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Décisions

CA Nouméa, ch. soc., 9 octobre 2025, n° 24/00028

NOUMÉA

Arrêt

Autre

CA Nouméa n° 24/00028

9 octobre 2025

N° de minute : 2025/50

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 09 Octobre 2025

Chambre sociale

N° RG 24/00028 - N° Portalis DBWF-V-B7I-UZP

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Avril 2024 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° : 22/00009)

Saisine de la cour : 17 Mai 2024

APPELANT

Mme [G] [S]

née le 09 Septembre 1973 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Fabien MARIE, avocat au barreau de NOUMEA, substitué par Me Nicolas MILLION, avocat du même barreau.

INTIMÉ

S.A.R.L. AGENCE SOLEIL

Sise [Adresse 1]

Représentée par Me Amandine ROSSIGNOL de la SARL AMANDINE DALIER ROSSIGNOL, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Septembre 2025, en audience publique, devant la cour composée de :

M. François GENICON, Président de chambre, président, rapporteur,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

Monsieur Luc BRIAND, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François GENICON.

09.10.2025 : Copie revêtue de la formule exécutoire : - Me ROSSIGNOL ;

Expéditions : - Me [Localité 4] ;

- Mme [S] et SARL AGENCE SOLEIL (LR/AR) ;

- Copie CA ; Copie TT

Greffier lors des débats : Mme Sabrina VAKIE

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. François GENICON, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

FAITS ET PROCEDURE

Mme [G] [S] a été embauchée par la société SARL AGENCE SOLEIL selon contrat d'agent commercial à durée déterminée de 6 mois (du 5 janvier 2017 au 30 juin 2017).

Elle avait pour mission principale de développer le portefeuille locatif de l'agence (recherche de biens à louer, signature des mandats de location et de gestion, recherche de locataires et pour autre mission de réaliser toutes les opérations liées à l'installation des locataires dans les lieux et à la libération des lieux, gestion des locaux loués, notamment organisation et réalisation de petits travaux d'entretien).

Le contrat a été prolongé, par avenant du 30 juin 2017 et du 2 janvier 2018, jusqu'au 4 juin 2018.

Le 22 mai 2018, les parties se sont rapprochées pour conclure un nouveau contrat, aux termes duquel il a été convenu que Mme [S] a été recrutée, par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (130 heures par mois) à compter du 1er juin 2018, en qualité de secrétaire polyvalente/agent d'intendance du parc immobilier à compter du 1er juin 2018 (employée niveau Il échelon).

Par avenant du 1er janvier 2019, son mode de rémunération a étendu à l'allocation de diverses primes (re-location confirmée : 20.000 FCFP, nouvelle location confirmée 20.000 F CFP, nouveau contrat de gestion confirmé : 20.000 FCFP).

Le 15 mai 2020, la société AGENCE SOLEIL a cédé à la Société MAXIMMO des éléments séparés de son fonds de commerce, à savoir son activité de gestion locative immobilière.

Les éléments cédés comprenaient en effet exclusivement :

- les mandats de gestion des contrats locatifs dont la liste était annexée au contrat,

- les transfert des cautions attachées à la gestion des baux listés en annexe.

Il était par ailleurs précisé à l'acte qu'aucun contrat de travail n'était attaché l'activité de gestion locative cédée, puisque la scission du contrat de Mme [G] [S] apparaissait impossible sans entraîner une détérioration de ses conditions de travail.

Par courrier du 28 septembre 2020, Mme [G] [S] a démissionné de ses fonctions.

M. [H] [S], mari de Mme [G] [S], également employé par la SARL AGENCE SOLEIL, a également démissionné de ses fonctions par courrier du 19 octobre 2020 pour créer une autre agence immobilière sous l'enseigne MOJO.

Suite à ces deux départs, la SARL AGENCE SOLEIL aurait constaté que les photos qu'elle avait fait prendre de plusieurs biens qu'elle avait en portefeuille avaient été publiées dans le magazine IMMOCAL sous l'enseigne de l'agence MOJO Immobilier avec le contact de Monsieur [H] [S] ; certains de ses mandats étant résiliés au profit de la SARL MOJO.

La SARL AGENCE SOLEIL, voyant dans les agissements de M. [S] des actes de concurrences déloyales a mis en demeure ce dernier par courrier en date du 25 mars 2021, d'avoir à lui payer la somme de 5.480.900 F CFP à titre d'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait des man'uvres ayant à ses yeux conduit à une perte de plusieurs mandats et des commissionnements.

Par requête introductive d'instance en date du 5 janvier 2022, Mme [G] [S] a saisi le tribunal du travail de NOUMEA auquel elle a demandé de :

- Constater que l'Agence SOLEIL a violé les dispositions de l'article LP 121-3 du CT NC au moment de la vente de son portefeuille location,

- Constater que la démission de Mme [S], consécutive à de graves manquements de son employeur qui a vidé sa fonction de son contenu et a modifié sans son accord sa rémunération, doit être requalifiée en licenciement irrégulier et abusif,

- Condamner l'agence SOLEIL à payer à Mme [S] les sommes suivantes

- 2.550.000 FCFP à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation des dispositions d 'ordre public de l'article Lp 123-1 du CTNC ;

- 1.700.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et abusif ;

- Ordonner l'exécution provisoire sur l'intégralité des sommes précitées

- Condamner l'agence SOLEIL à verser à Mme [S] la somme de 280.000 FCFP au titre des frais irrépétibles.

