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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 8 octobre 2025, n° 24/20730

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI du Chateau de St Leger (Sté)

Défendeur :

Urssaf Ile de France, Mandataires Judiciaires Associes (Sté), Procureur General

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carbonaro

Conseiller :

Mme Pelier-Tetreau

Avocats :

Me Sultan, Me Boulanger, Me Sztulman, Me Zeller

TJ [Localité 15], du 12 déc. 2024, n° 24…

12 décembre 2024

Exposé des faits et de la procédure

Par acte de commissaire de justice en date du 27 septembre 2024, l'URSSAF Île de France a fait assigner la SCI [Adresse 12] en ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire et subsidiairement de redressement judiciaire, devant le Tribunal judiciaire de Paris, faisant valoir une créance ce 80 870,43 euros au titre des cotisations impayées sur la période de décembre 2022 à juin 2024, les mesures d'exécution ayant été infructueuses.

Par jugement réputé contradictoire en date du 12 décembre 2024 le tribunal :

- Constate que la SCI Château de Saint Léger est en état de cessation des paiements ;

- Constate que la SCI [Adresse 12] est dans l'impossibilité manifeste de redresser sa situation ;

- Prononce, par conséquent, l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ;

- Fixe la date de cessation des paiements au 12 juin 2023 ;

- Désigne Mme [O] [B] en qualité de juge-commissaire et Madame [N] [K], en qualité de juge-commissaire suppléant ;

- Désigne la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [V] [G], mandataire judiciaire, demeurant [Adresse 2], en qualité de liquidateur ;

- Fixe le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée par le tribunal à deux ans ;

- Fixe le délai dans lequel le mandataire judiciaire établit la liste des créances visées par l'article L624-1 du code de commerce à 12 mois, qui courra à compter de la date de la publication de la présente décision au BODACC ;

- Désigne Maître [T] [W], demeurant [Adresse 5], en qualité de commissaire de justice afin de réaliser l'inventaire prévu par l'article L. 641-1 lequel renvoie à l'article L. 626-6 du code de commerce ;

- Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire ;

- Rappelle que le présent jugement est exécutoire de plein droit.

Le jugement a été signifié par acte de commissaire de justice du 18 décembre 2024 à une personne qui a déclaré être habilitée à le recevoir.

Par déclaration formée par voie électronique le 24 décembre 2024, la SCI [Adresse 12] a interjeté appel du jugement.

Le dossier a été orienté en circuit court le 16 janvier 2025.

La SCI Château de Saint Léger a notifié ses premières conclusions par voie électronique le 30 janvier 2025, qu'elle a fait signifier en même temps que sa déclaration d'appel, son avis d'inscription au rôle et que l'avis d'orientation, par acte de commissaire de justice du 29 janvier 2025 remis en l'étude pour la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [V] [G], à tiers présent le même jour à la Procureure Générale près la Cour d'appel de Paris et le même jour par remise de l'acte à personne morale à l'URSSAF Île de France.

Par conclusions n° 3 notifiées par voie électronique le 9 et le 10 juin 2025, et signifiées le 16 septembre 2025 par acte de commissaire de justice remis à personne morale à l'URSSAF Île de France et le même jour à personne morale pour la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [V] [G], la SCI [Adresse 12] demande à la cour de :

- La déclarer recevable et bien fondée dans l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Débouter les demandes, fins et conclusions formées par l'URSSAF et la SELARL MJA ;

- Infirmer le jugement rendu le 12 décembre 2024 par le Tribunal judiciaire de Paris, RG N°2024/12402, en toutes ses dispositions ;

Y faisant droit et jugeant à nouveau,

A titre principal,

- Constater que la SCI [Adresse 11] [Adresse 14] n'est pas en état de cessation des paiements et n'est donc pas éligible à une procédure de liquidation judiciaire ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 12 décembre 2024, RG N°2024/12402 en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire,

- Constater que la SCI Château de Saint Léger est en état de cessation des paiements mais qu'elle justifie de sérieuses perspectives de redressement ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 12 décembre 2024, RG N°2024/12402 en toutes ses dispositions notamment en ce que la SCI [Adresse 12] est éligible à une procédure de redressement judiciaire ;

- Ordonner l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI Château de Saint Léger sans administrateur judiciaire.

Par avis déposé par voie électronique le 13 mars 2025, le ministère public mentionne que sous réserve de la faisabilité et de la réalité de l'avance en compte courant, il pourrait être décidé que le passif exigible est couvert par l'actif disponible et que la société ne se trouve pas en état de cessation des paiements ; que la cour pourrait alors infirmer le jugement.

L'URSSAF Île de France et la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [V] [G], régulièrement mis en cause dans la procédure, n'ont pas constitué avocat.

La SELAFA MJA a adressé à la cour et aux parties principales et jointes un rapport en date du 19 mai 2025 indiquant sans remettre respectueusement à la sagesse de la cour d'appel de Paris, eu égard aux circonstances de l'espèce.

