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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 8 octobre 2025, n° 23/04354

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/04354

7 octobre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 08 OCTOBRE 2025

N° RG 23/04354 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NN5E

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU-CHARENTES

c/

Monsieur [J] [R]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 juillet 2023 (R.G. 2022002092) par le Tribunal de Commerce de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 21 septembre 2023

APPELANTE :

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU-CHARENTES, immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le numéro 353 821 028, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

Représentée par Maître Benjamin HADJADJ de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [J] [R], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 5] (64), de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

Représenté par Maître Briac DE VASSELOT de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. Par contrat du 28 août 2019, la société anonyme Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes a consenti à la société à responsabilité limitée Atelier Moto du Libournais un prêt professionnel pour un montant principal de 60.000 euros au taux nominal de 1,40 % l'an, amortissable en 84 mensualités.

Monsieur [J] [R], gérant de la société Atelier Moto du Libournais, a cautionné ce prêt dans la limite de 78 000 euros.

Par jugement du 25 mai 2022, le tribunal de commerce de Libourne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Atelier Moto du Libournais.

2. Par courrier du 22 août 2022, la Caisse d'Epargne a mis en demeure M. [R] de lui régler les sommes dues, soit à cette date 59 116,70 euros outre intérêts au taux conventionnel majoré de 3 points, soit 4,40 % l'an puis, par assignation du 5 octobre suivant, a saisi le tribunal de commerce de Libourne en paiement de diverses sommes.

Par jugement prononcé le 25 juillet 2023, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :

- constate la recevabilité des demandes de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes ;

- condamne Monsieur [J] [R] à payer à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 59 116,70 euros outre intérêts au taux de 4,40 % du 22 août 2022 à la date de signification du jugement ;

- condamne la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à payer à Monsieur [J] [R] la somme de 29 558 euros à titre de dommages et intérêts ;

- déboute Monsieur [J] [R] du surplus de ses demandes et dit n'y avoir lieu à statuer sur celles qu'il présente à titre subsidiaire ;

- ordonne la compensation judiciaire des créances réciproques des parties ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laisse à chaque partie la charge de ses dépens en ce compris le coût du présent jugement liquidé à la somme de 69, 59 euros ;

- déboute Monsieur [J] [R] de sa demande visant à écarter le présent jugement du bénéfice de l'exécution provisoire ;

- rappelle que l'exécution provisoire est de droit.

La société Caisse d'Epargne a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 21 septembre 2023.

M. [R] a formé un appel incident.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

3. Par dernières conclusions communiquées le 15 mai 2024, la société Caisse d'Epargne demande à la cour, au visa de l'article 1231-1 du code civil, de :

- débouter Monsieur [J] [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Libourne du 25 juillet 2023 en ce qu'il a :

- condamné la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à payer à Monsieur [J] [R] la somme de 29 558 euros à titre de dommages et intérêts,

- ordonné la compensation judiciaire des créances réciproques des parties ;

Statuant à nouveau,

- juger que la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes n'a commis aucune faute génératrice de responsabilité ;

En conséquence,

- débouter Monsieur [J] [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement en date du 25 juillet 2023 entrepris pour le surplus ;

Y ajoutant,

- condamner Monsieur [J] [R] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux dépens.

4. Par dernières écritures notifiées le 15 février 2024, Monsieur [J] [R] demande à la cour de :

- réformer par appel incident le jugement du tribunal de commerce de Libourne du 25 juillet 2023 en ce qu'il a :

- condamné Monsieur [J] [R] à payer à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 59 116, 70 euros outre intérêts au taux de 4,40 % du 22 août 2022 à la date de signification du jugement,

- condamné la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à payer à Monsieur [J] [R] la somme de 29 558 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté Monsieur [J] [R] du surplus de ses demandes et dit n'y avoir lieu à statuer sur celles qu'il présentait à titre subsidiaire,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens en ce compris le coût du jugement liquidé à la somme de 69, 59 euros ;

Statuant à nouveau,

- déclarer la Caisse d'Epargne recevable mais mal fondée en ses demandes ;

En conséquence,

- déclarer que le cautionnement souscrit par Monsieur [R] est manifestement disproportionné ;

En conséquence,

- débouter la Caisse d'Epargne de toutes ses demandes ;

