CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 9 octobre 2025, n° 25/00121
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Casaverdeshop (SAS)
Défendeur :
Santino (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cesaro-Pautrot
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Brahic-Lambrey
Avocats :
Me Simon-Thibaud, Me Badie, Me Barraud, SCP Badie, Simon-Thibaud, Juston
EXPOSE DU LITIGE
Le 26 mars 2021, la SAS Santino située à [Localité 4], franchiseur de l'enseigne CBD Shop France, et la SAS CasaVerdeShop située à [Localité 6] ont signé un document d'information précontractuel (DIP) en vue de formaliser un contrat de franchise.
Par acte extrajudiciaire en date du 10 janvier 2024, la SAS Santino a assigné la SAS CasaVerdeShop devant le tribunal de commerce de Cannes à l'effet de faire reconnaître les manquements contractuels de la défenderesse, d'obtenir la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchisé et la réparation de son préjudice évalué à la somme de 330 000 euros.
Par jugement en date du 19 décembre 2024, le tribunal de commerce de Cannes a :
- dit l'exception d'incompétence recevable en la forme et mal fondée, en application de la clause attributive de compétence stipulé dans l'article 34 du projet de contrat ;
- déclaré le tribunal de commerce de Cannes compétent ;
- dit l'instance suspendue jusqu'à l'expiration du délai pour former appel et, en cas d'appel, jusqu'à ce que la cour d'appel ait rendu sa décision ;
- réservé les dépens et le sort des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par déclaration au greffe en date du 6 janvier 2025, la SAS CasaVerdeShop a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 9 janvier 2025, elle a été autorisée, dans le prolongement de sa requête du 6 janvier 2025, par le magistrat délégué par M. le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence à faire assigner à jour fixe la SAS Santino à l'audience du 4 septembre 2025.
Dans ses conclusions annexées, elle a demandé, au visa des articles 43, 46,48, 74 et suivants du code de procédure civile et 1113 et suivants, 1120, 1353 du code civil, à la cour de :
A titre principal,
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
- infirmer le jugement rendu le 19 décembre 2024 en ce qu'il a dit l'exception d'incompétence recevable en la forme et mal fondée, en application de la clause attributive de compétence stipulée dans l'article 34 du projet de contrat ; déclaré le tribunal de commerce de Cannes compétent ; réservé les dépens et le sort des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Statuant à nouveau :
- déclarer le tribunal de commerce de Cannes incompétent territorialement;
- renvoyer les parties devant le tribunal de commerce d'Angoulême ;
A titre subsidiaire,
- déclarer non écrite la clause attributive de compétence invoquée par la SAS Santino et insérée au sein du projet de contrat dont se prévaut la SAS Santino ;
A titre infiniment subsidiaire dans l'hypothèse où le jugement dont appel ne serait pas réformé en ce qu'il s'est déclaré compétent :
- renvoyer cette affaire à une prochaine date d'audience, pour permettre à la SAS CasaVerdeShop de conclure au fond,
En tout état de cause,
- débouter la SAS Santino de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;
- condamner la SAS Santino à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAS Santino aux entiers dépens, en ce compris les dépens de première instance ;
L'assignation à jour fixe a été délivrée le 17 mars 2025 à une personne habilitée à recevoir l'acte, puis remise au greffe le 4 avril 2025.
La SAS Santino n'a pas constitué avocat.
SUR CE, LA COUR
L'appelante soutient que la juridiction territorialement compétente est le tribunal de commerce d'Angoulême, et non le tribunal de commerce de Cannes. Elle expose qu'elle ne dispose d'aucun établissement à [Localité 5] ou dans le ressort de la commune. Elle fait valoir qu'elle n'a pas consenti à une clause attributive de compétence et qu'aucun contrat ne lui a été remis ni été signé. Elle en déduit qu'elle n'est soumise à aucun engagement.
En l'espèce, l'exception d'incompétence est recevable pour avoir été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
En vertu de l'article 46 du code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;
Selon l'article 43 du même code, le lieu où demeure le défendeur s'entend, s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie.
Aux termes de l'article 48 du même code, toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
L'article 1119 du code civil énonce que les conditions générales invoquées par une partie n'ont effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées.
L'extrait K bis produit au débat fait ressortir que le siège social de la SAS CasaVerdeShop est situé [Adresse 2].
La SAS Santino à l'enseigne CBD Shop France et M. [F] [G], représentant légal de la SAS CasaVerdeShop, ont signé le 26 mars 2021 un document d'information précontractuel CBD Shop relatif à un projet de contrat de franchise conclu pour une durée de trois ans à compter du 26 mars 2021, avec le paiement d'un droit d'entrée de 5 000 euros.
Il est précisé (page 16) que le contrat de franchise devrait être signé entre 21 jours et 30 jours et qu'au-delà de ce délai, en cas de non signature du contrat de franchise, CBD Shop France considérera la réservation de zone comme nulle et la zone libre.
S'il est indiqué (page 11) que le projet de contrat est remis, force est de constater que la mention (page 16) La société CBD SHOP France a remis (liste des documents remis) n'est pas renseignée et ne vise aucun document.
Le contrat de franchise communiqué n'est ni paraphé ni signé et il ne précise pas le nom du franchisé. Il n'apparaît pas avoir été formalisé et conclu entre les parties. L'article 36 précise, au demeurant, que le présent contrat a été rédigé sous forme de modèle et qu'il a été envoyé au franchiseur sous format Word afin de l'éclairer sur le droit applicable et le laisser modifier le contrat à sa guise en fonction de l'évolution de ses affaires.
La clause suivante est rédigée à l'article 34 en caractères non apparents :
« Règlement des différends »
En cas de différends, controverse ou réclamation découlant du présent contrat de franchise ou en relation avec celui-ci, les parties conviennent de tenter, avant toute saisie d'une juridiction judiciaire, de trouver une issue amiable à ces différends, controverse ou réclamation, en déployant tout effort raisonnable.
À ce titre, toutes parties souhaitant enclencher la procédure de règlement des différends à l'amiable devra envoyer une notification à l'autre partie, qui devra mentionner la nature du différend et inclure tous documents s'y rapportant.
Si le différend n'a pas été réglé dans le délai de 30 jours, les parties conviennent de soumettre ce différend aux juridictions du ressort du siège du franchiseur.
Il résulte de ce qui précède que cette clause ne peut être considérée comme ayant été portée à la connaissance de la SAS CasaVerdeShop et avoir été acceptée par elle.
En conséquence, la compétence territoriale du tribunal de commerce de Cannes ne saurait être retenue et il y a lieu d'infirmer le jugement et de faire droit à l'exception d'incompétence soulevée.
Il sera alloué à l'appelante une indemnité au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe de la cour,
Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives à la recevabilité de l'exception d'incompétence ;
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Dit que le tribunal de commerce de Cannes n'est pas territorialement compétent pour statuer dans l'instance introduite par la SAS Santino ;
Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce d'Angoulême pour la poursuite de l'instance ;
Rappelle que le présent arrêt sera notifié aux parties par le greffe ;
Condamne la SAS Santino à verser à la SAS CasaVerdeShop la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Santino aux dépens de première instance et d'appel ;