CEDH, 9 novembre 2004, n° 55631/00
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
2e section
PARTIES
Demandeur :
BANKA, A.S (Sté)
Défendeur :
République tchèque
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
MM.J.-P. Costa
Juges :
A.B. Baka, R. Türmen, K. Jungwiert, M. Ugrekhelidze, Mme A. Mularoni, Mme E. Fura-Sandström
Greffière de section :
Mme S. Dollé
Vu les requêtes susmentionnées introduites les 23 décembre 1999 et 13 mars 2000 respectivement,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérantes,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La première requérante, O.B. Heller, a.s., et la seconde requérante, Československá obchodní banka (Banque commerciale tchécoslovaque), a.s., sont des sociétés anonymes de droit tchèque, ayant leurs sièges sociaux à Prague. Elles sont représentées devant la Cour par Me B. Dunovská, avocate au barreau tchèque.
Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. V. A. Schorm.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. Faits concernant la première requérante - O.B. Heller, a.s.
Le 25 juin 1996, la requérante établit, en vertu de l'article 256 du code des douanes et conformément au modèle prévu par l'annexe no 25 du règlement d'application no 92/1993, une lettre de garantie (záruční listina) pour des « opérations autres que le régime de transit (système de garantie globale) ». Par celle-ci, elle s'engagea à régler une éventuelle dette douanière (celní dluh) de la société importatrice C.G.[1], et ce jusqu'à la somme maximum de 2 millions de couronnes tchèques (CZK). Le 7 juillet (ou août) 1996, ladite lettre de garantie fut acceptée par le bureau de douane (celní úřad) de Písek.
Par sa décision no 1867/97 rendue le 18 décembre 1997, le bureau de douane enjoignit à la requérante de s'acquitter de la somme de 785 426 CZK, correspondant au montant de la dette douanière de C.G. Par sa décision no 1866/97 rendue le même jour, il ordonna à la requérante de payer la somme de 1 214 574 CZK, tout en relevant que la dette exigible de C.G. s'élevait à 2 136 171 CZK. Le montant à régler par la requérante ayant ainsi atteint la somme de 2 millions de CZK, celle-ci considéra sa garantie comme épuisée.
Par une lettre du 2 janvier 1998, le bureau de douane fit savoir à la requérante qu'il avait accepté, le 15 décembre 1997, sa demande d'annulation de la garantie et que le cautionnement (zajištění) avait donc pris fin au 31 décembre 1997, à l'exception des dettes provenant des opérations cautionnées avant cette annulation.
Bien que la requérante eût exécuté les décisions du 18 décembre 1997 en s'acquittant de la somme de 2 millions de CZK, le bureau de douane de Písek continuait à lui enjoindre le paiement d'autres dettes douanières de C.G. (provenant des opérations effectuées avant le 31 décembre 1997). Une telle décision fut rendue le 19 mars 1998, quatre suivirent le 16 avril 1998, huit décisions dataient du 12 mai 1998, treize du 14 mai 1998, treize autres du 20 mai 1998, neuf du 28 mai 1998, dix du 24 mai 1999, une du 4 octobre 1999 et six du 6 octobre 1999. Le montant que la requérante se vit ainsi imposer de payer dépassa 31 millions de CZK. Dans ces décisions, rendues en l'absence de l'intéressée, le bureau de douane releva qu'en vertu de la lettre de garantie établie par la requérante, celle-ci s'engageait à fournir la caution allant jusqu'à 2 millions de CZK pour chaque dette individuelle.
La requérante fit appel de toutes ces décisions, faisant valoir qu'elle s'était engagée à cautionner des dettes de C.G. uniquement dans la limite totale de 2 millions de CZK.
La direction des douanes (celní ředitelství) de České Budějovice rejeta les appels de la requérante par ses décisions des 17 avril 1998, 12 mai 1998, 31 juillet 1998, 19 juillet 1999 et 2 décembre 1999 rendues sans audience. Le contenu de ces décisions peut être résumé de façon suivante :
« Par une lettre de garantie établie dans le système de garantie globale, le garant (ručitel) accepte l'obligation de régler à la place du débiteur des dettes douanières provenant des opérations cautionnées par cette lettre de garantie, et ce jusqu'au montant de 2 millions de CZK pour chaque opération. Dès lors, le cautionnement ne s'applique pas aux opérations où la dette douanière dépasse dans un cas unique la somme de 2 millions de CZK. (...) La lettre de garantie ne stipule pas que le montant global de la dette douanière que le garant s'est engagé à régler est limité à 2 millions de CZK, et que le fait de s'acquitter de cette somme met fin au cautionnement. (...) Le système de garantie globale concerne plusieurs opérations qui peuvent donner naissance à plusieurs dettes douanières fixées par les décisions rendues dans la procédure douanière. Toute décision fixant des droits de douane, impôts et taxes notifiée au garant dans le système de garantie globale est donc couverte par un cautionnement allant jusqu'à la somme maximum énoncée dans la lettre de garantie. Le texte des lettres de garantie est prévu par les normes juridiques de jus cogens, c'est pourquoi cette obligation ne peut pas être modifiée par un accord des parties.
Le système de cautionnement global d'une dette douanière s'inspire des codes des douanes des pays de l'UE (...) et ne prévoit pas que la garantie diminue du fait de s'acquitter d'une somme. Au contraire, le cautionnement global d'une dette douanière signifie que toute dette dont le garant est responsable en vertu de la lettre de garantie est cautionnée jusqu'au montant de la garantie prévue par cette lettre. Ce fait est confirmé par le texte des lettres de garantie, tel que prévu par l'annexe no 35 du règlement d'application no 135/1998 et relatif au cautionnement global de la dette douanière. Le texte est conçu de façon à ce qu'il n'y ait pas de doute sur l'étendue de l'obligation du garant (...). Des principes semblables relatifs au cautionnement global d'une dette douanière (à l'exception d'une somme minimum prévue) ont été appliqués à la fixation du montant de cautionnement même avant l'adoption dudit règlement d'application du code des douanes. »
La requérante attaqua ces décisions par des actions administratives introduites auprès du tribunal régional (krajský soud) de České Budějovice, contestant l'application qui avait été faite en l'espèce des dispositions relatives à la garantie douanière globale et alléguant que l'on ne saurait déduire du code des douanes que le cautionnement, limité par une somme maximum, se renouvelait dans chaque cas individuel.
Le tribunal joignit les actions de la requérante dans plusieurs procédures et les rejeta par ses jugements datant des 7 octobre 1998, 29 octobre 1998, 9 novembre 1998, 6 janvier 1999, 24 février 1999, 17 mars 1999, 1er décembre 1999, 5 janvier 2000, 22 mars 2000, 5 avril 2000 et 14 juin 2000. Notant qu'il s'agissait de trancher, par l'interprétation grammaticale et logique des dispositions pertinentes du code des douanes, la question d'application du cautionnement global, le tribunal releva en particulier :
« (...) est cautionnée par la lettre de garantie dans le système de garantie globale chacune des dettes du débiteur douanier, le montant du cautionnement pouvant être fixé à l'aide d'un chiffre exact ou à l'estime. Sont ainsi cautionnées toutes les dettes douanières du même débiteur, qui naîtront pendant la durée d'existence du cautionnement global. Ceci résulte de la notion même de la garantie globale dont le sens linguistique exprime qu'elle cautionne pro futuro toutes les dettes douanières d'un certain débiteur. S'il ne s'agissait pas de cautionner toutes ces dettes douanières, le cautionnement global ne serait pas nécessaire et un cautionnement individuel serait suffisant. (...)