A défaut,

- condamner la Caisse d'Epargne à titre de dommages et intérêts à une somme équivalente à la créance et ordonner la compensation ;

- déclarer que la banque a commis des fautes à l'encontre du débiteur principal et de la caution ayant causé un préjudice à cette dernière ;

En conséquence,

- décharger Monsieur [R] en qualité de caution de ses obligations et débouter la banque de ses demandes ;

A défaut,

- condamner la Caisse d'Epargne à titre de dommages et intérêts à une somme équivalente à la créance et ordonner la compensation ;

En tout état de cause,

- déclarer que la banque a manqué à son obligation d'information à l'égard de Monsieur [R] ;

- prononcer la déchéance des intérêts conventionnels et juger que les paiements effectués par le débiteur principal durant cette période seront réputés, dans les rapports entre la caution et la banque, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ;

- ordonner la nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel du prêt consenti par la Caisse d'Epargne ;

- y substituer le taux d'intérêt légal pour toute la durée d'exécution du contrat ;

- ordonner que les sommes indûment versées à ce titre par les emprunteurs s'imputeront sur le capital ;

- condamner la Caisse d'Epargne au paiement d'une indemnité pour les frais irrépétibles de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

***

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mai 2025.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'opposabilité du cautionnement

5. Au visa des articles L.332-1 et L.343-4 du code de la consommation, Monsieur [J] [R] fait grief au jugement déféré de ne pas avoir retenu que son engagement de caution ne lui était pas opposable.

L'intimé soutient que cet engagement était disproportionné à ses biens et revenus lorsqu'il s'est engagé en qualité de caution.

Il explique qu'il est marié sous le régime de la séparation de biens ; qu'il ne dispose de droits qu'à hauteur de 50 % dans le logement familial d'une valeur de 253.000 euros, lequel est grevé d'hypothèque au profit du Crédit Agricole ; que le prix de revente d'un bien précédent a permis de solder l'encours bancaire, le surplus étant utilisé pour l'achat du logement familial ; que les revenus fonciers mentionnés par la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes (ci-après Caisse d'Epargne) sont très réduits et n'ont été perçus que pendant une brève période.

M. [R] indique qu'au moment de la souscription de son engagement, il justifiait de revenus annuels de 12.924 euros ; que dans son avis d'imposition 2018, il fait certes état de revenus B.I.C d'un montant de 30.611 euros mais qu'il s'agit du chiffre d'affaires de son activité ; que la banque ne pouvait ignorer que cette activité assujettie aux B.I.C allait cesser avec le démarrage de l'activité de la société Atelier Moto du Libournais.

L'intimé conclut que la Caisse d'Epargne lui a fait souscrire un engagement dépassant les 600 % de son revenu annuel avec des mensualités en tout état de cause représentant les 2/3 de son revenu mensuel, le ménage devant au surplus faire face à 3 crédits en cours.

6. La société Caisse d'Epargne répond que, dès lors qu'une fiche de renseignement a été complétée, la disproportion éventuelle est appréciée en considération des déclarations de la caution ; que Monsieur [R] ne fait pas toute la transparence sur la consistance de son patrimoine à la date à laquelle son cautionnement a été souscrit ; que, en particulier, le domicile familial a été acquis par Monsieur [R] au mois d'août 2015 au prix de 246.600 euros, au moyen d'un prêt souscrit auprès du Crédit Agricole d'un montant de 322.191 euros, qui avait donc vocation à financer également des travaux ; que l'intimé ne peut sérieusement soutenir que l'immeuble concerné n'aurait pas bénéficié d'une plus-value à la suite de la réalisation de ces travaux pour plus de 70.000 euros, alors qu'il tient compte, néanmoins, du financement des travaux dans la présentation de sa situation.

L'appelante ajoute que M. [R] disposait également d'une épargne de 5 000 euros ; que, préalablement à son engagement, la caution avait procédé à la vente d'un bien immobilier situé à [Localité 4] pour un prix de 311 600 euros, réalisant une plus-value de plus de 170 000 euros dont il ne justifie pas qu'elle aurait été employée à l'acquisition d'un autre bien, en dépit de ses affirmations à ce titre ; qu'il a déclaré des revenus BIC/BNC à hauteur de 30 611 euros, outre des revenus fonciers pour 3 600 euros par an, soit des revenus annuels de 34 211 euros ; que la présentation selon laquelle son engagement dépasserait les 600 % de son revenu annuel est fallacieuse, dès lors qu'il ne tient compte ni des éléments mentionnés par lui-même dans le questionnaire ni de la valeur réelle de son patrimoine immobilier.

