CA Paris, Pôle 6 - ch. 10, 9 octobre 2025, n° 22/04384
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 09 OCTOBRE 2025
(n° , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04384 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFR44
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Mars 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/07405
APPELANTE
S.A.S. UNIVET venant aux droits de la SCP Vétérinaire des docteurs [V] et [D] dénommée 'Clinique Wagranville' pris en son établissement secondaire : UNIVET WAGRANVILLE - [Adresse 3]
Agissant poursuites et diligences en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Florence GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
INTIMEE
Madame [P] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Isabelle GUENEZAN de la SELEURL SELARL Isabelle GUENEZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0725
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile,
l'affaire a été débattue le 10 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 26 novembre 2013, Mme [P] [Y] a été engagée par contrat à durée indéterminée en tant que vétérinaire diplômée, par la Société Civile Professionnelle des Docteurs [V] et [D]. Cette société exerce l'activité vétérinaire de soins et chirurgie aux animaux.
La société Univet vient aujourd'hui aux droits de la SCP des Docteurs [V] et [D].
Mme [Y] a été en congé maternité entre les 30 septembre 2017 et 5 février 2018.
Par mails des 12 et 13 juillet 2018, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 23 juillet 2018 et a été invitée à ne plus se présenter sur son lieu de travail.
Par un courrier du 26 juillet 2018, Mme [Y] a été licenciée pour faute grave, l'employeur ayant précisé les motifs du licenciement le 10 août 2018 en réponse à la demande de la salariée.
Par requête du 1er octobre 2018, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en contestation de son licenciement.
Par jugement en date du 8 mars 2022, notifié à la même date, le conseil de prud'hommes de Paris en formation de départage, a :
- dit que Mme [Y] a été victime de faits de harcèlement moral
- dit que le licenciement de Mme [Y] est nul
- condamné la société Univet SAS à payer à Mme [Y] les sommes de :
- 35 000 euros au titre de dommages et intérêts pour le licenciement nul
- 2 376,35 euros au titre de la mise à pied conservatoire
- 237,63 euros au titre des congés payés afférents
- 6 611,15 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 17 000 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 1 700 euros au titre des congés payés afférents.
- dit que les condamnations à caractère salarial porteront au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter de la présente décision porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
- dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné la société Univet à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la société Univet SAS aux entiers dépens.
Le 4 avril 2022, la société Univet a interjeté appel de la décision.
Par jugement du 7 avril 2022, le conseil de prud'hommes a procédé à la rectification d'une erreur matérielle affectant le jugement du 8 mars 2022 et a :
- dit qu'il y a lieu d'ajouter au dispositif du jugement du 8 mars 2022 les mentions suivantes :
«- dit que Madame [P] [Y] ne relevait pas de la catégorie des cadres autonomes mais de celle des cadres intégrés et ne pouvait être soumise à une convention de forfait jours
- condamne la société UNIVET SAS à payer à Madame [P] [Y] la somme de 11 853 euros au titre des heures supplémentaires accomplies sur la période du 26 juillet 2015 au 26 juillet 2018, outre la somme de 1 185,30 euros au titre des congés payés afférents »
- dit que cette décision sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement du 8 mars 2022.
La société Univet a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 avril 2022.
Les deux affaires ont fait l'objet d'une jonction.
Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées par RPVA le 14 octobre 2022, la société Univet demande à la cour de :
- la dire recevable et bien fondée en son appel
- dire que le licenciement de Mme [P] [Y] repose sur une faute grave
En conséquence, statuant à nouveau,
- infirmer le jugement rendu le 8 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :
- dit que Madame [P] [Y] a été victime de faits de harcèlement moral
- dit que le licenciement de Madame [P] [Y] est nul
- condamné la société UNIVET SAS à payer à Madame [P] [Y] les sommes de :
* 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
* 2 376,35 euros au titre de la mise à pied conservatoire
* 237,63 euros au titre des congés payés afférents
* 6 611,15 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
* 17 000 euros a' titre de l'indemnité compensatrice de préavis
* 1700 euros au titre des congés payés afférents.
- dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter de la présente décision porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision
- dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné la société Univet SAS à payer à Madame [P] [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la société Univet SAS aux entiers dépens.
- infirmer le jugement rendu le 7 avril 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :
- déclaré recevable la requête en rectification d'erreur matérielle
- dit qu'il y a lieu d'ajouter au dispositif du jugement du 8 mars 2022 les mentions suivantes :
« - dit que Madame [P] [Y] ne relevait pas de la catégorie des cadres autonomes mais de celle des cadres intégrés et ne pouvait être soumise à une convention de forfait jours
- condamne la société Univet SAS à payer à Madame [P] [Y] la somme de 11 853 euros au titre des heures supplémentaires accomplies sur la période du 26 juillet 2015 au 26 juillet 2018, outre la somme de 1 185,30 euros au titre des congés payés afférents »
- dit que cette décision sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement du 8 mars 2022
- dit que les dépens seront pris en charge par l'État
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes
- condamner Mme [P] [Y] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 juillet 2022, Mme [Y] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée son appel incident
- faire droit aux demandes, fins et prétentions de la concluante
- débouter la société Univet de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions
Corrélativement :
- confirmer en son intégralité le jugement rendu le 8 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris
- confirmer en son intégralité le jugement en rectification d'erreur matérielle rendu le 7 avril 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris
- constater que le conseil de prud'hommes de Paris a omis de statuer sur la demande visant à réparer le préjudice subi du fait du harcèlement moral dont elle a été victime
En conséquence, et rectifiant l'omission de statuer des premiers juges :
- condamner la société Univet à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour d'appel ne retiendrait pas le harcèlement moral :
- juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement
- condamner la société Univet à lui payer les sommes suivantes :
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (5 mois) : 28 333, 50 euros
- rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire (13 jours) : 2 376, 35 euros
- congés payés sur le rappel de salaire : 237, 63 euros
- indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 17 000 euros
- congés payés sur préavis : 1 700 euros
- indemnité légale de licenciement : 6 611, 15 euros
En tout état de cause,
- condamner en cause d'appel la SAS Univet à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la SAS Univet aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La cour se réfère expressément aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que de leurs moyens et prétentions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le statut de cadre autonome et le paiement des heures supplémentaires
La cour relève que le conseil de prud'hommes a statué sur ces points par jugement rectificatif du 7 avril 2022. La société Univest sollicite l'infirmation de ce jugement en ce qu'il a déclaré recevable la requête en rectification d'erreur matérielle mais ne présente aucun moyen portant sur l'irrecevabilité d'une telle requête. La cour n'est en conséquence pas tenue de se prononcer sur la recevabilité de cette requête.
En application de l'article L.3121-58 du code du travail, peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.
