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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 9 octobre 2025, n° 24/02612

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 24/02612

9 octobre 2025

N° RG 24/02612 - N° Portalis DBVM-V-B7I-MKWE

C8

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SCP TGA-AVOCATS

la SCP ALPAVOCAT

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 09 OCTOBRE 2025

Appel d'un jugement (N° RG 23/00184)

rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 7]

en date du 10 juin 2024

suivant déclaration d'appel du 10 juillet 2024

APPELANT :

M. [T] [N]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me Francois DESSINGES de la SCP TGA-AVOCATS, avocat au barreau des HAUTES-ALPES

INTIMÉE :

S.A.R.L. LE GRAND TETRAS immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le n° 424767143, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Fabien BOMPARD de la SCP ALPAVOCAT, avocat au barreau des HAUTES-ALPES, postulant et par Me Pauline GROULIER ARMISEN, avocat au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière.

DÉBATS :

A l'audience publique du 03 juillet 2025, Mme FIGUET, Présidente, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,

Faits et procédure

Par acte sous seing privé du 31 août 2010, M. [X] [G] a consenti à la Sarl Le Grand Tetras exerçant sous l'enseigne Nemea un bail commercial portant sur le lot n°1054 d'un ensemble immobilier dénommé 'Résidence de l'aigle bleu' situé à [Localité 6] à destination de résidence de tourisme pour une durée de 9 ans, la date d'effet du bail étant fixée quatre semaines après la mise à disposition du preneur de la résidence.

Il était stipulé au titre du loyer :

1°) Loyer fixe de base

Les parties conviennent d'un loyer minimum garanti qu'elles fixent d'un commun accord à la somme de 3.811 euros hors taxes et hors charges par an ce que le bailleur accepte expressément.

Ce loyer fixe de base est dû par le locataire au bailleur pendant toute la durée du bail soit pendant la totalité des neuf années du bail.

Les parties conviennent que le loyer fixe de base, soit la somme de 34.300 euros pour les neuf années du bail, est stipulé payable au plus tard un mois après la livraison de l'immeuble par la Sci L'aigle bleu directement ou par l'intermédiaire du locataire (gestionnaire) au profit du bailleur ainsi que cette livraison est prévue dans l'acte d'achat du bailleur reçu par le notaire sus nommé.

2°) Loyer complémentaire

Pendant les neuf années du bail, le locataire (gestionnaire) devra verser au bailleur qui accepte un loyer annuel de 6.608 euros hors taxes et hors charges par an, soit par mois 550 euros.

Le paiement du loyer s'effectuera en numéraires, à terme échu à chaque trimestre civil, le 15 du mois suivant.

Les parties conviennent que le locataire (gestionnaire) s'engage à acquitter l'ensemble des charges de copropriété dites récupérables définies en annexe au décret n°87-713 du 26 août 1987 ainsi que les impôts et taxes dont les locataires sont ordinairement tenus et plus généralement toutes dépenses nécessaires au bon fonctionnement des parties privatives de l'immeuble, le bailleur conservant à sa charge les impôts, charges et taxes mis à la charge des propriétaires ainsi que les charges de copropriété non récupérables.

Par jugement du 22 juin 2017, le lot n°1054 de l'ensemble immobilier dénommé '[Adresse 8]' a été adjugé à M. [T] [N].

Par acte d'huissier de justice du 2 juillet 2020, M. [T] [N] a fait délivrer un congé avec offre de renouvellement du bail commercial au 30 juillet 2021.

Par courrier du 31 mai 2021, M. [T] [N] a notifié à la Sarl Le Grand Tetras que la délivrance du congé avait eu pour effet d'ouvrir droit au renouvellement du bail à partir du 1er août 2021 aux conditions du bail expiré demeurant inchangées.

Par courrier du 13 décembre 2021, M. [T] [N] a mis en demeure la Sarl Le Grand Tetras de lui payer la somme de 34.300 euros au titre du loyer fixe de base et la somme de 3.602,68 euros au titre des loyers complémentaires.

Par ordonnance du 4 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Gap a :

- condamné la Sarl Le Grand Tetras à verser la somme de 3.632,68 euros à M. [T] [N] au titre des arriérés de loyers des années 2020 et 2021,

- dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus des demandes,

- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [T] [N],

- renvoyé l'affaire à l'audience du tribunal judiciaire de Gap au fond du 15 janvier 2024,

- condamné la Sarl Le Grand Tetras à verser la somme de 1.000 euros à M. [T] [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens.

