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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 7 octobre 2025, n° 19/02459

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 19/02459

7 octobre 2025

MW/[Localité 4]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° de rôle : N° RG 19/02459 - N° Portalis DBVG-V-B7D-EGOC

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025

Décision déférée à la Cour : jugement du 27 septembre 2019 - RG N°2016J00138 - TRIBUNAL DE COMMERCE DE LONS-LE-SAUNIER

Code affaire : 50B - Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, président de chambre.

M. Philippe MAUREL et Mme Bénédicte UGUEN-LAITHIER conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 juillet 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président et M. Philippe MAUREL, conseiller, qui ont fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour à Mme Bénédicte UGUEN-LAITHIER, conseiller.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

SASU [R]

Sise [Adresse 2]

Immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 347 922 288

Représentée par Me Jean-Yves REMOND, avocat au barreau de JURA

INTIMÉ

Monsieur [N] [F]

de nationalité française, demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me ROBERT de la SELARL L.ROBERT ET ASSOCIES, avocat au barreau D'ain, avocat plaidant

INTERVENANT VOLONTAIRE

Monsieur [Y] [B] [R]

de nationalité française, demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Jean-Yves REMOND, avocat au barreau de JURA

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

S'agissant de l'exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions initiaux des parties, il est expressément renvoyé à la lecture de l'arrêt du 21 septembre 2021 ayant rejeté une demande d'audition, sursis à statuer sur les autres demandes des parties et ordonné une expertise technique confiée à M. [C], ayant notamment pour objet de vérifier l'existence ou non d'un chaînage et de fondations garantissant la solidité et l'intégrité de l'ouvrage ainsi que le dispositif de captation et de drainage de la source présente sous l'ouvrage.

L'expert a déposé le rapport de ses opérations le 17 février 2025.

Par conclusions après expertise transmises le 16 mai 2025, la société [R] ainsi que M. [Y] [B] [R] demandent à la cour :

Vu les articles 1134 (ancien) et suivants du code civil,

Vu les articles 1227 et suivants et 1792 et suivants du code civil,

Vu les articles 245 et 283 du code de procédure civile,

Vu l'article 554 du code de procédure civile,

- de juger recevable et bien fondé la SASU [R] dans sa demande d'appel ;

- de juger recevable et bien fondé M. [Y] [B] [R] en son intervention volontaire ;

- de réformer en toute ses dispositions le jugement déféré ;

Statuant à nouveau

- de juger M. [N] [F] exclusivement responsable des désordres qui affectent le bâtiment construit en extension ;

- de juger M. [N] [F] responsable pour manquement à son obligation de résultat faute de réalisation du chaînage en partie sommitale des murs en maçonnerie faute dont l'existence est établie aux termes des constatations faites par Maître [U] le 9 avril 2019 ;

- de juger que l'absence de chaînage est un défaut structurel qui emporte impropriété à destination de l'ouvrage qui est atteint de multiples fissures structurelles et infiltrantes et qui est fragilisé, de sorte que sa solidité est remise en cause ;

- de juger que la non-conformité aux règles parasismiques obligatoires dans la région où l'immeuble a été édifié constitue un risque certain de perte de l'ouvrage par séisme, ce qui compromet l'ouvrage dans sa solidité et le rend impropre à sa destination du fait de sa dangerosité ;

- de juger que l'absence de talutage et de mise en sécurité de l'excavation réalisée par M. [F] engage la responsabilité de ce dernier qui n'a pas achevé le talus dont les pierres sont projetées en contrebas contre le bâtiment nouvellement édifié ;

- de juger M. [N] [F] responsable des dommages causés à l'immeuble construit propriété de M. [R] ;

En conséquence

- de condamner M. [N] [F] à payer à M. [Y] [B] [R] la somme de 159 308,10 euros HT au titre des dommages et intérêts pour le préjudice matériel ;

- d'ordonner l'indexation de ladite somme sur l'indice du coût de la construction l'indice de référence étant celui publié le jour du dépôt du rapport d'expertise de M. [C] le 17 février 2025 l'indice multiplicateur étant celui publié le jour du complet parfait paiement ;

- de condamner M. [N] [F] à payer à la SASU [R] la somme de 33 017,10 euros HT au titre des dommages et intérêts pour le préjudice immatériel, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir jusqu'au complet et parfait paiement ;

- d'ordonner la compensation entre les sommes dues au maitre de l'ouvrage la société [R] et celles dues au constructeur M. [F] ;