L'article 57 de la convention nationale des vétérinaires praticiens salariés prévoit que peuvent conclure une convention de forfait les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein du cabinet, de la clinique ou du centre hospitalier vétérinaire.
Mme [Y] expose que son contrat de travail prévoit à l'article 6 un forfait en jours mais que l'article 13 fixe des horaires de travail. Elle indique que dès son embauche et pendant toute l'exécution de son contrat, elle a été soumise à un horaire obligatoire, imposé par l'employeur et n'a jamais disposé d'une réelle autonomie ni dans l'organisation de son emploi du temps, ni dans l'exercice de ses fonctions.
La société Univet explique que les horaires indiqués à l'article 13 du contrat de travail sont en réalité les horaires d'accueil de la clientèle de la clinique vétérinaire et non les horaires de travail de Mme [Y]. Elle soutient que Mme [Y] disposait d'une autonomie et d'une liberté certaine pour organiser ses rendez-vous à la clinique les jours où elle était présente.
La cour retient comme le premier juge que si le contrat de travail en ses articles 6 et 7 confère à Mme [Y] le statut de cadre autonome qui ne relève pas de l'horaire collectif et dispose d'une véritable autonomie, l'article 13, intitulé « clauses particulières », stipule « les horaires de travail du lundi au vendredi seront les suivants : 8h30 à 13h et 14h30 à 19h. Les horaires de travail le samedi seront les suivants : 8h30 à 13h et 14h à 17h30 ». Dans un mail du 21 décembre 2017 portant sur l'organisation du travail de Mme [Y] à son retour de congé-maternité, le docteur [V] indique « vous travaillerez les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 8h30 à 12h30 et de 14h30 à 19h et un samedi sur 2 », ce mail précisant déjà les samedis travaillés des mois de février et mars. Il s'en déduit que Mme [Y] ne disposait pas d'autonomie dans l'organisation de son emploi du temps mais se voyait imposer des horaires de travail par son employeur. La cour en déduit qu'elle ne relevait pas de la catégorie des cadres autonomes et ne pouvait conclure une convention de forfait en jours.
En conséquence, Mme [Y] est bien fondée à solliciter le paiement d'heures supplémentaires.
Selon l'article L. 3174-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.
Mme [Y] forme une demande de rappel de salaire en retenant, au regard des horaires de travail prévus par l'article 13 de son contrat de travail, qu'elle travaillait 9 heures par jour de semaine et 7 heures les samedis où elle travaillait. Elle fournit ainsi des éléments suffisamment précis pour que l'employeur puisse répondre.
Celui-ci se limite à affirmer l'opposabilité de la convention de forfait en jours et ne forme aucune observation ni sur les heures effectivement effectuées par la salariée ni sur le quantum du rappel de salaire sollicité par Mme [Y].
La cour retient que les premiers juges ont fait une juste appréciation du rappel de salaire dû au titre des heures supplémentaires.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le harcèlement moral discriminatoire
Aux termes de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Aux termes l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de son état de grossesse.
Mme [Y] soutient qu'elle a subi des faits de harcèlement moral discriminatoire liée à son état de grossesse. Elle indique que ses relations avec son employeur se sont dégradées à la suite de l'annonce de sa grossesse.
Elle fait état de :
- refus de l'employeur de respecter les préconisations du médecin du travail notamment quant à des restrictions de contact avec les chats ; elle soutient que les employeurs l'ont contrainte à soigner des chats errants
- propos blessants et culpabilisants du Dr [V] sur son alimentation, son « impossibilité » d'utiliser certains produits en raison de son état de grossesse et un mépris pour sa situation
- l'obtention de la médecine du travail d'une interdiction totale de contact avec les chats permettant une suspension de son contrat de travail
- la négligence et le manque de réactivité de ses employeurs pour qu'elle puisse bénéficier de ses prestations sociales
- la publication d'une annonce concernant son poste avant son retour de congé
- la convocation à trois entretiens en quinze jours après sa reprise de travail
- la saisine du conseil de l'Ordre à des fins purement stratégiques d'intimidation
- sa mise à l'écart de son retour de congé jusqu'à son licenciement
- un SMS de l'employeur reconnaissant le harcèlement qu'elle avait subi.
En ce qui concerne le refus de l'employeur de respecter les préconisations du médecin du travail, Mme [Y] produit les échanges entre la médecine du travail et l'employeur qui ont abouti à une suspension du contrat de travail de Mme [Y].
Mme [Y] ne produit aucun élément à l'appui de l'allégation selon laquelle le Docteur [V] aurait tenu à son endroit des propos blessants et culpabilisants et aurait manifesté du mépris à l'égard de son état de grossesse. Ce fait n'est pas matériellement établi.
Elle produit une attestation de son conjoint indiquant qu'elle a constamment dû relancer ses employeurs pour obtenir le paiement de ses prestations sociales ainsi que des échanges sur l'obtention de prestations sociales à la suite de la suspension de son contrat de travail. Il ressort du mail du 7 juillet 2017 adressé par Mme [Y] à son employeur que deux documents devaient être fournis, l'un par elle et l'autre par l'employeur que ce dernier avait transmis. L'employeur a pris attache avec la CPAM pour comprendre les difficultés de
Mme [Y]. Il ressort également des pièces produites que l'employeur a très rapidement transmis le dossier de Mme [Y] à son assureur prévoyance. Ces éléments contredisent les allégations du conjoint de Mme [Y] dont la valeur probatoire est limitée. A cet égard, la cour relève, comme l'employeur, que Mme [Y] a elle-même confirmé le règlement de la situation à la suite des démarches de l'employeur par mail du 10 juillet 2017. Ce grief n'est pas matériellement établi.
Alors qu'elle fait état de sa convocation à trois entretiens en quinze jours à son retour de congé maternité, elle ne date que celui du 20 février.
Elle ne fournit aucun élément à l'appui de son allégation de mise à l'écart au sein de la clinique. Ce fait n'est pas matériellement établi.
