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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 9 octobre 2025, n° 24/00911

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

L'atelier 210 (SARL)

Défendeur :

Max's Exterieur (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Soreau

Avocats :

Me Masse, Me Navarro, Me Tany

T. com. Arras, du 24 janv. 2024, n° 2022…

24 janvier 2024

FAITS ET PROCEDURE

La société Max's extérieur (la société Max), qui exploite un salon de coiffure [[sous l'enseigne «Chic & Choc'»]] à [Localité 3], a employé notamment deux personnes': M. [M], libre de tout engagement en octobre 2018 et dont la clause de non-concurrence a été levée à la suite de sa démission, et Mme [V], qui, bénéficiant depuis le 20 janvier 2017 d'un contrat à durée indéterminée assorti d'une clause de non-concurrence, a démissionné le 6 octobre 2018.

La société L'atelier 210, constituée en juin 2018 par M. [M] et immatriculée le 22 octobre 2018, s'est installée à quelques centaines de mètres du salon exploité par la société Max.

Par constat de commissaire de justice établi le 31 décembre 2018, la société Max a fait constater que Mme [V] avait rejoint ce salon.

La société Max a fermé son salon de coiffure.

La société Max a engagé, d'une part, une action prud'homale à l'encontre de Mme [V], d'autre part, par assignation du 26 janvier 2022 à l'encontre de la société L'atelier 210, une action en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce d'Arras.

Par jugement du 24 janvier 2024, ce tribunal a':

- jugé que la société Max était recevable et bien fondée partiellement en ses demandes';

- débouté la société L'atelier 210 de l'ensemble de ses demandes';

- condamné la société L'atelier 210 à verser à la société Max la somme de 40'000 euros à titre de perte de chance de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce';

- condamné la société L'atelier 210 à verser à la société Ma la somme de 7'500 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi';

- condamné la société L'atelier 210 à verser à la société Max la somme de 5'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamné la société L'atelier 210 aux entiers dépens, en ce compris les frais d'assignation et de greffe';

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 26 février 2024, la société L'atelier 210 a interjeté appel de la décision entreprise.

PRÉTENTIONS

Par conclusions signifiées par voie électronique le 25 octobre 2024, la société L'atelier 210 demande à la cour de':

- réformer le jugement entrepris';

- et statuant à nouveau,

- débouter la société Max de l'ensemble de ses demandes';

- condamner la société Max à lui payer la somme de 5'000 euros';

- condamner la société Max aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

La société L'atelier 210 conclut à l'absence de démonstration d'une faute qui lui serait imputable, le jugement entrepris étant particulièrement lapidaire sur ce point.

Elle soutient que':

- aucune déloyauté de sa part n'est établie à l'encontre de la société Max';

- il n'est pas justifié qu'elle ait eu connaissance de la clause de non-concurrence liant Mme [V] à la société Max';

- aucun acte de concurrence déloyal ne peut lui être reproché, dès lors que la clause de non-concurrence qui s'imposait à Mme [V] est nulle (montant dérisoire et imprécision des fonctions susceptibles de concurrencer l'employeur).

Elle estime que le préjudice subi par la société Max n'est pas démontré et que les préjudices retenus par les premiers juges ne sont pas justifiés. Elle indique que la société Max a déjà obtenu la réparation de son préjudice tenant au non-respect de la clause de non-concurrence, par l'obtention d'une condamnation de sa salariée par le conseil des prud'hommes au titre de la clause pénale.

Elle conteste le préjudice retenu au titre de la perte de chance, aucun élément n'étant apporté sur la valeur de son fonds de commerce et l'opacité de la société Max sur son préjudice ne permettant pas de savoir si les attestations produites valent pour son établissement, ou un établissement détenu par la société Chic choc Nord, également à [Localité 3], mais qui est distinct de celui où était engagé Mme [V].

Elle ajoute d'ailleurs que la société Max n'apporte aucun élément sur le transfert de sa clientèle vers le salon de sa société s'ur, vers lequel elle avait dirigé pourtant sa clientèle.

Elle nie tout préjudice moral, aucun élément de quelconque nature n'étant avancé pour l'objectiver.