- de condamner M. [N] [F] à payer à la SASU [R] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner M. [N] [F] à verser à M. [Y] [B] [R] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner M. [N] [F] aux entiers dépens comprenant le coût des deux expertises 5 000 euros pour l'intervention de M. [V] et 30 520,00 euros pour l'intervention de M. [C] experts judiciaires avec possibilité de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Yves Rémond, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions après expertise notifiées le 13 juin 2025, M. [F] demande à la cour :

Vu les articles 1134 ancien et suivants du code civil, 1227 et suivants du code civil,

Vu les rapports d'expertise de M. [V] et de M. [C],

Statuant de nouveau,

- de juger que M. [F] n'est pas responsable des désordres affectant l'ouvrage au titre des fissures apparues en façade et de l'insuffisance de fondations, la société [H] ayant accepté cet ouvrage pour y implanter sa propre structure métallique et ayant participé à la réalisation des fissures en redressant celle-ci à l'aide d'un engin mécanique ;

- de débouter les appelants au titre de leur demande de travaux de captage de la source selon devis de l'entreprise Guenuchot ;

- de juger que pour le reste des désordres et malfaçons, M. [F] ne peut voir sa responsabilité retenue au plan contractuel, qu'à hauteur de 50 % ;

- en conséquence de quoi, de fixer la créance de M. [R] [Y] [B] ou de la SASU [R] pour les travaux de remise en état à la somme de 22 120,89 euros HT ;

- de débouter M. [R] [Y] [B] et la SASU [R] de l'intégralité de leurs autres prétentions ;

- de condamner la SASU [R] solidairement avec M. [R] [Y] [B] à payer à M. [F] la somme de 13 707 euros TTC ;

- de juger que les dépens et frais d'expertise judiciaire de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre les parties.

La clôture de la procédure a été prononcée le 17 juin 2025.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Sur l'intervention de M. [R]

M. [R] intervient à titre personnel à l'instance en qualité de propriétaire de l'immeuble objet des travaux litigieux, étant observé que le bail à construction du 30 avril 2016 qui le liait à la société [R] a été résilié le 17 novembre 2023, et qu'un bail commercial a été conclu entre les mêmes le 5 décembre 2023.

Il lui sera donné acte de cette intervention volontaire.

Sur le rapport d'expertise

M. [F], sans pour autant solliciter la nullité du rapport d'expertise judiciaire, soutient que la cour ne pourra se fonder sur ses conclusions pour statuer, au motif que M. [C] avait, pour une raison inexpliquée, pris fait et cause pour la société [R].

L'intimé considère que la partialité de l'expert judiciaire s'est traduite par le comportement adopté par celui-ci à son égard au cours des opérations, en particulier par le biais de questions qu'il qualifie de maltraitance orale, indiquant avoir été traité comme s'il avait été en garde à vue, ce qui avait contraint son avocat à intervenir pour rappeler l'expert à ses devoirs.

Toutefois, il relève du rôle de l'expert judiciaire de soumettre aux parties toutes les questions qu'il estime nécessaires pour lui permettre une bonne compréhension des faits et circonstances du litige, et, partant, pour répondre utilement et complètement aux chefs de sa mission. Le caractère éventuellement abrupt des termes utilisés par l'expert dans le cadre de ses interrogations n'est à cet égard pas de nature à laisser présumer une hostilité de principe, alors surtout que s'il n'est pas contesté que l'avocat de M. [F] est intervenu pour appeler l'expert à plus de retenue dans ses expressions, il n'est pas soutenu que M. [C] n'aurait pas tenu compte de cette intervention.

Par ailleurs, il ne résulte pas des éléments retranscrits au rapport d'expertise l'expression d'une partialité ou d'un acharnement quelconque, lesquels ne peuvent bien évidemment résulter du seul fait que ses conclusions ne satisfassent pas la partie qui se prétend lésée, ni de celui que ces conclusions diffèrent de celles retenues par le premier expert judiciaire, dès lors qu'une nouvelle mesure a été ordonnée précisément en raison des carences objectivement relevées par la cour dans l'exécution par celui-ci de la mission qui lui avait été confiée.

Enfin, le moyen tiré du défaut de production par la société [R] du permis de construire sollicité par l'expert, outre qu'il est contredit par l'indication même de M. [C], qui indique que le dossier de permis de construire fait partie des pièces qui lui ont été communiquées par clé USB, est sans plus d'emport dès lors qu'il n'est tiré aucune conséquence particulière du défaut allégué de production de cette pièce.

