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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 10 octobre 2025, n° 25/04317

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/04317

10 octobre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8

ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2025

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/04317 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CK575

Décision déférée à la cour : ordonnance du 24 janvier 2025 - président du TJ de [Localité 6] - RG n° 24/01918

APPELANTE

S.A.S. [M] SM, RCS de [Localité 6] n°815124292, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Emmanuel COSSON, avocat au barreau de PARIS, toque : P 0004

INTIMÉE

LA COMMUNE DE [Localité 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Ali DERROUICHE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 282

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 5 septembre 2025, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Florence LAGEMI, Président,

Marie-Catherine GAFFINEL, Conseiller,

Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,

Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO

ARRÊT :

- Contradictoire

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence LAGEMI, Président de chambre et par Catherine CHARLES, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Par un acte en date du 29 juillet 2020, la commune de [Localité 7] a consenti à la société [M] SM un bail commercial portant sur des locaux situés [Adresse 2], moyennant un loyer annuel de base en principal de 53.680 euros hors charges et hors taxes, payable par trimestre et d'avance.

Les loyers n'ayant plus été réglés, la commune de [Localité 7] a fait délivrer, le 24 septembre 2024, à la société [M] SM un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme en principal de 86.489,53 euros.

Par acte du 8 novembre 2024, la commune de Drancy a assigné la société [M] SM devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans le bail, expulsion de la défenderesse et condamnation de cette dernière au paiement, par provision, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.

Par ordonnance réputée contradictoire du 24 janvier 2025, le premier juge a :

- constaté la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire à la date du 25 octobre 2024 ;

- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, l'expulsion de la société [M] SM et de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 2] ;

- statué sur le sort des meubles ;

- condamné la société [M] SM à payer à la commune de [Localité 7] une indemnité d'occupation à compter de la résiliation du contrat et jusqu'à la libération effective des lieux, égale au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférentes qu'elle aurait dû payer si le bail ne s'était pas trouvé résilié et indexable selon les modalités conventionnelles ;

- condamné la société [M] SM à payer à la commune de [Localité 7] la somme de 77.229,81 euros ;

- condamné la société [M] SM à supporter la charge des dépens qui comprendront notamment le coût du commandement visant la clause résolutoire ;

- condamné la société [M] SM à payer à la commune de [Localité 7] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 26 février 2025, la société [M] SM a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 septembre 2025, la société [M] SM demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en l'ensemble de ses dispositions ;

en conséquence et statuant à nouveau,

- suspendre les effets de clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 29 juillet 2020 ;

- débouter la commune de [Localité 7] de toute demande financière en l'absence de décompte actualisé ;

Subsidiairement,

- fixer à la somme de 14.944,56 euros la somme due par la société [M] SM à la commune de [Localité 7] ;

- débouter la commune de [Localité 7] de l'intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause,

- condamner la commune de [Localité 7] à lui payer la somme provisionnelle de 37.272,40 euros à valoir sur la réparation de son préjudice ;

- condamner la commune de [Localité 7] à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 10 juin 2025, la commune de [Localité 7] demande à la cour de :

- débouter la société [M] SM de ses prétentions ;

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

- condamner la société [M] SM à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel.

La clôture de la procédure a été prononcée le 3 septembre 2025.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur les conditions d'acquisition de la clause résolutoire

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du même code énonce que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En vertu de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.

Au cas présent, la commune de [Localité 7] a fait délivrer à la société [M] SM, le 24 septembre 2024, un commandement, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour avoir paiement de la somme de 86.489,53 euros en principal.

Il n'est pas contesté que les causes du commandement n'ont pas été acquittées dans le mois de cet acte, de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies au 25 octobre 2024.

Sur la demande de provision au titre de l'arriéré locatif

Selon l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Au cas présent, il apparaît du dernier décompte en date du 19 juin 2025 produit par la commune de [Localité 7] que la société [M] SM restait devoir, à cette date, la somme de 14.944,56 euros. L'obligation de cette dernière au paiement de cette somme n'étant pas sérieusement contestable, il convient donc de la condamner, par provision, à son paiement et d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.

Sur la suspension des effets de la clause résolutoire

Il est relevé qu'à la date du commandement de payer, la dette locative s'élevait à la somme de 86.489,53 euros, que le premier juge a condamné la société [M] SM au paiement d'une somme de 77.229,81 euros en se fondant sur un décompte du bailleur ayant réactualisé sa créance à la baisse au mois de novembre 2024, qu'il résulte des pièces produites que la société appelante a réglé, entre le 25 septembre 2024 et le 24 mars 2025, la somme globale de 83.669,33 euros et que dans ses premières conclusions, remises et notifiées le 26 mars 2025, elle avait proposé, pour apurer sa dette, de régler 17.000 euros le 15 avril 2025, 6.000 euros le 31 mai suivant et 22.000 euros avant le 30 juin 2025.