Dès lors, le tribunal a conclu que le cautionnement de la dette par [la requérante], fait au profit du redevable dans le système de garantie globale, signifie que [la requérante] cautionne chaque dette individuelle du débiteur douanier jusqu'au montant de 2 millions de CZK. (...) le code des douanes faisant partie du droit public, il faut se baser lors de son application sur des notions telles que prévues par cette loi. L'on ne saurait interpréter les différents instituts du droit des douanes à la lumière des principes régissant le droit privé.
L'opinion de [la requérante] selon laquelle la lettre de garantie acceptée dans le système de garantie globale s'applique uniquement aux dettes douanières dont le montant total ne dépasse pas 2 millions de CZK, n'est pas correcte ; une telle interprétation, selon laquelle il faudrait additionner les dettes provenant des opérations individuelles et la garantie s'épuiserait au moment où la somme ainsi obtenue atteindrait le montant prévu par la lettre de garantie, serait contraire au sens et au but de cette forme de cautionnement de la dette douanière. Il peut être rappelé à l'appui de cette argumentation que, tandis que les dispositions de l'article 256 et s. du code des douanes relatives à l'institut de cautionnement global restent inchangées, le nouveau règlement d'application ainsi que le modèle de la lettre de garantie prévu par l'annexe no 35 du règlement no 135/98 (...) disposent clairement, en vue d'une interprétation unique et de la sécurité juridique des parties à la procédure douanière, que le garant s'engage à s'acquitter, jusqu'au montant de la somme garantie, chaque dette douanière individuelle (...).
(...) dans ce contexte, le nouveau règlement d'application n'a fait que déterminer précisément le texte des lettres de garantie afin qu'il n'y ait pas de problèmes d'interprétation. L'on ne saurait en déduire que le règlement précédent disposait autrement quant à l'étendue des instituts de cautionnement, et en particulier quant à celle de la garantie douanière globale, étant donné qu'il a été édicté, de même que le règlement actuellement en vigueur, en vertu du même article 258 § 3 du code des douanes. La construction de différents types de garantie douanière étant fixée par la loi, l'on ne saurait dire qu'elle puisse être amendée par un règlement d'application.
Les deux règlements ont été destinés à assurer l'exécution du code des douanes (...), celui qui est en vigueur étant plus précis. L'on ne saurait dire cependant que le règlement no 92/1993 ait prévu un cautionnement global différent de celui prévu par le règlement no 135/1998, ou qu'il s'agît d'un règlement contraire au code des douanes.
Enfin, si [la requérante] argue qu'un cautionnement qui est constamment et dans chaque cas individuel renouvelé jusqu'au montant prévu par la lettre de garantie aurait pour conséquence une incapacité pour les établissements financiers de satisfaire aux indices économiques de la Banque nationale tchèque, le tribunal note que l'interprétation susmentionnée de la notion de cautionnement global de la dette douanière est valable pour tous les garants. Ceux-ci doivent cependant assumer d'éventuels risques d'entreprise. Par la suite, ils peuvent faire valoir leurs créances par le biais d'une action de droit privé dirigée contre le débiteur douanier respectif ».
La requérante allègue que seuls deux jugements du tribunal régional furent précédés par une audience ; le Gouvernement affirme que l'audience eut lieu dans cinq cas. Dans les jugements des 7 octobre 1998, 29 octobre 1998, 9 novembre 1998, 24 février 1999, 17 mars 1999, 22 mars 2000, 5 avril 2000 et 14 juin 2000, il est fait une référence explicite à l'article 250f du code de procédure civile, dont il résulte que les parties avaient consenti à ce que les procédures respectives se déroulent en leur absence et sans audience.
Par la suite, la requérante attaqua les jugements susmentionnés par des recours constitutionnels (ústavní stížnosti), alléguant que les autorités publiques n'avaient pas respecté les articles 2 § 3, 4 § 1, 11 § 4 et 36 §§ 1, 2 de la Charte des droits et libertés fondamentaux (Listina základních práv a svobod).
Les 17 juin 1999, 17 août 1999, 30 septembre 1999, 21 décembre 1999, 9 mai 2000, 23 janvier 2001 (décision du plénum), 27 février 2001, 28 février 2001, 15 mars 2001, 19 mars 2001 et 5 avril 2001, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) rejeta lesdits recours pour défaut manifeste de fondement, n'ayant constaté aucune atteinte dans les droits invoqués par la requérante, et sans tenir d'audience, conformément à l'article 43 § 2 a) de la loi no 182/1993. Elle considéra que le tribunal régional avait dûment répondu aux objections de la requérante et fourni une interprétation exhaustive de la notion de « cautionnement global de la dette douanière ». La juridiction constitutionnelle souscrivit à l'opinion du tribunal selon lequel la garantie globale cautionnait en l'espèce chaque dette douanière jusqu'au montant de 2 millions de CZK, ce qui serait confirmé par l'avis de la Direction générale des douanes (Generální ředitelství cel).
En particulier, la décision du plénum de la Cour constitutionnelle adoptée le 23 janvier 2001 releva que l'objectif du code des douanes était de simplifier l'importation des marchandises et d'assurer le prélèvement des droits de douane (de la dette douanière) appropriés, et que la loi distinguait trois types de cautionnement de la dette douanière, à savoir la garantie globale, forfaitaire ou individuelle. Selon le plénum, l'interprétation du code des douanes adoptée par les autorités douanière lors de l'application de la garantie globale s'appuie sur la loi elle-même, qui tend à prévenir les évasions, ainsi que sur son texte littéral (utilisant la notion de la « dette douanière » au singulier) et résulte également de la pratique de la procédure douanière. La modification apportée au modèle de la lettre de garantie annexée au règlement no 135/1998 (par rapport à celle annexée au règlement no 92/1993) ne ferait que préciser la formulation des normes d'application, sans que le contenu de la loi change. Etant donné que la garantie globale se rapporte à chaque importation individuelle, les droits de douane doivent être calculés à l'issue de la procédure douanière relative à cette importation individuelle. Si le montant des droits de douane n'atteint pas celui de la garantie globale, la somme restante qui n'a pas été utilisée ne peut pas être transférée pour garantir partiellement une autre opération d'importation mais une nouvelle garantie indépendante doit être établie pour une nouvelle importation individuelle.
2. Faits concernant la seconde requérante - Československá obchodní banka, a.s.
Le 8 mars 1996, la requérante établit, en vertu de l'article 256 du code des douanes et conformément au modèle prévu par l'annexe no 25 du règlement d'application no 92/1993, une lettre de garantie pour des « opérations autres que le régime de transit (système de garantie globale) », au profit de la Direction générale des droits de douane de Prague. Par celle-ci, elle s'engagea à régler une éventuelle dette douanière de la société anonyme C.[2], et ce jusqu'à la somme maximum de 37 millions de couronnes tchèques (CZK). Le 11 mars 1996, ladite lettre de garantie fut acceptée par la Direction générale des droits de douane (auprès du ministère des Finances).
Le 27 mars 1998, la requérante corrigea les termes de sa lettre de garantie, de façon à ce que celle-ci soit établie au profit des « autorités douanières de la République tchèque ».
