valeur du risque propre d'un établissement mais inscrites à un compte spécial,
- que de même, il résulte de l'article D. 242-6-7 du même code que les maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas imputées au compte de l'employeur mais inscrites à un compte spécial,
- qu'il résulte de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 que les dépenses sont inscrites au compte spécial [...] lorsque la maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale a été constatée postérieurement au 29 mars 1993 mais que la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993,
- que tel est précisément le cas en l'espèce, puisque tant la [15] que le [16] n'ont retenu l'exposition de Mme [E] épouse [Z] à l'inhalation de poussières d'amiante que dans le cadre de son emploi de montage de moteurs,
- qu'il n'a jamais été soutenu qu'elle aurait été exposée à ce risque dans le cadre de son dernier emploi de presse plastique,
- que Mme [E] épouse [Z] a cessé de travailler au montage des moteurs, et donc d'être exposée au risque de sa maladie, à la date du 30 mars 1993 visée par l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995,
- que par ailleurs, il est constant que la maladie de Mme [E] épouse [Z] n'a été constatée que le 1er mars 2019, soit postérieurement au 29 mars 1993,
- qu'ainsi, les conditions de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 sont satisfaites,
- que la [8] croit pouvoir s'opposer à la demande d'inscription au compte spécial, aux motifs que les pièces du dossier constitué par la [15] ne permettent pas de savoir précisément à quelle date la salariée a quitté son emploi de montage de moteurs pour une activité de presse plastique et que la charge de la preuve pèserait sur l'employeur,
- que cette thèse est discutable,
- qu'il est constant que c'est à la [15] qu'il incombe de procéder à l'instruction de la demande de prise en charge de la maladie professionnelle et d'enquêter sur les conditions d'exposition au risque, ce qui implique la détermination du début et de la fin de l'exposition retenue,
- que, tirant argument de l'insuffisance de l'instruction réalisée par la [15], la [8] tente d'ajouter à sa charge une preuve impossible à déterminer,
- qu'il faut rappeler que l'exposition de Mme [E] épouse [Z] n'a pas eu lieu en son sein mais au sein de la société [20],
- qu'il faut également rappeler que la branche d'activité moteurs, au sein de laquelle Mme [E] épouse [Z] a été exposée, ne lui a pas été transférée mais a été cédée à la [11], entreprise qui elle-même a été cédée à la société [18],
- qu'il n'existe donc aucune raison susceptible de justifier qu'elle soit en possession des documents justificatifs de la date exacte de la fin de l'affectation de Mme [E] épouse [Z] à l'activité de montage de moteurs,
- qu'en conséquence, l'incertitude quant à la date de cessation de l'exposition de Mme [E] épouse [Z] doit conduire à considérer que la [8] ne rapporte pas la preuve de l'exposition au risque postérieurement à la date retenue,
- qu'elle est donc fondée à demander l'inscription au compte spécial des frais afférents à la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], la rectification de ses comptes employeur 2019 et 2020, ainsi que la rectification de ses taux de cotisation impactés par ces frais.
Suivant conclusions datées du 16 mai 2025 et transmises au greffe le 23 mai 2025, la [8] demande à la cour de :
- dire que la société [19] n'est pas recevable à contester son taux de cotisation de l'année 2021,
- débouter la société [19] de sa demande tendant au retrait de son compte employeur de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z],
- qu'elle soit également déboutée de sa demande tendant à l'inscription sur le compte spécial de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z],
- que le recours de la société soit rejeté.
Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :
- que la société [19] demande le retrait des frais de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] de ses comptes employeur 2019 et 2021, tout en ne sollicitant formellement que la rectification de ses taux de cotisation des années 2022 et suivantes,
- que toutefois, pour éviter toute ambiguïté sur la portée de la décision à intervenir, il y a lieu de préciser que la société n'est plus recevable à contester son taux de cotisation de l'année 2021,
- qu'en effet, en application de l'article R. 142-1-A III du code de la sécurité sociale, « s'il n'en est disposé autrement, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la notification de la décision contestée »,
- que dans le cadre du système de notification électronique déployé depuis 2020, la date de notification d'un taux correspond en principe à la date de consultation de ce taux par une personne habilitée au sein de la société et, en l'absence de consultation dans le délai de 15 jours à partir de la mise à disposition, elle correspond à la date de mise à disposition,
- qu'en l'espèce, le taux de cotisation de l'année 2021 de l'établissement de [Localité 21] de la société [19], prenant en compte le coût moyen d'incapacité temporaire de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], a été notifié à la société le 4 janvier 2021, date à laquelle une personne habilitée a accédé à la décision,
- que cependant, ce n'est que par courrier du 3 mars 2022 que la société [19] a introduit un recours gracieux pour contester la prise en compte de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] dans sa tarification,
- que par conséquent, le taux 2021 est devenu définitif et toute contestation à son égard est irrecevable,
- que pour le reste, la demande de retrait du compte employeur de la société [19] est mal fondée,
- que la société sollicite le retrait de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] au motif qu'elle ne serait ni le dernier employeur exposant, ni le successeur du dernier employeur exposant,
- que cependant, il est constant que la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire,
- qu'il est tout aussi constant qu'un établissement ne peut pas être considéré comme nouveau, c'est-à-dire se voir appliquer un taux de cotisation collectif, lorsqu'il est issu d'un précédent établissement, sans rupture de risque, de sorte qu'un employeur doit voir sa tarification être fixé en considération des sinistres survenus aux salariés des établissements qu'il a repris, quand bien même il n'aurait jamais employé lui-même ces salariés,
- que l'existence d'une reprise d'établissement s'apprécie à partir de critères fixés par des dispositions réglementaires, contenues à l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale, qui énoncent que « ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel »,
- que Mme [E] épouse [Z], dans sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle, a évoqué, au titre des emplois susceptibles de l'avoir exposée au risque, exclusivement celui exercé de 1973 à 2001 dans l'établissement de [Localité 21] de la société [20],
- qu'aux termes de son instruction, la [15] a confirmé une exposition à l'amiante de 1973 à 1993 dans cet établissement de [Localité 21],
- que de même, le [16] saisi par la [15] a estimé qu'il y avait eu une exposition de 1973 à 1993 à l'inhalation de poussières d'amiante,
- qu'ainsi, le caractère professionnel de la maladie a été reconnu hors tableau, en considération d'une exposition au sein de l'établissement de [Localité 21] de la société [20] entre 1973 et 1993,
- que la société [19] ne conteste pas cette exposition mais fait valoir que le sinistre ne pourrait pas lui être imputé car elle ne devrait pas être considérée comme le repreneur de l'établissement de Saint-Lô de la société [20], au motif que si elle a bien repris des activités et du personnel de la société [20] lors de la cession ordonnée par le tribunal de commerce de Nanterre, elle a cependant repris moins de la moitié du personnel et, en outre, n'a pas pas repris l'activité de fabrication de moteurs électriques pour les petits matériels et les appareils électroménagers, qui a été cédée à la [11],
- que cependant, la tarification s'opère par établissement, de sorte que l'enjeu est uniquement de savoir si la société [19] a repris l'établissement de [Localité 21] de la société [20], au regard des critères posés par l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale,
- qu'à cet égard, il apparaît que la société [19] s'est vu céder l'établissement de Saint-Lô par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 22 octobre 2021,
- qu'au regard de cette cession d'établissement indiscutable, c'est à la société [19] d'établir une rupture du risque si elle prétend que les sinistres générés par l'activité passée ne doivent pas lui être imputés pour sa tarification,