SUR CE

La SCI [Adresse 12] expose que son activité ne génère aucun revenu, seuls les fonds propres de ses associés permettent de faire face au paiement de ses charges et dettes, principalement constituées par le paiement de la rémunération et des cotisations sociales des salariés chargés de l'entretien du château ; que dans le contexte du conflit russo-ukrainien, l'Union Européenne a adopté des sanctions contre la Russie et ses ressortissants en réponse aux atteintes à l'intégrité et à la souveraineté de l'Ukraine ; que ces sanctions sont caractérisées par des mesures restrictives telles que des embargos sectoriels et militaires, des restrictions financières et des gels d'avoirs ; que le Règlement d'exécution (UE) 2024/3183 du 16 décembre 2024 contient 84 nouvelles mesures de gel ajoutées à celles prises dans le cadre du règlement 269/2014 ; que, compte tenu de l'inscription de M. [D], gérant et associé indéfiniment responsable de la société sur la liste des personnes et entités objet de mesures restrictives dont les avoirs sont gelés (règlement UE 2022/581 du 8 avril 2022), cette dernière est elle-même inscrite sur la liste des personnes objets des mesures restrictives dont les avoirs sont gelés ; qu'afin de pouvoir procéder au règlement de ses diverses échéances, la société est tenue d'obtenir une autorisation préalable de « dégel partiel » des autorités du Trésor compétentes vis-à-vis du compte bancaire émetteur (ici le secrétariat d'Etat à l'Economie Suisse, le SECO car le compte bancaire de la SCI est en SUISSE) et du compte bénéficiaire (ici l'URSSAF et donc la Direction Générale du Trésor, la DGT) ; que faute d'obtenir ces autorisations de dégel partiel, la société n'avait pas été en mesure, jusqu'au mois de mars 2025, de payer les cotisations dues à l'URSSAF à bonne échéance ; que par courrier recommandé avec accusé réception du 16 janvier 2023, le gérant avait demandé à l'URSSAF de procéder au prélèvement des cotisations sociales dues par la société sur un compte bancaire domicilié à Genève en communiquant les coordonnées bancaires de ce compte ; qu'elle bénéficie des autorisations de dégel partiel, de sorte qu'elle a réglé la dette URSSAF à l'origine de la saisine du tribunal judiciaire, engagé les demandes d'autorisation visant à régler les autres dettes identifiées par le mandataire judiciaire ; qu'un paiement par le compte CARPA est impossible, du fait de son refus de traiter les flux internationaux ; que Mme [J] [F] associée de la société, a pris l'engagement de procéder au règlement de l'intégralité du passif accusé par celle-ci à l'égard de l'URSSAF et de l'administration fiscale notamment ; que ces règlements sont affectés sur son compte courant d'associé ;

Que suite à sa requête, par ordonnance du 4 mars 2025, le Premier Président la Cour d'appel de Paris a considéré que la SCI [Adresse 12] disposait de sérieux moyens de réformation du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire rendu à son encontre le 12 décembre 2024 et a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire ; que par jugement du 23 janvier 2025, le tribunal judiciaire de Paris a fait droit à ses demandes en autorisant la poursuite de l'activité en relevant notamment que l'intérêt des créanciers nécessite que leur gage (le château) soit protégé de tout risque de dégradation et que la société est en mesure de maintenir son activité sans générer de nouvelles dettes ;

Qu'une avance en compte courant qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé constitue un actif disponible ; que le passif total déclaré accusé par la société s'élève donc à la somme de 195 534,95 euros ; qu'elle pensait légitimement, jusqu'à la transmission de son rapport par le mandataire liquidateur, que son passif était principalement constitué par la dette accusée à l'égard de l'URSSAF ; qu'ainsi, elle a sollicité toutes les autorisations nécessaires auprès du SECO et de la Direction Générale du Trésor notamment pour libérer les fonds séquestrés sur un compte ouvert dans les livres de la Compagnie bancaire Helvétique à hauteur de 80 118,19 euros ; que les autorisations sollicitées lui ont été accordées ; que la Direction Générale du Trésor a autorisé la libération de ces fonds pour le paiement des impôts et des cotisations sociales ; qu'après paiement de l'URSSAF Île de France, son passif exigible s'élève en réalité à la somme de 115 416,76 euros ; qu'il subsiste un solde créditeur sur son compte ouvert dans les livres de la Compagnie Bancaire Helvétique à hauteur de 50 783,35 euros ; qu'elle a sollicité le déblocage du solde créditeur de son bancaire auprès du SECO et de la Direction Générale du Trésor ; que ces demandes ont été autorisées par le SECO et la DGT dans la limite de 44 211,43 euros au profit de la société Herakles International ; que le passif restant à apurer, déduction faite des sommes pour lesquelles l'autorisation de dégel a été obtenue, s'élève à la somme de 71 205,33 euros ; qu'elle est en mesure de faire face au solde de son passif exigible grâce à l'engagement pris par son associée, Madame [J] [F] ; qu'elle est à jour dans le paiement des salaires de ses salariés ;

Que si l'état de cessation des paiements était retenu, elle justifie de perspectives sérieuses de redressement ; qu'elle dispose d'un compte ouvert dans les livres de la Compagnie Bancaire Helvétique présentant un solde créditeur à hauteur de 139 558,24 euros ; que le déblocage de cette somme permettra de régler une partie du passif exigible actualisé à la somme totale de 115 416,76 euros (déduction faite de la somme de 80 118,19 euros) ; que Mme [J] [F], une associée, a pris l'engagement de créditer toutes les sommes nécessaires à l'apurement du passif de la société par le biais d'une avance en compte courant ; qu'elle justifie disposer de la trésorerie suffisante pour procéder au règlement du passif et ne fait l'objet d'aucune sanction internationale visant au gel de ses actifs.