A l'appui de sa demande, elle a exposé que l'essentiel de son activité était composé de ses fonctions d'agent d'intendance et que suite à la cession frauduleuse, elle s'est retrouvée privée d'emploi réel victime d'un 'bore-out' confinant à du harcèlement moral et justifiant la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Elle a donc demandé la re-qualification de sa démission en licenciement illégitime, et abusif dans la mesure où la violation des dispositions de l'article LP 121-3 du code du travail de Nouvelle-Calédonie par l'Agence SOLEIL, lui aurait occasionné un double préjudice, puisque suite de la cession de l'activité locative immobilière, elle aurait été mise à l'écart et son emploi aurait été vidé de son contenu ce qui aurait eu des répercussions financières, la partie variable de sa rémunération ayant disparu.

Le 12 avril 2024, le tribunal a rendu la décision dont la teneur suit :

- DEBOUTE Mme [G] [S] de toutes ses demandes,

- CONDAMNE à payer à la SARL AGENCE SOLEIL une somme de 250.000 [Localité 3] CFP en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure Civile.

- REJETTE toute autre demande.

- DIT n'y avoir lieu à dépens.

Mme [S] a fait appel de cette décision par requête reçue le 17 mai 2024 et demande à la cour de :

- INFIMER le jugement

- JUGER que la société l'AGENCE SOLEIL a contrevenu aux dispositions d'ordre public de l'article LP 121-3 du Code du Travail de NOUVELLE-CALÉDONIE,

En conséquence,

- CONDAMNER la société AGENCE SOLEIL à payer à Mme [G] [S] la somme de 2.550.000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- REQUALIFIER la démission de Mme [G] [S] en licenciement abusif,

En conséquence,

- CONDAMNER la société AGENCE SOLEIL à payer à Mme [G] [S] la somme de 1.700.000 XPF à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et abusif,

- CONDAMNER la société AGENCE SOLEIL à payer à Mme [G] [S] la somme de 280.000 francs au titre de l'article 700 du CPCNC.

La SARL AGENCE SOLEIL demande à la cour, au visa des dispositions de l'article 1382 du code civil, de :

- CONFIRMER le jugement sauf en ce qu'il a débouté la SARL agence né de sa demande de dommages-intérêts ;

- DEBOUTER Mme [G] [S] de l'ensemble de ses prétentions ;

- DIRE que le recours exercé en appel par Mme [S] est abusif ;

- CONDAMNER, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, Mme [G] [S] à verser à L'AGENCE SOLEIL la somme de 2.000.000 F CFP à titre de dommages et intérêts ;

- CONDAMNER Mme [G] [S] à payer à la société AGENCE SOLEIL la somme de 350.000 XFP au titre de l'article 700 du CPCNC.

Vu les conclusions de Mme [S] du 31 janvier 2025 reçues au greffe le 31 juillet 2025 ;

Vu les conclusions de la SARL AGENCE SOLEIL du 22 septembre 2024 déposées à l'audience ;

Ensemble d'écrits auxquels il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties ;

MOTIFS

Sur l'application de l'article LP.121-3 du code du travail de Nouvelle Calédonie.

Il résulte des dispositions de l'article LP. 121-3 du code du travail que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel.

Le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de cette modification, sauf procédure de sauvegarde, redressement, ou liquidation judiciaire ou substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.

Les contrats de travail en cours sont donc en principe maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise en cas de transfert d'une entité économique conservant son identité dont l'activité est poursuivie ou reprise.

En cas de cession partielle d'activité, comme en l'espèce (gestion immobilière locative), si le salarié exerçait l'essentiel de ses fonctions dans le secteur d'activité repris, le contrat de travail est intégralement transmis au cessionnaire, à défaut, le contrat doit se poursuivre avec le cédant.

Dès lors, le contrat doit être transféré au nouvel employeur pour la partie de l'activité rattachée à ce secteur, sauf :

- Lorsque la décision du contrat de travail au prorata des fonctions exercées par le salarié est impossible,

- Lorsqu'elle entraîne une dégradation des conditions de travail du salarié,

- Si elle porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001.

Mme [S] soutient que l'essentiel de ses fonctions avaient trait à la gestion locative immobilière et qu'elle aurait dû être transférée au repreneur, la société MAXIMMO et que l'AGENCE SOLEIL a violé lesdites dispositions.

Toutefois, il est démontré que la mission d'agent d'intendance exercée par Mme [S], relative à la location de biens immobiliers, ne représentait qu'une faible part de son temps de travail.

En effet, il s'avère que Mme [S] n'avait que 36 lots à gérer, alors qu'il ressort d'un comparatif avec d'autres agences immobilières qu'en moyenne un agent d'intendance à temps plein gère 300 à 400 lots.

Mme [S] ne produit de plus que 7 mails de clients relatifs à de la gestion d'appartements (petits travaux d'entretien) lesquels ne justifient pas de son emploi du temps pour des tâches relatives à la location de biens ou à la gestion, soit 130 h par mois.

Si lors de la conclusion du contrat de travail à durée déterminée, l'activité de Mme [S] était effectivement la gestion locative avec recherche de mandats, l'employeur démontre que l'objectif fixé dans ledit contrat (à savoir 3 nouvelles locations par mois) n'a jamais été atteint par la salariée et que, dès lors, ses fonctions ont dû évoluer lors de la conclusion du contrat de travail à durée indéterminée en juin 2018 vers des fonctions de secrétariat, avec la gestion des petits travaux d'entretien du parc locatif.

Son activité transférable étant très limitée, le transfert de son contrat de travail au prorata desdites fonctions était impossible sans détériorer les conditions de travail de Mme [S].

En tout état de cause, il convient de souligner qu'elle n'a jamais sollicité auprès du repreneur le transfert de droit de son contrat et ne l'a pas attrait en la cause.

En conséquence, la violation des dispositions de l'article Lp. 121-3 par l'Agence SOLEIL n'est pas caractérisée et Mme [S] sera déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre.

Le jugement doit donc être confirmé par adoption de ses motifs.

Sur la requalification de la démission

Mme [S] demande que sa démission soit requalifiée en prise d'acte de rupture de son contrat de travail et par là même que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle fait valoir que la violation des dispositions de l'article LP 121-3 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, lui aurait occasionné un double préjudice, puisqu'en suite de la cession de l'activité locative immobilière, elle aurait été à l'écart, que son emploi aurait été vidé de son contenu ce qui aurait eu des répercussions financières, la partie variable de sa rémunération ayant disparu.

Pour qu'une démission ou une prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il faut que les faits invoqués par le salarié soient non seulement établis mais constituent des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur.

En l'espèce, Mme [S] a démissionné sans invoquer de griefs en ces termes :

« Je vous remercie pour le temps que vous m'avez consacré dans mon intégration. J'ai réellement apprécié travailler avec toute l'équipe qui s'est montrée très agréable avec moi. Toutefois, mon emploi ne correspond plus à mes ambitions professionnelles.. "

Elle ne s'est jamais plainte de ses conditions de travail ni pendant l'exécution du contrat ni au moment de sa rupture.

Il a déjà été indiqué que Mme [S] n'était affectée que partiellement aux tâches d'intendance du parc locatif et que l'essentiel de son activité à temps partiel était consacré aux fonctions de secrétaire polyvalente, qu'elle a continué d'exercer après mai 2020.

Mme [S] n'a jamais alerté son employeur sur les difficultés qu'elle évoque, notamment sur sa prétendue situation de 'bore-out' dans son travail étant précisé qu'elle le quitte en le remerciant chaleureusement dans son courrier de démission, quelques mois plus tard.

De même, elle n'a jamais revendiqué un poste chez le repreneur.

Elle soutient que l'employeur aurait modifié sans son accord sa rémunération, ce qui l'aurait contrainte à démissionner, car son salaire était dès lors amputé de sa partie variable représentant 30% de celui-ci.

Cependant, l'Agence SOLEIL lui a versé une prime de 200.000 F CFP, compensant la disparition de primes en mai 2020, puis une prime de location (relocation de 60.000 F CFP en juin 2020)

La salariée ne démontre pas en conséquence aucun manquement de la part de l'employeur de nature à justifier la rupture du contrat de travail à ses torts et de nature à permettre la requalification de la démission claire de Mme [S].

Cette dernière sera déboutée de sa demande de requalification de la démission en licenciement irrégulier et abusif et de sa demande indemnitaire y afférente.

Le jugement doit être confirmé par adoption de ses motifs.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts

La SARL AGENCE SOLEIL soutient que l'action de Mme [S] fait écho à celle qu'elle-même a initié à l'encontre de M. [S], son époux, ancien salarié également, pour des faits de concurrence déloyale et que la démission de Mme est intervenue alors que son mari préparait son départ de l'Agence SOLEIL pour créer sa nouvelle agence immobilière concurrente dénommée MOJO.

Cependant, les actions diffèrent par leur objet, la société AGENCE SOLEIL étant à l'origine de l'action en concurrence déloyale intentée contre son ex salarié, mari de la défenderesse.

Cette dernière n'a pas commis un abus de droit en saisissant le tribunal de céans et dès lors, cette demande reconventionnelle sera rejetée.

Sur les autres demandes

Mme [S] succombe et sera donc condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Par suite, elle est redevable envers la SARL agence soleil d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui doit être fixée à 250'000 Fr. CFP pour la procédure de première instance et la même somme pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement du tribunal du travail de Nouméa du 12 avril 2024 en toutes ses dispositions.

Condamne Mme [S] aux dépens d'appel et à payer à la SARL AGENCE SOLEIL la somme de 250'000 Fr. CFP par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Le greffier, Le président.

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