Elle estime que le lien de causalité n'est pas plus démontré, soulignant que le choix de fermer le salon de [Localité 3] est à chercher notamment dans la désaffection des clients pour ce dernier, les changements multiples et incohérents de politique commerciale et de marketing, une érosion continue d'activité, lesquels ne peuvent lui être imputés.

Elle fait valoir que Mme [V] n'était pas la clef de voûte du salon et que son départ ne pouvait être de nature à entraîner un effondrement du chiffre d'affaires et, par la suite, une fuite de la clientèle à son profit et au détriment de la société Max.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 31 juillet 2024, la société Max demande à la cour de':

- déclarer la société L'atelier 2010 infondée en son appel';

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Max et octroyé une indemnité procédurale';

Y ajoutant, faire droit à son appel incident et statuant de nouveau,

- condamner la société L'atelier à lui verser la somme de 50'000 euros à titre de perte de chance de poursuite d'exploitation de son fonds de commerce';

- assortir les sommes dues, en principal, des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2021, date de mise en demeure';

- condamner la société L'atelier 210 à lui verser la somme de 15'000 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi';

- subsidiairement':

- confirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions';

- en tout état de cause':

- débouter la société L'atelier 210 de l'ensemble de ses demandes';

- condamner la société L'atelier 210 à lui verser la somme de 5'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en cause d'appel';

- condamner la société L'atelier 210 aux entiers dépens en cause d'appel, dont distraction au profit de Me Navarro sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Max rappelle que':

- pendant qu'il était encore salarié, certes dispensé du préavis et de la clause de non-concurrence au titre de son contrat à durée indéterminée, mais employé dans le cadre de contrat à durée déterminée, M. [M] a manqué à son obligation de loyauté prévue par le contrat de travail, celui-ci dissimulant la création d'une entreprise concurrente, fixée à moins de 600 mètres de son local à elle, société Max';

- M. [M] a d'ailleurs embauché une ancienne collègue au sein de son salon de coiffure, la preuve de la violation de l'obligation de non-concurrence étant apportée par le procès-verbal du commissaire de justice dressé le 31 décembre 2018';

- les actes de concurrence déloyale ont eu pour effet d'entraîner une chute de la fréquentation de son salon de coiffure, puis la fermeture de ce salon';

- la société L'atelier a même fait l'aveu judiciaire de ce que son dirigeant connaissait l'existence de la clause de non-concurrence de Mme [V], quand bien même désormais elle tente de «'rouvrir devant la cour le procès en violation de l'obligation de non-concurrence de Mme [V]'»'; la décision rendue dans le litige prud'homal opposant Mme [V] et elle-même, société Max, démontre la validité de la clause de non-concurrence et s'impose.

Elle ajoute, au titre des actes de concurrence déloyale, que «'les pièces versées aux débats mettent en évidence toute une organisation mise en place par M. [M] en vue de constituer la société L'atelier 210 en s'appuyant sur un véritable parasitisme commercial'», l'embauche de Mme [V] devant au surplus permettre à cette société d'obtenir un transfert de la clientèle de son salon à elle, société Max.

Elle détaille son préjudice, constitué par la perte de chance de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce. D'une part, la chronologie des faits démontre bien que l'évolution négative des chiffres réalisés relatifs à son établissement est concomitante aux actes de concurrence déloyale commis, d'autre part, la coexistence de deux salons, l'un détenu par elle-même et l'autre détenu par la société Chic et choc nord n'a jamais eu d'impact négatif sur les activités de l'une ou l'autre des sociétés. La production, par la société L'atelier 210, d'attestations de clients ne démontre en rien que la qualité des prestations au sein de son salon serait en cause, mais prouve au contraire que la société L'atelier 210 a su capter sa clientèle.

Elle ajoute que le seul fait que son établissement ait pu voir son chiffre d'affaires diminuer n'autorisait pas la société L'atelier 210 à commettre des actes de concurrence déloyale.

Elle estime que son préjudice moral ne saurait être critiqué.

