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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 10, 9 octobre 2025, n° 25/07963

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/07963

9 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2025

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/07963 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLJC4

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Octobre 2024 - Juge de la mise en état de PARIS- RG n° 14/08076

APPELANT

Monsieur [O] [T]

[Adresse 14]

[Localité 12] (ITALIE)

né le 04 Avril 1945 à [Localité 10] (Italie)

Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assisté par Me Philippe SCARZELLA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1281

INTIMÉS

Monsieur [W] [M]

[Adresse 1]

[Localité 5]

né le 15 Février 1984

Représenté et assisté par Me Pierre-olivier SUR de la SCP FTMS Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147

Monsieur [L] [R]

[Adresse 13]

[Localité 4] ITALIE

né le 23 Mai 1946 à [Localité 11]

et

Société THE ART FACTORY

[Adresse 2]

[Localité 3] ETATS UNIS

N° SIRET : 492 317 0

Représentés par Me Valéria CEPOI de l'AARPI LAMBOUROUD CEPOI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Juillet 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

Mme Anne ZYSMAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie MORLET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présent lors de la mise à disposition.

*****

Faits et procédure

M. [O] [T], déclarant que le tableau d'une femme nue, huile sur bois de 25 X 39 cm, dont une photo était jointe (représentant une Vénus au Voile dans le style de l'école de Cranach), a par acte du 19 novembre 2012 requis la société de droit américain The Art Factory LLC aux fins de réaliser pour son compte l'expertise et la vente de celui-ci. Le tableau a le 29 novembre 2011 été remis à M. [L] [R], dirigeant de la société The Art Factory, qui l'a le 29 novembre 2012 remis à la SNC Christie's France.

M. [W] [M], disant agir en qualité de mandataire du propriétaire du tableau Vénus au Voile, huile sur bois de 38,7 X 24,5 cm, attribué à Lucas Cranach l'ancien (1482-1553) (et déclarant en son article 4 que le tableau lui appartient en toute propriété ou qu'il a toute autorité pour en disposer), a par acte du 21 mars 2013 vendu l''uvre à la société de droit allemand [U] Fine Old Masters pour un montant de 3.200.000 euros. M. [M] a le même jour émis une facture à l'attention de la société [U], pour ce montant.

* Arguant de fautes commises dans le cadre du mandat du 19 novembre 2012 et leur reprochant d'avoir illégalement sorti le tableau du territoire français, de ne pas l'avoir informé des résultats des expertises, de s'être fait passer pour les propriétaires de l''uvre et de l'avoir vendu sans en être propriétaires, M. [T] a par actes des 2 et 14 mai 2014 assigné la société The Art Factory, M. [R] et M. [M] devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité et indemnisation.

La mise en état du dossier a été clôturée le 9 décembre 2015 et une audience de plaidoirie fixée au 22 septembre 2016.

* Entre-temps, une information judiciaire a été ouverte en 2015 devant le juge d'instruction de Paris (n°JI60115000016) des chefs de contrefaçon artistique, escroqueries, blanchiment de ces délits, commis à [Localité 11] en France, en Angleterre et en Italie, puis, depuis 2017, des chefs de contrefaçons artistiques, escroqueries, tromperies, recel et blanchiment de ces délits commis à [Localité 11], [Localité 6] et en tout cas sur le territoire national et de manière indivisible en Italie, Grande-Bretagne, [Localité 9], Belgique, Suisse et Etats-Unis.

Le tableau litigieux, Vénus au Voile, a selon les parties fait l'objet le 1er (ou 3) mars 2016 d'une saisie à la demande du juge d'instruction alors qu'il était exposé à l'hôtel [7] à [Localité 6].

A la demande de M. [M] souhaitant que les parties puissent conclure à nouveau, le juge de la mise en état a par ordonnance du 30 juin 2016 révoqué l'ordonnance de clôture et renvoyé l'affaire en mise en état.

M. [T], le 26 août 2016, a saisi le juge de la mise en état d'une demande de séquestre contre M. [M] (concernant la somme de 3.200.000 euros correspondant au prix de vente de l''uvre litigieuse) et de communication de pièces. M. [R] et la société The Art Factory, le 16 septembre 2016, ont saisi le même magistrat d'une demande de sursis à statuer. Le juge de la mise en état a par ordonnance du 19 janvier 2017 :

- dit que la demande de communication de pièces formulée par M. [T] est devenue sans objet,

- sursis à statuer sur les demandes de M. [T] jusqu'à l'issue des opérations d'expertise du tableau litigieux ordonnées par le magistrat instructeur (Mme [V] [F]),

- débouté M. [T] de sa demande de séquestre,

- rejeté les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance au fond,

- renvoyé le dossier en mise en état.