- que pour sa part, elle estime qu'il n'y a pas eu de rupture de risque et que l'ensemble des critères de l'article D. 242-6-17 étaient réunis,
- que la société [19] a repris l'ensemble des éléments incorporels du fonds de commerce, les immeubles mobiliers et matériels attachés,
- que de ce point de vue, seule doit entrer en considération l'activité principale, comme l'a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 février 2019, de sorte qu'il est indifférent de savoir si une activité secondaire, à savoir l'activité de fabrication de moteurs électriques, qui contribuait à l'activité principale de fabrication de petits matériels et d'appareils électroménagers, aurait été cédée à la [11],
- qu'au demeurant, la société [19] ne produit aucune pièce de nature à renseigner sur la reprise d'activité qui serait ainsi intervenue,
- que s'agissant du critère de la reprise d'au moins la moitié de l'effectif existant, la question n'est pas de savoir si la société [19] a repris au moins la moitié de l'effectif de la société [20] mais de savoir si elle a repris au moins la moitié de l'effectif existant dans l'établissement de [Localité 21] au jour de la cession,
- qu'il ne saurait être contesté que ce critère de reprise d'au moins la moitié de l'effectif de l'établissement est également rempli,
- qu'ainsi, dans une précédente affaire ayant donné lieu à un arrêt de la [12] du 29 mars 2017, la personne qui représentait la société [19] à l'audience de plaidoiries, répondant à une question du magistrat, a indiqué que la société avait repris plus de la moitié de l'effectif de [Localité 21] de la société [20],
- que conformément à l'article 457 du code de procédure civile, cette décision de justice a la force probante d'un acte authentique, notamment quant à ses mentions relatives aux déclarations faites par les parties devant les juges,
- qu'ainsi, un représentant de la société [19] a reconnu lui-même, lors d'une audience publique, que cette société avait repris au moins la moitié de l'effectif de l'établissement de Saint-Lô à l'occasion de la cession intervenue par le jugement du tribunal de commerce de Nanterre,
- qu'il y a donc lieu de tenir la société [19] comme le repreneur en tarification de l'établissement de [Localité 21] de la société [20],
- que d'ailleurs, contrairement à ce que tente de faire croire la société requérante, la reprise de l'établissement de [Localité 21] n'a pas été infirmée par les juridictions qui ont été amenées à en connaître,
- qu'en effet, si la Cour de cassation a certes cassé, dans un arrêt du 31 mai 2018, l'arrêt de la [12] en date du 31 janvier 2017, c'est uniquement parce que cet arrêt était mal motivé,
- que dans un autre arrêt en date du 29 mars 2017, la [12] a une nouvelle fois estimé pouvoir retenir une reprise de l'établissement de [Localité 21] de la société [20] par la société [19] en retenant une motivation plus solide et que, dans cette affaire, le pourvoi de la société [19] a été rejeté par arrêt du 31 mai 2018 parce qu'il n'était manifestement pas de nature à entraîner la cassation,
- que par conséquent, la société [19] doit être considérée comme repreneur en tarification de l'établissement de [Localité 21] et doit supporter la charge de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], qui est survenue en raison d'un lien avec une exposition dans cet établissement,
- que la demande de retrait de la société doit être rejetée,
- qu'à titre subsidiaire, la société [19] sollicite l'inscription des conséquences financières de la maladie professionnelle sur le compte spécial sur le fondement de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995, selon lequel la maladie est inscrite au compte spécial lorsqu'elle a été reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, qu'elle a été constatée postérieurement au 29 mars 1993 mais que la victime n'a été exposée au risque de la maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993,
- que la Cour de cassation a précisé dernièrement, dans un arrêt du 27 février 2025, que la charge de la preuve pesait sur l'employeur,
- que cette solution est logique, car c'est au demandeur de justifier qu'il soit fait exception au principe de l'imputation au compte du dernier employeur exposant,
- qu'en l'espèce, la société [19] n'apporte aucune preuve de son assertion selon laquelle Mme [E] épouse [Z] aurait cessé d'être exposée au risque de sa maladie au plus tard le 30 mars 1993,
- que les pièces du dossier constitué par la [15] ne permettent pas de déterminer précisément à quelle date la salariée a quitté son emploi de montage de moteurs reprendre une activité de presse plastique,
- que l'on sait simplement que l'exposition a eu lieu jusqu'en 1993, sans plus de précisions,
- que le doute sur la fin de l'activité exposante doit profiter à l'organisme tarificateur,
- qu'il n'y a donc pas lieu non plus d'accueillir la demande d'inscription au compte spécial.
