Livv
Décisions

CA Amiens, ch. économique, 9 octobre 2025, n° 24/04414

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/04414

9 octobre 2025

ARRET



[P]

C/

[Y]

S.C.P. [X] [V] [M]

LE PROCUREUR DE LA REPUBIQUE PRES LE TJ DE [Localité 8]

Copie exécutoire

le 09 Octobre 2025

à

Me Hamamouche

Me [Localité 9]

Me Garnier

FM

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 09 OCTOBRE 2025

N° RG 24/04414 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JG5E

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE COMPIEGNE DU 25 SEPTEMBRE 2024 (référence dossier N° RG 2022L00291)

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC

EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [U] [P]

[Adresse 7]

[Localité 5]

comparant en personne, assisté de Me Véronique HAMAMOUCHE, avocat au barreau de VAL D'OISE, substituant Me Charles-Henri HAMAMOUCHE, avocat au barreau de VAL D'OISE.

Représenté par Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIMES

Monsieur [N] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-michel LECLERCQ-LEROY de la SELARL LOUETTE-LECLERCQ ET ASSOCIES, avocat au barreau D'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien LACHAUSSEE de la SELEURL Lachaussée Avocat, avocat au barreau de PARIS

S.C.P. [X] [V] [M] représentée par Maître [F] [M], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS KL PRODUCTIONS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Frédéric GARNIER de la SCP LEQUILLERIER - GARNIER, avocat au barreau de SENLIS

Monsieur LE PROCUREUR DE LA REPUBIQUE PRES LE TJ DE [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 4]

***

DEBATS :

A l'audience publique du 26 Juin 2025 devant :

Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,

Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,

et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2025.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Madame Elise DHEILLY

MINISTERE PUBLIC : Mme Clélie GIBALDO, substitute générale

PRONONCE :

Le 09 Octobre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Madame Elise DHEILLY, Greffière.

*

* *

DECISION

Le 26 juillet 2019 a été constituée la SAS KL Productions par Monsieur [U] [P] et Monsieur [N] [Y], ayant pour objet la production, la conception, l'élaboration, la distribution, la vente et la diffusion d'émissions télévisuelles et d''uvres audiovisuelles et cinématographiques.

Monsieur [U] [P] a été désigné président tandis que Monsieur [N] [Y] a pris la fonction de directeur général.

Le 7 janvier 2022, Monsieur [U] [P] a déposé une déclaration de cessation des paiements de la SAS KL Productions au greffe du tribunal de commerce de Compiègne.

Par un jugement en date du 12 janvier 2022, le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SA KL Productions, fixé la date de cessation des paiements au 15 septembre 2021 et nommé la SCP [X] [V] [M] en qualité de liquidateur en la personne de Maître [W] [V].

Par acte de commissaire de justice en date du 2 mai 2022, la SCP [X] [V] [M], liquidateur de la SA KL Productions, a fait assigner Messieurs [U] [P] et [N] [Y] devant le tribunal de commerce de Compiègne aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire à supporter tout ou partie des dettes de la SAS KL Productions au visa de l'article L.651-2 du code de commerce, et de prononcer à leur encontre une mesure de faillite personnelle ou une interdiction de gérer pour la durée souhaitée par le tribunal au visa de l'article L.653-4 du code de commerce.

Par un jugement en date du 25 septembre 2024 contradictoire à l'égard de M. [Y] et réputé contradictoire à l'égard de M. [P], le tribunal de commerce de Compiègne a':

- dit recevable l'action dirigée contre Monsieur [U] [P] et Monsieur [N] [Y] ;

- débouté la SCP [X] [V] [M] de l'intégralité de ses demandes;

- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une faillite personnelle ou d'interdiction de diriger de gérer à l'encontre de Monsieur [U] [P] et Monsieur [N] [Y] ;

- condamné Monsieur [U] [P] à supporter le passif de la SAS KL Productions à hauteur de la somme de 5.700 euros ;