Un ou des rapports d'expertise du tableau litigieux a ou ont été déposés dans le cadre de l'instruction en cours.

Le juge de la mise en état a par ordonnance du 30 janvier 2020 :

- débouté la société The Art Factory et M. [R] de leur demande tendant à voir le juge de la mise en état solliciter du procureur de la République la communication du rapport d'expertise issu de l'information en cours chez le magistrat instructeur,

- débouté M. [M] de sa demande tendant à voir le juge de la mise en état solliciter du procureur de la République la communication de l'entier dossier pénal en cours chez le magistrat instructeur,

- débouté M. [M] de sa demande tendant à voir prolonger le sursis à statuer,

- débouté M. [T] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivront les dépens de l'instance au fond,

- renvoyé l'affaire en mise en état.

Les parties ont à nouveau conclu et la clôture de la mise en état a à nouveau été ordonnée le 4 décembre 2020 et une audience de plaidoirie fixée au 20 mai 2021.

* A la demande de M. [M], le juge d'instruction a par acte du 11 mai 2021, quelques jours avant l'audience civile, communiqué au juge de la mise en état les expertises réalisées [sic, pluriel] sur le tableau placé sous scellés, propriété du prince du Liechtenstein.

L'affaire a été renvoyée pour être plaidée le 21 octobre 2021.

Le tribunal, devenu tribunal judiciaire, a par jugement du 2 décembre 2021 :

- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 4 décembre 2020,

- écarté des débats le rapport d'expertise communiqué [sic, singulier] selon soit-transmis du juge d'instruction du 11 mai 2021,

- ordonné un sursis à statuer sur les demandes formées par M. [T] et l'ensemble des autres parties jusqu'à ce qu'une décision pénale définitive soit rendue suite à l'information judiciaire JI60115000016, résultant soit d'une ordonnance de non-lieu soit d'un jugement rendu par une juridiction de jugement,

- réservé les dépens de l'instance,

- renvoyé l'affaire en mise en état.

Sur autorisation du magistrat délégué par le Premier président de la cour d'appel de Paris donnée par ordonnance du 5 avril 2022, M. [T] a le 3 mai 2022 régularisé appel de ce jugement, assignant M. [M], la société The Art Factory et M. [R] devant la Cour.

La Cour a par arrêt du 20 octobre 2022 :

- infirmé la décision déférée,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- débouté M. [M] de sa demande de sursis à statuer,

- débouté M. [T] de sa demande d'évocation de l'affaire par la Cour,

- dit que l'affaire se poursuivra devant la 5ème chambre, section 2 du tribunal judiciaire de Paris,

- débouté les partie de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] aux dépens de l'appel,

- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

La Cour a estimé qu'il n'était pas indispensable pour apprécier la faute reprochée par M. [T] à la société The Art Factory et M. [M] ainsi que son préjudice d'avoir de certitude sur l'authenticité de l''uvre litigieuse d'autant qu'il n'est pas fait état par eux d'une instance civile en cours pour solliciter la nullité de la vente intervenue au profit des collections du prince du Liechtenstein, sujette à prescription, et qu'en conséquence le sursis à statuer dans l'attente d'une décision pénale définitive ne s'imposait pas.

* M. [M] a par conclusions du 11 octobre 2023 saisi à nouveau le juge de la mise en état d'une demande de sursis à statuer, à laquelle M. [T], ainsi que M. [R] et la société The Art Factory se sont opposés.

Le juge de la mise en état a par ordonnance du 3 octobre 2024 :

- ordonné le sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction répressive (saisine pénale n°JI60115000016),

- dit que l'affaire sera rappelée à la première audience utile, à la demande de la partie la plus diligente, qui ressaisira le tribunal en justifiant d'une décision définitive de la juridiction répressive dans cette affaire,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état dématérialisée du 6 mars 2025 à 9h30 pour faire état de la procédure pénale en cours,

- réservé les dépens et les frais irrépétibles,

Le juge de la mise en état a considéré que l'autorité de la chose jugée par l'arrêt de la Cour du 20 octobre 2022 ne pouvait être opposée dans la mesure où, depuis cette décision, étaient intervenus des faits nouveaux, telle la mise en examen de M. [T], qu'il existait par ailleurs des bases communes entre les actions civiles et pénales et enfin que l'exigence d'un délai raisonnable devrait être relativisée au regard de l'avancement de la procédure pénale, plusieurs années pouvant séparer l'avis de renvoi devant le tribunal correctionnel du juge d'instruction et le procès puis le jugement pénal.