Au regard des faits matériellement établis, Mme [Y] présente des éléments de fait qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En ce qui concerne le non-respect par l'employeur des préconisations de la médecine du travail, il ressort des pièces produites qu'après l'annonce de sa grossesse, Mme [Y] a été vue, le 20 mars 2017, par le médecin du travail qui a préconisé : « aménagement de poste : contre-indication temporaire à l'exposition aux [Localité 7], aide à la manutention de charges lourdes, utilisation de la table réglable, pas de contact avec les gaz anesthésiants et éviter le contact avec les chats. » La clinique vétérinaire a répondu en indiquant qu'il était malheureusement impossible de soustraire totalement le Dr [Y] du contact des chats alors qu'elle était parfois la seule vétérinaire à travailler à la clinique et que l'organisation des rendez-vous ne permettait pas qu'elle ne reçoive que des chiens en consultation. La clinique a adressé le 29 mars 2017 un mail à la médecine du travail indiquant qu'elle exigeait que Mme [Y] utilise des gants pour éviter tout contact avec les chats et que les prises de sang et poses de cathéter seraient réalisées par une infirmière. Ces aménagements de poste ont été notifiés à Mme [Y] par courrier du 30 mars 2017. Le 19 avril 2017, la clinique a de nouveau saisi la médecine du travail, lui faisant part du non-respect par Mme [Y] de son obligation de porter des gants. Le même jour, la clinique a adressé un courrier à Mme [Y] sur ce point en l'informant de la saisine de la médecine du travail. Le 24 avril 2017, Mme [Y] a été reçue par le médecin du travail qui a repris les mêmes préconisations que le 20 mars précédent sauf en ce qui concerne les chats. Sur ce point, il a précisé « pas de contact avec les chats ». C'est dans ces conditions que le contrat de Mme [Y] a fait l'objet d'une suspension à compter du 2 mai 2017 en application de l'article L.1225-14 du code du travail. Mme [Y] reconnaît avoir retiré ses gants lors d'une consultation avec un chat et précise par ailleurs qu'il est impossible de réaliser certains actes sur des chats avec des gants. Il ressort des pièces produites que l'employeur a respecté les préconisations de la médecine du travail et a saisi la médecine du travail aux fins d'assurer la sécurité de sa salariée. La suspension du contrat est la conséquence de l'impossibilité de procéder à l'aménagement de poste de Mme [Y], ce que celle-ci ne conteste pas.
L'employeur ne conteste pas avoir publié une annonce proposant un poste équivalent à celui de Mme [Y] mais indique que cette publication a été faite à titre conservatoire alors qu'il ignorait si Mme [Y] souhaitait bénéficier d'un congé parental après son congé maternité et que sa remplaçante était elle-même enceinte. La cour relève que par ailleurs, il n'est fait état d'aucune autre démarche au-delà de cette annonce visant à embaucher un vétérinaire pour remplacer Mme [Y].
En ce qui concerne les trois convocations à des entretiens informels en quelques semaines, Mme [Y] ne date et n'évoque précisément que celui du 20 février 2018. Elle produit des attestations de ses proches et de son entourage amical ou familial qui attestent qu'elle est sortie perturbée de cet entretien. Elle s'est rendue chez son médecin qui l'a placée en arrêt de travail. Elle ne produit cependant aucune attestation d'autres salariés qui l'auraient vu quitter la clinique ce jour-là. Le 21 février, les docteurs [V] et [D] ont adressé à Mme [Y] un mail évoquant cet entretien. Ce mail reprend les points évoqués lors de cette réunion : dénigrement de confrères, chantage au sujet de dossiers compromettants, mise en danger du poste de l'ASV [M] [B] à qui Mme [Y] aurait demandé de fouiller et de photographier des documents, harcèlement moral sur certains salariés de la clinique. Il ressort des pièces produites que plusieurs salariés subissaient le comportement très désagréable de Mme [Y]. L'employeur produit plusieurs attestations dénonçant son attitude et les critiques qu'elle formulait à l'égard des autres salariés ou des docteurs [D] et [V]. Mme [Y] ne conteste pas avoir demandé à [M] [B] de prendre des photos de documents, elle conteste la nature des documents en cause. Ainsi, l'entretien du 20 février est motivé par la nécessité de s'entretenir avec Mme [Y] de son comportement à l'égard d'autres salariés. Il s'inscrivait dans l'exercice par l'employeur de son pouvoir de direction. Parallèlement, la clinique a saisi le conseil de l'ordre d'une demande de médiation avec Mme [Y]. Cette demande de médiation, qui n'a finalement pas eu lieu sans que les parties ne fournissent d'éléments précis sur ce point, s'inscrivait également dans une tentative de recherche de solution.
Enfin en ce qui concerne le SMS évoquant un harcèlement, ce SMS du 9 mai est une réponse à un SMS de Mme [Y] rédigé en ces termes « Merci [F] de m'avoir laissé mon mercredi malgré le jour férié hier. Cela vient de me permettre de voir le premier quatre pattes de ma petite [U]. J'espère que vous n'êtes pas trop surchargé. A vendredi ». SMS auquel le Docteur [D] répond « Non c normal, vous aviez besoin de vs reposer après cette période de harcèlement où vos nerfs ont été mis à rude épreuve ». Il ressort de cet échange de SMS que l'employeur avait permis à Mme [Y] de bénéficier de son mercredi et le mot de « harcèlement » figurant dans le SMS ne constitue pas la reconnaissance par l'employeur de ce qu'il aurait fait subir un harcèlement à Mme [Y]. La cour relève par ailleurs que le SMS suivant est à nouveau un SMS de Mme [Y] remerciant le Dr [D] de lui avoir laissé son week-end, SMS auquel le Dr [D] a répondu de façon extrêmement bienveillante.
Il se déduit de ces éléments que l'employeur justifie ses décisions par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au regard de ces éléments, la cour retient que Mme [Y] n'a pas subi de faits de harcèlement moral. En conséquence, son licenciement ne peut être considéré comme l'ultime acte de ce harcèlement.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé que Mme [Y] avait subi des faits de harcèlement moral et dit le licenciement nul.
La cour n'ayant pas retenu le harcèlement moral, Mme [Y] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur le licenciement
Mme [Y] soutient que le licenciement serait nul car discriminatoire en raison de son état de grossesse.
Aux termes l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de son état de grossesse.
Aux termes de l'article L.1134-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à l'employeur, au de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, Mme [Y] se prévaut de la chronologie entre l'annonce de la grossesse et son licenciement et de l'absence de toute difficulté antérieure pour soutenir que le licenciement serait discriminatoire.
La cour relève que la seule chronologie est insuffisante à laisser supposer l'existence d'une discrimination liée à l'état de grossesse de Mme [Y] alors que le licenciement a été initié près de six mois après le retour de la salariée de son congé de maternité.
Il n'y a donc pas lieu de retenir la nullité du licenciement en ce qu'il serait discriminatoire.
En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être motivé.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de la gravité des faits fautifs retenus et de leur imputabilité au salarié.
La lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée :
« En l'état et compte tenu des faits qui vous sont reprochés et des éléments de réponse que vous nous avez apportés lors de l'entretien tenu ce lundi 23 juillet à 11 h 30, où vous étiez assisté de Monsieur [O], es qualité, nous vous notifions par la présente notre décision de vous licencier pour faute grave pour les motifs suivants :
Vous avez été engagée en qualité de vétérinaire salariée de la Clinique Wagranville, suivant contrat de travail en date du 26 novembre 2013.
En nos qualités d'employeurs et confrères, nous vous avons confié la responsabilité d'exercer vos fonctions de vétérinaire dans le respect du Code de déontologie et la convention collective des vétérinaires salariés.