Ainsi, M. [F] ne démontre pas la partialité de l'expert autrement que par l'expression d'un ressenti subjectif qui n'est pas objectivement corroboré par des éléments de conviction concrets, étant au demeurant observé qu'il ne justifie pas avoir été empêché d'apporter à l'expert une argumentation technique pour contester les conclusions de celui-ci.

Dans ces conditions, le rapport d'expertise judiciaire de M. [C] constitue un élément de conviction que la cour prendra en considération pour statuer sur le fond du litige.

Sur le fond

1° sur la responsabilité de M. [F]

a) sur le fondement juridique des demandes

Il est constant que les travaux litigieux n'ont donné lieu à aucune réception, qu'elle soit amiable, tacite ou judiciaire, de sorte que seule la responsabilité contractuelle a vocation à régir les demandes, comme le font pertinemment valoir la société [R] et M. [R], en dépit du fait fait qu'ils visent également au dispositif de leurs dernières conclusions les articles 1792 et suivants du code civil.

L'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1147 du même code, dans sa rédaction applicable, énonce que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En application de ces principes, l'entrepreneur est tenu à l'égard de son client d'une obligation de résulttat de livrer un ouvrage conforme à la commande et exempt de vice.

b) sur les désordres

A titre liminaire, il convient d'écarter le moyen tiré par M. [F] du fait que la société [R] avait fait réaliser les travaux sans recours à un maître d'oeuvre, ce dont il déduit à tort qu'elle avait elle-même endossé la qualité de maître d'oeuvre, et était donc personnellement responsable, au moins pour partie, des dommages ayant pu résulter de la mauvaise réalisation de l'ouvrage, alors qu'en l'absence de maître d'oeuvre, cette qualité n'appartient pas par défaut au maître de l'ouvrage, mais accroît l'obligation de conseil incombant à l'entrepreneur, auquel il appartient le cas échéant de refuser d'intervenir hors recours à une maîtrise d'oeuvre s'il estime que les conditions nécessaires à une bonne conception et réalisation de l'ouvrage ne sont pas réunies.

Il est fait grief à M. [F] de plusieurs désordres affectant les travaux qu'il a réalisés pour le compte de la société [R].

Le premier tient à la présence de fissures traversantes sur les façades périphériques, entraînant des infiltrations d'eau à l'intérieur du bâtiment.

M. [C] retient cette fissuration à la charge de M. [F], en indiquant qu'elle est consécutive à l'absence de raidisseurs verticaux et de chaînages horizontaux dans le corps de la maçonnerie, ainsi qu'à l'ancrage insuffisant des fondations.

Si M. [F] admet avoir manqué aux règles de l'art en n'ayant pas mis en oeuvre les raidisseurs ainsi que les chaînages qui s'imposaient, il estime que cette carence n'est pas à l'origine des fissurations constatées, qu'il affirme résulter de l'intervention inadaptée de la société [H], dont il soutient qu'elle avait procédé au réglage de la structure métallique qu'elle était en charge de réaliser au moyen d'engins téléscopiques qui étaient venus appuyer sur la maçonnerie en l'endommageant.

Toutefois, cette allégation n'est étayée par aucun élément de preuve, la photographie à laquelle se réfère l'intimé (sa pièces n°25) étant à cet égard sans emport particulier, comme représentant un engin de levage et une structure métallique, sans qu'il puisse être déterminé avec certitude que l'engin est en action sur la charpente, et alors surtout que la charpente y apparaît totalement nue, c'est-à-dire sans le remplissage de maçonnerie censé avoir été dégradé par l'intervention.

De plus, l'expert judiciaire, auquel la position de M. [F] a été soumise, a interrogé sur ce point la société [H], qui a formellement contesté le mode opératoire qui lui était prêté par M. [F], indiquant quant à elle avoir procédé au réglage de la charpente selon les règles de l'art, soit par des moyens manuels. M. [C] relève par ailleurs que, selon M. [F] lui-même, le réglage de la charpente serait intervenu avant réalisation des enduits, alors que l'expert rappelle qu'il n'est pas contesté que les fissures ne sont apparues qu'après réalisation des enduits, ce qui n'est pas cohérent avec la version de l'intimé. Enfin, et en tout état de cause, M. [C] explique, sans être techniquement contesté de manière utile, que les fissures sans désaffleurement telles qu'elles ont été constatées ne sont aucunement typiques d'un choc ou d'un appui accidentel sur la maçonnerie, mais sont la résultante d'un tassement ou d'un mouvement des fondations.