Sur ce,

7. L'article L.332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au contrat, dispose :

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.»

Il est constant en droit qu'il appartient à la caution qui entend solliciter le bénéfice de ces dispositions de rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus et que la disproportion manifeste s'apprécie lors de la conclusion de l'engagement litigieux.

Il est également de principe, par application de l'article 1104 du code civil en vertu duquel les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, que la caution qui a rempli à la demande du créancier une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut ensuite soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier.

8. En préalable à son engagement en qualité de caution solidaire, M. [R] a, le 26 juillet 2019, complété un questionnaire relatif à sa situation patrimoniale, qu'il a certifié sincère et véritable, qui ne comportait aucune irrégularité ni anomalie apparente de nature à justifier un complément d'investigations de la part de la banque.

L'intimé y mentionne qu'il est marié sous contrat, qu'il détient 50 % de la propriété d'un immeuble, qu'il dispose d'une épargne de 5.000 euros et qu'il perçoit des revenus annuels à hauteur de 34.211 euros.

Trois prêts sont mentionnés, dont l'un doit être écarté puisqu'il est relatif à un bien propre de son épouse.

Le prêt à la consommation ne fait l'objet d'aucun justificatif, ni dans la fiche de renseignements ni au dossier de l'intimé, de sorte que son remboursement ne peut être spécialement attribué à l'un ou l'autre des époux séparés de biens.

Il est établi que le troisième prêt avait pour objet de financer l'acquisition d'un bien immobilier à [Localité 9] ; que, au moment de son engagement, M. [R] a indiqué à la fiche de renseignements que le capital restant dû était alors de 266.934 euros mais n'a pas précisé la valeur du bien.

L'intimé verse à son dossier la copie de l'acte authentique d'acquisition du bien le 24 août 2015, ainsi décrit : « Une maison individuelle à usage d'habitation (...). élevée d'un rez-de-chaussée comprenant :

une entrée-buanderie, un local chaudière, un dégagement, wc, un cellier, une salle de bains, une chambre, une cuisine, un séjour, un salon salle à manger.

Et d'un étage comprenant :

une mezzanine, deux chambres, une salle d'eau, combles au-dessus partiels et non aménageables. Dépendances non attenantes à usage d'auvent, garage et appentis. Jardin autour.»

Ce bien a été acquis au prix de 253.000 euros, financé par un prêt du Crédit Agricole pour un montant total de 322.191 euros.

L'acte de prêt mentionne un apport personnel de 3.733 euros, ce qui invalide les déclarations de M. [R] relatives au remploi des fonds provenant de la vente de son précédent domicile.

La Caisse d'Epargne produit de son côté un avis de valeur établi le 20 mars 2023 par M. [M], expert près la cour d'appel de Poitiers. Il apparaît que, depuis l'acquisition du bien en 2015, l'habitation principale a été rénovée et une piscine a été implantée sur le terrain de 2716 m², ainsi que deux nouvelles constructions, reliées par un auvent. M. [M] a estimé ce bien à 365.000 euros en 2023.

La valeur de l'immeuble situé à [Localité 9] en 2019, lorsque M. [R] s'est engagé en qualité de caution, ne peut donc être déterminée, la moyenne du prix d'achat en 2015 -avant travaux- et de l'évaluation réalisée en 2023 n'étant pas pertinente, précisément en raison du fait que des travaux ont embelli ce bien à une date dont la preuve n'est pas rapportée puisque les factures versées à son dossier par M. [R] se rapportent à une construction antérieure à l'acquisition de la maison de [Localité 9].

Toutefois, M. [R] rapporte la preuve de ce qu'il a conclu le 28 mai 2015 un compromis de vente portant sur un autre bien situé à [Localité 4], ce au prix de 320.000 euros. Ainsi qu'il est mentionné ci-dessus, il verse des factures relatives à la construction et l'aménagement d'une habitation, dont la deuxième, d'un montant de 1.934,23 euros, doit être écartée car elle a été adressée à une société dont le nom et l'adresse ne correspondant pas à ceux de l'entreprise qui a construit la maison d'[Localité 4].