Bien que vous les connaissiez parfaitement, nous avons été conduits à plusieurs reprises de vous rappeler les obligations attachées à vos fonctions et responsabilités, tant en ce qui concerne vos relations avec la clientèle de la clinique que l'ensemble du personnel.
Nous avons longuement espéré une amélioration de votre comportement en mettant en 'uvre notamment des moyens d'écoute avec l'Ordre des vétérinaires et l'un de nos confrères le Docteur [R], VLS Consultant, à qui nous avons confié l'audit des relations sociales au sein de notre Clinique vétérinaire.
Malheureusement, nos actions et nos espoirs ont été vains et contrariés par votre défiance et vos insubordinations répétées. Nous ne pouvons accepter que cette situation perdure et que des faits comme ceux des 22 juin et 26 juin dernier se répètent régulièrement, malgré nos mises en garde.
Vendredi 22 juin, il vous a été demandé de rendre à Monsieur [N] son chien Glascow, chien guide d'aveugle, hospitalisé depuis six jours à la clinique pour une tumeur du péricarde (tumeur de l'enveloppe cardiaque).
Ce cas avait été suivi par l'ensemble des vétérinaires de jour, à savoir, le Docteur [V], le Docteur [D] et vous-même.
Nous vous avons demandé de faire un compte-rendu à remettre à Monsieur [N] et plus encore, (compte tenu de son handicap) de lui expliquer précisément afin de lui permettre de décider de réaliser un scanner dans un centre d'imagerie vétérinaire de [Localité 6].
Rapidement, pendant cet entretien avec le client, vous êtes allée rendre compte au Docteur [D] pour lui faire part de votre désaccord sur la réalisation d'un scanner et votre refus de recevoir plus longuement Monsieur [N].
Face à cette situation, le Docteur [D] a poursuivi cet entretien avec le client en le priant d'excuser votre réaction plus que maladroite.
Monsieur [N] dont son chien Glascow est une part entière de sa vie, a reçu toutes les explications nécessaires du Docteur [D] pour comprendre et décider des suites à donner au traitement médical de son chien.
Nous considérons que votre attitude a été totalement irrespectueuse des obligations attachées à vos fonctions et responsabilités de vétérinaire salariée de notre Clinique Wagranville.
Il en est de même des faits survenus le 26 juin 2018.
Ainsi, ce jour, dans le courant de la matinée, Madame [E] s'est présentée à la clinique vétérinaire en situation d'urgence avec son chat dont vous aviez eu la charge des soins dans le cadre de vos consultations quelques jours auparavant.
Au motif prétendu que vous étiez occupée en consultations, vous vous êtes opposée aux demandes des infirmières ASV et avez refusé d'accueillir cette cliente pour prendre en charge cette urgence qui vous incombait.
Votre désobéissance à l'obligation de soins a contraint vos collègues à demander au Docteur [D] qui était en chirurgie, d'interrompre celle-ci pour gérer cette urgence et décider de l'hospitalisation immédiate du chat de Madame [E].
Par la suite, dans le courant de l'après-midi de ce même 26 juin, vous avez persisté dans votre refus de vous entretenir avec la propriétaire de l'animal qui demandait à vous rencontrer pour être informée de vos soins et être accompagnée comme il se doit dans la circonstance d'une éventuelle euthanasie.
Sans motif, vous avez préféré quitter la clinique à la fin de vos consultations en ignorant la demande de la propriétaire de l'animal et de vos collègues de travail.
C'est dans ces circonstances qu'en suite immédiate, plusieurs de vos collègues, infirmières ASV et vétérinaires, nous ont exprimé de nouveau les difficultés qu'ils avaient à travailler avec vous avec les conséquences que votre comportement quotidien emportait sur les relations de travail au sein de la clinique vétérinaire.
Outre ces faits fautifs des 22 et 26 juin 2018, votre comportement à l'égard de vos collègues de travail ne permet plus le maintien de votre emploi en qualité de vétérinaire salariée de la Clinique Wagranville.
En conséquence, la présente notification emporte rupture de votre contrat de travail pour faute grave à la date de ce jour. »
En réponse à la demande de précision de Mme [Y], l'employeur dans son courrier du 10 août 2018 a de nouveau évoqué les faits des 22 et 26 juin 2018 et les difficultés à travailler avec Mme [Y] dénoncées par les autres salariés.
Il est reproché à Mme [Y] un comportement inapproprié à l'égard des propriétaires de deux animaux qu'elle traitait.
L'employeur soutient que Mme [Y] a commis non seulement des actes graves d'insubordination mais également des manquements à ses devoirs fondamentaux de vétérinaire. La clinique se prévaut des attestations des salariés qui étaient les seuls témoins directs des faits commis.
Mme [Y] conteste la présentation des faits par l'employeur.
La cour relève que s'agissant des faits du 22 juin concernant le chien Glascow, aucune attestation n'est produite. Ce grief n'est donc matériellement établi.
En ce qui concerne les faits du 26 juin 2018, l'employeur produit deux attestations dont il ressort que dans l'après-midi du 26 juin 2018, Mme [Y] n'a pas voulu voir la propriétaire d'un chat et que le Dr [D] a dû en conséquence intervenir. Ce grief est établi.
En ce qui concerne le comportement de Mme [Y] à l'égard des autres salariés, la lettre de licenciement ne fait état d'aucun fait précis et circonstancié et ne fait qu'invoquer en termes très généraux les difficultés des autres salariés à travailler avec celle-ci ainsi que les conséquences de son comportement sur les relations de travail au sein de clinique. Ce grief est trop peu circonstancié.
Les seuls faits du 26 juin 2018 sont insuffisants à justifier un licenciement.
La cour retient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement
Mme [Y] est fondée à solliciter un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Mme [Y] peut également prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et à une indemnité légale de licenciement. L'employeur ne forme aucune observation en ce qui concerne ces deux indemnités. Le jugement sera confirmé sur ce point.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, Mme [Y] qui comptait quatre ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 5 mois de salaire.
Compte tenu de son âge au moment de la rupture (37 ans), de son ancienneté au moment de la rupture, il lui sera alloué la somme de 25 500 euros.