S'agissant précisément des fondations, leur mauvaise qualité est soulignée par l'expert judiciaire qui indique, d'une part, qu'elles sont ancrées à une profondeur insuffisante, ce qui ne les place pas à l'abri du gel, d'autre part qu'elles ont été réalisées sur un fond de fouille en présence d'eaux stagnantes, et que la mauvaise exécution du drainage péjorait encore la stituation en maintenant les fondations en milieu humide.

Les constatations techniques faites par M. [C] sur la profondeur d'implantation des fondations ne sont pas utilement remises en cause sur le plan technique. M. [F] argumente à cet égard exclusivement sur le fait qu'en implantant la charpente métallique sur ces fondations, la société [H] avait accepté celles-ci, ce dont il semble déduire qu'il n'encourt lui-même aucune responsabilité de ce chef.

Or, d'une part, si l'acceptation du support par l'intervenant postérieur est certes de nature à rendre ce dernier responsable des désordres nés de la défaillance du support lui-même, elle n'a pas pour effet de décharger celui dont l'intervention est la cause de cette défaillance de sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage.

Ensuite, et en tout état de cause, l'acceptation du support doit nécessairement se faire en connaissance de cause de l'état défaillant de celui-ci, ce qui implique que l'intervenant postérieur ait pu s'en convaincre. Or, M. [F] échoue à rapporter la preuve que tel ait été le cas pour la société [H], étant rappelé que celle-ci a procédé à la mise en oeuvre de sa charpente sur des fondations déjà en place, sans que rien ne permette de démontrer qu'elle ait alors pu se convaincre des conditions dans lesquelles s'était déroulée leur mise en place, de leur profondeur insuffisante ou encore de leur mauvais drainage.

L'expert met par ailleurs le mauvais drainage en lien avec l'absence de réalisation des travaux de drainage de la source située dans le talus, dont il précise qu'il a été reprofilé par M. [F] de manière inadaptée, causant son instabilité et l'éboulement progressif des terres qui viennent s'amonceler au pied des façades de l'ouvrage.

M. [F] conteste avoir manqué à sa mission relativement au captage de la source, indiquant qu'il avait bien procédé à celui-ci, mais que l'opération ne concernait pas la source visée par M. [C], laquelle était située plus en amont dans le talus. Toutefois, force est de constater que les pièces produites aux débats ne permettent pas de confirmer la version de l'intimé selon laquelle il existerait deux sources distinctes, tandis que la venue d'eau dans les locaux litigieux en provenance de la source désignée par l'expert est matériellement établie, de sorte qu'elle ne pouvait être ignorée de M. [F] lors de la réalisation des travaux.

Ce dernier soutient par ailleurs vainement n'être pas intervenu sur le profil du talus, alors qu'il résulte des constatations de l'expert judiciaire que des photographies produites aux débats attestaient sans ambiguïté de la réalité de cette intervention au moyen des engins de M. [F]. Au demeurant, il ressort effectivement des photographies figurant au dossier que le talus litigieux a effectivement été l'objet de travaux, comme en témoigne son aspect, et la nécessité d'une intervention à son niveau apparaît en tout état de cause logique pour permettre la construction de l'immeuble concerné, compte tenu de la configuration environnante du terrain naturel, telle qu'elle ressort des photographies figurant au dossier.

Il ressort de ces divers éléments que la réalité des désordres affectant l'ouvrage réalisé par M. [F] est établie, et que celui-ci échoue à démontrer qu'ils soient, même partiellement, imputables au maître de l'ouvrage ou à un tiers intervenant.

L'intimé sera donc déclaré responsable des conséquences dommageables de ces désordres.

c) sur les dommages

* S'agissant en premier lieu des dommages matériels, dont M. [R] sollicite l'indemnisation en sa qualité de propriétaire de l'immeuble, l'expert judiciaire indique qu'ils consistent dans le coût des opérations suivantes, nécessaires pour la reprises des désordres :

- reprofilage des talus suivant pente adaptée aux sols, avec maintien en pied d'une bande circulable le long de la façade ;

- réalisation d'un ouvrage de captation des eaux de la source et de ruissellement en amont du talus ;

- réalisation d'un réseau de drainage conforme aux règles de l'art ;

- reprises des semelles filantes de fondation des maçonneries extérieures par déconstruction/reconstruction ou par création d'une longrine en béton armé superposée à la fondation existante ;

- reprise en sous-oeuvre du passage sous les fondations du muret initial ;

- mise en place de dispositifs de liaisonnement par raidisseurs verticaux et chaînages horizontaux des maçonneries de l'ensemble des façades extérieures ;

- réfection du dallage intérieur au droit des sondages réalisés.