Par jugement du 10 juin 2024, le tribunal judiciaire de Gap a :

- prononcé la mise hors de cause de la Sarl Eurancelle,

- débouté M. [T] [N] de l'intégralité de ses demandes,

- rejeté les demandes des parties formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [T] [N] aux dépens.

Par déclaration du 10 juillet 2024, M. [T] [N] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, a rejeté les demandes des parties formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 juin 2025.

Prétentions et moyens de M. [T] [N]

Dans ses conclusions remises et notifiées le 7 août 2024, il demande à la cour de :

- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Gap,

A titre principal,

- dire et juger que la Sarl Le Grand Tetras n'a pas contesté dans le délai de deux ans de la délivrance du congé par M. [T] [N] avec offre de renouvellement aux mêmes conditions du bail commercial liant M. [T] [N] et la Sarl Le Grand Tetras,

- prononcer l'irrecevabilité des contestations de la Sarl Le Grand Tetras quant à sa prétendue absence d'obligation de payer à M. [T] [N] un loyer fixe de base de 3.811 euros ht et hors charge et par an,

- dire que les contestations de la Sarl Le Grand Tetras sont mal fondées,

En conséquence,

- condamner la Sarl Le Grand Tetras à payer sur les loyers dus, les sommes ci-après détaillées en euros et les intérêts au taux légal à compter du 27 août 2021 et avec capitalisation des intérêts chaque 31 décembre de l'année due comme suit, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir :

* la somme de 1.597 euros ht et hors charge pour l'année 2021,

* la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2022,

* la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2023,

* la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2024,

* la somme de 1.384 euros au titre des intérêts légaux dus entre le 27 août et le 31 décembre 2023 (dernier taux connu avant la date d'audience du 15 janvier 2024),

Pour les loyers fixe de base à échoir pour les années 2025,2026,2027,2028, 2029 :

- condamner la Sarl Le Grand Tetras à payer un loyer d'un montant de 3.811 euros ht, sous astreinte de 100 euros par jour en l'absence de paiement de loyer au 31 décembre de l'année écoulée,

- dire que cette condamnation en l'absence de paiement spontané du loyer fixe de base sera productif d'intérêt au taux légal chaque 31 décembre de l'année due, et avec capitalisation des intérêts au 31 décembre de l'année suivante l'année due,

- donner acte à M. [T] [N] qu'il ne demande à ce stade la revalorisation du loyer de base au taux d'intérêt légal entre le 1er janvier 2011 et le 1er janvier 2020,

- condamner la Sarl Le Grand Tetras à payer à M. [T] [N] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- condamner la Sarl Le Grand Tetras à payer à M. [T] [N] une indemnité de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'une somme de 3.000 euros en réparation du préjudice moral subi en l'état de la résistance abusive de la Sarl Le Grand Tetras à exécuter spontanément et de bonne foi son obligation de payer le loyer fixe de base et le loyer complémentaire, toute tentative amiable pour obtenir un juste paiement du preneur étant restée vaine, faisant ainsi obligation à M. [N] d'ester en justice,

A titre subsidiaire, si la cour devait décider que le loyer fixe de base ne peut pas être qualifié de loyer et qu'il s'agit d'une aide financière à l'investissement :

- condamner la Sarl Le Grand Tetras, outre la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice moral subi, à verser à M. [T] [N] une somme de 34.300 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait de la perte du loyer fixe de base pourtant stipulée dans son bail,

Concernant la résolution du bail commercial :

- dire et juger que M. [T] [N] a fait délivrer un commandement de payer demeuré infructueux et qu'à défaut de paiement à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la délivrance du commandement, la clause résolutoire est acquise,

- constater et dire que la clause résolutoire est acquise compte tenu de la gravité des manquements de la Sarl Le Grand Tetras s'abstenant de payer spontanément ses loyers, et par suite prononcer la résiliation du bail commercial,

Subsidiairement, si la cour devait confirmer le jugement dont appel concernant l'absence de renouvellement du loyer fixe de base :

- dire et juger que les parties sont en désaccord sur un élément essentiel du bail commercial les liant en l'occurrence le paiement du loyer fixe de base,