- dit n'y avoir lieu à condamnation à l'article 700 du code de procédure civile

- employé les dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Par un acte en date du 1er octobre 2024, Monsieur [U] [P] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 15 mai 2025, Monsieur [U] [P] conclut à l'infirmation partielle du jugement déféré et demande à la cour de débouter la SCP [X] [V] [M], ès-qualités, de toutes les demandes formées à son encontre et réclame la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 13 février 2025, Monsieur [N] [Y] conclut à la confirmation du jugement déféré en ce que le liquidateur a été débouté de toutes les demandes formées à son égard et sollicite la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 27 février 2025 formant appel incident, la SCP [X] [V] [M] ès-qualités demande à la cour :

- de déclarer irrecevable l'intimation par M. [P] du ministère public qui n'était que partie jointe en première instance,

- de déclarer irrecevable par application de l'article 915-2 du code de procédure civile toutes les prétentions de M.[P] distinctes de celles exprimées dans ses premières conclusions d'appel à savoir que la cour ne peut être saisie d'une demande d'annulation du jugement, prétention qui n'était pas formée dans les premières écritures,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le liquidateur de ses demandes aux fins de sanction, condamné M.[P] seul à supporter le passif de la SAS KL Productions à hauteur de la somme de 5.700 euros, dit n'y avoir lieu à condamnation à l'article 700 du code de procédure civile et employé les dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire et demande à la cour de':

- condamner solidairement Messieurs [U] [P] et [N] [Y] à supporter tout ou partie des dettes de la SAS KL Productions par application des dispositions de l'article L.651-2 du code de commerce, soit la somme de 9.432,69 euros,

- prononcer une faillite personnelle ou une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique pour la durée que voudra bien fixer la juridiction, à l'égard de Messieurs [U] [P] et [N] [Y],

- condamner in solidum Messieurs [U] [P] et [N] [Y] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Dans son avis en date du 19 mai 2025, le ministère public indique qu'il interviendra à l'audience.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2025.

A l'audience du 26 juin 2025, le ministère public a oralement sollicité la confirmation du jugement déféré et précisé qu'il était une partie jointe à l'instance.

Autorisé à produire une note en délibéré, par une note du 3 juillet 2025, M. [P] fait valoir que':

- L'existence et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être strictement appréciés à la date où la juridiction statue. Il affirme que l'insuffisance d'actif n'a pas été caractérisée et que l'actif réalisé (5.871,54 euros) permet de régler le passif admis (6.306,74 euros) à hauteur de 93,10 % outre la somme de 35.000 euros présente sur son compte courant,

- Le tribunal n'a pas recherché la faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif,

- Le liquidateur ne prouve pas qu'entre le 15 septembre 2021 et le 6 janvier 2022, il y a eu un accroissement du passif.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'intimation du ministère public

Le liquidateur conclut à l'irrecevabilité de l'appel formé par M. [P] à l'égard du ministère public, motif pris que ce dernier n'était pas partie principale en première instance mais seulement partie jointe.

M. [P] réplique que l'intervention du ministère public est nécessaire puisque ce dernier a pris des réquisitions orales lors de l'audience qui s'est déroulée devant le tribunal de commerce. Il précise que depuis la loi du 26 juillet 2005, le ministère public est présent dans les procédures collectives en défense de l'intérêt général et à ce titre, il est considéré comme un organe de procédure. Il ajoute que seul le parquet général a qualité pour soulever l'irrecevabilité de l'intimation du ministère public.

M.[Y] n'a pas fait d'observations sur ce point.

En l'espèce, il est établi que la procédure pour insuffisance d'actif et en sanction a été initiée par le liquidateur de la SAS KL Productions, mais que cependant le procureur de la République a pris des réquisitions orales devant le tribunal de commerce de Compiègne, ce qui signifie que ce dernier est intervenu en qualité de partie jointe.

L'article 425-2° du code de procédure civile énonce que':

Le ministère public doit avoir communication':

Des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux et des procédures de faillite personnelle ou relatives aux interdictions prévues par l'article L 653-8 du code de commerce.