MOTIVATION

En droit, le principe de la liberté du travail et celui de la liberté de la concurrence impliquent la liberté pour tout employeur de débaucher des salariés appartenant à une entreprise concurrente et le débauchage du personnel de l'entreprise concurrente n'est pas en soi fautif. Ils ne le deviennent qu'en présence de man'uvres déloyales.

Néanmoins, à l'expiration du contrat de travail, une clause de non-concurrence peut prendre le relais de l'obligation de loyauté, qui interdit au salarié d'accomplir un acte de concurrence à l'égard de l'employeur que ce soit pour son compte ou pour le compte d'un tiers.

Cette clause par laquelle le salarié s'engage alors à ne pas exercer, pendant un certain délai, une activité semblable à celle de son employeur, pour son propre compte ou celui d'un autre employeur, commence à produire ses effets dès le départ effectif de l'entreprise, à savoir le lendemain de la date d'expiration du préavis ou, en cas de dispense de préavis, dès ce départ.

La responsabilité de l'employeur pour complicité de la violation d'une obligation contractuelle de non-concurrence pesant sur le salarié embauché par lui, qui constitue un acte de concurrence déloyale, peut être recherchée sur le fondement de l'article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil.

Le succès de l'action de l'ancien employeur à l'encontre du nouvel employeur est, outre la nécessité de rapporter la preuve d'un dommage, subordonné à la condition de l'existence d'une faute caractérisée par trois circonstances': l'applicabilité de la clause de non-concurrence, la violation de celle-ci par le salarié et la connaissance que le nouvel employeur avait de la clause.

La charge de la preuve de la connaissance par le nouvel employeur de l'existence de la clause de non-concurrence dont la violation est alléguée pèse sur celui qui se prévaut de cette clause (Com., 18 déc. 2001, n° 00-10.978, publié).

La seule connaissance, par le tiers, de l'existence de la clause suffit à engager sa responsabilité civile délictuelle, peu important le moment où cette connaissance intervient (Com. 5 févr. 1991, n° 88-18400, publié ; Com. 12 oct. 2010, n° 09-67407 ; Com. 16 févr. 2016, n° 13-27430).

Il n'est nul besoin d'établir l'existence de man'uvres dolosives et la similitude des clientèles (Com., 22 fév. 2000, n 97-18.728). Il est également indifférent que le tiers n'ait pas incité le débiteur à violer son engagement de non-concurrence (Com. 13 mars 1979, n° 77-13518, publié), ou qu'il existe un faible degré de concurrence entre les ancien et nouvel employeurs (Com. 1er juin 2022, précité).

La preuve de la connaissance de la clause de non-concurrence par l'employeur peut être apportée par tout moyen, s'agissant d'un fait juridique.

Il est également admis que, si le marché professionnel dans lequel le nouvel employeur recrute le salarié est étroit ou si l'usage professionnel est d'imposer une telle clause, l'employeur est fautif pour avoir négligé de vérifier la situation de ce salarié (Com., 7 février 1995, n° 93-14.569';Com., 14 oct. 2020, n° 18-20.922 ; Com., 18 déc. 2001, n° 00-10.978, publié).

A la suite d'une embauche par un nouvel employeur d'un ancien salarié soumis à un engagement de non-concurrence, deux actions distinctes peuvent être introduites voir le jour': l'une relative à l'application de la clause de non-concurrence entre l'ancien employeur et son ancien salarié, l'autre, au titre de la concurrence déloyale, entre les ancien et nouvel employeurs, en vue de rechercher la responsabilité de ce dernier pour complicité dans la violation de la clause de non-concurrence. Ces deux actions relèvent de la compétence de juridictions différentes, à savoir le conseil de prud'hommes, exclusivement compétent, en vertu de l'article L. 1411-1 du code du travail, pour la première, et le tribunal de commerce pour l'action en concurrence déloyal, s'agissant d'une action concernant deux commerçants, en application des dispositions de l'article L. 721-3 du code de commerce.

La juridiction commerciale peut dès lors être saisie dans le cadre du litige de concurrence déloyale d'un moyen de défense visant à critiquer la clause de non-concurrence (Com., 20 mai 2003, n° 01-11.212).