- prononcer la résolution du bail commercial,

- condamner la Sarl Le Grand Tetras à payer à M. [T] [N] une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ce y compris les frais de médiation judiciaire exposé par M. [T] [N] pour un montant de 750 euros,

- dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision, et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la Sarl Le Grand Tetras, en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'action en paiement du loyer fixe de base, il fait valoir que :

- le bail prévoit le paiement d'un loyer fixe de base pendant toute la durée du bail, soit la totalité des 9 années,

- le bail a fait l'objet d'un renouvellement, les clauses et conditions du bail demeurant inchangées,

- en l'absence de contestation de la Sarl Le Grand Tetras des conditions du renouvellement du bail commercial, elle est irrecevable à contester le bien fondé du paiement du loyer de base,

- ni la Sarl Le Grand Tetras, ni le tribunal ne peuvent modifier les clauses relatives au loyer fixe de base et au loyer complémentaire,

- le loyer fixe est bien un loyer et non une aide financière unique pour aider à l'investissement,

- tout au plus le troisième paragraphe doit être considéré comme une modalité de paiement de l'avance de loyer par le promoteur pour la durée du bail initial à charge pour le preneur à bail de payer le loyer fixe de base lorsque le bail se renouvelle sans aucune modification actée,

- le premier juge a dénaturé les stipulations du bail en considérant que le loyer fixe n'est dû qu'une seule fois et ne serait pas dû dans le cadre d'un renouvellement,

- l'attestation du promoteur établie pour les besoins de la cause ne saurait éclairer la volonté commune des parties alors qu'il n'était pas partie au bail commercial,

- il ne s'agit pas d'une aide au démarrage unique mais bien d'un loyer pris en charge par le promoteur lors de la livraison de l'immeuble,

- si tel n'avait pas été le cas, le bail n'aurait fait mention que d'un seul loyer de base comme cela est le cas du bail produit par la Sarl Le Grand Tetras,

- le loyer fixe est bien dû par la Sarl Le Grand Tetras et non par la Sci L'aigle bleu qui n'a aucun lien juridique avec M. [N],

- dans l'hypothèse où le promoteur et la Sarl Le Grand Tetras auraient convenu de qualifier de loyer une somme qui serait en réalité une aide financière unique pour inciter les bailleurs à investir aux fins que la somme ne soit pas fiscalisée, il s'agirait d'une fraude et la Sarl Le Grand Tetras ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour échapper au paiement du loyer fixe de base,

- M. [T] [N] dispose d'un bail 'Investisseur' qui prévoit deux loyers en numéraires contrairement aux baux 'Occupation' qui prévoient un loyer en nature du fait de son occupation et un loyer en numéraire.

En l'absence de paiement dans le délai d'un mois à compter de l'assignation valant sommation de payer les loyers, il entend se prévaloir de la clause résolutoire prévue à l'article 9 du bail. En tout état de cause, il considère que la résiliation du bail s'impose dès lors que la Sarl Le Grand Tetras ne paye pas volontairement le loyer fixe de base et n'a payé le loyer complémentaire dû pendant les périodes de confinement qu'en raison de son action devant le juge des référés, ces éléments présentant une gravité suffisante.

Subsidiairement, il ajoute qu'il a pensé légitimement que le bail était renouvelé avec le bénéfice de deux loyers, qu'il est démontré que les parties ne sont pas d'accord sur la portée de leur obligation concernant le paiement du loyer ce qui justifie la résolution judiciaire pour cause grave aux torts de la Sarl Le Grand Tetras pour fraude.

Il fait état de son préjudice financier et moral.

Prétentions et moyens de la Sarl Le Grand Tetras

Dans ses conclusions remises le 29 octobre 2024, elle demande à la cour de :

- recevoir la Sarl Le Grand Tetras en ses entières demandes, fins et prétentions et l'en déclarer bien fondée,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Gap en ce qu'il a débouté M. [T] [N] de l'intégralité de ses demandes,

- rejeter l'ensemble des demandes de M. [T] [N],

Subsidiairement,

- suspendre les effets de la clause résolutoire pour les sommes qui seraient dues par la Sarl Le Grand Tetras,

- accorder les plus larges délais à la Sarl Le Grand Tetras pour s'acquitter des sommes qui seront jugées être dues et suspendre pendant le cours des délais les effets de la clause résolutoire,

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a rejeté la demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- condamner M. [T] [N] à payer à la Sarl Le Grand Tetras la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de 1ère instance, outre les entiers dépens comprenant le coût de la médiation dont le montant s'élève à la somme de 750 euros,

Y ajoutant,

- condamner le même au paiement de la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel, outre les dépens de l'instance d'appel.

Sur le loyer de base fixe, elle fait valoir que :

- il résulte des clauses du bail que la somme de 34.300 euros a été versée par le promoteur, la Sci L'aigle bleu, au bailleur lors de la livraison du lot,

- seul le promoteur était débiteur de ce paiement lequel revêtait un caractère exceptionnel, alloué une seule fois au moment de la livraison, ce qu'atteste le gérant de la Sci L'aigle bleu,

- cette somme de 34.300 euros est une aide au démarrage et constitue une somme forfaitaire négociée entre le bailleur et le promoteur, pour répondre à une logique fiscale et permettre la réalisation du programme immobilier,

- cette aide au démarrage a été limitée dans le temps au moment de la prise à bail,

- le loyer fixe ne vient pas en compensation de l'avantage en nature dont bénéficient les bailleurs occupants contrairement aux bailleurs investisseurs,

- les accords initiaux entre le promoteur et Memea ne font pas mention d'un complément de loyer,

- dans la grille des prix, il est expressément stipulé un loyer annuel de 6.608 euros pour le lot de M. [T] [N] n°A23,

- les baux ont été rédigés et aménagés par le promoteur pour le besoin de ses accords avec les clients étrangers,

- il ne peut être soutenu que la Sarl Le Grand Tetras serait redevable de la somme de 34.300 euros lors de chaque renouvellement de bail,

- le loyer complémentaire est le loyer annuel et le loyer fixe n'est dû qu'une seule fois,

- prétendre que le loyer fixe serait dû à chaque renouvellement est contraire à toute logique de rentabilité pour Nemea et à tout schéma économique viable.

Sur la résiliation du bail, elle fait valoir que :

- la clause résolutoire n'a pas été reprise dans l'assignation et cet acte ne saurait donc produire aucun effet,

- si cette clause est désormais reprise dans les conclusions de M. [T] [N], elle ne saurait jouer puisqu'elle n'est pas débitrice d'un deuxième loyer fixe de base au moment du renouvellement du bail,

- elle doit bénéficier de délais de paiement et d'une suspension de la clause résolutoire eu égard à sa bonne foi,

- le défaut de compréhension de la clause litigieuse ne saurait constituer une cause légitime justifiant la résolution du bail commercial.

Sur les dommages et intérêts, elle fait remarquer que :

- le paiement du loyer fixe de base ne lui a jamais incombé,

- M. [T] [N] ne peut sérieusement soutenir qu'elle a fait preuve d'obstruction systématique alors qu'elle n'a pas rencontré de difficultés avec les bailleurs en dehors de M. [N] et de Mme [P].

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs de la décision :

A titre liminaire, la cour rappelle que les demandes de donner acte ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et qu'en conséquence, ne saisissant pas la cour, il n'y sera pas répondu dans le dispositif.

Sur l'irrecevabilité des contestations de la Sarl Le Grand Tetras

Si l'article 145-60 du code de commerce dispose que toutes les actions relatives au chapitre V intitulé 'Du bail commercial' se prescrivent pas deux ans, cette prescription ne s'applique pas à l'action en paiement des loyers et par conséquence aux contestations soulevées en défense à cette action en paiement.

La Sarl Le Grand Tetras est donc recevable à conclure au débouté de M. [T] [N] de ses demandes.

Sur l'action en paiement des loyers

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

En application de l'article 1728, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

Le bail commercial a été renouvelé au 30 juillet 2021, toutes les clauses et conditions du bail initial demeurant inchangées.

Ce bail stipule un loyer en numéraire se composant de :

- un loyer fixe de base correspondant à un loyer minimum garanti fixé à la somme de 3.811 euros hors taxes et hors charges par an, dû par le locataire au bailleur pendant toute la durée du bail soit pendant la totalité des neuf années du bail,

- un loyer complémentaire fixé à 6.608 euros hors taxes et hors charges par an, soit par mois 550 euros.