Le 25 septembre 1998, la requérante informa la Direction générale des droits de douane de son intention de mettre fin à son obligation de garant. Par une lettre du 1er octobre 1998, la Direction générale lui fit savoir qu'elle avait accepté, le 29 septembre 1998, sa demande d'annulation de la garantie qui prenait donc fin au 15 octobre 1998, à l'exception des dettes provenant des opérations cautionnées avant cette annulation.
2.1. Première série des décisions rendues à l'encontre de la requérante
Le 1er septembre 1998, la Direction générale des droits de douane invita la requérante à régler la somme de 25 462 073 CZK, correspondant aux montants des dettes douanières de C. relevées par les bureaux de douane de Mělník et de Břeclav et à leurs pénalités moratoires. La requérante s'acquitta de cette obligation le 9 septembre 1998.
Le 10 septembre 1998, la requérante se vit notifier deux décisions datant des 8 et 9 septembre 1998, par lesquelles le bureau de douane de Pardubice lui enjoignit de régler respectivement les sommes de 20 234 752 CZK et 35 067 782 CZK, correspondant aux dettes douanières de C.
Le 11 septembre 1998, la requérante renvoya ces décisions à la Direction générale des droits de douane, considérant que, le bureau de douane de Pardubice n'étant pas le bénéficiaire de la garantie, celle-ci était la seule autorité compétente pour exiger d'elle les paiements au titre de la garantie douanière (comme elle l'avait fait le 1er septembre 1998). La requérante fit également valoir qu'après avoir réglé, le 9 septembre 1998, la somme de 25 462 073 CZK, le reliquat de sa garantie ne s'élevait qu'à 11 537 927 CZK. La requérante allègue avoir considéré cet envoi comme un appel contre les décisions du bureau de douane de Pardubice, interjeté conformément à la loi no 337/1992 sur l'administration des impôts et des taxes.
Par sa lettre du 21 septembre 1998, la Direction générale des droits de douane invita la requérante à assigner sur son compte bancaire les sommes spécifiées dans les décisions du bureau de douane de Pardubice, relevant qu'aux termes du code des douanes (tel qu'amendé par la loi no 113/1997), le garant était tenu de s'acquitter d'une dette douanière concrète, et ce à chaque fois jusqu'au montant maximum garanti.
Le 8 octobre 1998, la requérante fit « appel » contre la décision du 21 septembre 1998, faisant valoir que celle-ci n'avait pas les attributs nécessaires d'une décision et qu'elle lui ordonnait de payer les sommes dépassant le montant de sa garantie. En même temps, la requérante s'acquitta de la somme de 11 537 927, correspondant au reliquat de sa garantie globale.
Le 22 octobre 1998, la Direction générale des droits de douane fit savoir à la requérante que la sommation du 21 septembre 1998 n'était pas une décision au sens de la loi no 337/1992 et que, partant, « l'appel » de la requérante du 8 octobre 1998 ne pouvait pas être considéré comme tel. (L'intéressée en déduit que son recours du 11 septembre 1998 n'avait pas été tranché.) La requérante fut également informée que les actes suivants, nécessaires au règlement des dettes douanières exigibles, seraient effectués par les bureaux de douane respectifs.
Le 5 mars 1999, le bureau de douane de Pardubice fixa à la requérante un nouveau délai pour payer les arriérés des dettes faisant l'objet des décisions des 8 et 9 septembre 1998. La requérante fait observer que lesdites décisions furent considérées par les autorités comme passées en force de chose jugée, bien qu'elle les attaquât par un appel du 11 septembre 1998, dont il n'avait pas été décidé.
Le 11 juin 1999, le bureau de douane autorisa la requérante à reporter le règlement des dettes susmentionnées.
Par la suite, la requérante attaqua les décisions des 8 et 9 septembre 1998 par des recours constitutionnels, alléguant que le bureau de douane de Pardubice n'avait pas respecté les articles 2 § 3, 4 § 1, 11 § 4 et 36 §§ 1, 2 de la Charte des droits et libertés fondamentaux. Selon elle, les décisions contestées se fondaient sur une interprétation extensive et rétroactive du code des douanes.
Les 1er et 22 septembre 1999, la Cour constitutionnelle déclara les recours irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes. Ne souscrivant pas à l'avis de la requérante selon laquelle il n'avait pas été décidé de son appel, la juridiction constitutionnelle releva que les décisions attaquées étaient passées en force de chose jugée sans que la requérante eût tiré parti de son droit d'introduire à leur encontre un appel ou une action administrative.
Le 22 juin 2000, la requérante régla l'intégralité des dettes en question.
2.2. Décisions sur les dettes relevées par le bureau de douane de Rozvadov
Les 21 septembre et 2 octobre 1998, le bureau de douane de Rozvadov ordonna à la requérante de payer des dettes douanières de C., s'élevant respectivement à 2 197 247 CZK et 2 456 813 CZK.
La requérante fit appel, alléguant qu'il résultait des dispositions pertinentes du code des douanes qu'elle ne cautionnait que la dette globale dont le montant ne dépasse pas le montant prévu par la lettre de garantie.
Les 16 et 17 décembre 1998, les appels de la requérante furent rejetés par la direction des douanes de Plzeň, considérant que le garant cautionnait les dettes concrètes et définies par les décisions des bureaux de douane, et ce à chaque fois jusqu'au montant maximum garanti. Le nouveau règlement no 135/1998 ne faisait selon elle que préciser la formulation contenue dans le règlement précédent.
La requérante attaqua ces décisions par des actions administratives.
Le 20 avril 2000, le tribunal régional (krajský soud) de Plzeň prononça l'extinction de l'instance portant sur la décision du 16 décembre 1998, considérant que celle-ci ne concernait que les droits procéduraux de la requérante et qu'elle était en tant que telle exclue du réexamen judiciaire. Cette décision ayant été par la suite annulée par la Cour constitutionnelle, le tribunal rendit, le 21 décembre 2001, un nouveau jugement par lequel il rejeta l'action de la requérante. Selon lui, la garantie globale concernait toute dette douanière du même débiteur et l'obligation du garant était limitée, dans chaque cas individuel, par le montant maximum de la garantie acceptée.
Le 24 janvier 2002, le tribunal rejeta pour les mêmes motifs l'action de la requérante dirigée contre la décision du 17 décembre 1998.
Le Gouvernement allègue que dans le premier cas, le tribunal régional tint une audience tandis que dans le deuxième, la requérante donna son consentement à ce qu'il soit décidé sans audience.
Le 30 avril 2002, la Cour constitutionnelle rejeta pour défaut manifeste de fondement le recours constitutionnel par lequel la requérante attaquait les décisions précédentes rendues les 21 septembre 1998, 16 décembre 1998 et 21 décembre 2001. La juridiction constitutionnelle se référa à l'avis du plénum exprimé dans sa décision du 23 janvier 2001 concernant une affaire analogue de la société O.B. Heller, a.s.
Le 29 août 2002, la Cour constitutionnelle considéra comme manifestement mal fondé le recours dirigé contre les décisions rendues à l'encontre de la requérante les 2 octobre 1998, 17 décembre 1998 et 24 janvier 2002.
2.3. Décisions sur les dettes relevées par d'autres bureaux de douane
D'autres bureaux de douane ont obligé la requérante de régler les dettes douanières de C. :
- le bureau d'Uherské Hradiště, pour 249 971 CZK, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 31 août 2000 ;
- le bureau de Zlín, pour 1 125 418 CZK, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 18 octobre 2000 ;
- les bureaux de Litoměřice et de Teplice, pour 3 981 582 CZK et 1424 306 CZK, respectivement, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 15 novembre 2001;
- le bureau de Přerov, pour 16 339 CZK, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 4 décembre 2001;
- le bureau de Most, pour 530 311 CZK, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 5 mars 2002 ;
- les bureaux de Plzeň I et II, pour 166 652 CZK et 469 854 CZK, respectivement, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 30 avril 2002 ;
- les bureaux de Náchod et Trutnov, pour 6 327 553 CZK et 772 972 CZK plus 913 111 CZK, respectivement, avec des décisions négatives de la Cour constitutionnelle les 1er novembre 2001 et 13 mai 2002.
- le bureau d'Olomouc, pour 864 262 CZK, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 28 janvier 2003; et
- le bureau de Pardubice, pour 23 356 607 CZK, avec une décision négative de la Cour constitutionnelle le 1er avril 2003.
B. Le droit interne pertinent
Charte des droits et libertés fondamentaux
L'article 2-3 dispose que toute personne est libre de faire ce que la loi n'interdit pas et nul ne sera forcé de faire ce que la loi n'impose pas. L'article 4-1 ajoute que les obligations ne peuvent être imposées que par la loi et que dans le respect des droits et libertés fondamentaux.
Aux termes de l'article 11-4, l'expropriation ou la restriction forcée du droit de propriété n'est possible que dans l'intérêt public, en vertu de la loi et en contrepartie d'une indemnisation.
L'article 36-1 donne à chacun le droit de demander justice, suivant une procédure prévue, auprès d'un tribunal indépendant et impartial et, dans les cas déterminés, auprès d'une autre autorité.
Selon l'article 36-2, celui qui affirme avoir été lésé dans ses droits par une décision d'une autorité administrative peut demander au tribunal de réexaminer la légalité d'une telle décision, à moins que la loi n'en dispose autrement.
Loi no 182/1993 sur la Cour constitutionnelle
Aux termes de l'article 43-2 b), la chambre constituée au sein de la Cour constitutionnelle rejette un recours sans audience et en l'absence des parties s'il s'agit d'un recours manifestement mal fondé.
Code de procédure civile (en vigueur à l'époque des faits)
L'article 250f donne à la juridiction administrative la possibilité de décider d'une demande sans tenir audience si les parties ont fait une telle proposition ou si elles y consentent. L'existence d'un tel consentement est présumée si les parties n'expriment pas leur désaccord avec la non-tenue de l'audience dans les quinze jours à compter de la notification d'une sommation les invitant à s'exprimer sur ce point.
Code des douanes (loi no 13/1993)
L'article 256 dispose que sur la demande du débiteur, les autorités douanières autorisent un cautionnement global (globální zajištění) d'une dette douanière qui provient ou qui pourrait naître d'une ou de plusieurs opérations.
Selon l'article 257-1, si les dispositions des douanes prévoient un cautionnement obligatoire de la dette douanière, les autorités douanières fixent son montant qui correspond (a) au montant exact de la dette douanière respective, s'il est possible de déterminer ce montant au moment où le cautionnement est réclamé ; (b) dans les autres cas, au montant maximum de la dette douanière tel qu'estimé par les autorités douanières. Si la dette douanière, dont le montant change au fur et à mesure, est globalement cautionnée, il faut fixer un montant de cautionnement susceptible de toujours cautionner la dette.
L'article 257-1 prévoit qu'un règlement ministériel détermine les conditions dans lesquelles la dette douanière peut être cautionnée de manière forfaitaire.
Aux termes de l'article 258, le cautionnement d'une dette douanière peut prendre la forme d'une consignation ou d'une garantie.
Modèle de la lettre de garantie annexée au règlement no 92/1993 (en vigueur jusqu'au 1er juillet 1998)
Le soussigné (« garant ») fournit ainsi à une autorité douanière une garantie, jusqu'à une somme maximum de ... CZK, et s'engage solidairement avec le débiteur à s'acquitter de la dette douanière, avec intérêts, jusqu'au montant fixé par la lettre de garantie acceptée par l'autorité douanière.
Modèle de la lettre de garantie annexée au règlement no 135/1998 (en vigueur du 1er juillet 1998 jusqu'au 1er juillet 2002)
Le soussigné (« garant ») fournit ainsi à une autorité douanière une garantie, dont le montant s'élève à ... CZK, et s'engage solidairement avec le débiteur à s'acquitter, jusqu'au montant de la somme garantie, de toute dette douanière individuelle.
C. Pratique interne pertinente
Certaines décisions rendues dans les affaires analogues de la Banque commerciale tchécoslovaque et favorables à cette dernière
Les intéressées soumettent à l'appui de leurs requêtes plusieurs décisions par lesquelles certains recours de la seconde requérante ont été accueillis, entraînant l'annulation des décisions lui enjoignant le paiement des dettes dépassant le montant de sa garantie. Il s'agit des décisions rendues soit par les bureaux de douane eux-mêmes (il s'agit en l'occurrence des bureaux de Brno I – décision du 12 mars 1999, de Valašské Meziříčí – décisions du 11 avril 2000, de Šumperk – décision du 28 juin 2000, et de Plzeň I – décision du 24 juillet 2000), soit par les juridictions administratives (tribunal municipal de Prague – jugement du 26 octobre 1999, tribunal régional de Hradec Králové – jugement du 11 janvier 2000, tribunal régional d'Ústí nad Labem – jugement du 2 mai 2000). Ces autorités ont donné raison à la banque qui soutenait avoir satisfait à son obligation de garant par les paiements effectués précédemment, dont le montant total a atteint la somme fixée par la lettre de garantie.
En particulier, selon le jugement rendu par le tribunal municipal de Prague le 26 octobre 1999, le code des douanes dans sa version d'avant l'amendement no 13/1997 ne prévoyait pas l'adoption d'un modèle de la lettre de garantie, l'annexe no 25 au règlement no 92/1993 n'ayant donc pas eu d'appui légal. Le tribunal a par ailleurs estimé que l'interprétation faite par les autorités douanières contredisait le sens du cautionnement global d'une dette douanière et qu'il ressortait de la déclaration de la banque qu'en établissant la garantie globale, sa volonté était de s'engager à une obligation de régler la dette globale allant jusqu'au montant de 37 millions de CZK et pas plus. Il a également été rappelé que l'on ne saurait procéder à une interprétation extensive des dispositions de droit public.
Le tribunal régional de Hradec Králové a relevé dans son jugement du 11 janvier 2000 qu'en l'espèce, le cautionnement global de la dette douanière correspondait uniquement au montant de 37 millions de CZK et que l'addition des sommes réglées à ce titre ne saurait dépasser cette limite. Dès lors, le montant fixé par la lettre de garantie ne constitue pas la limite de la dette douanière provenant d'une opération mais la limite de l'addition de toutes les dettes douanières provenant d'une ou de plusieurs opérations garanties.
Le jugement du tribunal régional d'Ústí nad Labem en date du 2 mai 2000 énonce que, tandis que la version initiale du code des douanes parlait du « cautionnement global d'une dette douanière », la possibilité d'un cautionnement individuel n'est apparue que dans l'article 256 tel qu'amendé par la loi no 113/1997. En l'espèce, si l'intéressée a déjà payé au titre du cautionnement global la somme de 37 millions de CZK, elle n'est plus obligée de régler d'autres dettes douanières car elle ne s'était pas engagée à une telle obligation.