Il en résulte que le ministère public n'est pas cantonné à la défense de la société dans un cadre répressif mais devient un corps de contrôle de l'ordre public économique ce qui fait de lui un véritable organe de la procédure.

Ainsi, s'agissant du droit de recours du ministère public, si chaque jugement est toujours susceptible de recours de la part du ministère public, les articles L 661-1 et L 661-6 du code de commerce qui ouvrent l'appel des décision principales à certaines personnes, ajoutent le ministère public aux personnes ayant qualité. Mieux, l'article L 661-6, I du code de commerce exclut tout droit de recours contre certaines décisions sauf de la part du ministère public.

Il s'en déduit que le ministère public étant intervenu en première instance et ayant souhaité formuler un avis qui a été communiqué aux parties, ce dernier a manifesté son souhait d'être un organe de la procédure à part entière devant cette cour. Le ministère public n'a pas critiqué l'intimation formée à son égard par M. [P], alors qu'il a seul la qualité pour le faire.

Par conséquent, il convient de débouter le liquidateur de sa demande aux fins d'irrecevabilité de l'intimation du ministère public.

Sur la recevabilité des demandes de M. [U] [P]

Le liquidateur soulève l'irrecevabilité de toutes prétentions de M. [U] [P] distinctes de celles exprimées dans ses premières conclusions d'appel au motif que les conclusions d'appel ne tendent qu'à l'infirmation du jugement tandis que la déclaration d'appel tendait à l'annulation, l'infirmation ou la réformation du jugement. Il indique que depuis le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 en vigueur, il est expressément prévu à l'article 901-6° du code de procédure civile qu'il doit être indiqué si l'appel tend à l'infirmation ou alternativement à l'annulation du jugement.

Messieurs [P] et [Y] n'ont pas fait d'observations sur ce point.

La cour relève que dans le dispositif de ses écritures M. [P] conclut à l'infirmation du jugement critiqué en ce qu'il a été condamné à paiement pour insuffisance d'actif. Il ne conclut plus à l'annulation qu'il avait visé dans sa déclaration d'appel, cet abandon de prétention n'est pas de nature à contrevenir au principe de la concentration des prétentions dans le premier jeu de conclusions. Aucune entorse au code de procédure civile, ni aucun grief ne sont caractérisés.

Par conséquent, il convient de débouter le liquidateur de son exception d'irrecevabilité des conclusions et prétentions de M. [P].

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

M.[P] critique le jugement déféré en ce que le tribunal n'a pas déterminé l'insuffisance d'actif au moment où il a statué. Il expose que l'actif réalisé ou à réaliser représente 6 fois le passif admis de la SAS KL Productions. Il affirme que les premiers juges l'ont condamné à une insuffisance d'actif d'un montant de 5.700 euros sans détermination de l'insuffisance d'actif, alors que celle-ci, au jour où il a statué, n'était pas certaine. Il estime que l'actif existant pouvait payer le passif admis (6.306,74 euros de passif admis contre 35.296 euros pour la réalisation des actifs), rendant ainsi la demande de condamnation du liquidateur à son égard irrecevable en l'état, faute d'intérêt.

Il soutient que la tardiveté de la déclaration d'état de cessation des paiements ne peut être considérée comme une faute de gestion ayant contribué à une insuffisance d'actif. Il estime que la tardiveté dans la déclaration de cessation des paiements constitue une simple négligence, et ajoute que sans l'indication erronée des cotisations de l'Urssaf dans le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements aurait été fixée au 7 janvier 2022.

M. [Y] soutient qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre d'un dirigeant si l'existence d'une insuffisance d'actif n'est pas établie avec certitude.

Il fait valoir que le passif a été formellement contesté par les deux dirigeants, plus particulièrement s'agissant de la créance de l'Urssaf, qui a été depuis annulée. Il insiste sur le fait que seules les dettes nées avant le jugement d'ouverture peuvent être prises en compte pour la détermination d'une insuffisance d'actif.