La société [M] SM, qui a réalisé de réels efforts de paiement, justifiait sa demande de suspension des effets de la clause résolutoire, laquelle induisait implicitement mais nécessairement une demande de délais de paiement pour régler la somme restant due de 14.944,56 euros au 19 juin 2025.

Cependant, il est constant que le bailleur a poursuivi, à ses risques et périls, l'expulsion de la société [M] SM, laquelle est intervenue le 27 mai 2025, que celle-ci a vidé les lieux du mobilier et a pris à bail de nouveaux locaux ainsi qu'elle en justifie par la facture du 1er août 2025 portant sur les honoraires de l'agence immobilière lui ayant procuré des locaux à [Localité 5] et par un mail du 2 septembre 2025 relatif au paiement du dépôt de garantie afférent à ces nouveaux locaux.

Ainsi, son départ des lieux donnés à bail et sa réinstallation dans de nouveaux locaux rendent sans objet la demande de suspension des effets de la clause résolutoire, la société [M] SM n'ayant plus d'intérêt à la poursuite du bail litigieux. L'ordonnance entreprise ne peut dès lors qu'être confirmée en ce qu'elle a statué sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences.

Sur la demande de provision au titre des dommages et intérêts

La société [M] SM sollicite la condamnation de la commune de [Localité 7] au paiement de la somme provisionnelle de 37.272,40 euros à valoir sur la réparation de son préjudice.

Elle soutient que le bailleur a agi de manière fautive et déloyale en poursuivant de façon précipitée l'exécution de l'ordonnance critiquée alors qu'elle en avait interjeté appel et qu'elle était en mesure de régler son arriéré locatif. Elle indique avoir dû exposer des frais importants pour déménager et obtenir de nouveaux locaux ce qui est à l'origine d'un préjudice.

La société [M] SM, qui s'était acquittée de la plus grande partie de sa dette à la date de l'expulsion poursuivie en exécution d'une décision dépourvue de la force jugée, justifiait des conditions requises pour obtenir, en application de l'article L. 145-41 du code de commerce, la suspension des effets de la clause résolutoire, rendue toutefois impossible du fait de son départ et de sa réinstallation dans de nouveaux locaux.

Il en résulte qu'en poursuivant l'expulsion de son locataire le 27 mai 2025 alors que la dette devait être apurée un mois plus tard, en exécution d'une décision non irrévocable alors qu'elle n'ignorait pas que l'affaire devait être examinée à l'audience fixée devant la cour le 5 septembre 2025 et que celle-ci était saisie d'une demande de suspension des effets de la clause résolutoire, la commune de [Localité 7] a agi de manière déloyale à l'égard de son cocontractant.

Toutefois, le préjudice matériel invoqué par la société [M] SM, constitué des frais de déménagement, d'agence et du versement du dépôt de garantie pour ses nouveaux locaux, n'apparaît pas, avec l'évidence requise en référé, imputable à la commune de [Localité 7], dès lors que le manquement initial de la société [M] SM à son obligation de paiement des loyers et charges contractuellement dus est à l'origine de son dommage et qu'il ne peut être que relevé qu'elle a pu en quelques mois, postérieurement à l'action du bailleur, procéder à des règlements substantiels ayant permis de réduire l'important arriéré locatif qu'elle avait accumulé en septembre 2024, ce qui tend à démontrer que ses facultés de paiement n'étaient pas réellement obérées.

Ainsi, l'obligation de la commune de [Localité 7] à la réparation du préjudice invoqué, nécessite d'apprécier sa responsabilité, soit le lien de causalité entre la faute qui lui est reprochée et le préjudice strictement imputable à cette faute, à supposer celle-ci établie. Cette obligation se heurte donc à une contestation sérieuse de sorte qu'il n'y a pas lieu à référé sur la demande de provision formée par la société appelante.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Au regard de l'issue du litige en appel, chacune des parties supportera les dépens exposés en première instance et en appel.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance en ses dispositions relatives à la provision, aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et vu l'évolution du litige,

Condamne la société [M] SM à payer à la commune de [Localité 7] la somme de provisionnelle de 14.944,56 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 19 juin 2025 ;

Déclare sans objet la demande de la société [M] SM de suspension des effets de la clause résolutoire ;

Confirme l'ordonnance en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formée par la société [M] SM;

Dit que chacune des parties supportera les dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel ;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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