Note officielle de la Banque nationale tchèque, publiée le 26 février 1999
Dans cette note, la Banque nationale tchèque observe d'abord que la souscription à des garanties par des établissements financiers constitue pour eux une obligation dont le montant nominal doit faire partie du contrat. Si, dans un type de garantie (dont également la garantie globale établie en vertu du règlement no 135/1998), le montant de cette obligation n'est pas déterminé et si, partant, on peut demander à la banque de payer les sommes qui dépassent le montant fixé dans la lettre de garantie, il ne s'agit pas d'une activité que la banque serait autorisée à exercer conformément à la loi sur les banques. Si une banque fournit ce type de garantie globale après l'entrée en vigueur du règlement no 135/1998, ou si elle n'a pas résilié ces contrats conclus avant l'entrée en vigueur dudit règlement, son activité est contraire à la loi. Par conséquent, la Banque nationale tchèque a recommandé aux banques de mettre fin aux obligations découlant des garanties globales.
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérantes se plaignent de la violation de leur droit à un procès public et équitable. Elles font valoir, d'une part, que les audiences n'ont été tenues que par des tribunaux régionaux, et seulement dans certaines procédures suivies devant ceux-ci. Elles dénoncent, d'autre part, les divergences dans l'interprétation par les différentes autorités nationales de la notion de garantie douanière globale, divergences qui porteraient atteinte au principe de la sécurité juridique. Les requérantes contestent enfin les décisions de la Cour constitutionnelle qui ne seraient pas suffisamment motivées et constitueraient un déni de justice.
2. Sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1, les requérantes se plaignent d'une atteinte disproportionnée dans leur droit au respect des biens, alléguant que les autorités nationales leur ont enjoint une obligation de paiement sans que celle-ci ait un appui suffisant dans la législation, et qu'elles se sont basées dans l'interprétation de celle-ci sur les dispositions qui n'étaient pas encore en vigueur à l'époque des faits.
EN DROI
1. La Cour considère d'abord qu'il y a lieu, en application de l'article 42 § 1 du Règlement de la Cour, de joindre les requêtes enregistrées sous les nos 55631/00 et 55728/00.
2. Les requérantes soutiennent en premier lieu que les procédures suivies en l'espèce n'ont pas respecté les exigences de publicité et d'équité. A cet égard, elles invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, libellé ainsi dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Les intéressées se plaignent d'abord que seuls les tribunaux régionaux aient tenu des audiences publiques, et ce uniquement dans certaines procédures menées devant eux. Elles allèguent ensuite que les dispositions pertinentes du code des douanes permettaient, faute de clarté, plusieurs interprétations de la notion de garantie globale, ce qui a eu pour conséquence des divergences d'opinion parmi les autorités nationales. Or, l'interprétation défavorable aux requérantes, qu'ont retenue certaines de ces autorités, porte atteinte à leurs droits fondamentaux, du fait d'être extensive et disproportionnée. De surcroît, la Cour constitutionnelle n'aurait pas suffisamment motivé le rejet de leurs recours constitutionnels.
2.1. Le Gouvernement excipe d'abord de l'inapplicabilité de l'article 6. Se référant à l'arrêt Ferrazzini c. Italie ([GC], no 44759/98, CEDH 2001‑VII), il note que les requérantes étaient sollicitées en qualité de garantes de s'acquitter d'une dette douanière à la place des importateurs de marchandises, en l'occurrence les sociétés C.G. et C. Il note que la dette douanière est réglementée par le code des douanes, les règlements du ministère des Finances et la loi sur l'administration des impôts et des taxes, et que le droit de prélever les droits de douane fait partie des prérogatives traditionnelles des Etats. Dès lors, la procédure tendant au recouvrement de la dette douanière doit être qualifiée de contentieux fiscal, qu'elle concerne les obligations du redevable lui-même ou de ceux qui ont fourni leur cautionnement, ce qui est le cas des intéressées. En effet, le cautionnement de la dette douanière n'est rien d'autre que le cautionnement de l'obligation de payer les droits de douane sur les marchandises importées, dont le but est d'assurer que l'Etat percevra à chaque importation la somme correspondant aux droits de douane. Le Gouvernement en déduit que l'établissement d'une lettre de garantie conforme au code des douanes, qui est une norme de droit public, et son acceptation par les autorités douanières ont entraîné la naissance d'une obligation des requérantes envers l'Etat, laquelle – pour les besoins de l'article 6 § 1 de la Convention – tombe uniquement dans le domaine du droit public et n'entre pas dans la catégorie des « droits et obligations de caractère civil ».
En ce qui concerne l'absence d'audience publique dans certaines procédures menées devant les tribunaux régionaux, le Gouvernement fait valoir qu'une telle démarche a été conforme à l'article 250f du code de procédure civile tel qu'en vigueur à l'époque. En effet, si les tribunaux n'ont pas tenu d'audience (et chaque tribunal en a tenu au moins une), c'est parce que les requérantes y ont consenti ou ne s'y sont pas opposées, en connaissance de cause, dans le délai imparti. De surcroît, le fond de tous les litiges était identique, les éléments de preuves étaient connus aux requérantes et il s'agissait d'examiner uniquement une question juridique, les circonstances de fait ne prêtant pas à controverse.
Quant au bien fondé du grief concernant les décisions divergentes rendues par les autorités nationales, le Gouvernement rappelle d'abord que l'interprétation et l'application du droit interne incombent en principe aux tribunaux nationaux, à moins qu'il y ait eu de l'arbitraire, ce qui n'a pas été le cas d'espèce. Ici, les tribunaux étaient appelés à interpréter la notion de garantie globale régie par le code des douanes tchèque, sachant qu'aucun cas similaire à celui des intéressées ne leur avait jamais été soumis. Ainsi, toutes les actions de la première requérante dans lesquelles elle contestait l'interprétation dudit code par les autorités douanières ont été rejetées par les décisions judiciaires dûment motivées et réagissant à toutes les objections de l'intéressée. Dans le cas de la seconde requérante, il est vrai que les premiers jugements lui ont donné raison et qu'elle a ainsi obtenu l'annulation de certaines décisions rendues par les autorités douanières ; néanmoins, là aussi, les tribunaux ont dûment et précisément motivé leurs opinions sur l'interprétation de la garantie globale. Le rejet de ses autres actions est intervenu après le 23 janvier 2001, date de la décision du plénum de la Cour constitutionnelle, dans laquelle celui-ci a fourni une interprétation du code des douanes conforme à la Constitution et entériné le refus des arguments de la requérante. Selon le Gouvernement, l'on ne saurait prendre pour arbitraire une simple différence d'opinions sur l'interprétation du droit interne, d'autant plus que ces divergences ont disparu à la suite de la décision du plénum ayant une fonction d'unification de la jurisprudence.
Pour ce qui est de la motivation insuffisante des décisions de la Cour constitutionnelle, le Gouvernement rappelle que les recours constitutionnels introduits par les requérantes, considérés comme manifestement mal fondés, étaient tous identiques ce qui a amené la cour à adopter une approche globale ; c'est donc à la lumière de ces faits qu'il faut apprécier le caractère et le contenu des décisions litigieuses. Malgré la concision des motifs énoncés, il ne fait pas de doute que la Cour constitutionnelle a effectivement réexaminé le fond des recours qui lui étaient soumis ; à cet égard, il convient de noter l'importance de la décision du plénum qui a, dans le but de maintenir l'uniformité de la jurisprudence, examiné la constitutionnalité de l'interprétation fournie par les tribunaux inférieurs. Dans ces conditions, le Gouvernement considère que la motivation des décisions de la Cour constitutionnelle répond aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.
2.2. Pour leur part, les requérantes estiment que l'on ne saurait assimiler leurs affaires à celle de M. Ferrazzini, citée par le Gouvernement, car, d'une part, elles n'ont jamais contesté le droit qu'a l'Etat de prélever les impôts ou les droits de douane et, d'autre part, leur devoir de paiement ne peut pas être considéré comme une obligation de s'acquitter de l'impôt ou des droits de douane. En l'occurrence, l'obligation de paiement résultait d'un instrument contractuel garantissant à l'Etat qu'une tierce personne paiera les droits de douane ; il s'agissait donc d'une obligation contractée par les requérantes, qu'elles avaient acceptée de leur gré dans le cadre de leur activité commerciale. Les requérantes elles-mêmes n'ont donc jamais eu la qualité de « redevable douanier », réservée aux sociétés auxquelles elles avaient offert la garantie. En sus, l'objet de leurs requêtes n'est pas de contester l'obligation d'assumer les engagements résultant du cautionnement mais porte sur l'interprétation et l'application faite par les autorités nationales de la garantie douanière globale, lesquelles ont eu des répercussions sur la position juridique des requérantes. Dans ces conditions, les requérantes soutiennent que l'article 6 § 1 de la Convention trouve à s'appliquer en l'espèce.
Quant au bien-fondé de la requête, les requérantes s'attaquent d'abord à la conduite de la Cour constitutionnelle qui a rejeté leurs recours sans tenir d'audience (bien qu'elles se soient exprimées en faveur de celle-ci) et avec une motivation insuffisante et contradictoire. Selon les intéressées, les circonstances de l'espèce et les opinions divergentes des autorités saisies démontrent que leurs causes n'ont pas été « manifestement – c'est-à-dire au premier regard – mal fondées », d'autant plus que l'interprétation qu'elles avaient soutenue était rationnelle, logique et légitime. Les requérantes affirment que la Cour constitutionnelle n'a pas répondu à leurs arguments essentiels ni examiné la constitutionnalité de la démarche des autorités inférieures ; elle n'a notamment pas expliqué pour quelle raison il n'est pas contraire à la Constitution si l'interprétation d'une norme équivoque de droit public se fait au détriment du particulier concerné.
Par ailleurs, les intéressées expriment leur désaccord avec la démarche du plénum de la Cour constitutionnelle qui se serait saisi d'un recours introduit par la première requérante après que celui-ci a déjà été attribué à une chambre et sans notifier cette décision à la requérante ; puis, la décision du plénum datée du 23 janvier 2001 a de nouveau été rendue en l'absence de l'intéressée. Etant donné qu'il s'agissait d'une simple « décision » de rejet, et pas d'un « arrêt », les requérantes soutiennent que celle-ci n'était pas obligatoire et que les opinions y exprimées ne liaient pas les tribunaux inférieurs qui, pourtant, ont rejeté toutes leurs actions suivantes en se référant à l'avis de la Cour constitutionnelle.
Les requérantes soutiennent enfin que la loi qui prévoit une ingérence dans les droits fondamentaux doit être précise, univoque et prévisible ; cependant, la loi interne applicable en l'espèce ne satisferait pas à ces exigences et son interprétation prêterait à confusion. En l'occurrence, la divergence d'interprétation n'a pas été un fait exceptionnel car les autorités douanières et les tribunaux rendaient « systématiquement » des décisions différentes, dont la moitié ont donné raison aux requérantes.
2.3. L'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention étant un point disputé par les parties, il incombe à la Cour de rechercher si les faits de l'espèce se situent dans le champ d'application de cette disposition. A cet égard, la Cour note que les présentes affaires soulèvent un problème relatif à la réglementation des « droits de douane », considérés par la doctrine juridique comme étant les « impôts » assis sur les marchandises importées, dans le but principalement de protéger les producteurs nationaux. Quant à l'arrêt Ferrazzini c. Italie cité par le Gouvernement, il énonce dans son paragraphe 29 que « la matière fiscale ressortit encore au noyau dur des prérogatives de la puissance publique, le caractère public du rapport entre le contribuable et la collectivité restant prédominant », et dispose que le contentieux fiscal échappe au champ d'application de l'article 6 de la Convention.
La Cour estime cependant qu'il y a lieu de distinguer la situation de l'espèce de celle faisant l'objet de l'affaire précitée. En l'occurrence, les décisions sur le paiement des dettes douanières rendues à l'encontre des requérantes n'ont pas eu pour conséquence le transfert à celles-ci d'une obligation « fiscale » proprement dite, mais plutôt d'une obligation d'acquittement. En effet, les requérantes, n'ayant pas la qualité de redevables car n'étant pas auteurs des déclarations douanières, ne participaient à la procédure qu'au titre d'un rapport secondaire de cautionnement.
Dans ces circonstances, la Cour considère que les procédures litigieuses, portant sur le contenu des lettres de garantie contractées entre les requérantes, sociétés de droit privé, et les sociétés importatrices de marchandises, avaient trait à une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil » ; dès lors, l'article 6 § 1 de la Convention est applicable et il y a lieu de rejeter l'exception tirée par le Gouvernement de l'incompatibilité ratione materiae du grief.
2.4. Quant au bien-fondé de la requête, la Cour examinera successivement les différents griefs tirés de la publicité et de l'équité des procédures suivies en l'espèce.
2.4.1. Pour ce qui est de l'absence d'audience devant les tribunaux régionaux, elle note que les requérantes ne se sont pas prononcées sur ce point dans leurs observations et n'ont donc pas réfuté l'argument du Gouvernement tiré de l'article 250f du code de procédure civile, auquel les jugements desdits tribunaux font une référence explicite.
En tout état de cause, la Cour observe que les requérantes n'ont pas soulevé ce grief dans leurs recours introduits devant la Cour constitutionnelle.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2.4.2. Les requérantes se plaignent également du manque de publicité devant la Cour constitutionnelle qui a rendu ses décisions en leur absence et sans tenir d'audience.
La Cour estime toutefois que, limitées à l'examen de questions de constitutionnalité, les procédures devant cette juridiction n'impliquaient pas une appréciation directe et entière des droits des requérantes. La Cour a déjà eu l'occasion de dire dans les affaires tchèques (voir Houfová c. République tchèque (déc.), nos 58177/00 et 58178/00, 1er juillet 2003, et, a contrario, Malhous c. République tchèque [GC], no 33071/96, § 62, 12 juillet 2001) que l'absence d'audience devant la Cour constitutionnelle peut être compensée par les audiences publiques tenues au stade déterminant de la procédure auquel il est statué sur le bien-fondé de la demande de l'intéressé. Il résulte de l'allégation du Gouvernement défendeur, non réfutée par les requérantes, que les différents tribunaux régionaux, saisis par les intéressées de nombreuses actions identiques, ont chacun tenu au moins une audience à laquelle les parties ont pu présenter leurs arguments valables pour l'ensemble du litige.