Toutes ces opérations sont de nature à remédier utilement à l'ensemble des désordres constatés, et sont nécessaires pour mettre le maître de l'ouvrage en possession d'un ouvrage conforme à celui qu'il était en droit d'attendre des travaux réalisés par M. [F].

L'expert chiffre ces travaux à la somme globale de 159 308,10 euros HT, soit 191 169,72 euros TTC.

L'intimé ne produit pas aux débats de devis mieux-disant pour la réalisation de travaux équivalents, se bornant à contester la pertinence de certaines interventions préconisées par l'expert, en lien avec les contestations relatives à la responsabilité des désordres, auxquelles il a été précédemment répondu.

M. [R] justifiant être assujetti à la TVA, M. [F] sera condamné à lui payer la somme de 159 308,10 euros HT en réparation de son préjudice matériel. Ce montant sera indexé sur l'indice du coût de la construction, l'indice de référence étant celui en vigueur le 17 février 2025, date de dépôt du rapport d'expertise judiciaire de M. [C].

* s'agissant des préjudices subis par la société [R], il est fait état d'un préjudice de jouissance, pour n'avoir pas pu utiliser les locaux à l'usage de stockage de marchandises qui leur était assigné, en raison de l'humidité et des venues d'eau les affectant, d'un préjudice tenant aux frais et au temps de trajet ainsi que de manutention entre le site de production et le lieu où ont dû être stockées les marchandises du fait de l'impropriété des locaux litigieux, ainsi que d'un préjudice tenant au coût financier de la location de locaux de substitution dans l'attente de la réalisation des travaux de nature à rendre utilisables les locaux de stockage contigus aux locaux de production.

Il sera constaté que, pour la période pour laquelle est réclamée une indemnisation du trouble de jouissance à raison de 200 euros par mois sur une période de 105 mois, cette indemnisation fait manifestement double emploi avec celles réclamées au titre des frais de transport des marchandises et de location de locaux de remplacement, ces réclamations recouvrant en effet l'indemnisation d'un même dommage. Dès lors, il ne sera fait droit à la demande de la société [R] que dans la limite de la somme de 21 000 euros (200 euros x 105 mois), qui apparaît proportionnée à la gravité du trouble subi.

S'y ajoute le préjudice subi jusqu'à la réalisation des travaux de reprise du fait de la nécessité de louer un local de remplacement pour l'entreposage des marchandises, l'évaluation faite à ce titre par l'expert judiciaire à hauteur de 5 202,50 euros devant être entérinée.

M. [F] sera donc condamné à indemniser la société [R] à hauteur d'un montant total de 26 202,50 euros HT.

Le jugement entrepris sera infirmé s'agissant de ces différents points.

2° sur le solde du coût des travaux

Il est constant que la société [R] reste devoir à M. [F], au titre du solde des travaux, la somme de 11 965,50 euros HT. Cette somme est due à ce dernier dès lors que les réparations mises par ailleurs à sa charge auront pour effet de restituer la société [R], respectivement M. [R], dans la propriété d'un ouvrage purgé de vices.

Le jugement sera donc confirmé s'agissant de la condamnation à paiement prononcée de ce chef.

3° sur la compensation

Conformément à la demande formulée par la société [R], il y a lieu d'ordonner la compensation entre les créances réciproques détenues respectivement par la société [R] à l'encontre de M. [F] au titre de la réparation de ses préjudices, et par ce dernier envers la société [R] au titre du solde du prix des travaux.

Sur les autres dispositions

Le jugement entrepris sera infirmé s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

M. [F] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût des deux expertises judiciaires, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Il sera en outre condamné à payer à M. [R] et la société [R], ensemble, la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du même code.

Par ces motifs

Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,

Infirme le jugement rendu le 27 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Lons le Saunier, sauf en ce qu'il a condamné la SASU [R] à payer à M. [F] la somme totale de 11 965,50 euros HT outre intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2016 ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déclare M. [N] [F] entièrement responsable des désordres affectant le bâtiment ;

Condamne M. [N] [F] à payer à M. [Y] [B] [R] la somme de 159 308,10 euros HT en réparation de son préjudice ;

Dit que cette somme sera indexée sur l'indice du coût de la construction en vigueur le 17 février 2025 ;

Condamne M. [N] [F] à payer à la SASU [R] la somme de 26 202,50 euros HT en réparation de son préjudice ;

Ordonne la compensation entre les créances réciproques détenues par M. [N] [F], d'une part, et par la SASU [R], d'autre part ;

Condamne M. [N] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût des deux expertises judiciaires, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne M. [N] [F] à payer à la SASU [R] et à M. [Y] [B] [R], ensemble, la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

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