S'agissant des modalités de paiement, il était convenu entre les parties que le loyer fixe de base, soit la somme de 34.300 euros pour les neuf années du bail, est payable au plus tard un mois après la livraison de l'immeuble par la Sci L'aigle bleu directement ou par l'intermédiaire du locataire (gestionnaire) au profit du bailleur et que le loyer complémentaire est payable à terme échu à chaque trimestre civil, le 15 du mois suivant.

Le loyer figurant dans ce bail comprend donc bien deux composantes avec des modalités de paiement différentes, le loyer fixe devant être payé en totalité à l'avance, le promoteur s'étant engagé à payer ce montant au début du bail.

Ce bail conclu initialement entre M. [X] [G] et la Sarl Le Grand Tetras est un bail formule 'investisseur' avec un loyer constitué d'un loyer fixe et d'un loyer complémentaire, tous deux payables en numéraire, alors que le bail formule 'occupation' comprend un loyer en numéraire et un loyer en nature tel que cela ressort de la pièce 8 de M. [T] [N].

En outre, ainsi qu'il en résulte d'un mail adressé le 5 mai 2010 par le promoteur à la Sarl Le Grand Tetras, les contrats conclus avec les clients anglais dont M. [X] [G] ont fait l'objet de modalités particulières dans le cadre d'un 'package' comprenant une prise en charge de frais de notaire et d'intérêts intercalaires et une avance forfaitaire de loyers.

Ce mail évoque ainsi une avance forfaitaire de loyers, le promoteur précisant qu'il peut régler cette avance en sus de la subvention de démarrage de 470.000 euros. L'avantage ainsi consenti aux acheteurs anglais est constitué par un règlement immédiat pour 9 années d'une partie du loyer, à savoir le loyer fixe, le preneur bénéficiant quant à lui de la prise en charge de cette avance par le promoteur.

Il ne peut être déduit de ce mail que le loyer fixe, partie intégrante du loyer, ne serait dû que pour les neuf premières années alors que le bail fait clairement apparaître deux composantes en numéraires au titre du loyer et que ce bail a été renouvelé le 30 juillet 2021 aux clauses et conditions du bail initial.

Par ailleurs, la Sarl Le Grand Tetras ne peut se prévaloir utilement du bail commercial 'formule investisseur' conclu avec une acheteuse française lequel ne comprend qu'un loyer fixe de base pour s'opposer aux demandes de M. [T] [N] alors que ce bail n'a pas été conclu aux mêmes conditions que celles octroyées dans le cadre du 'package' anglais.

Enfin, s'il est stipulé que la totalité du loyer fixe sera exigible en début de bail et sera payable par la Sci L'aigle bleu directement ou par l'intermédiaire du locataire, cette clause ne concerne que les modalités de paiement du loyer fixe lors du premier bail et n'est pas de nature à priver le bailleur de son droit de solliciter du preneur, son co-contractant, le paiement du loyer fixe annuel lors des renouvellements, ni à dispenser le locataire de payer le prix du bail convenu.

Les termes du bail ne peuvent être utilement contredits par l'attestation du gérant de la Sci L'aigle bleu qui n'explique pas pour quelle raison le bail mentionne l'existence d'un loyer fixe et complémentaire s'il s'agissait uniquement d'un avantage commercial ou d'une aide au démarrage, étant observé qu'il ne peut être soutenu qu'il s'agissait d'échapper à l'impôt, une telle fraude ne pouvant être alléguée à son profit par le preneur.

Il peut seulement être déduit de cette attestation que la Sci L'aigle bleu s'était engagée à régler le loyer fixe pour les 9 premières années et non pour les suivantes ce qui ne dispense pas le preneur de son obligation de régler les loyers suivants.

Le preneur ne peut aussi se soustraire à ses engagements au motif que cela serait contraire à toute logique de rentabilité d'autant qu'il n'est pas justifié de pièces comptables pour caractériser cette absence de rentabilité.

En conséquence, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la Sarl Le Grand Tetras est redevable de l'intégralité du loyer dans ses deux composantes et le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de paiement de loyers.

La Sarl Le Grand Tetras sera condamnée à payer à M. [T] [N] :

- la somme de 1.597 euros ht et hors charge pour l'année 2021, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2021, date de la mise en demeure,

- la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2022, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2022,

- la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2023, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2023,

- la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2024, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2024.

Il n'est pas nécessaire d'assortir d'une astreinte ces condamnations au paiement d'une somme d'argent.