Pour décider qu'une société avait commis une faute, le juge ne peut retenir « que l'embauche de deux représentants tenus par une clause de non-concurrence constitue un acte de concurrence déloyale », « sans rechercher, comme il lui était demandé, si la clause litigieuse n'était pas nulle » (Com. 20 mai 2003 n°01-11.212).

Si la juridiction prud'homale est saisie de la contestation de la validité de la clause, le juge de l'action en concurrence déloyale doit attendre le résultat de ce litige (Com., 8 avril 2008, n 07-11.821; Com. 14 mai 2013 n°12-19.351). Il n'en va pas de même pour le juge des référés commercial (Com., 9 juin 2021, n° 19-14.485).

En revanche, lorsque la juridiction prud'homale n'est pas saisie, il appartient à la juridiction commerciale de statuer sur la validité ou la nullité de la clause et sur la violation, par le salarié concerné, de son obligation de non-concurrence (Com. 14 mai 2013, n° 12-19.351, publié).

La Cour de cassation a estimé qu'une cour d'appel, qui avait vérifié l'existence et la portée d'une clause de non-concurrence invoquée, n'était pas tenue d'effectuer la recherche inopérante concernant l'illicéité de cette clause, en l'état d'un jugement devenu irrévocable, par lequel un conseil des prud'hommes avait jugé'licite'la'clause de non-concurrence'litigieuse insérée dans le contrat de travail du salarié (Com., 14 oct. 2020, n° 18-20.922).

Sur la validité de la clause de non-concurrence souscrite par un salarié, il convient de rappeler que cette clause n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, est limitée dans le temps et dans l'espace, tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives (Soc., 6 mai 2025, n° 23-14.978).

Enfin, le préjudice causé par le tiers complice de la violation d'une clause de non-concurrence est distinct de celui né de cette violation (Com. 3 juill. 1990, n° 89-15186), permettant de cumuler une action délictuelle à l'égard du tiers complice et une action en responsabilité contractuelle à l'égard du débiteur de la clause (Com. 29 oct. 2003, n° 01-02983 ; Com. 24 mars 1998, n° 96-15694, publié). Ainsi, la condamnation de l'auteur principal de la violation d'une clause de non-concurrence ne dispense pas le complice de ces agissements de l'obligation de réparer les préjudices en résultant, au besoin in solidum (Com. 17 janv. 2018, n° 16-20421).

En outre, il est jugé qu'un préjudice, fût-il seulement moral, s'infère nécessairement de la participation fautive à la violation d'une clause de non-concurrence (Com., 22 mars 2023, n° 21-24.974).

En l'espèce, la société Max reproche à la société L'atelier 210, créée par M. [M], son ancien salarié, de commettre des actes de concurrence déloyale, étant observé qu'il n'est ni discuté ni contesté que les deux sociétés, qui exploitent toutes deux des activités de coiffure, sur le secteur de [Localité 3], à une distance de 600'mètres l'une de l'autre, exercent une même activité sur un même secteur et à destination d'un même segment de clientèle. Ces éléments sont, de toute évidence, de nature à caractériser l'existence d'une situation de concurrence entre les deux sociétés.

En premier lieu, il doit être noté que dans ses écritures, en vue de caractériser les faits de de concurrence reprochés, la société Max invoque pêle-mêle diverses notions, telles que la création d'une entreprise concurrente par un ancien salarié, le parasitisme ou encore la captation de clientèle, sans prendre garde qu'en la matière, ces notions recouvrent des réalités spécifiques.

Ainsi, ce n'est que dans un sens commun, bien distinct de celui ayant cours en matière d'actes illicites et de concurrence déloyale, qu'est évoqué par la société Max le fait que la société L'atelier 2010 constitue «'une entreprise parasitant [son] établissement'», avec une organisation mise en place par M. [M] et [d]es statagèmes afin d'organiser la création de l'entreprise par devers [elle]. En effet, il ne ressort pas de ces éléments, épars, la caractérisation de faits relevant de la notion de parasitisme, laquelle est une forme de déloyauté qui, pour un opérateur économique, consiste à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com. 27 juin 1995, n° 93-18601, publié ; Com. 10 juill. 2018, n° 16-23694, publié ; Com. 16 févr. 2022, n° 20-13542).