Il estime que compte tenu de l'annulation de la dette Urssaf, la SAS KL Productions à la date du 12 janvier 2021 pouvait, avec son actif disponible, payer le passif représenté par trois créanciers dont les créances sont devenues exigibles par les effets du jugement de liquidation judiciaire, l'actif existant étant largement suffisant pour payer le passif admis.

S'agissant de la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, il fait valoir qu'il n'était pas représentant légal de l'entreprise et qu'il ne peut donc pas en être tenu responsable.

S'agissant du détournement d'actif reproché, il soutient qu'il a simplement assuré la conservation du matériel de la société dans les meilleures conditions à la suite de son déménagement, de la mésentente entre associés, la société ne disposant plus de locaux, et le siège social déclaré étant son ancien domicile.

Il ajoute que le liquidateur a refusé toute communication avec lui, tandis que l'article L.624-1 alinéa 1 du code de commerce prévoit que le mandataire doit établir la liste des créances après avoir sollicité les observations du débiteur.

Le liquidateur rappelle que l'objet de son action vise à sanctionner l'acte d'appauvrissement social réalisé avant le jugement déclaratif qui par définition est directement contributif de l'insuffisance d'actif.

Il expose que le passif a été vérifié à hauteur de 10.617,72 euros à titre définitif, que ce dernier est désormais revêtu de l'autorité de la chose jugée et s'impose dès lors aux dirigeants poursuivis en sanction.

Il précise que le liquidateur n'a pas l'obligation lorsqu'il assigne en sanction d'avoir préalablement vérifié le passif ou achevé les opérations de réalisation d'actif.

Il soutient qu'il est établi que Messieurs [P] et [Y] ont détourné l'actif corporel de l'entreprise avant le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation.

Il affirme que l'insuffisance d'actif à laquelle le tribunal puis la cour sont en mesure de laisser à la charge des codirigeants au jour de l'audience est de 9.432,69 euros.

L'article L 651-2 du code de commerce énonce que lorsque la liquidation judiciaire fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.

Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. En effet, l'action en comblement du passif formée contre le dirigeant de la personne morale suppose que celui qui la met en 'uvre démontre une faute du dirigeant qui a contribué à l'insuffisance d'actif qui ne se confond pas avec une simple négligence et qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

Ce même article dispose que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est une application particulière de la responsabilité civile qui tend à sanctionner les dirigeants qui ont commis des fautes dans la gestion de la personne morale défaillante. Elle est soumise à la preuve de trois éléments : un préjudice caractérisé par l'insuffisance d'actif, une faute de gestion du dirigeant et un lien de causalité les unissant.

Pour emporter la responsabilité du dirigeant, sa faute doit avoir contribué à une insuffisance d'actif. Cependant, il suffit que la faute de gestion ait contribué à l'insuffisance d'actif, sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute. Ainsi, le dirigeant peut donc être déclaré responsable pour le tout même si la faute de gestion n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et à l'origine que d'une partie des dettes.

La réalité et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l'action tendant à la faire supporter par un dirigeant social.

L'existence d'un passif social et/ou fiscal suffit pour caractériser une insuffisance d'actif.

L'insuffisance d'actif résulte de la différence entre le passif non contesté et l'actif évalué lui-même selon une méthode non contestée.

En l'espèce, M.[P] lors du dépôt le 7 janvier 2022 de sa demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au profit de la SAS KL Productions a déclaré un passif de 44.868,83 euros dont 4.141,38 euros de salaires, 2.404,65 euros d'Urssaf, pôle emploi, 2.958 euros de TVA et 35.364,80 euros correspondant au compte courant associés au nom de [U] [P].

A ce jour la procédure de vérification des créances est achevée et le juge-commissaire a signé l'état des créances pour un montant total de 10.617,72 euros le 20 février 2024, la publication au BODACC ayant été réalisée le 29 février 2024.

Il est constant que si le dirigeant justifie ne pas avoir été appelé à la vérification du passif, il peut faire une réclamation à l'encontre de l'état des créances dans le délai d'un mois de la publication au BODACC comme le prévoit l'article R 624-8 alinéa 4 du code de commerce, après quoi il est forclos et l'autorité de la jugée lui est opposable sur le tout du passif. Dès la décision d'admission et sans égard pour sa notification, elle est revêtue de l'autorité de la chose jugée.

Au cas présent, Messieurs [P] et [Y] n'ont, non seulement pas contesté le passif à l'occasion des opérations de vérification du passif, mais n'ont également pas, une fois l'état des créances signé, formé une réclamation contre l'état des créances dans le mois de la publication au BODACC.

Aussi, le passif est revêtu de l'autorité de la chose jugée pour un montant de 10.617,72 euros.

Le liquidateur justifie d'un actif recouvré le 17 juin 2023 pour un montant de 1.185,03 euros correspondant à la vente de matériels aux enchères.

En l'état l'insuffisance d'actif est dès lors caractérisée à hauteur de 9.432,69 euros.

Il appartient au demandeur à l'action, en l'espèce le liquidateur, de démontrer que Messieurs [P] et [Y] ont commis une ou plusieurs fautes de gestion qui ont participé en tout ou partie à l'insuffisance d'actif.

Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours

En liquidation judiciaire, l'article L 640-4 du code de commerce prévoit que l'ouverture de cette procédure doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Il est constant que l'omission par un dirigeant de solliciter l'ouverture d'une procédure collective, dans le délai fixé par l'article L631-4, constitue une faute de gestion lorsqu'elle a contribué à l'insuffisance d'actif et qu'elle ne peut s'analyser en une simple négligence compte tenu de l'importance des difficultés rencontrées par la société.

En l'espèce, le jugement rendu le 12 janvier 2022, désormais définitif, prononçant la liquidation judiciaire de la SAS KL Productions a fixé la date de cessation des paiements au 15 septembre 2021. Il est établi que la déclaration de cessation des paiements réalisée par M. [P] aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire, si elle a été effectuée de manière spontanée, l'a été au-delà du délai de 45 jours précité.

Il incombe néanmoins au liquidateur de prouver que le retard dans la déclaration d'état de cessation des paiements a participé à créer ou accroître l'insuffisance d'actif. Or, en l'espèce la cour estime qu'il n'est pas justifié que le retard dans la déclaration de cessation des paiements a contribué à créer ou accroître l'insuffisance d'actif, ni qu'il procède d'une volonté délibérée de M. [P], ce dernier démontrant notamment au travers des courriels produits l'existence d'une mésentente entre associés de nature à perturber l'activité de la société.

Ce grief n'est dès lors pas caractérisé.

Sur la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel

La poursuite d'une activité déficitaire est constitutive d'une faute dans la mesure où par sa passivité, le dirigeant contribue à la dégradation financière de la société et à l'accroissement de l'insuffisance d'actif.

Le liquidateur expose que le projet de bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2021 établit qu'après un premier exercice d'une durée de 17 mois quasiment fantomatique et celui de la crise sanitaire en 2021, l'entreprise avait réalisé un chiffre d'affaires de 55.110 euros et une perte de 11.897 euros'; que depuis l'exercice clos au 31 décembre 2020 où les capitaux propres n'étaient que de 4.118 euros, la société avait déjà vécu grâce à des apports en compte courant spécifiquement de M. [P] pour 30.759 euros, de sorte qu'après un premier exercice tout juste à l'équilibre et sans marge de man'uvre financière pendant 12 mois l'exploitation avait été déficitaire.

Il résulte des pièces produites que la SAS KL Productions a été créée le 26 juillet 2019 et que le 27 septembre 2019 M. [P] a opéré un virement au profit de la société pour un montant de 35'.000 euros'; que cette jeune société de production a donc été créée peu de temps avant la crise sanitaire, que rapidement est survenue une mésentente entre les deux associés, soulignée notamment par le tribunal de commerce tant lors du prononcé de la liquidation judiciaire que dans la décision critiquée.

Si le relevé bancaire produit par le liquidateur fait apparaître des prélèvements en espèces entre 60 et 500 euros sur la période du 1er février 2021 au 4 septembre 2021 pour un montant global de 1.990 euros, cette situation n'est pas suffisante pour caractériser un appauvrissement de la société ayant contribué à l'état de cessation des paiements. En effet, Messieurs [P] et [Y] démontrent qu'à cette même période ils ont réalisé le tournage d'une série de webmagazines intitulée «'Vocations'» nécessitant des menues dépenses, l'affectation des espèces à l'intérêt personnel n'est pas justifiée.

Dès lors, la cour estime que le liquidateur échoue à caractériser ce grief.

Sur le détournement d'actifs

Le liquidateur reproche à Messieurs [P] et [Y] d'avoir détourné du matériel de la société': une caméra restituée par M. [P] le 13 septembre 2022 et une configuration informatique pour montage vidéo, une paire d'enceintes ainsi qu'un lot de matériels d'éclairage restitué le 10 février 2023 par M. [Y].

Messieurs [P] et [Y] réfutent toute faute, précisent que la plainte pénale déposée par le liquidateur a été classée sans suite et que le ministère public lors de l'audience devant le tribunal de commerce n'a requis aucune sanction.

S'il résulte des courriels communiqués par Me [V], ès-qualités, aux termes desquels Messieurs [P] et [Y] ont respectivement dénoncé auprès du liquidateur la possession de matériel de la société par l'autre co-dirigeant sans une autorisation commune, ces faits réciproquement allégués s'inscrivent dans le cadre de la mésentente entre associés précitée et sont insuffisants pour caractériser un comportement fautif ayant contribué à l'insuffisance d'actif. Par ailleurs, il est justifié par le commissaire-priseur suivant un inventaire daté du 13 février 2023 que lesdits matériels déposés auprès de lui par chacun des co-dirigeants s'élèvent à la somme globale de 1.670 euros, montant par ailleurs modeste.

Dès lors, la cour estime que le liquidateur échoue à caractériser ce grief.

Dans ces conditions,la cour par une appréciation souveraine, relevant qu'aucune faute consciente n'est imputable ni à M. [P], ni à M. [Y] dans la réalisation de l'insuffisance d'actif de la SAS KL Productions, il convient de débouter Me [V], ès-qualités de sa demande de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif et par conséquent d'infirmer le jugement déféré de ce chef.

Sur les sanctions professionnelles

Consécutivement au débouté de l'action en comblement de passif, aucune faute intentionnelle n'ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société KL Productions, il y a lieu de constater que le liquidateur échoue également à caractériser les fautes identiques qu'il invoque au soutien de sa demande de condamnation de Messieurs [P] et [Y] à une mesure de sanction personnelle.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef.

Sur les autres demandes

Eu égard à la nature de l'affaire, il convient d'ordonner l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective.

Les circonstances de l'espèce commandent de débouter les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Déboute la SCP [X] [V] [M], prise en la personne de Me [W] [V], en qualité de liquidateur de la SAS KL Productions, de sa demande aux fins d'irrecevabilité de l'intimation du ministère public

Déboute la SCP [X] [V] [M], prise en la personne de Me [W] [V], en qualité de liquidateur de la SAS KL Productions de son exception d'irrecevabilité des conclusions et prétentions de M. [U] [P].

Infirme le jugement rendu le 25 septembre 2024 par le tribunal de commerce de Compiègne, en ce qu'il a condamné M. [U] [P] à supporter un comblement de passif à hauteur de 5.700 euros.

Et statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Déboute la SCP [X] [V] [M], prise en la personne de Me [W] [V], en qualité de liquidateur de la SAS KL Productions de sa demande en paiement au titre de l'insuffisance d'actif.

Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective.

Le Greffier, La Présidente,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site