Sur les autres demandes
La société Univet sera condamnée aux dépens.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dit la société Univet recevable en son appel,
Confirme le jugement du 8 mars 2022 rectifié par jugement du 7 avril 2022 sauf en ce qu'il a :
- dit que Mme [P] [Y] a été victime de faits de harcèlement moral
- dit que le licenciement de Mme [P] [Y] est nul
- condamné la société Univet à payer à Mme [P] [Y] la somme de 35 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que Mme [P] [Y] n'a pas subi de faits de harcèlement moral,
Déboute Mme [P] [Y] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi des faits de harcèlement moral,
Dit que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Univet à payer à Mme [Y] la somme de 25 500 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Univet aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles à hauteur d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 09 OCTOBRE 2025
(n° , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04384 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFR44
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Mars 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/07405
APPELANTE
S.A.S. UNIVET venant aux droits de la SCP Vétérinaire des docteurs [V] et [D] dénommée 'Clinique Wagranville' pris en son établissement secondaire : UNIVET WAGRANVILLE - [Adresse 3]
Agissant poursuites et diligences en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Florence GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
INTIMEE
Madame [P] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Isabelle GUENEZAN de la SELEURL SELARL Isabelle GUENEZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0725
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile,
l'affaire a été débattue le 10 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 26 novembre 2013, Mme [P] [Y] a été engagée par contrat à durée indéterminée en tant que vétérinaire diplômée, par la Société Civile Professionnelle des Docteurs [V] et [D]. Cette société exerce l'activité vétérinaire de soins et chirurgie aux animaux.
La société Univet vient aujourd'hui aux droits de la SCP des Docteurs [V] et [D].
Mme [Y] a été en congé maternité entre les 30 septembre 2017 et 5 février 2018.
Par mails des 12 et 13 juillet 2018, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 23 juillet 2018 et a été invitée à ne plus se présenter sur son lieu de travail.
Par un courrier du 26 juillet 2018, Mme [Y] a été licenciée pour faute grave, l'employeur ayant précisé les motifs du licenciement le 10 août 2018 en réponse à la demande de la salariée.
Par requête du 1er octobre 2018, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en contestation de son licenciement.
Par jugement en date du 8 mars 2022, notifié à la même date, le conseil de prud'hommes de Paris en formation de départage, a :
- dit que Mme [Y] a été victime de faits de harcèlement moral
- dit que le licenciement de Mme [Y] est nul
- condamné la société Univet SAS à payer à Mme [Y] les sommes de :
- 35 000 euros au titre de dommages et intérêts pour le licenciement nul
- 2 376,35 euros au titre de la mise à pied conservatoire
- 237,63 euros au titre des congés payés afférents
- 6 611,15 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 17 000 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 1 700 euros au titre des congés payés afférents.
- dit que les condamnations à caractère salarial porteront au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter de la présente décision porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
- dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné la société Univet à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la société Univet SAS aux entiers dépens.
Le 4 avril 2022, la société Univet a interjeté appel de la décision.
Par jugement du 7 avril 2022, le conseil de prud'hommes a procédé à la rectification d'une erreur matérielle affectant le jugement du 8 mars 2022 et a :
- dit qu'il y a lieu d'ajouter au dispositif du jugement du 8 mars 2022 les mentions suivantes :
«- dit que Madame [P] [Y] ne relevait pas de la catégorie des cadres autonomes mais de celle des cadres intégrés et ne pouvait être soumise à une convention de forfait jours
- condamne la société UNIVET SAS à payer à Madame [P] [Y] la somme de 11 853 euros au titre des heures supplémentaires accomplies sur la période du 26 juillet 2015 au 26 juillet 2018, outre la somme de 1 185,30 euros au titre des congés payés afférents »
- dit que cette décision sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement du 8 mars 2022.
La société Univet a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 avril 2022.
Les deux affaires ont fait l'objet d'une jonction.
Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées par RPVA le 14 octobre 2022, la société Univet demande à la cour de :
- la dire recevable et bien fondée en son appel
- dire que le licenciement de Mme [P] [Y] repose sur une faute grave
En conséquence, statuant à nouveau,
- infirmer le jugement rendu le 8 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :
- dit que Madame [P] [Y] a été victime de faits de harcèlement moral
- dit que le licenciement de Madame [P] [Y] est nul
- condamné la société UNIVET SAS à payer à Madame [P] [Y] les sommes de :
* 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
* 2 376,35 euros au titre de la mise à pied conservatoire
* 237,63 euros au titre des congés payés afférents
* 6 611,15 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
* 17 000 euros a' titre de l'indemnité compensatrice de préavis
* 1700 euros au titre des congés payés afférents.
- dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter de la présente décision porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision
- dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné la société Univet SAS à payer à Madame [P] [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la société Univet SAS aux entiers dépens.
- infirmer le jugement rendu le 7 avril 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :
- déclaré recevable la requête en rectification d'erreur matérielle
- dit qu'il y a lieu d'ajouter au dispositif du jugement du 8 mars 2022 les mentions suivantes :
« - dit que Madame [P] [Y] ne relevait pas de la catégorie des cadres autonomes mais de celle des cadres intégrés et ne pouvait être soumise à une convention de forfait jours
- condamne la société Univet SAS à payer à Madame [P] [Y] la somme de 11 853 euros au titre des heures supplémentaires accomplies sur la période du 26 juillet 2015 au 26 juillet 2018, outre la somme de 1 185,30 euros au titre des congés payés afférents »
- dit que cette décision sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement du 8 mars 2022
- dit que les dépens seront pris en charge par l'État
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes
- condamner Mme [P] [Y] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 juillet 2022, Mme [Y] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée son appel incident
- faire droit aux demandes, fins et prétentions de la concluante
- débouter la société Univet de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions
Corrélativement :
- confirmer en son intégralité le jugement rendu le 8 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris
- confirmer en son intégralité le jugement en rectification d'erreur matérielle rendu le 7 avril 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris
- constater que le conseil de prud'hommes de Paris a omis de statuer sur la demande visant à réparer le préjudice subi du fait du harcèlement moral dont elle a été victime
En conséquence, et rectifiant l'omission de statuer des premiers juges :
- condamner la société Univet à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour d'appel ne retiendrait pas le harcèlement moral :
- juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement
- condamner la société Univet à lui payer les sommes suivantes :
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (5 mois) : 28 333, 50 euros
- rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire (13 jours) : 2 376, 35 euros
- congés payés sur le rappel de salaire : 237, 63 euros
- indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 17 000 euros
- congés payés sur préavis : 1 700 euros
- indemnité légale de licenciement : 6 611, 15 euros
En tout état de cause,
- condamner en cause d'appel la SAS Univet à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la SAS Univet aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La cour se réfère expressément aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que de leurs moyens et prétentions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le statut de cadre autonome et le paiement des heures supplémentaires
La cour relève que le conseil de prud'hommes a statué sur ces points par jugement rectificatif du 7 avril 2022. La société Univest sollicite l'infirmation de ce jugement en ce qu'il a déclaré recevable la requête en rectification d'erreur matérielle mais ne présente aucun moyen portant sur l'irrecevabilité d'une telle requête. La cour n'est en conséquence pas tenue de se prononcer sur la recevabilité de cette requête.
En application de l'article L.3121-58 du code du travail, peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.
L'article 57 de la convention nationale des vétérinaires praticiens salariés prévoit que peuvent conclure une convention de forfait les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein du cabinet, de la clinique ou du centre hospitalier vétérinaire.