D'ailleurs, dans ces conclusions, il n'est ni identifié de valeur économique individualisée ni démontré de volonté de se placer dans le sillage de la société Max, qui se dit victime d'actes de concurrence déloyale.

En outre s'il est évoqué, dans les conclusions de la société Max, «'une captation de clientèle'», ce fait est essentiellement invoqué comme la conséquence, d'une part, de la collusion frauduleuse pouvant exister entre son ancienne salariée et la société L'atelier 210, d'autre part, du non-respect de l'obligation de loyauté et de non-concurrence, et non comme une faute autonome, étant rappelé que le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal (v. par ex. : Com. 19 mars 2013, n° 12-16936 ; Com. 28 sept. 2022, n° 21-15892).

Il n'est en l'espèce ni soutenu ni prouvé de démarchage et d'acte, pouvant être qualifié de déloyal, accompagnant un démarchage.

Enfin, la société Max mentionne «'les stratagèmes'» mis en 'uvre «'afin d'organiser la création de l'entreprise L'atelier 210'», en pointant les démarches réalisées par M. [M], alors qu'il était encore son employé.

Cependant, les éléments mis en exergue par la société Max (fixation du siège social, souscription comme associé unique d'une société en formation') ne sont que actes 'préparatoires', autorisés dès lors que l'activité concurrente n'avait pas effectivement commencé (V. par ex. : Soc., 23 sept. 2020, n° 19-15313, publié Soc., 19 déc. 1990, n° 88-41649).

La société Max concède d'ailleurs que la signature même des statuts constitutifs de la société L'atelier 210 ne sont que postérieurs au départ de M. [M], ni la société L'atelier 210 ni ce dernier pour cette dernière n'ayant débuté leur activité avant la rupture effective du contrat de travail le liant à la société Max.

Il ne peut qu'être souligné, en outre, que celle-ci avait délié M. [M] de la clause de non-concurrence figurant dans son contrat de travail.

En réalité, la société Max se fonde exclusivement sur la faute commise, selon elle, par la société L'atelier 210 en embauchant Mme [V], son ancienne salariée, alors soumise à une clause de non-concurrence, au mépris de cette clause et de son obligation de loyauté. Elle le concède d'ailleurs lorsqu'elle indique, en page 11, que «'la responsabilité de la société L'atelier 210 doit être retenue sans qu'il n'y ait besoin de rechercher d'autres actes déloyaux dès ce stade, nonobstant les autres acte déloyaux commis, du seul fait de l'engagement de non-concurrence qui pesait sur Mme [V] et qu'il ne pouvait ignorer'».

En deuxième lieu, la complicité de violation d'une obligation contractuelle de non-concurrence pesant sur le salarié embauché par le nouvel employeur nécessite qu'il soit démontré par la société Max, d'abord, la violation de la clause de non-concurrence par la salariée ainsi que la connaissance par le nouvel employeur de l'existence de cette clause.

De première part, il n'est ni contesté ni contestable que Mme [V] avait été embauchée par la société Max par un contrat de travail à durée indéterminée du 20 janvier 2017 qui comportait une clause de non-concurrence dont elle n'avait pas été déliée au terme de ce contrat, comme en atteste le courrier de son employeur du 15 octobre 2018, lui en rappelant les termes. Mme [V] a ensuite été embauchée par la société L'atelier 210, et exerçait au sein de l'établissement de cette dernière en qualité de coiffeuse depuis le 18 décembre 2018, soit durant la période soumise à cette obligation.

Ainsi l'existence de cette clause de non-concurrence et la violation de cette dernière par la salariée se trouvent établies, comme en atteste le constat d'huissier du 31 décembre 2018.

De deuxième part, le débat qu'entretient la société L'atelier sur la validité de la clause de non-concurrence liant la société Max et Mme [V] est vain.