A la lumière de ces circonstances, ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.4.3. En ce qui concerne les objections des requérantes se rapportant à la conduite du plénum de la Cour constitutionnelle, la Cour relève que celles-ci apparaissent pour la première fois dans les observations des requérantes soumises 1er juin 2004, tandis que la décision du plénum date du 23 janvier 2001.
Il s'ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2.4.4. Le grief des requérantes concernant l'iniquité de la procédure se fonde notamment sur l'allégation que les dispositions pertinentes du code des douanes n'étaient pas suffisamment claires et permettaient ainsi des interprétations divergentes ; or, celle retenue finalement par toutes les autorités nationales, extensive et disproportionnée, porte selon les intéressées atteinte à leurs droits fondamentaux.
La Cour rappelle d'abord que l'interprétation de la législation interne incombe au premier chef aux autorités nationales et qu'il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, entre autres, Perez c. France [GC], no 47287/99, § 82, CEDH 2004). Par ailleurs, si le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu'elles estiment pertinentes pour leur affaire, il ne garantit pas aux plaideurs une issue favorable (Andronicou et Constantinou c. Chypre, arrêt du 9 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI, § 201).
Dans le cas d'espèce, les juridictions nationales se sont livrées à une interprétation du droit interne, s'appuyant sur des éléments logiques, grammaticaux et téléologiques qu'elles ont explicités dans leurs décisions. Il semble par ailleurs qu'il n'existât pas de jurisprudence en la matière puisque, selon le Gouvernement, les tribunaux n'ont jamais été confrontés à un cas similaire. Ainsi, les tribunaux ont rempli le rôle qui leur est conféré dans un Etat de droit et, ce faisant, ils n'ont pas, selon les conclusions de la Cour constitutionnelle que la Cour ne saurait mettre en cause, dépassé le cadre de leur pouvoir d'appréciation délimité par l'ordre constitutionnel. Dans la mesure où les requérantes n'ont pas été privées de la possibilité de défendre leurs causes et où les décisions des tribunaux régionaux exposent avec suffisamment de précision les motifs sur lesquels elles se fondent, la Cour n'y décèle aucun élément d'arbitraire susceptible d'engendrer une atteinte au droit à un procès équitable. En ce qui concerne les divergences d'opinions dénoncées par les requérantes, la Cour note que de telles divergences constituent, par nature, la conséquence inhérente à tout système judiciaire qui repose sur un ensemble de juridictions du fond ayant autorité sur leur ressort territorial (voir, mutatis mutandis, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 59, CEDH 1999‑VII). De surcroît, l'on ne saurait dire que l'Etat n'a pas assumé son obligation de réagir avec la plus grande cohérence en vue de garantir la sécurité juridique, dans la mesure où la question soulevée par les requérantes a été examinée par le plénum de la Cour constitutionnelle avec l'intention de régler les contradictions de jurisprudence. Force est de constater que, depuis l'adoption de cette décision, tous les tribunaux se sont ralliés aux opinions dudit plénum, sans que leurs décisions définitives antérieures soient remises en cause (voir, a contrario, Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 61, CEDH 1999‑VII) et sans que les requérantes se retrouvent donc dans un état d'insécurité juridique.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.4.5. Les requérantes se plaignent enfin que la Cour constitutionnelle n'ait pas suffisamment motivé ses décisions et n'ait pas indiqué pour quelle raison elle avait écarté leur thèse.
La Cour rappelle que l'article 6 § 1 implique notamment, à la charge du tribunal interne, l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre. Cette disposition contraint les tribunaux à motiver leurs décisions de manière adéquate, mais elle ne saurait se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument avancé. La portée de l'obligation de motiver une décision peut varier selon la nature de celle-ci. De plus, il faut tenir compte notamment de la diversité des arguments qu'un plaideur est amené à soumettre à un tribunal ainsi que des différences qui existent au sein des Etats contractants s'agissant des dispositions légales, des règles coutumières, des avis juridiques et de la présentation et de la rédaction des jugements. La question de savoir si un tribunal a failli à l'obligation de motiver sa décision ne peut donc être tranchée qu'en fonction des circonstances de chaque affaire (voir Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 72, CEDH 2002‑IV).
En l'espèce, la Cour souscrit aux arguments du Gouvernement qui note que les recours constitutionnels introduits par les requérantes étaient tous identiques et exigeaient donc de la part de la Cour constitutionnelle la même approche, ce qui explique la concision de certaines de ses décisions, notamment de celles qui ont été rendues après la décision du plénum et qui font référence à celle-ci. Selon la Cour, rien ne montre que la juridiction constitutionnelle ait arbitrairement omis de tenir compte des arguments avancés par les requérantes en ce qui concerne l'interprétation du droit interne. Dans ces conditions, la Cour estime qu'il a été satisfait à l'exigence implicite de l'article 6 § 1 selon laquelle le tribunal doit suffisamment motiver ses décisions.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. En second lieu, les requérantes affirment que les décisions leur enjoignant des obligations de paiement se basaient sur une législation permettant plus d'une interprétation, celle défavorable à leurs intérêts ayant été retenue par les autorités, et portaient une atteinte disproportionnée à leur droit au respect des biens, garanti par l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
3.1. Admettant que l'obligation de payer les droits de douane constitue une ingérence dans le droit garanti par le premier paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement rappelle que celle-ci se trouve justifiée par son deuxième paragraphe. Selon lui, cette ingérence était prévue par la loi, en l'occurrence le code des douanes et son règlement d'application. Les requérantes ont tort si elles allèguent que les autorités avaient en l'espèce appliqué le règlement qui n'était pas encore en vigueur au moment des faits ou qu'elles leur avaient prescrit une obligation sortant du cadre légal. En effet, les conclusions des tribunaux sont claires et conformes à la législation applicable à l'époque. Si les requérantes s'attaquent à la prévisibilité de la loi, le Gouvernement rappelle que cette exigence est remplie même si les personnes concernées doivent s'entourer de conseils éclairés pour prévoir les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (voir Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 316‑B, § 37). Ceci est particulièrement vrai s'il s'agit d'une activité professionnelle exigeant une certaine prudence ainsi qu'une évaluation diligente d'un risque d'entreprise. En l'espèce, les requérantes ont établi les lettres de garantie dans l'année où l'amendement au règlement contenant les modèles de ces lettres est entré en vigueur ; de plus, il n'existait à l'époque aucune jurisprudence relative à l'interprétation de la garantie globale, les cas des requérantes ayant été les seuls jamais soumis aux tribunaux. Néanmoins, les autorités douanières en ont dès le début donné une interprétation cohérente qui a ensuite été entérinée par les tribunaux. Le Gouvernement note par ailleurs qu'une disposition légale ne se heurte pas à l'exigence qu'implique la notion « prévue par la loi » du simple fait qu'elle se prête à plus d'une interprétation (voir Vogt c. Allemagne, arrêt du 26 septembre 1995, série A no 323, § 48). Il incombait donc aux requérantes, institutions financières, de se renseigner sur la pratique des autorités douanières et d'évaluer le risque que représentait pour elles l'acceptation du cautionnement.
Les buts principaux de l'ingérence, à savoir de prélever les droits de douane et d'empêcher les évasions fiscales, étaient selon le Gouvernement entièrement légitimes et reflétaient les exigences d'intérêt public.
Quant à la proportionnalité de l'ingérence, le Gouvernement rappelle que c'est aux autorités nationales de décider du type d'impôts ou de contributions qu'il convient de lever et qu'elles disposent à cette fin d'un large pouvoir d'appréciation. En l'espèce, il faut selon le Gouvernement tenir compte de la question de savoir dans quelle mesure les requérantes ont su évaluer le risque d'entreprise et dans quelle mesure leur situation financière se trouvait atteinte du fait des obligations prescrites par les décisions litigieuses. A cet égard, il fait valoir que l'un des contrats conclus entre la seconde requérante et la société C. portait sur des obligations s'élevant à 1 800 millions de CZK. Dans ces circonstances, et compte tenu de l'importance des buts poursuivis, le Gouvernement considère que l'ingérence litigieuse n'était pas disproportionnée.
3.2. Les requérantes combattent cette thèse. Elles font valoir d'abord qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'une obligation de s'acquitter des impôts ou des droits de douane au sens du second paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1, mais d'une obligation financière résultant d'un instrument de cautionnement contractuel.
Selon elles, la garantie douanière globale n'est déterminée que très brièvement par deux dispositions du code des douanes, ce qui rend nécessaire l'application, per analogiam juris, des dispositions générales du droit privé concernant le cautionnement, notamment pour ce qui est des relations entre le garant et le débiteur. Eu égard à ces lacunes dans le code des douanes, les intéressées insistent pour dire que la somme figurant dans la lettre de garantie, déjà suffisamment élevée, correspond au montant maximum de la dette globale cautionnée, qu'elle provienne d'une ou de plusieurs opérations. Cette interprétation résulterait d'un jugement responsable que les requérantes ont porté sur les lettres de garantie et ne serait pas illogique, comme le montrent les avis de certaines autorités qui l'ont accueillie. A cet égard, les requérantes rappellent qu'avant la décision du plénum de la Cour constitutionnelle, leur argumentation avait été entérinée par de nombreuses autorités. En revanche, l'interprétation défendue par le Gouvernement, selon laquelle le cautionnement couvre un montant illimité et imprévisible, serait absurde et inacceptable. De surcroît, l'unification de la pratique avancée par le Gouvernement n'est intervenue qu'a posteriori et seulement sur instruction du ministère des Finances.
Les requérantes soutiennent que toute loi réglementant l'usage des biens doit être claire et univoque de façon à empêcher les pouvoirs publics de recourir à l'arbitraire, comme ce fut le cas d'espèce où les autorités ont choisi, sans justification raisonnable, celle de deux interprétations possibles qui était favorable à l'Etat. Ces imprécisions se reflètent selon elles également dans la décision du plénum de la Cour constitutionnelle qui énonce que « si le montant des droits de douane n'atteint pas celui de la garantie globale, la somme restante qui n'a pas été utilisée ne peut pas être transférée pour garantir partiellement une autre opération d'importation mais une nouvelle garantie indépendante doit être établie pour une nouvelle importation individuelle ». Les requérantes réitèrent que toute obligation fiscale doit se fonder sur une application précise des normes légales et non sur un pouvoir discrétionnaire des autorités ; puis, si deux interprétations sont possibles, les organes doivent suivre celle qui ne porte pas atteinte aux droits constitutionnels de la personne concernée. En effet, toute insécurité juridique entraîne une perte de crédibilité dont devrait jouir l'Etat de droit, et constitue en même temps un obstacle à l'activité civique.
Les requérantes soutiennent donc que l'ingérence dans leurs droits a été illégale et disproportionnée.
3.3. Rappelant que certains droits et intérêts constituant des actifs peuvent passer pour des « biens » aux fins de l'article 1 du Protocole no 1, la Cour estime que, dans le cas d'espèce, l'obligation de s'acquitter, avec les moyens financiers acquis antérieurement, des nombreuses dettes des redevables respectifs constituait une « ingérence » dans le droit que garantit aux requérantes le premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1. Au vu de la complexité des circonstances de l'espèce et compte tenu de la nature spécifique de l'obligation financière imposée aux requérantes, la Cour estime qu'il est difficile de classer ces affaires dans une catégorie précise de l'article 1 du Protocole no 1. Dès lors, elle considère qu'il est nécessaire d'examiner la situation dénoncée à la lumière de la norme générale de cet article.
Pour être compatible avec la norme générale énoncée à la première phrase de l'article 1, une ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. En outre, la nécessité d'examiner la question du juste équilibre ne peut se faire sentir que lorsqu'il s'est avéré que l'ingérence litigieuse a respecté le principe de la légalité et n'était pas arbitraire (voir Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000‑I).
La Cour réaffirme qu'elle jouit d'une compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne et qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne (voir Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I). Pour ce qui est du droit garanti par l'article 1 du Protocole no 1, des obligations positives résultant pour l'Etat de l'article 1 de la Convention peuvent impliquer certaines mesures nécessaires pour protéger le droit de propriété, même dans les cas où il s'agit d'un litige entre des personnes physiques ou morales. Cela implique notamment pour l'Etat l'obligation de prévoir une procédure judiciaire qui soit entourée des garanties de procédure nécessaires et qui permette ainsi aux tribunaux nationaux de trancher efficacement et équitablement tout litige éventuel entre particuliers (voir Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 96, CEDH 2002‑VII).
En l'espèce, la Cour ne saurait mettre en question les résultats auxquels sont parvenues les juridictions tchèques, d'autant plus qu'aucun élément du dossier ne lui permet de conclure, comme il a été dit ci-dessus, qu'elles aient fait une application manifestement erronée, ou aboutissant à des conclusions arbitraires, des dispositions légales en cause. Le seul fait que la loi applicable se prêtait à plus d'une interprétation ne saurait à lui seul conduire à la conclusion que l'ingérence en cause était imprévisible ou arbitraire et par conséquent incompatible avec le principe de légalité.
La question essentielle est de savoir si, par suite des décisions contestées en l'espèce par les requérantes, celles-ci ont subi une charge spéciale et exorbitante. A cet égard, la Cour considère que le système de garantie douanière, tendant à assurer le prélèvement des droits de douane et à combattre les évasions, poursuit un but légitime dans le cadre de la politique budgétaire d'un pays et rappelle, à ce propos, que les autorités nationales jouissent d'une certaine marge de discrétion dans l'appréciation ce qui constitue l'intérêt général de la communauté (voir, mutatis mutandis, Beyeler c. Italie, précité, § 112). Dans ce contexte, il faut laisser aux Etats une large marge de manœuvre afin qu'ils puissent garantir que les créances fiscales soient recouvrées de manière aussi efficace que possible.
La Cour observe en l'occurrence que le système de la garantie globale fait effectivement peser sur les requérantes une charge importante. Elle note cependant qu'il s'agit des engagements que les intéressées ont contractés de leur plein gré dans l'exercice de leurs activités professionnelles, et que celles-ci se sont vues offrir, dans le cadre des procédures litigieuses, une occasion adéquate d'exposer leur cause aux autorités compétentes. De surcroît, les requérantes n'ont pas démontré en quoi elles auraient subi une charge « exorbitante » ; il semble d'ailleurs qu'à la différence des sociétés C.G. et C. qui ont fait faillite, elles ne se soient pas trouvées dépouillées et qu'elles continuent leurs activités.
Compte tenu de ce qui précède, ainsi que de la marge d'appréciation des Etats en la matière, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, il a été satisfait à l'exigence de proportionnalité de l'ingérence.
Partant, ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Décide de joindre les requêtes enregistrées sous les nos 55631/00 et 55728/00;
Déclare les requêtes irrecevables.