L'examen de l'affaire a été porté à l'audience du 4 juillet 2025, lors de laquelle chacune des parties a réitéré ses prétentions et son argumentation. La société [19] a notamment indiqué qu'elle ne présentait aucune demande relative au taux de cotisation 2021.
Motifs de l'arrêt :
Sur le caractère définitif du taux de cotisation 2021 :
Il résulte de l'article R. 142-1-A III du code de la sécurité sociale que, s'il n'en est disposé autrement, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. Ces délais ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision contestée ou, en cas de décision implicite, dans l'accusé de réception de la demande.
S'il est toujours possible à un employeur de demander le retrait de son compte employeur des conséquences financières d'une maladie professionnelle par avance, sans attendre les notifications des taux pour les années qui vont suivre, il ne peut le faire, au soutien de la contestation d'un taux déjà notifié, que dans le délai de deux mois suivant la notification en question.
À compter de 2020, la notification par voie électronique a été déployée. L'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, dispose : « [...] Les décisions relatives au taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles et au classement des risques dans les différentes catégories sont notifiées à l'employeur par voie électronique par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail compétente selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale [...] ».
L'arrêté en question a été pris le 8 octobre 2020 et il précise notamment que la notification des décisions mentionnées à l'article L. 242-5 s'effectue par voie électronique par l'intermédiaire du téléservice « compte AT/MP » accessible sur le portail « www. net-entreprises.fr », qu'un avis de dépôt informe l'employeur qu'une décision est mise à sa disposition, qu'il peut en prendre connaissance et qu'à défaut de consultation de la décision dans un délai de 15 jours à compter de sa mise à disposition, cette dernière est réputée notifiée à la date de sa mise à disposition. Cet arrêté prévoit également que la notification est obligatoirement dématérialisée à compter du 1er janvier 2022 pour toutes les entreprises.
En l'espèce, l'examen du dossier révèle que les coûts afférents à la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] ont été inscrits sur les comptes employeur 2019 et 2020 de la société [19] et qu'ils ont eu un impact sur les taux de cotisation AT/MP de la société à compter de 2021.
Il apparaît par ailleurs que la société [19] a reçu notification de son taux de cotisation 2021, à effet du 1er janvier 2021 à la date du 4 janvier 2021, date de consultation par un membre du personnel habilité.
La société avait donc deux mois à compter de cette date pour introduire un recours gracieux ou contentieux.
En ne formulant son recours gracieux que par courrier en date du 3 mars 2022, la société a agi tardivement pour le taux de cotisation 2021, qui était devenu définitif.
D'ailleurs, la société n'en disconvient pas et a indiqué à l'audience qu'elle ne formulait pas de demande au titre du taux de cotisation 2021.
Il convient de lui en donner acte.
Elle a en revanche réitéré ses demandes au titre des taux de cotisation 2022 et suivants.
Sur la demande de retrait du compte employeur :
L'article D. 242-6-1 du code de la sécurité sociale énonce :
« Le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement [...] ».
L'article D. 242-6-2 précise :
« Le mode de tarification est déterminé en fonction de l'effectif global de l'entreprise, tel que défini à l'article R. 130-1, que celle-ci comporte un ou plusieurs établissements :
1° La tarification collective est applicable aux entreprises dont l'effectif est inférieur à 20 salariés ;
2° La tarification individuelle est applicable aux entreprises dont l'effectif est au moins égal à 150 salariés ;
3° La tarification mixte est applicable aux entreprises dont l'effectif est au moins égal à 20 et inférieur à 150 ».
