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Décisions

CA Rouen, ch. soc., 9 octobre 2025, n° 24/02744

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/02744

9 octobre 2025

N° RG 24/02744 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JXGB

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 OCTOBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 17 Mai 2024

APPELANTE :

S.A.R.L. BSE

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Pierre THEVENET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [D] [V] veuve [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Olivier COTE de la SELARL COTE JOUBERT PRADO, avocat au barreau de l'EURE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Août 2025 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 28 août 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 octobre 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Madame DUBUC, Greffière.

***

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

A compter du 1er avril 2012, Mme [V] veuve [Y] (la salariée) a été recrutée par M. [L], entrepreneur individuel, exploitant un fonds de commerce , en l'espèce une fromagerie, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.

Ce fonds de commerce a été cédé à la société BSE (la société). Le contrat de travail de Mme [Y] a été transféré à la société BSE.

La société emploie moins de 11 salariés.

Un nouveau contrat de travail a été formalisé le 31 mars 2021 stipulant que Mme [Y] est engagée par la société BSE en qualité d'employée de commerce, hôtesse de caisse par contrat de travail à durée indéterminée avec reprise de son ancienneté.

Mme [Y] a été placée en arrêt de travail à compter du 16 août 2021.

Le 2 septembre 2021, la société a notifié à la salariée un avertissement motivé comme suit:

' J'ai à déplorer de votre part un comportement professionnel qui ne peut plus perdurer et qui nécessite que vous vous repreniez dans les meilleurs délais.

Le 9 août dernier, je vous ai demandé de réaliser différentes tâches et notamment d'être vigilante sur le nettoyage du matériel, particulièrement la trancheuse, la vitrine et le réfrigérateur, qui se doivent d'être absolument impeccables, ce qui n'est malheureusement pas le cas.

Vous m'avez répondu sur un ton agressif que vous saviez ce que vous aviez à faire et que vous n'aviez pas besoin 'd'ordre' de ma part.

Je ne vous donne pas d'ordre mais des instructions, et c'est ma responsabilité de chef d'entreprise de faire en sorte que le travail soit effectué correctement, particulièrement en ce qui concerne l'hygiène.

Je vous rappelle que nous avons une activité de vente de détail d'agro-alimentaire et que nous ne pouvons être négligent sur ce sujet.

De la même manière, je vous ai demandé de faire un paquet à une cliente et vous m'avez répondu, devant elle, que 'je n'avais qu'à le faire moi-même'.

J'ai aussi appris que vous me dénigrez auprès du personnel et de la clientèle, en leur indiquant que je n'ai pas les capacités de gérer l'entreprise, que je suis faignant, ou encore que je vais 'couler' l'affaire et que ce sera bien fait pour moi.

Ces propos sont totalement inacceptables.

J'ai par ailleurs été contraint de vous relancer de nombreuses fois pour que vous me restituiez la télécommande d'ouverture de la porte d'entrée.

En conséquence, je vous notifie un avertissement qui sera porté à votre dossier.

Dans l'avenir, je vous demande de vous conformer à vos obligations professionnelles, faute de quoi je pourrai être amené à prendre une sanction plus grave.

Certain que vous pris conscience du bien-fondé de mes observations, je souhaite vivement que vous adoptiez un comportement respectueux à mon égard, et que vous vous repreniez sur l'accomplissement de vos fonctions. (...)'

Le 13 septembre 2021, Mme [Y] a déposé plainte auprès de la gendarmerie pour des faits de harcèlement.

Mme [Y] a fait valoir ses droits à la retraite le 24 septembre 2021.

Par requête du 14 janvier 2022, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Bernay en invoquant des faits de harcèlement moral ainsi qu'en demande de requalification de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul.

Par jugement du 17 mai 2024, le conseil de prud'hommes de Bernay a :

- dit que les demandes de Mme [Y] étaient recevables,

- rappelé que le conseil a débouté la société BSE de sa demande in limine litis de sursis à statuer par jugement du 06 octobre 2023,

- requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement nul,

En conséquence,

- condamné la société BSE à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000 euros,

dommages et intérêts : 31 590 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 3 511,04 euros,

congés payés afférents : 351,10 euros,

indemnité légale de licenciement : 4 169,36 euros,

rappel de salaire d'août 2021 : 70,88 euros,

congés payés afférents : 7,08 euros,

- débouté Mme [Y] de sa demande au titre de l'annulation de l'avertissement notifié le 02 septembre 2021,

- condamné la société BSE à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire de la décision,

- mis les dépens à la charge des parties chacune pour leur part respective.