Le Ministère Public expose qu'en l'absence d'élément contraire, le passif de la SCI [Adresse 12], dont le capital social est détenu par des citoyens russes fait partie des personnes morales propriétaires de biens immobiliers faisant l'objet d'un gel en application du règlement EU 269/2014 modifié ; qu'elle dispose d'un crédit de 139 558 euros dans les livres de la Compagnie Bancaire Helvétique ; que le virement des fonds pour payer la créance de l'URSSAF n'a pu s'opérer ; que Mme [F], qui détient 66% du capital social de la SCI s'est engagé le 10 janvier 2025 à procéder au règlement des frais du bien immobilier à l'aide du solde créditeur de 500 000 euros qu'elle déclare détenir dans les livres de la banque Gazprombank grâce à un apport en compte courant d'associé desdites sommes ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation qu'une avance en compte courant qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé constitue un actif disponible ; que sous réserve de la faisabilité et de la réalité de cette avance, il pourrait être décidé que le passif exigible est couvert par l'actif disponible et que la société ne se trouve pas en état de cessation des paiements.

L'ordonnance de clôture a été prononcée à l'audience du 17 septembre 2023 septembre 202525

SUR CE

Il résulte de la combinaison des articles L. 631-1 alinéa 1er, L. 631-8 alinéa 2 et L. 641-1, IV du code de commerce que la date de cessation des paiements est, en cas de liquidation judiciaire, fixée comme en matière de redressement judiciaire, au jour où le débiteur a été placé dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

A défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d'ouverture de la procédure.

En tout état de cause, l'état de cessation des paiements est analysé au jour où la juridiction saisie statue (Com. 22 mars 2011, pourvoi n° 10-12.014).

L'actif disponible s'entend de l'actif utilisable ou réalisable immédiatement, auquel il est convenu d'assimiler celui qui est réalisable à très court terme. Ce concept repose essentiellement sur la liquidité et la disponibilité, et n'englobe pas les actifs réalisables à terme, les biens de l'entreprise dont la cession nécessite du temps et des formalités administratives.

Une avance en compte courant, qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé, constitue un actif disponible (Com., 12 mai 2009, pourvoi n° 08-13.741)

En la présente espèce, le passif initialement déclaré s'élève à la somme de 195 534,95 euros. La société, faisant l'objet d'un gel en application du règlement [Localité 13] 269/2014 modifié, démontre avoir reçu l'autorisation du SECO de transférer des fonds détenus sur son compte courant ouvert à la Compagnie Bancaire Helvétique présentant un solde créditeur à hauteur de 139 558,24 euros, le 3 juin 2025, à concurrence de la somme de 80 118,19 euros, suite à sa demande présentée le 21 mai 2025. Une nouvelle demande a été formée pour la somme de 44 211,43 euros détenue sur le même compte pour payer la créance de la société Hérakles International à concurrence de 44 211,43 euros le 1er juin 2025. La Direction du Trésor a donné son autorisation à l'opération le 15 septembre 2025. La transaction a été autorisée le 12 septembre 2025 par le secrétariat d'État à l'économie Suisse (SECO). Le paiement est dès lors imminent.

Il est donc démontré que le solde du passif s'élèvera après ce paiement à la somme de 71 205, 33 euros.

Mme [J] [R] atteste sur l'honneur, en sa qualité d'associée de la SCI, avoir procédé au règlement des frais de fonctionnement du bien immobilier détenu par ladite société à l'aide du solde créditeur disponible d'un montant excédant 500 000 euros détenu au sein des livres de la banque Gazprombank. Plus largement, elle s'engage en outre à créditer le compte Carpa de l'avocat de la société les sommes permettant de couvrir l'ensemble du passif de la société. Elle indique ne pas vouloir solliciter le remboursement avant un retour à meilleure fortune de la société. Il est constant que Mme [J] [R] n'est pas l'objet de sanctions et qu'elle dispose librement de ses fonds.

Dès lors, l'actif disponible de la SCI est donc suffisant pour permettre d'apurer le passif.

L'état de cessation des paiements n'étant pas caractérisé, il y a donc lieu d'infirmer le jugement.

Les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure collective

PAR CES MOTIFS

La cour,

DÉCLARE recevable l'appel de la SCI [Adresse 12] ;

INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 12 décembre 2024 en ses dispositions soumises à la Cour ;

STATUANT à nouveau :

DIT n'y avoir lieu de prononcer l'ouverture d'une procédure collective ;

DIT que les dépens sont passés en frais privilégiés de procédure collective.

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