Mme [Y] expose que son contrat de travail prévoit à l'article 6 un forfait en jours mais que l'article 13 fixe des horaires de travail. Elle indique que dès son embauche et pendant toute l'exécution de son contrat, elle a été soumise à un horaire obligatoire, imposé par l'employeur et n'a jamais disposé d'une réelle autonomie ni dans l'organisation de son emploi du temps, ni dans l'exercice de ses fonctions.
La société Univet explique que les horaires indiqués à l'article 13 du contrat de travail sont en réalité les horaires d'accueil de la clientèle de la clinique vétérinaire et non les horaires de travail de Mme [Y]. Elle soutient que Mme [Y] disposait d'une autonomie et d'une liberté certaine pour organiser ses rendez-vous à la clinique les jours où elle était présente.
La cour retient comme le premier juge que si le contrat de travail en ses articles 6 et 7 confère à Mme [Y] le statut de cadre autonome qui ne relève pas de l'horaire collectif et dispose d'une véritable autonomie, l'article 13, intitulé « clauses particulières », stipule « les horaires de travail du lundi au vendredi seront les suivants : 8h30 à 13h et 14h30 à 19h. Les horaires de travail le samedi seront les suivants : 8h30 à 13h et 14h à 17h30 ». Dans un mail du 21 décembre 2017 portant sur l'organisation du travail de Mme [Y] à son retour de congé-maternité, le docteur [V] indique « vous travaillerez les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 8h30 à 12h30 et de 14h30 à 19h et un samedi sur 2 », ce mail précisant déjà les samedis travaillés des mois de février et mars. Il s'en déduit que Mme [Y] ne disposait pas d'autonomie dans l'organisation de son emploi du temps mais se voyait imposer des horaires de travail par son employeur. La cour en déduit qu'elle ne relevait pas de la catégorie des cadres autonomes et ne pouvait conclure une convention de forfait en jours.
En conséquence, Mme [Y] est bien fondée à solliciter le paiement d'heures supplémentaires.
Selon l'article L. 3174-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.
Mme [Y] forme une demande de rappel de salaire en retenant, au regard des horaires de travail prévus par l'article 13 de son contrat de travail, qu'elle travaillait 9 heures par jour de semaine et 7 heures les samedis où elle travaillait. Elle fournit ainsi des éléments suffisamment précis pour que l'employeur puisse répondre.
Celui-ci se limite à affirmer l'opposabilité de la convention de forfait en jours et ne forme aucune observation ni sur les heures effectivement effectuées par la salariée ni sur le quantum du rappel de salaire sollicité par Mme [Y].
La cour retient que les premiers juges ont fait une juste appréciation du rappel de salaire dû au titre des heures supplémentaires.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le harcèlement moral discriminatoire
Aux termes de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Aux termes l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de son état de grossesse.
Mme [Y] soutient qu'elle a subi des faits de harcèlement moral discriminatoire liée à son état de grossesse. Elle indique que ses relations avec son employeur se sont dégradées à la suite de l'annonce de sa grossesse.
Elle fait état de :
- refus de l'employeur de respecter les préconisations du médecin du travail notamment quant à des restrictions de contact avec les chats ; elle soutient que les employeurs l'ont contrainte à soigner des chats errants
- propos blessants et culpabilisants du Dr [V] sur son alimentation, son « impossibilité » d'utiliser certains produits en raison de son état de grossesse et un mépris pour sa situation
- l'obtention de la médecine du travail d'une interdiction totale de contact avec les chats permettant une suspension de son contrat de travail
- la négligence et le manque de réactivité de ses employeurs pour qu'elle puisse bénéficier de ses prestations sociales
- la publication d'une annonce concernant son poste avant son retour de congé
- la convocation à trois entretiens en quinze jours après sa reprise de travail
- la saisine du conseil de l'Ordre à des fins purement stratégiques d'intimidation
- sa mise à l'écart de son retour de congé jusqu'à son licenciement
- un SMS de l'employeur reconnaissant le harcèlement qu'elle avait subi.
En ce qui concerne le refus de l'employeur de respecter les préconisations du médecin du travail, Mme [Y] produit les échanges entre la médecine du travail et l'employeur qui ont abouti à une suspension du contrat de travail de Mme [Y].
Mme [Y] ne produit aucun élément à l'appui de l'allégation selon laquelle le Docteur [V] aurait tenu à son endroit des propos blessants et culpabilisants et aurait manifesté du mépris à l'égard de son état de grossesse. Ce fait n'est pas matériellement établi.
Elle produit une attestation de son conjoint indiquant qu'elle a constamment dû relancer ses employeurs pour obtenir le paiement de ses prestations sociales ainsi que des échanges sur l'obtention de prestations sociales à la suite de la suspension de son contrat de travail. Il ressort du mail du 7 juillet 2017 adressé par Mme [Y] à son employeur que deux documents devaient être fournis, l'un par elle et l'autre par l'employeur que ce dernier avait transmis. L'employeur a pris attache avec la CPAM pour comprendre les difficultés de
Mme [Y]. Il ressort également des pièces produites que l'employeur a très rapidement transmis le dossier de Mme [Y] à son assureur prévoyance. Ces éléments contredisent les allégations du conjoint de Mme [Y] dont la valeur probatoire est limitée. A cet égard, la cour relève, comme l'employeur, que Mme [Y] a elle-même confirmé le règlement de la situation à la suite des démarches de l'employeur par mail du 10 juillet 2017. Ce grief n'est pas matériellement établi.
Alors qu'elle fait état de sa convocation à trois entretiens en quinze jours à son retour de congé maternité, elle ne date que celui du 20 février.
Elle ne fournit aucun élément à l'appui de son allégation de mise à l'écart au sein de la clinique. Ce fait n'est pas matériellement établi.