Le 29 juillet 2024, la société BSE a interjeté appel de ce jugement.

Mme [Y] a constitué avocat par voie électronique le 16 août 2024.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique du 6 août 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société BSE demande à la cour de :

- révoquer l'ordonnance de clôture et accueillir ses conclusions en raison des conclusions de la salariée notifiées le jour de la clôture en violation du principe du contradictoire,

- infirmer le jugement en ce qu'il dit que les demandes de Mme [Y] étaient recevables, en ce qu'il l'a condamnée à des dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral, à des dommages et intérêts au titre du rappel de salaire d'août outre les congés payés afférents ainsi qu'à une d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Statuer à nouveau, et:

Sur les demandes indemnitaires,

- ramener les condamnations à des sommes plus raisonnables,

- dire qu'elle devra à Mme [Y] les sommes suivantes :

au titre du harcèlement moral : 1 500 euros,

licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse : 10 530 euros,

Sur l'indemnité de départ en retraite devenue sans objet,

A titre principal,

- condamner Mme [Y] à lui rembourser la somme de 1 763,89 euros perçue au titre de l'indemnité de départ en retraite devenue sans objet,

- juger que cette somme viendra en compensation des condamnations mises à sa charge,

A titre subsidiaire,

- dire que la somme de 1 763,89 euros déjà versée au titre de l'indemnité de départ en retraite devenue sans objet sera déduite de la somme de 4 169, 36 euros à verser par elle au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- dire que la somme restante qu'elle devra verser au titre de l'indemnité légale de licenciement sera de 2 405,47 euros,

- juger que les sommes allouées au titre de la rupture et du harcèlement moral ne sauraient se cumuler au-delà d'un montant global raisonnable, au regard de la situation de l'entreprise, du comportement fautif de la salariée et du principe de réparation intégrale sans enrichissement,

Sur le paiement des sommes dues au titre de la décision à intervenir,

- faire masse de l'ensemble des sommes à verser par elle au titre de la décision à intervenir,

- lui donner acte du versement depuis la décision dont appel de la somme de 4 917,57 euros,

A titre principal,

- prononcer le report du paiement des sommes qu'elle devra verser au titre de la décision à intervenir à deux années à compter de la notification de ladite décision selon les modalités prévues à l'article 1343-5 du code civil,

A titre subsidiaire,

- prononcer l'échelonnement en 24 mensualités du paiement des sommes qu'elle devra verser au titre de la décision à intervenir à compter de la notification de ladite décision selon les modalités prévues à l'article 1343-5 du code civil,

En tout état de cause,

- mettre les dépens à la charge des parties chacune pour leur part respective,

- débouter Mme [Y] de ses demandes plus amples ou contraires.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 juillet 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, Mme [Y] demande à la cour de:

- débouter la société BSE de l'ensemble de ses demandes dans le cadre de son appel,

- confirmer le jugement,

Y ajoutant:

- condamner la société BSE à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juillet 2025 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 28 août 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

Il résulte des dispositions de l'article 802 du code de procédure civile qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. Par exception les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture sont recevables.

Aux termes de l'article 803 du même code, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

Au vu de la demande formée par la société BSE, des dernières conclusions de la salariée signifiées le jour de l'ordonnance de clôture, de l'accord des parties exprimé à l'audience, il est d'une bonne administration de la justice de révoquer l'ordonnance de clôture en date du 8 juillet 2025, de prononcer la clôture à la date du 28 août 2025 et de déclarer recevables les conclusions signifiées par voie électronique par la société BSE le 6 août 2025.

2/ Sur la demande de rappel de salaire

La salariée soutient ne pas avoir été intégralement remplie de ses droits au titre des heures de travail effectuées en août 2021 en ce qu'elle indique avoir réalisé 75 h 30 de travail ainsi que 4h30 au titre des heures supplémentaires et affirme que l'employeur demeure redevable d'un rappel de salaire à hauteur de 70,88 euros brut outre les congés payés afférents, de sorte qu'elle sollicite la confirmation du jugement entrepris de ce chef.

La société conclut à l'infirmation du jugement entrepris de ce chef, au débouté de la demande formée par la salariée. Elle considère que Mme [Y] ne produit pas d'éléments suffisamment précis puisqu'elle ne donne aucune précision quant aux horaires de travail qu'elle aurait accomplis.

Sur ce ;

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1, de l'article L. 3171-3 et de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au soutien de sa demande, la salariée verse aux débats la copie du courrier adressé à son employeur le 24 septembre 2021 aux termes duquel elle conteste son bulletin de paie d'août 2021 et reprend, pour chaque jour travaillé, le nombre d'heures effectuées.

La salariée présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.

En réponse, l'employeur, qui se contente de considérer que la salariée ne produit pas d'éléments suffisamment précis, ne justifie pas des horaires effectivement réalisés par la salariée et ne verse aux débats aucun élément permettant de contredire le relevé mensuel des horaires de travail établi par Mme [Y] dont il résulte qu'elle a effectué des heures supplémentaires non payées.

La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

Le contrat de travail de la salariée mentionne cette durée de travail.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Mme [Y] a bien effectué les heures supplémentaires non rémunérées qu'elle réclame.

Le jugement sera par conséquent confirmé de ce chef.

3/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.

La salariée soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur en ce que ce dernier a tenu à son encontre des propos injurieux et méprisants.

Elle verse aux débats:

- la copie du message manuscrit laissé par son employeur lui demandant d'effectuer certaines tâches de ménage et précisant 'cela est un ordre, bon courage',

- le procès verbal de constat réalisé par un huissier de justice le 21 octobre 2021 retranscrivant les messages Sms et vocaux reçus de la part de son employeur duquel il ressort que l'employeur lui a demandé à compter du 21 août 2021 de restituer les clés du magasin, qu'il a refusé que sa fille procède à cette restitution, qu'il a qualifié celle-ci d'indésirable, qu'il a menacé de déposer plainte à son encontre pour vol indiquant 'la gendarmerie viendra te chercher', qu'il a laissé un message vocal le 27 septembre en accusant sa fille de lui envoyer des lettres de corbeau et en lui indiquant 'ta retraite, tu vas attendre ma pauvre pute',

- la copie de son dépôt de plainte en date du 13 septembre 2021 à l'encontre de son employeur ainsi que la copie de son audition,

- un certificat médical en date du 10 septembre 2021 faisant état de l'existence d'un arrêt maladie depuis le 16 août 2021 en rapport avec un état d'anxiété au travail qui serait secondaire à un harcèlement moral au travail,

- le jugement correctionnel rendu par le tribunal judiciaire d'Evreux le 23 janvier 2024 prononçant la relaxe de M. [O] pour les faits de harcèlement sexuel mais sa condamnation pour les faits de harcèlement moral commis entre le 31 mars et le 21 septembre 2021 à son encontre ainsi que pour ceux commis entre le 24 août 2021 et le 26 décembre 2021 à l'encontre de sa fille, condamnant M. [O] à la peine de quatre mois d'emprisonnement assortis du sursis ainsi qu'au paiement de la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts à sa fille, Mme [S] [Y],

- le certificat de non appel de cette décision émis le 5 août 2024.

Il résulte des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'employeur a été pénalement condamné pour les faits de harcèlement moral commis à l'encontre de la salariée, de sorte que par confirmation du jugement déféré, il sera jugé que les faits de harcèlement moral dénoncés par la salariée sont établis.

L'employeur, qui sollicite une diminution du quantum des dommages et intérêts auxquels il a été condamné, expose que s'il a été condamné par le tribunal correctionnel pour harcèlement moral, il devait faire face au comportement inadapté de la salariée qui refusait tout changement, qui se comportait comme la gérante de la société et le rabaissait.

Il lui reproche de ne pas s'être conformée à ses directives, de l'avoir critiqué devant les clients.

Il affirme avoir toujours été bienveillant à l'encontre de ses employés et verse aux débats des attestations en ce sens. Il considère avoir été 'poussé à bout' par Mme [Y] et affirme que celle-ci avait la volonté de porter préjudice à la société.

Il soutient en outre que les proches de la salariée ont commis des actes de violence à son égard. Il verse aux débats la copie de son dépôt de plainte en date du 18 novembre 2022 à l'encontre de M. [Y] pour violences avec usage d'une arme affirmant que ce dernier a tenté à plusieurs reprises de le faire chuter alors qu'il était en train de rouler en moto.

L'employeur considère que la salariée ne justifie pas de l'étendue de son préjudice, que la somme de 10 000 euros à laquelle il a été condamné est excessive et menace la survie de sa société.

Au regard des éléments produits, la somme de 3 000 euros est de nature à assurer la réparation intégrale du préjudice causé par le harcèlement moral subi par la salariée. Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

4/ Sur la rupture du contrat de travail

La salariée soutient qu'en raison des faits de harcèlement moral subis, elle s'est résignée à faire valoir ses droits à la retraite puisque la poursuite du contrat de travail n'était plus possible en raison du comportement de son employeur.

Elle demande que son départ en retraite soit requalifié en une prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement nul.

L'employeur considère comme excessives les demandes formées par la salariée au titre de la requalification de la rupture en licenciement nul.

Sur ce ;

Le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite

Il appartient au salarié de rapporter la preuve d'un manquement suffisamment grave de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, il a été précédemment jugé que la salariée avait été victime de harcèlement moral de la part de son employeur. Ce manquement est d'une gravité telle qu'il empêchait la poursuite du contrat de travail.

Par conséquent, la prise d' acte fondée sur le harcèlement moral est justifiée et produit les effets d'un licenciement nul .

La cour confirme ainsi le jugement entrepris.

5/ Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

La salariée, qui ne réclame pas sa réintégration, est en droit de prétendre, à hauteur des sommes non spécifiquement contestées dans leur quantum à une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ainsi qu'à une indemnité de licenciement.

L'employeur sollicite cependant le remboursement de l'indemnité de départ en retraite versée à la salariée à hauteur de 1 763,89 euros.

L'indemnité de départ à la retraite ne peut se cumuler avec l'indemnité de licenciement, laquelle n'est alors due que sous déduction de l'indemnité de départ à la retraite.

En conséquence, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a condamné la société à verser à Mme [Y] la somme de 3 511,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 351,10 euros au titre des congés payés afférents mais infirmé concernant le montant de l'indemnité de licenciement.

Déduction faite de l'indemnité de départ à la retraite versée à la salariée, la société sera condamnée à verser à Mme [Y] la somme de 2 405,47 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

En application de l'article L 1235-3-1 du code du travail, la salariée peut en outre prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.

Mme [Y] avait acquis une ancienneté de 9 années au sein de l'entreprise. Elle était âgée de 62 ans au jour de la rupture du contrat de travail. Elle établit percevoir désormais une pension de retraite.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à sa situation, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.

6/ Sur les modalités de paiement des sommes dues

La société indique se trouver dans une situation financière critique précisant que son bénéfice a chuté de 48% entre les exercices de 2023 et de 2024, que depuis le 1er janvier 2024, le gérant n'a plus la possibilité de se verser un salaire ou des dividendes, qu'elle a dû contracter le 23 janvier 2025 un crédit de trésorerie à hauteur de 40 000 euros pour faire face à son passif.

Elle demande qu'il soit fait masse de l'ensemble des sommes auxquelles elle a été condamnée, qu'à titre principal le paiement de ces sommes soit reporté à dans deux ans en application de l'article 1343-5 du code civil et qu'à titre subsidiaire, la cour prononce un échelonnement en 24 mensualité du paiement de ces sommes.

La salariée n'a pas spécifiquement conclu sur cette demande.

Sur ce ;

En application de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Toutefois, les créances salariales, en raison de leur nature alimentaire, ne peuvent faire l'objet d'un report et l'ancienneté de la rupture du contrat de travail rend inopportun l'octroi de délais de paiement supplémentaires en ce qui concerne l'indemnisation de celle-ci.

La demande de délai de paiement sera en conséquence rejetée.

7/ Sur les dépens et frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer.

Il convient en l'espèce de condamner l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

Il y a également lieu de condamner la société appelante aux dépens d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort,

Révoque l'ordonnance de clôture en date du 8 juillet 2025 et prononce la clôture des débats au 28 août 2025,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bernay du 17 mai 2024 en ses dispositions relatives aux montants des dommages et intérêts pour harcèlement moral, de l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement nul et aux dépens ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:

Condamne la société BSE à verser à Mme [D] [V] veuve [Y] les sommes suivantes:

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral,

- 18 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du licenciement nul,

Avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- 2 405,47 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

Avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation,

Déboute la société BSE de ses demandes de délais de paiement ;

Condamne la société BSE à verser à Mme [D] [V] veuve [Y] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société BSE aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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