En outre, l'article D. 242-6-17 prévoit :
« Les taux nets collectifs sont applicables aux établissements nouvellement créés durant l'année de leur création et les deux années civiles suivantes, quel que soit leur effectif ou celui de l'entreprise dont ils relèvent. [...]
À l'expiration de ce délai, les taux nets collectif, mixte ou individuel sont applicables à ces établissements en fonction de leur effectif ou de l'effectif de l'entreprise dont ils relèvent. Pour les taux individuel ou mixte, il est tenu compte des résultats propres à ces établissements et afférents aux années civiles, complètes ou non, écoulées depuis leur création.
Ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel ».
Il est de principe qu'une maladie professionnelle doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, et que les dépenses afférentes à cette maladie doivent être imputées sur le compte de cet employeur, sauf à ce qu'il rapporte la preuve contraire.
Il est tout aussi constant qu'un employeur ne peut tirer argument du fait qu'il n'a pas personnellement exposé un salarié au risque de sa maladie s'il a repris un établissement dans lequel ce salarié a été exposé. En effet, un employeur doit voir sa tarification établie en considération des sinistres survenus aux salariés des établissements qu'il a repris, quand bien même il n'aurait jamais employé lui-même ces salariés.
La disposition de l'article D. 242-6-17 alinéa 3 est ainsi destinée à éviter, en cas de reprise ou de continuation d'activité ou d'une activité proche, qu'aucune structure ne reprenne le risque sous prétexte que le taux de cotisation individuel est désavantageux par rapport au taux collectif. Elle pose ainsi trois critères cumulatifs pour qu'un établissement déjà existant ne puisse être considéré comme nouvellement créé, à savoir une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et la reprise d'au moins la moitié du personnel.
En l'espèce, il résulte de l'enquête de la [15] et de l'avis du [16] que Mme [E] épouse [Z] a été exposée au risque d'inhalation de poussières d'amiante entre 1973 et 1993, ce qui correspond à l'époque où elle était affectée au montage de moteurs.
La société [19] soutient en premier lieu qu'elle ne pourrait pas être regardée comme le successeur de la société [20] au motif que les conditions posées par l'article D. 242-6-17 ne seraient pas remplies, et en particulier la condition relative à la reprise d'au moins la moitié du personnel, dans la mesure où elle n'a repris que 1819 salariés sur les 5106 que comptait la société [20] à la date de la cession.
Cependant, ainsi que cela a été ci-dessus rappelé, la tarification s'opère par établissement. Il n'y a donc pas lieu de rechercher si la société [19] a repris plus de la moitié des salariés de la société [20] mais de rechercher si la société [19] a repris plus de la moitié des salariés de l'établissement de [Localité 21].
À cet égard, il s'évince du jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 22 octobre 2001 (page 9) que la société [19] a repris 293 salariés sur le site de Saint-Lô et il s'évince de l'arrêt de la [12] en date du 29 mars 2017 (page 8), validé par un arrêt de rejet non spécialement motivé de la Cour de cassation en date du 31 mai 2018, que le représentant de la société [19] avait indiqué lors de l'audience que cette société avait repris plus de la moitié du personnel de l'établissement de Saint-Lô.
Par ailleurs, il n'est pas contesté que l'activité et les moyens de production ont également été repris.
À cet égard, la société [19] tire argument du fait que Mme [E] épouse [Z] a été exposée lorsqu'elle travaillait à la fabrication des moteurs, activité qu'elle n'a pas reprise et qui avait été cédée dès le 1er avril 2000 à la [11], qui a ensuite fait l'objet d'une cession à la société [18].
Cependant, il échet de relever en premier lieu que la société [19] ne verse pas la moindre pièce au soutien de ses allégations relatives aux sessions successives de la branche moteurs.