En effet, la juridiction commerciale n'a le pouvoir d'examiner la licéité d'une telle clause que lorsque la juridiction prud'homale n'en a pas été saisie. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque le conseil des prud'hommes, dans le litige opposant Mme [V] et son ancien employeur, s'est prononcé sur la validité de la clause de non-concurrence, par jugement du 14 avril 2021 devenu irrévocable, à la suite de l'irrecevabilité de l'appel de Mme [V] constatée par un arrêt du 29 septembre 2023. Ce jugement, condamnant cette dernière à diverses sommes, constate expressément aux termes de son dispositif qu'elle «'avait manqué à son obligation de loyauté et de non-concurrence [et] avait violé la clause de non-concurrence la liant à la société Max à l'issue de la relation contractuelle '», consacrant ainsi la validité de cette clause.

De troisième part, comme exposé précédemment, le nouvel et l'ancien employeur exercent une activité similaire satisfaisant à des demandes identiques ou proches, de nature à caractériser l'existence d'une situation de concurrence entre les deux sociétés.

La société L'atelier 210 ne critique pas l'affirmation de la société Max suivant laquelle l'insertion de clauses de non-concurrence dans les contrats de travail liant les salariés de la coiffure est habituelle dans le secteur d'activité considéré.

Le fait que la convention collective de la coiffure et des professions connexes en réglemente précisément le contenu démontre d'ailleurs que le recours à de telle clause est courant dans ce secteur.

Au-delà du fait que l'insertion habituelle de clause de non-concurrence dans les contrats de travail dans ce secteur d'activité laisse présumer la connaissance par le nouvel employeur de la clause, les pièces versées aux débats établissent que la société L'atelier 210 n'ignorait pas la présence de cette clause dans le contrat de travail de Mme [V].

En effet, le gérant de la société L'atelier, M. [M], avait lui-même était salarié de la société Max et était soumis à un contrat de travail qui contenait une clause de non-concurrence.

Si M. [M] avait certes pu en être délié, la société L'atelier 210 n'ignorait cependant pas la pratique de la société Max visant, conformément aux habitudes du secteur d'activité, à insérer de telles clauses dans les contrats de travail de ses salariés.

La société L'atelier 210, représentée par M. [M], avait donc nécessairement son attention attirée sur la nécessité de vérifier que la salariée nouvellement embauché(e) ait été délié(e) de cette clause, recherche qu'elle n'a manifestement pas mise en 'uvre.

Si ces éléments ont disparu des écritures en cause d'appel, la société L'atelier 210 avait pourtant dans ses conclusions de première instance, comme le souligne la société Max, plaidé la négligence tenant à ne pas avoir vérifié que «'Mme [V] était, tout comme lui [M. [M]] en avait bénéficié, libérée de la clause de non-concurrence attachée à son contrat de travail'», M. [M] admettant avoir «'durant son temps de présence à [Localité 3], assisté au recrutement de Mme [V]'».

Cette assertion figurait déjà dans la mise en demeure adressée le 14 juin 2021 par la société Max à la société L'atelier, sans qu'il ne soit établi que cette dernière l'ait contestée.

A supposer qu'elle ait pu ignorer, comme elle l'affirme, la présence d'une telle clause et l'absence de levée de cette clause, la société L'atelier 210 ne démontre pas plus qu'à réception de la mise en demeure destinée à mettre un terme à la violation de la clause de non-concurrence, elle aurait immédiatement mis un terme au contrat de travail la liant à Mme [V], contrevenant de plus fort à la clause litigieuse.

En conclusion, il est établi que la société L'atelier 210, dont le gérant était soumis lui-même, par le contrat de travail l'unissant à la société Max à une clause de non-concurrence et avait participé en son temps, au recrutement de Mme [V] par cette même société, dans un secteur d'activité où la présence d'une telle clause est habituelle, a embauché Mme [V] en connaissance de la clause de non-concurrence liant cette dernière à la société Max, commettant ainsi une faute engageant sa responsabilité.

En troisième lieu, le préjudice invoqué par la société Max est double': d'une part, un préjudice de perte de chance de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce, d'autre part, un préjudice moral.

- Sur le préjudice de perte de chance de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce

De première part, tandis que la faute reprochée est exclusivement la complicité de violation de la clause de non-concurrence commise par la société L'atelier 210, la société Max consacre la quasi-intégralité des développements sur ce point à relier l'évolution négative de ses résultats à une «'captation de sa clientèle'».

Toutefois, cette dernière n'est pas envisagée comme un effet du non-respect de la clause ayant engendré un départ de la clientèle pour suivre la salariée nouvellement embauchée chez son nouvel employeur, mais comme la conséquence de cette faute à part entière.

Cependant, il a d'ores et déjà été précisé ci-dessus qu'aucune faute autonome de «'captation de clientèle de manière déloyale'» n'était soutenue véritablement et encore moins démontrée par la société Max.

Cela est confirmé par la présentation de son argumentation adoptée par la société Max , cette dernière, après avoir consacré de nombreux paragraphes à l'évolution de ses résultats et la perte de clientèle'», poursuivant ainsi': «'Au surplus, le préjudice de la société Max résulte du trouble commercial subi du fait de l'embauche par L'atelier de Mme [V] alors que celle-ci était soumise à un engagement de non-concurrence'».

Quant à une perte de clientèle comme effet de la violation de la clause, celle-ci n'est pas établie, la société Max n'apportant aucun élément concernant notamment le portefeuille de clients de Mme [V], et le nombre de clients ayant fait choix, à la suite de son départ, de quitter le commerce.

La société Max concède d'ailleurs, aux termes même de ses conclusions, que «'les seules attestations fournies par la partie défenderesse concernent des clients qui connaissaient M. [M]. Il n'est jamais fait état d'anciens clients de Mme [V] qui auraient choisi de fréquenter le salon de l'Atelier'».

Ainsi, si elle évoque un «'trouble commercial'», elle ne le caractérise pas et le démontre encore moins, n'apportant aucun élément objectif et précis relatif à sa désorganisation en lien avec le départ de sa salariée tenue par une de non-concurrence.

En conséquence, le préjudice de perte de chance invoqué, ainsi que son lien de causalité avec la faute retenue, ne sont pas établis. La décision entreprise est donc infirmée en ce qu'elle a condamné la société L'atelier 210 à payer à la société Max la somme de 40'000 euros à titre de perte de chance de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce.

- Sur le préjudice moral

En vue de se prémunir contre les effets d'un marché concurrentiel, la société Max avait pris la peine d'insérer, dans le contrat de travail la liant à sa salariée, une clause de non-concurrence que la société L'atelier ne pouvait ignorer pour les motifs ci-dessus détaillés.

Compte tenu de ce contexte, la cour estime que la faute de violation de la clause de non-concurrence commise par la société L'atelier est source d'un préjudice moral indéniable pour la société Max, que les premiers juges ont, par une juste appréciation, intégralement réparé par l'octroi d'une somme de 7'500 euros, sans que la société L'atelier 210 puisse invoquer une double indemnisation d'un même préjudice résultant de l'octroi d'une indemnisation par la juridiction prud'homale, avec les sommes octroyées à la société Max par la juridiction prud'homale dans le cadre du litige l'opposant à son ancienne salariée.

La condamnation au titre du préjudice moral étant confirmé, il convient d'assortir cette somme des intérêts prévus à l'article 1231-7 alinéa 2, et non de l'article 1231-6 du code civil, de sorte que ces intérêts courent de plein droit intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris.

La décision entreprise est donc confirmée de ce chef.

- Sur les dépens et accessoires

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société L'atelier 210 succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens.

Les chefs de la décision entreprise en ce qui concerne les dépens et l'indemnité procédurale sont confirmés.

La société L'atelier 210 supportant la charge des dépens, il convient de la condamner sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à payer à la société Max la somme de 3'000 euros et de la débouter de sa demande d'indemnité procédurale.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société L'atelier 210 à payer à la société Max's extérieur la somme de 40'000 euros au titre de la perte de chance de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE la société Max's extérieur de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de perte de chance de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce';

CONDAMNE la société L'atelier 210 aux dépens d'appel';

AUTORISE Me Navarro à recouvrer directement les frais dont il aura fait l'avance sans en avoir au préalablement reçu provision';

CONDAMNE la société L'atelier 210 à payer à la société Max's extérieur la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile'au titre de la procédure d'appel';

DÉBOUTE la société L'atelier 210 de sa demande d'indemnité procédurale.

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