Au regard des faits matériellement établis, Mme [Y] présente des éléments de fait qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En ce qui concerne le non-respect par l'employeur des préconisations de la médecine du travail, il ressort des pièces produites qu'après l'annonce de sa grossesse, Mme [Y] a été vue, le 20 mars 2017, par le médecin du travail qui a préconisé : « aménagement de poste : contre-indication temporaire à l'exposition aux [Localité 7], aide à la manutention de charges lourdes, utilisation de la table réglable, pas de contact avec les gaz anesthésiants et éviter le contact avec les chats. » La clinique vétérinaire a répondu en indiquant qu'il était malheureusement impossible de soustraire totalement le Dr [Y] du contact des chats alors qu'elle était parfois la seule vétérinaire à travailler à la clinique et que l'organisation des rendez-vous ne permettait pas qu'elle ne reçoive que des chiens en consultation. La clinique a adressé le 29 mars 2017 un mail à la médecine du travail indiquant qu'elle exigeait que Mme [Y] utilise des gants pour éviter tout contact avec les chats et que les prises de sang et poses de cathéter seraient réalisées par une infirmière. Ces aménagements de poste ont été notifiés à Mme [Y] par courrier du 30 mars 2017. Le 19 avril 2017, la clinique a de nouveau saisi la médecine du travail, lui faisant part du non-respect par Mme [Y] de son obligation de porter des gants. Le même jour, la clinique a adressé un courrier à Mme [Y] sur ce point en l'informant de la saisine de la médecine du travail. Le 24 avril 2017, Mme [Y] a été reçue par le médecin du travail qui a repris les mêmes préconisations que le 20 mars précédent sauf en ce qui concerne les chats. Sur ce point, il a précisé « pas de contact avec les chats ». C'est dans ces conditions que le contrat de Mme [Y] a fait l'objet d'une suspension à compter du 2 mai 2017 en application de l'article L.1225-14 du code du travail. Mme [Y] reconnaît avoir retiré ses gants lors d'une consultation avec un chat et précise par ailleurs qu'il est impossible de réaliser certains actes sur des chats avec des gants. Il ressort des pièces produites que l'employeur a respecté les préconisations de la médecine du travail et a saisi la médecine du travail aux fins d'assurer la sécurité de sa salariée. La suspension du contrat est la conséquence de l'impossibilité de procéder à l'aménagement de poste de Mme [Y], ce que celle-ci ne conteste pas.
L'employeur ne conteste pas avoir publié une annonce proposant un poste équivalent à celui de Mme [Y] mais indique que cette publication a été faite à titre conservatoire alors qu'il ignorait si Mme [Y] souhaitait bénéficier d'un congé parental après son congé maternité et que sa remplaçante était elle-même enceinte. La cour relève que par ailleurs, il n'est fait état d'aucune autre démarche au-delà de cette annonce visant à embaucher un vétérinaire pour remplacer Mme [Y].
En ce qui concerne les trois convocations à des entretiens informels en quelques semaines, Mme [Y] ne date et n'évoque précisément que celui du 20 février 2018. Elle produit des attestations de ses proches et de son entourage amical ou familial qui attestent qu'elle est sortie perturbée de cet entretien. Elle s'est rendue chez son médecin qui l'a placée en arrêt de travail. Elle ne produit cependant aucune attestation d'autres salariés qui l'auraient vu quitter la clinique ce jour-là. Le 21 février, les docteurs [V] et [D] ont adressé à Mme [Y] un mail évoquant cet entretien. Ce mail reprend les points évoqués lors de cette réunion : dénigrement de confrères, chantage au sujet de dossiers compromettants, mise en danger du poste de l'ASV [M] [B] à qui Mme [Y] aurait demandé de fouiller et de photographier des documents, harcèlement moral sur certains salariés de la clinique. Il ressort des pièces produites que plusieurs salariés subissaient le comportement très désagréable de Mme [Y]. L'employeur produit plusieurs attestations dénonçant son attitude et les critiques qu'elle formulait à l'égard des autres salariés ou des docteurs [D] et [V]. Mme [Y] ne conteste pas avoir demandé à [M] [B] de prendre des photos de documents, elle conteste la nature des documents en cause. Ainsi, l'entretien du 20 février est motivé par la nécessité de s'entretenir avec Mme [Y] de son comportement à l'égard d'autres salariés. Il s'inscrivait dans l'exercice par l'employeur de son pouvoir de direction. Parallèlement, la clinique a saisi le conseil de l'ordre d'une demande de médiation avec Mme [Y]. Cette demande de médiation, qui n'a finalement pas eu lieu sans que les parties ne fournissent d'éléments précis sur ce point, s'inscrivait également dans une tentative de recherche de solution.
Enfin en ce qui concerne le SMS évoquant un harcèlement, ce SMS du 9 mai est une réponse à un SMS de Mme [Y] rédigé en ces termes « Merci [F] de m'avoir laissé mon mercredi malgré le jour férié hier. Cela vient de me permettre de voir le premier quatre pattes de ma petite [U]. J'espère que vous n'êtes pas trop surchargé. A vendredi ». SMS auquel le Docteur [D] répond « Non c normal, vous aviez besoin de vs reposer après cette période de harcèlement où vos nerfs ont été mis à rude épreuve ». Il ressort de cet échange de SMS que l'employeur avait permis à Mme [Y] de bénéficier de son mercredi et le mot de « harcèlement » figurant dans le SMS ne constitue pas la reconnaissance par l'employeur de ce qu'il aurait fait subir un harcèlement à Mme [Y]. La cour relève par ailleurs que le SMS suivant est à nouveau un SMS de Mme [Y] remerciant le Dr [D] de lui avoir laissé son week-end, SMS auquel le Dr [D] a répondu de façon extrêmement bienveillante.
Il se déduit de ces éléments que l'employeur justifie ses décisions par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au regard de ces éléments, la cour retient que Mme [Y] n'a pas subi de faits de harcèlement moral. En conséquence, son licenciement ne peut être considéré comme l'ultime acte de ce harcèlement.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé que Mme [Y] avait subi des faits de harcèlement moral et dit le licenciement nul.
La cour n'ayant pas retenu le harcèlement moral, Mme [Y] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur le licenciement
Mme [Y] soutient que le licenciement serait nul car discriminatoire en raison de son état de grossesse.
Aux termes l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de son état de grossesse.
Aux termes de l'article L.1134-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à l'employeur, au de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, Mme [Y] se prévaut de la chronologie entre l'annonce de la grossesse et son licenciement et de l'absence de toute difficulté antérieure pour soutenir que le licenciement serait discriminatoire.
La cour relève que la seule chronologie est insuffisante à laisser supposer l'existence d'une discrimination liée à l'état de grossesse de Mme [Y] alors que le licenciement a été initié près de six mois après le retour de la salariée de son congé de maternité.
Il n'y a donc pas lieu de retenir la nullité du licenciement en ce qu'il serait discriminatoire.
En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être motivé.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de la gravité des faits fautifs retenus et de leur imputabilité au salarié.
La lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée :
« En l'état et compte tenu des faits qui vous sont reprochés et des éléments de réponse que vous nous avez apportés lors de l'entretien tenu ce lundi 23 juillet à 11 h 30, où vous étiez assisté de Monsieur [O], es qualité, nous vous notifions par la présente notre décision de vous licencier pour faute grave pour les motifs suivants :
Vous avez été engagée en qualité de vétérinaire salariée de la Clinique Wagranville, suivant contrat de travail en date du 26 novembre 2013.
En nos qualités d'employeurs et confrères, nous vous avons confié la responsabilité d'exercer vos fonctions de vétérinaire dans le respect du Code de déontologie et la convention collective des vétérinaires salariés.