En tout état de cause, quand bien même elle aurait étayé ses allégations par la production de pièces idoines, cela aurait été indifférent puisque l'article D. 242-6-17 alinéa 3, cité ci-dessus, qui exclut la qualité d'établissement nouvellement créé dans certains cas, n'évoque pas une activité identique mais une activité similaire. Il est constant que la société [19] a repris l'activité principale de la société [20], à savoir la fabrication de petits appareils et d'appareils électroménagers, et il importe peu que les moteurs entrant dans le processus de fabrication de ces appareils soient fabriqués sur place, comme avant le 1er avril 2000, ou qu'ils soient simplement achetés à une autre entreprise et incorporés aux appareils, comme à partir du 1er avril 2000.
En cas de scission d'un établissement au profit d'entreprises ou d'établissements d'entreprises différentes, c'est l'établissement reprenant l'activité principale, les moyens de production qui y sont liés et le plus grand nombre de salariés qui doit être considéré comme le successeur de l'établissement cédant. À l'inverse, le ou les établissements reprenant une activité secondaire sont considérés comme n'exerçant pas une activité similaire et doivent être qualifiés d'établissements nouvellement créés en application de l'article D. 242-6-17.
En l'état de ces éléments, la société [19] doit être considérée comme le repreneur, au sens tarifaire, de l'établissement de [Localité 21] de la société [20]. Dès lors, elle doit supporter, sur le plan tarifaire, la charge de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z], qui est survenue en lien avec une exposition ayant eu lieu exclusivement dans cet établissement de [Localité 21].
Dans ces conditions, c'est donc à bon droit que la [8] a refusé de retirer les incidences financières de la maladie professionnelle de Mme [E] épouse [Z] du compte employeur de la société [19]. Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de ce chef.
Sur la demande d'inscription au compte spécial sur le fondement de l'article 2 2° de l'arrêté du 16 octobre 1995 :
Aux termes des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale fixant les règles de tarification des risques des accidents du travail et maladies professionnelles, il est prévu que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais inscrites à un compte spécial.
L'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 pris pour l'application des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, relatif à la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles, dispose, dans sa rédaction applicable au présent litige : « sont inscrites au compte spécial, conformément aux dispositions des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes : [...] 2° [...] la maladie professionnelle reconnue en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale (c'est-à-dire après avis motivé d'un [16]) a été constatée postérieurement au 29 mars 1993, mais la victime n'a été exposée au risque de cette maladie professionnelle qu'antérieurement au 30 mars 1993 ».
En cas de demande d'inscription au compte spécial, c'est à l'employeur qu'il incombe de prouver que les conditions posées par ce texte sont réunies, à savoir que la maladie professionnelle a été reconnue après le 29 mars 1993 mais que la victime a été exposée au risque de cette maladie avant le 30 mars 1993.
S'il est vrai, comme l'indique la société [19], que la preuve de l'exposition au risque à des dates précises peut être difficile à rapporter pour l'employeur, il y a lieu de faire remarquer qu'elle le serait tout autant pour la [8].
Cela étant, dans la mesure où il s'agit de faire exception au principe selon lequel la maladie professionnelle doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, il est logique que la charge de la preuve repose sur la partie qui y a intérêt, c'est-à-dire sur l'employeur.
En l'espèce, il résulte de plusieurs pièces que Mme [E] épouse [Z] a été exposée à l'inhalation de poussières d'amiante jusque 1993 mais on ignore jusqu'à quelle date précise. En particulier, on ignore si cette exposition a cessé avant le 30 mars 1993 ou après.
Dès lors que la société [19] ne rapporte pas la preuve d'une cessation de l'exposition au risque avant le 30 mars 1993, elle doit être déboutée de sa demande d'inscription au compte spécial sur ce fondement.
Sur les mesures accessoires :
Il y a lieu de condamner la société [19], qui succombe, aux dépens de l'instance.
Par ces motifs :
La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en premier et dernier ressort :
- Donne acte à la société [19] de ce qu'elle ne formule aucune demande s'agissant du taux de cotisation 2021, devenu définitif,
- Déboute la société [19] de l'ensemble de ses demandes,
- Condamne la société [19] aux dépens.
Le greffier, Le président,