M. [T] a par acte du 24 avril 2025 interjeté appel de l'ordonnance du juge de la mise en état, intimant M. [M], M. [R] et la société The Art Factory devant la Cour.

Sur autorisation du magistrat délégué par le Premier président de la cour d'appel à cette fin, donnée par ordonnance du 5 avril 2025, M. [T] a par actes du 5 juin 2025 assigné M. [M], la société The Art Factory et M. [R] devant la Cour aux fins de voir examiner l'affaire à jour fixe à l'audience du 1er juillet 2025.

M. [T], dans ses dernières conclusions signifiées le 23 juin 2025, demande à la Cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'elle :

. ordonne le sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction répressive (saisine pénale n°JI60115000016),

. dit que l'affaire sera rappelée à la première audience utile, à la demande de la partie la plus diligente, qui ressaisira le tribunal en justifiant d'une décision définitive de la juridiction répressive dans cette affaire,

. renvoie à l'audience de mise en état dématérialisée du 6 mars 2025 à 9h30 pour faire état de la procédure pénale en cours,

. réserve les dépens et les frais irrépétibles,

- débouter en tant que de besoin M. [M] de sa demande aux fins de sursis à statuer ainsi que de l'ensemble de ses autres moyens, fins et conclusions,

- ordonner, pour une bonne administration de la justice, l'évocation du litige,

- renvoyer les parties à conclure au fond,

- condamner M. [M] à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner « solidairement » M. [M] aux entiers dépens.

M. [T] se prévaut d'une violation de l'autorité de la chose jugée par le juge de la mise en état, rappelant que deux décisions de justice ont tranché la question du sursis à statuer dans ce dossier, estimant que le juge de la mise en état procède à une tentative de « réécriture » de l'objet du litige, ajoutant que la décision de sursis à statuer est incompatible avec l'exigence d'un procès dans un délai raisonnable posée par l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ou Convention européenne des droits de l'homme - CEDH) et faisant valoir un déni de justice.

Il demande à la Cour d'user de son pouvoir discrétionnaire et d'évoquer le litige au regard du délai écoulé depuis 2014, considérant que cette évocation serait conforme aux intérêts des parties et à une bonne administration de la justice (les sursis à statuer répétés entraînant un déni de justice dans ce dossier et l'affaire n'étant pas à l'abri une nouvelle demande en ce sens de M. [M]), l'affaire étant selon lui parfaitement en état d'être jugée au plan civil.

M. [M], dans ses dernières conclusions signifiées le 24 juin 2025, demande à la Cour de :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant ordonné le sursis à statuer,

- débouter M. [T] de toutes ses demandes fins et conclusions,

- dire qu'il n'y a lieu à évocation,

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 12.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

M. [M] estime qu'il n'y a pas d'autorité de la chose jugée des autres décision de sursis à statuer, faisant valoir l'absence de caractère interlocutoire des décisions en ce sens ainsi que des faits juridiques nouveaux intervenus après l'arrêt de la Cour du 20 octobre 2022 (mises en examen). Il soutient que les décisions de sursis à statuer précédentes n'ont pas d'identité de cause avec la présente affaire.

Il affirme qu'il existe en l'espèce une identité d'objet (la vente de la Vénus au Voile), de personnes (chaîne de contrats entre MM. [T], [R], [M] et [U]) et de cause (faute civile également qualifiée de fautes pénales) entre la procédure pénale en cours et la présente procédure civile. Il estime qu'il y a donc en l'espèce une « base commune de l'action civile et de l'action pénale » et que le juge civil ne peut pas ignorer le travail d'investigation pénale (terminé), précisément concernant l'objet et la cause du même litige. Refuser de surseoir à statuer dans le présent dossier reviendrait selon lui à obliger les parties à prendre des libertés avec le secret de l'instruction, et conduirait à un risque de contrariété des motifs entre les instances pénale et civile.

M. [R] et la société The Art Factory, dans leurs dernières conclusions signifiées le 30 juin 2025, demandent à la Cour de :

- leur donner acte de ce qu'ils s'en remettent à son appréciation quant à la nécessité d'un sursis à statuer,

- et dans l'hypothèse où la Cour confirmerait l'ordonnance du juge de la mise en état, rejeter la demande de M. [T] aux fins d'évocation du litige

Ils estiment que le sursis à statuer en l'espèce, ne tendant pas à la réparation d'une infraction faisant l'objet de l'instruction en cours, n'apparaît pas obligatoire mais reste facultatif. Ils rappellent ensuite que la Cour n'est pas saisie d'un recours contre un jugement, mais contre une ordonnance, de sorte qu'elle ne peut évoquer le litige.

* L'affaire a été plaidée le 1er juillet 2025 et mise en délibéré au 9 octobre 2025.

Motifs

Peu d'éléments constants peuvent à ce stade de la procédure être retenus.

M. [M] fait état de la vente de la Vénus au Voile dans le cadre d'une chaîne de contrats entre M. [T], M. [R], lui-même, M. [I] [U] et le prince du Liechtenstein (ou les personnes morales les représentant).

D'après les déclarations de la société The Art Factory, M. [T] lui a cédé la Vénus au Voile objet du litige le 16 janvier 2013 pour un montant de 510.000 euros. Elle l'aurait ensuite elle-même cédé à la société Skyline Capital Corp « au mois de mars 2013 », pour un prix non précisé, laquelle l'aurait à son tour vendue à la galerie [U] au prix de 3.200.000 euros. Le tableau aurait ensuite été vendu, lors du salon Master Paintings Week de [Localité 8] au mois de juillet 2013, aux collections des princes du Liechtenstein.

Selon les parties, également, le tableau saisi au mois de mars 2016 par le juge d'instruction et placé sous scellés, a été restitué au prince du Liechtenstein (date non précisée), et elles ont été mises en examen (M. [T] le 16 décembre 2022 pour tentative d'escroquerie, blanchiment aggravé, tromperie sur les qualités essentielles d'une marchandise, escroquerie en bande organisée, M. [R] le 17 octobre 2022 pour tromperies, escroquerie en bande organisée et tentative d'escroquerie en bande organisée, M. [M] le 26 septembre 2023 pour tromperies, escroqueries en bande organisée et blanchiment de tromperie et escroqueries).

Sur la demande de sursis à statuer

L'article 378 du code de procédure civile énonce que la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

1. sur l'autorité de la chose jugée de précédentes décisions ordonnant le sursis à statuer

Dans le présent dossier, le juge de la mise en état a par ordonnance du 19 janvier 2017 ordonné une première fois qu'il soit sursis à statuer sur les demandes des parties jusqu'à l'issue des opérations d'expertise du tableau litigieux ordonnées par le magistrat instructeur. Ces opérations ont été réalisées et ont donné lieu à un ou plusieurs rapports, de sorte que le juge de la mise en état a par ordonnance du 30 janvier 2020 refusé de prolonger ce sursis.

Le juge de la mise en état a une deuxième fois, par ordonnance du 30 janvier 2020, ordonné un nouveau sursis à statuer dans l'attente d'une décision pénale clôturant l'instruction en cours. Cette ordonnance a été infirmée par la Cour de céans selon arrêt du 20 octobre 2022, qui a donc mis fin à ce sursis.

L'article 794 du code de procédure civile dispose que les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir et sur les incidents mettant fin à l'instance, de sorte qu'aucune de ces deux décisions du juge de la mise en état, ne mettant pas fin à l'instance civile en cours, ne peut revêtir cette autorité.

Les parties s'accordent par ailleurs pour évoquer des faits nouveaux intervenus depuis l'arrêt de la Cour du 20 octobre 2022, caractérisés par la mise en examen des chefs de plusieurs infractions pénales des trois parties à la présente instance, MM. [T], [R] et [M].

M. [T] ne peut donc arguer de la violation par le juge de la mise en état, au titre de l'ordonnance entreprise, de l'autorité de la chose jugée d'autres décisions de sursis.

2. sur le prononcé d'un nouveau sursis à statuer

L'article 4 du code de procédure pénale énonce que l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique (alinéa 1er), qu'il est toutefois sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement (alinéa 2) et, enfin, que la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil (alinéa 3).