Le montant total des factures retenues est de 188.005,87 euros, de sorte que le solde positif après la vente de l'immeuble en 2015 était de 131.994,13 euros, étant observé que M. [R] soutient avoir contracté un emprunt auprès de la BNP au titre de l'acquisition du terrain et de la réalisation de la construction, mais n'en rapporte pas la preuve.

9. Ainsi, puisqu'il a été relevé supra que le seul apport personnel de M. et Mme [R] lors de la conclusion de l'emprunt du 24 août 2015 avec le Crédit Agricole était de 3.733 euros, il apparaît que l'intimé, marié sous le régime de la séparation de biens, disposait d'un capital de 65.997 euros lorsqu'il s'est engagé en qualité de caution, outre 5.000 euros d'épargne. Puisqu'il percevait alors un revenu annuel de 34.211 euros et partageait les charges de la vie courant avec son épouse, qui percevait un revenu annuel de 80.143 euros selon les mentions portées sur la fiche de renseignement, il doit être retenu que M. [R] ne rapporte pas la preuve de ce que, lorsqu'il s'est engagé en qualité de caution le 28 août 2019, le montant de cet engagement à hauteur de 78.000 euros était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

10. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef, étant observé que le tribunal de commerce a cependant jugé que M. [R], qui ne discute pas l'évaluation de l'immeuble produite par la Caisse d'Epargne, était en mesure de faire face à son obligation à la date de l'assignation.

Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde

11. Au visa de l'article 1231-1 du code civil, la société Caisse d'Epargne fait grief au jugement entrepris d'avoir retenu que M. [R] était une caution non avertie et qu'elle avait manqué à son obligation de mise en garde sur les risques liés au financement garanti qui était inadapté puisque la société Atelier Moto du Libournais n'avait réglé que deux échéances du prêt avant de faire défaut.

L'appelante soutient que l'intimé est une caution avertie puisqu'il était le gérant de la société Atelier Moto du Libournais depuis un an lorsque le prêt litigieux a été consenti ; que M. [R] bénéficiait d'une solide expérience dans la gestion d'entreprise mais également d'une solide expérience dans le domaine d'activité de la société cautionnée au jour de la souscription de son engagement ; qu'il a de plus été administrateur de deux sociétés anonymes, ce qui l'a amené à

à réaliser des opérations financières telles qu'un contrat d'émission de valeurs mobilières donnant accès au capital social ; qu'il a de surcroît détenu des parts dans deux sociétés civiles immobilières.

La société Caisse d'Epargne fait valoir que l'intimé renverse la charge de la preuve puisque la démonstration d'une inadaptation du prêt lui incombe et qu'il ne fournit aucun élément à ce titre.

12. M. [R] répond que le devoir de mise en garde de la banque se décompose en trois obligations : le devoir de se renseigner, le devoir de ne pas accorder un crédit excessif et le devoir d'alerter l'emprunteur sur les risques de surendettement ; que, en ce qui concerne la caution non avertie, la jurisprudence pose un critère alternatif : soit le cautionnement était inadapté aux capacités financières de la caution, soit le prêt cautionné était inadapté aux capacités financières de l'emprunteur.

L'intimé, qui explique que son expérience réduite en matière de gestion d'entreprise et sa présence de principe dans diverses sociétés gérées par son père ne suffisent pas à le qualifier de caution avertie, estime qu'en l'espèce, il est manifeste que le crédit était inadapté puisque quelques mensualités ont pu être réglées avant que la société ne soit en cessation des paiements.

Sur ce,

13. Il est constant en droit que la banque dispensatrice de crédit est tenue à l'égard de la caution non avertie d'une obligation de mise en garde à raison des capacités financières de celle-ci ou des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti ; qu'il appartient à la caution non avertie de rapporter la preuve que le prêt litigieux était inadapté aux capacités financières de la société cautionnée ou à ses propres capacités financières.

14. En l'espèce, il est établi par la Caisse d'Epargne que M. [R] gérait depuis une année la société Atelier Moto du Libournais ; qu'il exploitait depuis le 25 janvier 2013 un fonds artisanal de mécanique industrielle ; qu'il était administrateur de la société anonyme Topotel -dont il était par ailleurs actionnaire- depuis le 30 mai 2003 ; qu'il a, à ce double titre, participé à l'assemblée générale du 29 novembre 2008 par laquelle a été modifiée la structure juridique de la société, devenue société anonyme, laquelle a alors procédé à opération financière sophistiquée puisqu'elle a émis un emprunt obligataire de plus de 400.000 euros convertible en actions de la société ; qu'il est également associé de deux sociétés civiles immobilières dont le siège social est situé à [Localité 7] (Pyrénées Orientales) pour l'une et à [Localité 8] (Hautes Pyrénées) pour l'autre.

15. Il apparaît en conséquence que l'intimé, qui a été en mesure de présenter, avec l'assistance de son expert comptable, un prévisionnel détaillé de l'activité de l'entreprise à la Caisse d'Epargne, doit être regardé comme une caution avertie, de sorte que la banque n'était pas tenue au devoir de mise en garde à son égard.

16. Le cour infirmera donc le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Caisse d'Epargne à indemniser la perte de chance de M. [R] de ne pas contracter l'engagement litigieux et, statuant à nouveau, déboutera l'intimé de sa demande en paiement de ce chef.

Sur la faute de la banque dans l'octroi du crédit

17. M. [R] soutient qu'il est de principe que la caution poursuivie en paiement par le créancier et qui demande à être déchargée de son obligation en raison de la faute commise par celui-ci à l'encontre du débiteur principal peut demander à être déchargée indirectement en sollicitant des dommages et intérêts puis la compensation entre le montant de la dette et les dommages et intérêts.

L'intimé fait valoir que la Caisse d'Epargne a fait preuve d'une légèreté blâmable dans l'octroi du crédit qui a conduit à la déconfiture de la société Atelier Moto du Libournais, qui avait à ce point peu de finances que les mensualités d'emprunt ont été décalées de plus de 24 mois ; que c'est l'unique faute de la banque qui a provoqué la déchéance du terme et le non-paiement de la dette par la société et par voie de conséquence la mise en 'uvre de la garantie.

18. Au visa de l'article L. 650-1 du code de commerce, la société Caisse d'Epargne répond qu'il est désormais de jurisprudence parfaitement établie que le principe de non-responsabilité de l'établissement prêteur envers une société faisant l'objet d'une procédure collective est opposable à la caution ; que, en l'espèce, M. [R] n'invoque aucune exception légale (fraude, immixtion caractérisée ou garanties disproportionnées) au principe de l'immunité du prêteur.

L'appelante ajoute que les échéances d'emprunt ont été remboursées jusqu'en 2022, date de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Atelier Moto du Libournais, ce qui démontre que le crédit en cause était adapté aux capacités financières de l'entreprise.

Sur ce,

19. L'article L.650-1 du code de commerce dispose :

« Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.»

Il résulte de ce texte que le principe d'irresponsabilité du créancier qui consentent un crédit au débiteur ultérieurement mis en procédure collective connaît trois exceptions : la fraude , l'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et la prise de garanties disproportionnées aux concours consentis, sous réserve de d'établir ensuite le caractère fautif du concours litigieux.

20. En l'espèce, M. [R], en charge de la preuve à cet égard, invoque la légèreté fautive de la société Caisse d'Epargne dans l'octroi du crédit mais n'excipe ni de sa fraude, ni de son immixtion caractérisée dans la gestion de la société Atelier Moto du Libournais ni de la prise de garanties disproportionnées au prêt du 28 août 2019.

21. Il convient en conséquence de le débouter de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.

Sur le manquement à l'obligation d'information annuelle de la caution

22. Au visa des articles L.313-22 du code monétaire et financier et de l'article L.333-2 du code de la consommation, M. [R] tend à la déchéance des intérêts conventionnels au motif que la société Caisse d'Epargne ne rapporte pas la preuve qu'elle lui aurait adressé les courriers annuels d'information dont il bénéficie en sa qualité de caution.

23. La société Caisse d'Epargne répond qu'elle produit aux débats les courriers d'information qui ont été adressés à M. [R] à compter de l'année 2020 ainsi que les procès-verbaux d'huissier relatifs à ces envois.

Sur ce,

24. L'article L.313-22 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au contrat, dispose :

« Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

La réalisation de cette obligation légale ne peut en aucun cas être facturée à la personne qui bénéficie de l'information.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.»

Selon l'article L.333-2 du code de la consommation, dans sa version ici applicable, le créancier professionnel fait connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

25. L'appelante verse à son dossier la copie des courriers adressés à M. [R] de l'année 2020 à l'année 2022 ; la société cautionnée a été placée en liquidation judiciaire le 2 mai 2022, ce qui a conduit à l'exigibilité anticipée des sommes restant dues, de sorte que, contrairement à ce que soutient M. [R], l'information annuelle de la caution était sans objet puisque cette information est due jusqu'au terme de la dette.

Ces courriers comportent, en en-tête, la référence de leur édition.

26. Toutefois, les procès-verbaux de constat de Maître [F], huissier de justice à [Localité 10], produits aux débats par la société Caisse d'Epargne ne sont pas suffisants à rapporter la preuve de l'envoi à M. [R] des trois courriers annuels d'information. En effet, alors qu'il était loisible à la Caisse d'Epargne de faire vérifier à l'huissier la présence des références de M. [R] sur les listings des nombreux envois annuels réalisés de 2020 à 2022 ainsi que lui faire vérifier les mentions des courriers ainsi adressés à la caution, ou encore de produire aux débats les listings d'envoi concernant l'intimé, l'appelante verse à son dossier des constatations par sondage qui concernent d'autres cautions, l'examen des listings n'ayant pas par ailleurs permis de retrouver les références de [R] puisqu'ils portent sur des envois en Outre-Mer, à l'étranger et dans le département de la [Localité 11].

27. Faute pour la société Caisse d'Epargne de rapporter la preuve de l'envoi à la caution des lettres annuelles d'information exigées par la loi, celle-ci sera déchue de son droit aux intérêts du prêt à compter de la délivrance des fonds.

28. Dans la mesure où M. [R] ne discute pas le principe de la dette, il y lieu de se reporter aux mentions du tableau d'amortissement, au décompte des sommes dues établi au 22 août 2022, à la mise en demeure adressée le 15 mars 2022 à la société Atelier Moto du Libournais (au titre d'un défaut de paiement des trois dernières échéances) et aux mentions de la copie de la première lettre d'information de la caution éditée le 20 février 2020.

Or il est constant que la société Atelier Moto du Libournais a bénéficié d'une période de différé d'amortissement au cours de laquelle seuls des intérêts ont été prélevés ; compte tenu du fait que, pendant toute la période concernée par ce manquement à l'obligation d'information annuelle de la caution, l'emprunteur principal a payé à l'établissement bancaire la somme totale de 3.288,64 euros (soit le montant des intérêts intercalaires et des deux échéances réglées, dont ont été déduites les deux échéances d'assurance) et que l'amortissement portait sur un capital initial de 59.987,08 euros, la dette de M. [R] s'établit à la somme de 56.653,04 euros.

29. En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [R] à payer à la société Caisse d'Epargne la somme de 59.116,70 euros outre intérêts au taux de 4,40 % du 22 août 2022 à la date de signification du jugement. Statuant à nouveau, la cour, condamnera M. [R] à payer à l'appelante la somme de 56.653,04 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 août 2022, date de la mise en demeure adressée à l'intimé en sa qualité de caution.

30. Il n'y a pas lieu d'examiner la demande au titre de l'irrégularité de la stipulation du taux effectif global dans la mesure où la conséquence juridique qu'en tire M. [R] est la substitution de l'intérêt légal au taux conventionnel pour toute la durée d'exécution du contrat.

31. Partie succombante en appel, M. [R] sera condamné à payer les dépens et à verser à l'appelante la somme de 2.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles de celle-ci.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement prononcé le 25 juillet 2023 par le tribunal de commerce de Libourne.

Statuant à nouveau,

Condamne Monsieur [J] [R] à payer à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 56.653,04 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 août 2022.

Déboute Monsieur [J] [R] de ses demandes en dommages et intérêts.

Condamne Monsieur [J] [R] à payer à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [J] [R] à payer les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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