Sur les demandes en dommages et intérêts

Une discussion pouvait légitimement s'instaurer enter les parties. Par ailleurs, M. [T] [N] ne justifie pas de son préjudice moral. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] [N] de ses demandes de dommages et intérêts.

Sur la résolution du bail

Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit produit effet un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Selon les stipulations du bail, celui-ci se trouve résilié de plein droit à défaut de paiement d'un seul terme de loyer après un simple commandement de payer resté infructueux.

Par assignation des 20 et 22 avril 2022, M. [T] [N] a fait sommation de payer les sommes dues au titre des loyers de façon détaillée en visant la clause résolutoire ( article 9 du bail) et en indiquant qu'à défaut d'exécution dans le délai d'un mois, la résiliation du bail sera acquise.

Si cette assignation ne reprend pas les termes de la clause résolutoire, la cour relève que M. [T] [N] a délivré le 6 août 2024 à la Sarl Le Grand Tetras un commandement de payer visant la clause résolutoire, en reprenant les termes et mentionnant expressément le délai d'un mois dans lequel le preneur doit payer sous peine pour le bailleur de se prévaloir de la clause résolutoire.

En outre, M. [T] [N] a repris dans ses dernières écritures les termes de la clause résolutoire et sa demande d'acquisition de la clause résolutoire en visant le délai d'un mois comme le reconnaît la Sarl Le Grand Tetras.

Il est constant que le preneur ne s'est pas acquitté des sommes visées dans le délai imparti.

Si les juges saisis d'une demande de délais de paiement peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée, il appartient néanmoins au preneur qui sollicite des délais de justifier de ses difficultés financières.

En l'espèce, la Sarl Le Grand Tetras se contente de produire une attestation de présentation des comptes annuels pour l'année 2023 mentionnant le total du bilan, le chiffre d'affaires et le résultat net comptable établie par son expert-comptable.

Outre que cette attestation concerne les comptes 2023 et n'est pas de nature à justifier la situation actuelle de la Sarl Le Grand Tetras, elle est insuffisante à caractériser les difficultés économiques du preneur en l'absence de documents comptables détaillés.

En conséquence, la demande de délais sera rejetée et il sera constaté l'acquisition de la clause résolutoire au 7 septembre 2024.

Les demandes de M. [T] [N] en paiement de loyer pour les années 2025 et suivantes ne peuvent donc prospérer.

Sur les mesures accessoires

La Sarl Le Grand Tetras qui succombe en appel sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [T] [N] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'article 10 du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996, invoqué par M. [T] [N], a été abrogé par le décret n°2016-230 du 26 février 2016 et il résulte de la combinaison des nouveaux articles R.444-3, A.444-31, A.444-32 et R.444-55 du code de commerce que l'huissier de justice mandaté pour une prestation de recouvrement ou d'encaissement en exécution forcée d'une

décision de justice, a droit à la perception d'un émolument proportionnel dégressif à la charge du débiteur, cumulable à un émolument dégressif à la charge du créancier.

Ces dispositions prévoyant expressément que le créancier supporte une partie des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement, la demande visant à transférer intégralement cette charge sur le débiteur ne peut prospérer et M. [T] [N] en sera débouté.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare la Sarl Le Grand Tetras recevable à conclure au débouté de M. [T] [N] de ses demandes.

Infirme le jugement du 10 juin 2024, le tribunal judiciaire de Gap en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a débouté M. [T] [N] de ses demandes de dommages et intérêts.

Condamne la Sarl Le Grand Tetras à payer à M. [T] [N] :

- la somme de 1.597 euros ht et hors charge pour l'année 2021, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2021, date de la mise en demeure,

- la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2022, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2022,

- la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2023, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2023,

- la somme de 3.811 euros ht et hors charge pour l'année 2024, outre intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2024.

Ordonne la capitalisation des intérêts.

Déboute M. [T] [N] de sa demande d'astreinte.

Déboute M. [T] [N] du surplus de ses demandes au titre des loyers.

Déboute la Sarl Le Grand Tetras de sa demande de délais de paiement.

Constate l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail au 7 septembre 2024.

Condamne la Sarl Le Grand Tetras aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Condamne la Sarl Le Grand Tetras à payer à M. [T] [N] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute la Sarl Le Grand Tetras de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute M. [T] [N] de sa demande tendant à ce que les droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier soient supportés par le débiteur.

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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