L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste toujours attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune des actions civiles et pénales, sur sa qualification et sur la culpabilité ou l'innocence de celui auquel le fait est imputé.

Cependant, alors que l'instance engagée devant le tribunal judiciaire ne tend pas à l'indemnisation d'une infraction poursuivie au pénal et objet de l'instruction actuellement en cours, le sursis à statuer ne s'impose pas en l'espèce.

L'instruction pénale en cours, pour des faits de contrefaçon, blanchiment, escroquerie, tromperie, recel, concerne la Vénus au Voile finalement vendue au prince du Liechtenstein. MM. [T], [R] et [M], parties à la présente instance civile, sont parties mises en examen dans le cadre de la procédure pénale, mais cette dernière ne concerne pas la société The Art Factory, partie à la présente instance.

Le présent litige a pour objet non les conséquences d'une infraction pénale, mais l'exécution d'un mandat civil donné aux fins d'expertise et de mise en vente du tableau Vénus au Voile à la société The Art Factory (dirigée par M. [R]) et le détournement par le mandant, allégué par M. [T], du prix de la vente dudit tableau. Ainsi, le tribunal, au fond, devra examiner le mandat du 19 novembre 2012 pour expertise et vente de la Vénus au Voile donné par M. [T] à la société The Art Factory et encore le contrat de vente conclu le 21 mars 2013 entre M. [M], vendeur, et la société [U], acheteur, concernant ce même tableau. L'établissement de l'authenticité ou de l'inauthenticité du tableau ne fait pas obstacle à ce qu'il soit statué sur les demandes de M. [T], relatives à des manquements reprochés à la société The Art Factory et M. [R] en leurs qualités d'intermédiaires dans l'exécution du mandat précité ou encore à des fautes de M. [M].

Il ne peut donc être conclu que l'instruction pénale en cours, impliquant certes MM. [T], [R] et [M] et concernant la Vénus au Voile, a le même objet ou, encore, repose avec la présente instance civile sur une base commune empêchant qu'il soit statué sur cette dernière sans attendre de décision dans l'affaire pénale.

Le mandat lui-même et les obligations du mandant et du mandataire, objets du litige civil, sauront être examinés et traités indépendamment des décisions pénales, et les parties sauront prouver les faits nécessaires au succès de leurs prétentions conformément à la loi, étant rappelé que le juge civil a lui-même le pouvoir d'ordonner toutes les mesures d'instruction légalement admissibles.

Aussi convient-il d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état qui a ordonné qu'il soit sursis à statuer au fond sur les demandes des parties dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction pénale clôturant l'instruction en cours dans laquelle les parties sont impliquées.

Statuant à nouveau, la Cour dira n'y avoir lieu à surseoir à statuer dans la présente instance.

Sur l'évocation du litige

L'article 568 du code de procédure civile dispose que lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.

Or la Cour de céans n'est pas saisie d'un appel d'un jugement, mais d'un recours contre une ordonnance d'un juge de la mise en état. Cette ordonnance, infirmée, n'ordonnait pas une mesure d'instruction et ne statuait pas non plus sur une exception de procédure mettant fin à l'instance.

L'intérêt d'une bonne justice ne commande par ailleurs pas l'évocation de la justice mais requiert en revanche la poursuite de la procédure devant le premier juge du fond.

La Cour dira donc n'y avoir lieu à évocation de l'affaire devant elle.

Sur les dépens et frais irrépétibles

L'ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée en ce qu'elle a, en l'état, réservé le sort des dépens et frais irrépétibles.

Ajoutant à l'ordonnance, la Cour condamnera M. [M], qui succombe en cause d'appel en sa demande tendant à ce que soit ordonné un sursis à statuer dans la présente affaire, aux dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande en conséquence que chacune des parties garde la charge des frais par elle exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile. MM. [T] et [M] seront donc tous deux déboutés de leurs demandes de ce chef.

Par ces motifs,

La Cour,

Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état, sauf en ce qu'elle a réservé le sort des dépens et frais irrépétibles de première instance,

Statuant à nouveau et ajoutant à l'ordonnance,

Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer dans la présente affaire dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction répressive,

Dit n'y avoir lieu à évoquer l'affaire,

Condamne M. [W] [M] aux dépens de la présente instance,

Déboute M. [O] [T] et M. [W] [M] de leurs demandes d'indemnisation de leurs frais irrépétibles d'appel.

La Greffière La présidente

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