Bien que vous les connaissiez parfaitement, nous avons été conduits à plusieurs reprises de vous rappeler les obligations attachées à vos fonctions et responsabilités, tant en ce qui concerne vos relations avec la clientèle de la clinique que l'ensemble du personnel.
Nous avons longuement espéré une amélioration de votre comportement en mettant en 'uvre notamment des moyens d'écoute avec l'Ordre des vétérinaires et l'un de nos confrères le Docteur [R], VLS Consultant, à qui nous avons confié l'audit des relations sociales au sein de notre Clinique vétérinaire.
Malheureusement, nos actions et nos espoirs ont été vains et contrariés par votre défiance et vos insubordinations répétées. Nous ne pouvons accepter que cette situation perdure et que des faits comme ceux des 22 juin et 26 juin dernier se répètent régulièrement, malgré nos mises en garde.
Vendredi 22 juin, il vous a été demandé de rendre à Monsieur [N] son chien Glascow, chien guide d'aveugle, hospitalisé depuis six jours à la clinique pour une tumeur du péricarde (tumeur de l'enveloppe cardiaque).
Ce cas avait été suivi par l'ensemble des vétérinaires de jour, à savoir, le Docteur [V], le Docteur [D] et vous-même.
Nous vous avons demandé de faire un compte-rendu à remettre à Monsieur [N] et plus encore, (compte tenu de son handicap) de lui expliquer précisément afin de lui permettre de décider de réaliser un scanner dans un centre d'imagerie vétérinaire de [Localité 6].
Rapidement, pendant cet entretien avec le client, vous êtes allée rendre compte au Docteur [D] pour lui faire part de votre désaccord sur la réalisation d'un scanner et votre refus de recevoir plus longuement Monsieur [N].
Face à cette situation, le Docteur [D] a poursuivi cet entretien avec le client en le priant d'excuser votre réaction plus que maladroite.
Monsieur [N] dont son chien Glascow est une part entière de sa vie, a reçu toutes les explications nécessaires du Docteur [D] pour comprendre et décider des suites à donner au traitement médical de son chien.
Nous considérons que votre attitude a été totalement irrespectueuse des obligations attachées à vos fonctions et responsabilités de vétérinaire salariée de notre Clinique Wagranville.
Il en est de même des faits survenus le 26 juin 2018.
Ainsi, ce jour, dans le courant de la matinée, Madame [E] s'est présentée à la clinique vétérinaire en situation d'urgence avec son chat dont vous aviez eu la charge des soins dans le cadre de vos consultations quelques jours auparavant.
Au motif prétendu que vous étiez occupée en consultations, vous vous êtes opposée aux demandes des infirmières ASV et avez refusé d'accueillir cette cliente pour prendre en charge cette urgence qui vous incombait.
Votre désobéissance à l'obligation de soins a contraint vos collègues à demander au Docteur [D] qui était en chirurgie, d'interrompre celle-ci pour gérer cette urgence et décider de l'hospitalisation immédiate du chat de Madame [E].
Par la suite, dans le courant de l'après-midi de ce même 26 juin, vous avez persisté dans votre refus de vous entretenir avec la propriétaire de l'animal qui demandait à vous rencontrer pour être informée de vos soins et être accompagnée comme il se doit dans la circonstance d'une éventuelle euthanasie.
Sans motif, vous avez préféré quitter la clinique à la fin de vos consultations en ignorant la demande de la propriétaire de l'animal et de vos collègues de travail.
C'est dans ces circonstances qu'en suite immédiate, plusieurs de vos collègues, infirmières ASV et vétérinaires, nous ont exprimé de nouveau les difficultés qu'ils avaient à travailler avec vous avec les conséquences que votre comportement quotidien emportait sur les relations de travail au sein de la clinique vétérinaire.
Outre ces faits fautifs des 22 et 26 juin 2018, votre comportement à l'égard de vos collègues de travail ne permet plus le maintien de votre emploi en qualité de vétérinaire salariée de la Clinique Wagranville.
En conséquence, la présente notification emporte rupture de votre contrat de travail pour faute grave à la date de ce jour. »
En réponse à la demande de précision de Mme [Y], l'employeur dans son courrier du 10 août 2018 a de nouveau évoqué les faits des 22 et 26 juin 2018 et les difficultés à travailler avec Mme [Y] dénoncées par les autres salariés.
Il est reproché à Mme [Y] un comportement inapproprié à l'égard des propriétaires de deux animaux qu'elle traitait.
L'employeur soutient que Mme [Y] a commis non seulement des actes graves d'insubordination mais également des manquements à ses devoirs fondamentaux de vétérinaire. La clinique se prévaut des attestations des salariés qui étaient les seuls témoins directs des faits commis.
Mme [Y] conteste la présentation des faits par l'employeur.
La cour relève que s'agissant des faits du 22 juin concernant le chien Glascow, aucune attestation n'est produite. Ce grief n'est donc matériellement établi.
En ce qui concerne les faits du 26 juin 2018, l'employeur produit deux attestations dont il ressort que dans l'après-midi du 26 juin 2018, Mme [Y] n'a pas voulu voir la propriétaire d'un chat et que le Dr [D] a dû en conséquence intervenir. Ce grief est établi.
En ce qui concerne le comportement de Mme [Y] à l'égard des autres salariés, la lettre de licenciement ne fait état d'aucun fait précis et circonstancié et ne fait qu'invoquer en termes très généraux les difficultés des autres salariés à travailler avec celle-ci ainsi que les conséquences de son comportement sur les relations de travail au sein de clinique. Ce grief est trop peu circonstancié.
Les seuls faits du 26 juin 2018 sont insuffisants à justifier un licenciement.
La cour retient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement
Mme [Y] est fondée à solliciter un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Mme [Y] peut également prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et à une indemnité légale de licenciement. L'employeur ne forme aucune observation en ce qui concerne ces deux indemnités. Le jugement sera confirmé sur ce point.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, Mme [Y] qui comptait quatre ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 5 mois de salaire.
Compte tenu de son âge au moment de la rupture (37 ans), de son ancienneté au moment de la rupture, il lui sera alloué la somme de 25 500 euros.
Sur les autres demandes
La société Univet sera condamnée aux dépens.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dit la société Univet recevable en son appel,
Confirme le jugement du 8 mars 2022 rectifié par jugement du 7 avril 2022 sauf en ce qu'il a :
- dit que Mme [P] [Y] a été victime de faits de harcèlement moral
- dit que le licenciement de Mme [P] [Y] est nul
- condamné la société Univet à payer à Mme [P] [Y] la somme de 35 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que Mme [P] [Y] n'a pas subi de faits de harcèlement moral,
Déboute Mme [P] [Y] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi des faits de harcèlement moral,
Dit que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Univet à payer à Mme [Y] la somme de 25 500 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Univet aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles à hauteur d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE