CA Aix-en-Provence, ch. 1-5, 9 octobre 2025, n° 22/02821
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
ARRÊT AU FOND
DU 09 OCTOBRE 2025
ac
N° 2025/ 319
Rôle N° RG 22/02821 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BI5YD
S.C.I. LA CARRETIERE
S.C.I. RSB VOLX
C/
S.C.I. LA CAPELLANE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Mathieu PATERNOT
SELARL SELARLU JDK-AVOCAT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de DIGNE-LES-BAINS en date du 17 Novembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00892.
APPELANTES
S.C.I. LA CARRETIERE agissant par son gérant en exercice M. [N] [T], dont le siège social est [Adresse 4]
représentée par Me Mathieu PATERNOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Lou VERNEDE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Frédéric LAURIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
S.C.I. RSB VOLX agissant par son gérant en exercice M. [L] [T], dont le siège social est [Adresse 9]
représentée par Me Mathieu PATERNOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Lou VERNEDE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Frédéric LAURIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
S.C.I. LA CAPELLANE, dont le siège social est Chez M. et Mme [I] - [Adresse 10], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié ès-qualités audit siège
représentée par Me Jean-Didier KISSAMBOU M'BAMBY de la SELARL SELARLU JDK-AVOCAT, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Marc MAGNON, Président
Madame Patricia HOARAU, Conseiller
Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2025,
Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Mme Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte du 4 mars 1994, la Sci la Carretiere a acquis la parcelle bâtie cadastrée AI [Cadastre 1] Lieudit « [Adresse 8] » à Volx formant le lot n° 6 du lotissement artisanal communal dénommé '« la Carretière extension » et comprenant un bâtiment à usage professionnel.
La Sci la Capellane est propriétaire de la parcelle voisine cadastrée AI [Cadastre 3] formant le lot n°7.
Un litige est né portant sur l'allégation d'empiétements consécutifs aux travaux réalisés par la Sci la Carretiere, conduisant à la désignation d'un expert judiciaire par ordonnance du juge des référés du 20 février 2009.
Par jugement du 9 janvier 2013 le tribunal de grande instance de Digne a condamné la Sci la Carretiere à procéder au retrait de diverses installations empiétant sur le fonds de la Sci la Capellane, à savoir la dalle de béton, les câbles électriques, les cheminées métalliques, le tuyau d'aération, et à réaliser un mur de soutènement en limite séparative des deux fonds, le tout sous astreinte.
Par décision du 12 décembre 2013 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé la décision à l'exception de la question du mur de soutènement.
Par décision du 10 décembre 2015, le juge de l'exécution a commis un expert aux fins de vérifier la réalisation et la conformité des travaux ordonnés par les décisions de justice avant liquidation de l'astreinte.
L'expert a déposé son rapport le 16 septembre 2016.
Par jugement du 11 mai 2017 le juge de l'exécution a constaté que les travaux ordonnés sous astreinte n'avaient pas été exécutés en leur entier et ni conformément aux règles de l'art et a liquidé l'astreinte à la somme de 9'000 euros. L'instance d'appel est toujours pendante.
Soutenant que l'ouvrage appartenant à la Sci la Carretiere doit être démoli dans son intégralité, la Sci la Capellane a suivant acte d'huissier du 20 juillet 2018 fait assigner en ce sens la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx nouveau propriétaire de la parcelle devant le tribunal de grande instance de Digne les Bains.
Par jugement du 17 novembre 2021 le tribunal judiciaire de Digne les Bains a statué en ces termes':
- Dit que la demande nouvelle au fond de démolition portant sur différents ouvrages empiétant matériellement sur la parcelle de la Sci [Adresse 7] est irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée,
- Rejette la demande de démolition de la totalité du bâtiment litigieux';
- Fixe le montant des dommages-intérêts réparant l'intégralité du préjudice de jouissance démontré à la somme de 10.000 euros,
- Rejette la fin de non-recevoir et condamne solidairement la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx à payer à la Sci la Capellane la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'intégralité de son préjudice
- Condamne solidairement la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx à payer à la Sci la Capellane la somme de 750 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure
- Rejette les demandes de condamnation de la Sci la Capellane au titre des dommages-intérêts, de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens formulées par la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx
Le tribunal a considéré en substance':
- que les ouvrages présents sur l'assiette de l'empiétement d'origine à savoir sur la dalle de béton, les câbles électriques, les cheminées métalliques et le tuyau d'aération, ont fait l'objet d'un jugement le 9 janvier 2013 confirmé par l'arrêt de la cour d'appel du 12 décembre 2013';
- que le rapport d'expertise a été réalisé dans le cadre des difficultés d'exécution des travaux ordonnés par la cour d'appel aux fins de cessation de l'empiétement';
- que dès lors les défauts de réalisation de ces travaux relèvent de difficultés d'exécution de la compétence du juge de l'exécution,
- que la demande de démolition est sans objet en raison de l'autorité de la chose jugée,
- que tous les empiétements n'ont pas été réparés tandis que le demandeur démontre par le constat d'huissier du 12 juillet 2018 l'existence de son préjudice';
- que la Sci la Carretiere qui aurait vendu le bien composant le lot 6 ne justifie pas de la publication de cet acte';
Par acte du 24 février 2022 la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ont interjeté appel de la décision.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 mai 2025 la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx demandent à la cour de':
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Digne les Bains le 17 novembre 2021 en ce qu'il :
- fixe le montant des dommages-intérêts réparant l'intégralité du préjudice de jouissance démontré à la somme de 10.000 € ;
- rejette la fin de non-recevoir pour défaut du droit d'agir à l'encontre de la Sci la Carretiere';
- condamne solidairement la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx à payer à la Sci la Capellane la somme de 750 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
Et a omis de statuer sur les demandes reconventionnelles formées par la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx.
Rejeter les conclusions soutenues par voie d'appel incident par la Sci la Capellane ;
Et statuant à nouveau,
Principalement, vu les articles 32, 122 et suivants du code de procédure civile,
Juger que la Sci la Capellane est dépourvue d'intérêt à agir à l'encontre de la Sci la Carretiere;
relever l'autorité définitive de la chose jugée par arrêt de la Cour d'appel du 12/12/2013
En conséquence :
Déclarer la Sci la Capellane irrecevable en toutes ses demandes
Rejeter toutes les demandes de la Sci la Capellane comme étant irrecevables et infondées
Condamner la Sci la Capellane pour procédure abusive à payer à la Sci la Carretiere la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts ;
Condamner la Sci la Capellane à payer à la Sci la Carretiere la somme de 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
Subsidiairement concernant la Sci la Carretiere et au fond pour les deux requérantes :
Juger qu'il n'y a pas lieu à démolition et rejeter toute demande de la Sci la Capellane de ce chef
Reconventionnellement :
Rejeter la demande en condamnation à payer une somme de 150.000 € ;
Condamner la Sci la Capellane à payer à la Sci la Carretiere et à la Rsb Volx la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts ;
condamner la Sci la Capellane à payer à la Sci la Carretiere la somme de 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance au profit de Maître Mathieu PATERNOT, Avocat, sur son affirmation de droit.
Elles soutiennent':
- sur l'irrecevabilité de la Sci la Capellane à agir contre la Sci la Carretiere, qu'il ressort de l'attestation notariale établie le 10 juillet 2013 par Maître [X] [Y] que la Sci la Carretiere a cédé à cette date la jouissance de la parcelle cadastrée AI [Cadastre 1] à la Sci Rsb Volx,
- sur l'empiétement que la construction sur la parcelle AI [Cadastre 1] a été achevée par déclaration du 7 mars 1989, qu'elle a acquis par usucapion la fraction de terrain concernée par l'empiétement';
- que la Sci la Capellane a introduit cette demande de dommages-intérêts en raison de l'empiétement alors qu'elle avait déjà soutenu ce moyen dans l'instance ayant conduit à l'arrêt de cette Cour du 12 décembre 2013 afin de solliciter réparation pour un montant évalué à 15.000€ ,
- que les travaux constatés par l'expert en 2016 sont des travaux de finition qui créent un empiétement de 3 à 6 cm';
- que le caractère marginal de l'empiétement ne peut conduire à leur condamnation à une somme de 10.000 €,
- que la cessation de l'empiétement aurait des conséquences graves car il est techniquement impossible d'aller plus loin et de scier la dalle au ras de l'immeuble pour des questions de sécurité de l'opérateur et de protection du bâtiment.
- qu'il ne ressort pas des écritures produites par la Sci la Capellane en première instance comme sur son appel incident que les empiétements qu'elle reproche soient distincts de ceux constatés dans l'arrêt de cette Cour du 12 décembre 2013';
- que la demande de démolition est disproportionnée'au regard du caractère minime de l'empiétement';
- sur la demande indemnitaire au titre de la procédure abusive, que la Sci la Capellane n'a pas depuis 2013 vérifié l'état de propriété cadastrale de la parcelle AI [Cadastre 1]';
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2024 la Sci la Capellane demande à la cour de'
Sur la forme,
DIRE nulle la déclaration d'appel formée par la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx;
A défaut, au fond,
1- Sur l'appel principal,
in limine litis,
DEBOUTER la Sci la Carretiere et la SCI Rsb Volx de toutes leurs demandes fins et prétentions,
CONFIRMER le jugement du 17 novembre 2021 en ce qu'il a:
REJETÉ la fin de non-recevoir de la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ,
CONDAMNE solidairement le Sci la Carretiere et la SCI Rsb Volx à lui payer la somme de 750 euros au titre des frais irrépétibles et outre les dépens';
2- Sur l'appel incident,
REFORMER le jugement du 17 novembre 2021 en ce que le Premier Juge a:
Dit que la nouvelle demande de démolition porte sur les différents ouvrages empiétant matériellement sur la parcelle de la Sci [Adresse 7] est irrecevable en l'état de l'autorité de la chose déjà jugée de ces chefs ;.
Rejeté la demande de démolition de la totalité du bâtiment litigieux qui n'empiète pas au-delà des empiétements déjà caractérisés par des décisions revêtues de l'autorité de la chose jugée ;
Fixé le montant des dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance démontré à la somme de 10'000 euros
VOIR ORDONNER la démolition du bâtiment litigieux qui empiète sur son fonds;
VOIR CONDAMNER solidairement les sociétés appelantes à lui verser la somme de 150.000,00 euros au titre de dommages et intérêts consécutifs au trouble de jouissance dû à l'empiétement;
Y ajoutant
VOIR CONDAMNER solidairement les sociétés appelantes à lui verser la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens distraits au profit de Maître Jean-Didier Kissambou-M'Bamby.
Elle réplique':
- que la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ont interjeté appel du jugement critiqué le 24 février 2022, qu'elles doivent justifier que leurs gérants respectifs ont été autorisés par une délibération d'assemblée générale à interjeter appel';
- que dans toutes les procédures l'opposant à la Sci la Carretiere celle-ci n'a jamais soulevé son défaut de qualité à agir,
- que la procédure abusive n'est pas démontrée à son encontre car depuis 2016 elle tente de parvenir à une solution amiable';
- que sur l'usucapion il est admis que le voisin auteur de l'empiétement ne peut justifier de la qualité de propriétaire;
- qu'elle demande désormais la démolition du bâtiment entier sur le fondement de l'article 545 du code civil empiétant sur son fonds et que cette question n'a jamais été tranchée dans les décisions produites';
- que les travaux sous astreinte imposés par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 décembre 2013 n'ont toujours pas été réalisés,
- qu'il est admis que le propriétaire victime d'un empiétement peut demander la destruction de la partie empiétant chez lui, et ce même s'il ne subit aucun préjudice,
- que les plots présents sous la dalle n'ont pas été enlevés conformément aux prescriptions des décisions de justice et dépassent sur son fonds'comme l'a relevé le constat d'huissier du 19 janvier 2015';
- qu'en sus de la démolition de la construction qui empiète sur son fonds il apparaît légitime de solliciter des dommages intérêts complémentaires sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil , notamment en réparation du préjudice de jouissance';
- que ce préjudice est démontré par les photographies annexées aux constats d'huissiers et l'existence d'un dénivelé important entre les deux parcelles, la dégradation du terrain par des engins de chantier ayant nécessité la remise en état de sa parcelle louée à l'Onf';
La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la déclaration d'appel
La Sci la Capellane soutient que la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ont interjeté appel du jugement critiqué le 24 février 2022, et qu'à défaut de justifier que leurs gérants respectifs ont été autorisés par une délibération d'assemblée générale à interjeter appel, la déclaration d'appel est nulle.
Le moyen de nullité est inopérant puisque les sociétés appelantes disposent de la personnalité morale leur permettant d'interjeter appel indépendamment d'une quelconque autorisation de leurs gérants en ce sens.
Le moyen de nullité est donc rejeté.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir contre la Sci la Carretiere
Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
L'article 122 du même code prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée .
Enfin l'existence du droit invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de la demande mais de son succès.
La Sci la Carretiere soutient que la Sci la Capellane est dépourvue d'intérêt à agir à son encontre en raison de la vente de la parcelle AI [Cadastre 1] à la Sci Rsb Volx le 10 juillet 2013.
En l'espèce il ressort de l'attestation notariale établie le 10 juillet 2013 par Maître [X] [Y], notaire à Marseille, que la Sci la Carretiere a cédé la parcelle cadastrée AI [Cadastre 2] la Sci Rsb Volx, la perte de qualité de propriétaire de la Sci la Carretiere de la parcelle litigieuse est dès lors rapportée.
Pour autant, il est constant que la situation ayant donné lieu aux empiétements prend naissance au moment de l'acquisition de la parcelle [Cadastre 5] par la Sci la Carretiere en 1994 s'agissant de travaux réalisés par celle-ci, conduisant le tribunal de grande instance de Digne le 9 janvier 2013 puis la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 12 décembre 2013 à la condamner au retrait des éléments empiétant sur le fonds de la Sci la Capellane.
Si bien que s'agissant du contentieux portant sur la responsabilité des empiétements et leurs cessations, l'intérêt à agir de la Sci la Capellane, en tant que propriétaire du fonds subissant les empiétements, à l'encontre de la Sci la Carretiere en sa qualité de propriétaire au moment de l'émergence de la situation litigieuse est démontré.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point par une substitution de motifs.
Sur les demandes au titre de l'empiétement et de la démolition
Conformément à l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La Sci Carretiere soutient en cause d'appel qu'elle a acquis par prescription acquisitive la fraction de terrain concernée par l'empiétement à la date du 6 mars 1999, de sorte que la demande indemnitaire présentée par la Sci la Capellane au titre du préjudice de jouissance est irrecevable.
L'article 2261 du code civil prévoit que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
En l'espèce il est constant que la Sci la Carretiere a acquis le 4 mars 1994 la parcelle AI [Cadastre 1] d'une consistance de 15a00ca, et que selon l'attestation notariale du 10 juillet 2013, elle a vendu à la Sci Rsb Volx la parcelle AI [Cadastre 1] d'une contenance strictement identique à celle précédemment acquise.
Elle ne peut donc soutenir s'être comportée comme le propriétaire légitime de la fraction de la parcelle supportant les empiétements puisqu'il est établi qu'elle a vendu la parcelle AI [Cadastre 1] avec une consistance inchangée.
Ce moyen sera donc rejeté et la demande indemnitaire présentée par la Sci la Capellane sera déclarée recevable.
Sur la fin de non-recevoir de la demande de démolition tirée de l'autorité de la chose jugée
L'article 1355 du code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Conformément à l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La Sci la Carretiere soutient que la demande de démolition des ouvrages empiétant sur le fonds AI [Cadastre 3] est irrecevable puisque selon elle les empiétements reprochés sont ceux déjà constatés et sanctionnés par des précédentes décisions de justice.
En l'espèce, par jugement du 9 janvier 2013 le tribunal de grande instance de Digne a condamné la Sci la Carretiere à procéder au retrait de diverses installations empiétant sur le fonds de la Sci la Capellane, à savoir la dalle de béton, les câbles électriques, les cheminées métalliques, le tuyau d'aération et à réaliser un mur de soutènement en limite séparative des deux fonds, le tout sous astreinte.
Par décision du 12 décembre 2013 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé la décision à l'exception de la question du mur de soutènement. Dès lors il est établi que les empiétements litigieux ont été définitivement constatés et que la Sci la Carretiere est tenue de procéder à leurs retraits.
La question de la dépose des ouvrages litigieux est suivie par le juge de l'exécution qui a à cette fin désigné un expert judiciaire, ce dernier ayant rendu son rapport le 16 septembre 2016. Par suite, ce magistrat a constaté dans la décision du 11 mai 2017 que les travaux mis à la charge de la Sci la Carretiere par les décisions précitées n'ont pas été exécutés en leur entier et que les travaux n'ont pas été réalisés conformément aux règles de l'art.
Il s'évince ainsi du rapport d'expertise que les travaux listés par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 décembre 2013 à savoir procéder au retrait de la dalle de béton, des câbles électriques, de la cheminée métallique, du tuyau d'aération sont réalisés à l'exception de l'arase du débord de dalle qui dépasse de 3 à 6 cm le long du bardage, en pied de mur métallique, tandis qu'un tuyau doit être enlevé, et que des massifs de fondation du bâtiment de la Sci la Carretiere continuent d'empiéter sur le fonds voisin.
La Sci la Capellane sollicite la démolition du bâtiment édifié sur la parcelle AI [Cadastre 1] au titre de l'empiétement, alors même qu'il est démontré que seule une partie de ses fondations empiète réellement sur son fonds, que cette situation est connue depuis 2013 telle que constatée par les décisions de justice. Ainsi la lecture de ces décisions conduit à relever que la Sci la Capellane n'a jamais sollicité la démolition du bâtiment voisin dans son entier mais uniquement la disparition des ouvrages provenant de ce bâtiment qui empiètent sur son fonds, demande qui a été favorablement accueillie.
Le fait que l'expert ait constaté la persistance de certains empiétements relève de l'instance pendante devant le juge de l'exécution chargé du suivi de mesures prononcées à l'encontre de la Sci la Carretiere, et ne peut fonder désormais une demande de démolition. Cette demande telle que présentée par la partie intimée est en effet la conséquence de la persistance des désordres constatés et sanctionnés précédemment, et est donc soumise au principe de l'autorité de la chose jugée. Elle ne peut solliciter une mesure de démolition fondée sur des empiétements déjà sanctionnés par une décision de justice, aux motifs que les mesures réparatoires judiciairement ordonnées ne sont pas encore accomplies.
En ce sens, la demande de démolition est irrecevable et le jugement sera confirmé sur ce point sans qu'il ne soit nécessaire de statuer sur son bien fondé.
Sur la demande au titre de la procédure abusive
La Sci la Carretiere sollicite la condamnation de la Sci la Capellane à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts, au titre de la procédure abusive aux motifs principalement que la Sci la Capellane n'a pas vérifié l'état de propriété cadastrale de la parcelle [Cadastre 5].
Il est constant que l'exercice d'une action en justice constitue un droit, qui ne peut dégénérer en abus que s'il est démontré une volonté de nuire de la partie adverse ou sa mauvaise foi ou une erreur ou négligence blâmable équipollente au dol, ce qui suppose de rapporter la preuve de ce type de faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux, dans les conditions prévues par l'article 1240 du code civil.
En l'espèce, il n'est pas démontré que la Sci la Capellane a poursuivi une action à l'encontre de la Sci la Carretiere dans une intention de nuire ou en méconnaissance fautive de l'existence d'un nouveau propriétaire puisqu'il résulte des pièces produites que les parties sont actuellement réunies dans une instance devant le juge de l'exécution portant sur le suivi des condamnations mises à la charge de la Sci la Carretiere, que celle-ci a participé à l'expertise ordonnée par ce magistrat en 2015 sans contester sa qualité de propriétaire du bâtiment litigieux, alors même qu'il est constant qu'elle ne dispose plus de cette qualité depuis 2013. Elle ne peut dès lors arguer d'une faute commise par l'intimée dans le fait de l'avoir attraite à une nouvelle procédure.
La Sci la Carretiere sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande indemnitaire au titre du préjudice de jouissance
Le jugement querellé a octroyé à la Sci la Capellane la somme de 10'000 euros en indemnisation de son préjudice de jouissance en raison de la persistance des empiétements.
La Sci la Capellane sollicite que ce montant soit fixé à la somme de 150'000 euros. Elle indique que la parcelle [Cadastre 6] était louée à l'Onf et que l'existence d'un trou de 2 mètres de profondeur a empêché son locataire de clôturer la parcelle et l'a conduit à résilier le bail.
Pour autant, la Sci la Capellane n'entend pas fonder sa demande indemnitaire au titre d'un préjudice financier lié à la perte de revenus locatifs mais uniquement sur le préjudice de jouissance de la parcelle consécutif aux empiétements constatés depuis 2013.
Si le principe de l'indemnisation du préjudice de jouissance est établi puisque les empiétements sont définitivement constatés et sanctionnés, la Sci la Capellane ne produit aucun élément pour remettre en cause l'indemnisation fixée par le premier juge et pour considérer la somme de 150'000 euros comme bien fondée.
Il conviendra en conséquence de confirmer le jugement sur ce point en ce qu'il a tenu compte de l'ancienneté des empiétements et de leurs importances pour retenir la somme de 10'000 euros.
Sur les demandes accessoires
En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel il convient de faire masse des dépens et de les partager par moitié entre les appelants et les intimés, avec distraction éventuelle au profit des avocats des deux parties qui la réclament.
De fait les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la demande formée par la Sci la Capellane au titre de la nullité de la déclaration d'appel';
Déclare la Sci la Capellane recevable en sa demande indemnitaire';
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour et y ajoutant,
Déboute la Sci la Carretiere de la demande indemnitaire au titre de la procédure abusive';
Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre la Sci la Carretiere d'une part et la Sci la Capellane d'autre part, avec distraction éventuelle au profit de Maître Mathieu Paternot'et Maître Jean-Didier Kissambou-M'Bamby';
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Chambre 1-5
ARRÊT AU FOND
DU 09 OCTOBRE 2025
ac
N° 2025/ 319
Rôle N° RG 22/02821 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BI5YD
S.C.I. LA CARRETIERE
S.C.I. RSB VOLX
C/
S.C.I. LA CAPELLANE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Mathieu PATERNOT
SELARL SELARLU JDK-AVOCAT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de DIGNE-LES-BAINS en date du 17 Novembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00892.
APPELANTES
S.C.I. LA CARRETIERE agissant par son gérant en exercice M. [N] [T], dont le siège social est [Adresse 4]
représentée par Me Mathieu PATERNOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Lou VERNEDE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Frédéric LAURIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
S.C.I. RSB VOLX agissant par son gérant en exercice M. [L] [T], dont le siège social est [Adresse 9]
représentée par Me Mathieu PATERNOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Lou VERNEDE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Frédéric LAURIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
S.C.I. LA CAPELLANE, dont le siège social est Chez M. et Mme [I] - [Adresse 10], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié ès-qualités audit siège
représentée par Me Jean-Didier KISSAMBOU M'BAMBY de la SELARL SELARLU JDK-AVOCAT, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Marc MAGNON, Président
Madame Patricia HOARAU, Conseiller
Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2025,
Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Mme Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte du 4 mars 1994, la Sci la Carretiere a acquis la parcelle bâtie cadastrée AI [Cadastre 1] Lieudit « [Adresse 8] » à Volx formant le lot n° 6 du lotissement artisanal communal dénommé '« la Carretière extension » et comprenant un bâtiment à usage professionnel.
La Sci la Capellane est propriétaire de la parcelle voisine cadastrée AI [Cadastre 3] formant le lot n°7.
Un litige est né portant sur l'allégation d'empiétements consécutifs aux travaux réalisés par la Sci la Carretiere, conduisant à la désignation d'un expert judiciaire par ordonnance du juge des référés du 20 février 2009.
Par jugement du 9 janvier 2013 le tribunal de grande instance de Digne a condamné la Sci la Carretiere à procéder au retrait de diverses installations empiétant sur le fonds de la Sci la Capellane, à savoir la dalle de béton, les câbles électriques, les cheminées métalliques, le tuyau d'aération, et à réaliser un mur de soutènement en limite séparative des deux fonds, le tout sous astreinte.
Par décision du 12 décembre 2013 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé la décision à l'exception de la question du mur de soutènement.
Par décision du 10 décembre 2015, le juge de l'exécution a commis un expert aux fins de vérifier la réalisation et la conformité des travaux ordonnés par les décisions de justice avant liquidation de l'astreinte.
L'expert a déposé son rapport le 16 septembre 2016.
Par jugement du 11 mai 2017 le juge de l'exécution a constaté que les travaux ordonnés sous astreinte n'avaient pas été exécutés en leur entier et ni conformément aux règles de l'art et a liquidé l'astreinte à la somme de 9'000 euros. L'instance d'appel est toujours pendante.
Soutenant que l'ouvrage appartenant à la Sci la Carretiere doit être démoli dans son intégralité, la Sci la Capellane a suivant acte d'huissier du 20 juillet 2018 fait assigner en ce sens la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx nouveau propriétaire de la parcelle devant le tribunal de grande instance de Digne les Bains.
Par jugement du 17 novembre 2021 le tribunal judiciaire de Digne les Bains a statué en ces termes':
- Dit que la demande nouvelle au fond de démolition portant sur différents ouvrages empiétant matériellement sur la parcelle de la Sci [Adresse 7] est irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée,
- Rejette la demande de démolition de la totalité du bâtiment litigieux';
- Fixe le montant des dommages-intérêts réparant l'intégralité du préjudice de jouissance démontré à la somme de 10.000 euros,
- Rejette la fin de non-recevoir et condamne solidairement la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx à payer à la Sci la Capellane la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'intégralité de son préjudice
- Condamne solidairement la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx à payer à la Sci la Capellane la somme de 750 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure
- Rejette les demandes de condamnation de la Sci la Capellane au titre des dommages-intérêts, de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens formulées par la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx
Le tribunal a considéré en substance':
- que les ouvrages présents sur l'assiette de l'empiétement d'origine à savoir sur la dalle de béton, les câbles électriques, les cheminées métalliques et le tuyau d'aération, ont fait l'objet d'un jugement le 9 janvier 2013 confirmé par l'arrêt de la cour d'appel du 12 décembre 2013';
- que le rapport d'expertise a été réalisé dans le cadre des difficultés d'exécution des travaux ordonnés par la cour d'appel aux fins de cessation de l'empiétement';
- que dès lors les défauts de réalisation de ces travaux relèvent de difficultés d'exécution de la compétence du juge de l'exécution,
- que la demande de démolition est sans objet en raison de l'autorité de la chose jugée,
- que tous les empiétements n'ont pas été réparés tandis que le demandeur démontre par le constat d'huissier du 12 juillet 2018 l'existence de son préjudice';
- que la Sci la Carretiere qui aurait vendu le bien composant le lot 6 ne justifie pas de la publication de cet acte';
Par acte du 24 février 2022 la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ont interjeté appel de la décision.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 mai 2025 la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx demandent à la cour de':
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Digne les Bains le 17 novembre 2021 en ce qu'il :
- fixe le montant des dommages-intérêts réparant l'intégralité du préjudice de jouissance démontré à la somme de 10.000 € ;
- rejette la fin de non-recevoir pour défaut du droit d'agir à l'encontre de la Sci la Carretiere';
- condamne solidairement la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx à payer à la Sci la Capellane la somme de 750 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
Et a omis de statuer sur les demandes reconventionnelles formées par la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx.
Rejeter les conclusions soutenues par voie d'appel incident par la Sci la Capellane ;
Et statuant à nouveau,
Principalement, vu les articles 32, 122 et suivants du code de procédure civile,
Juger que la Sci la Capellane est dépourvue d'intérêt à agir à l'encontre de la Sci la Carretiere;
relever l'autorité définitive de la chose jugée par arrêt de la Cour d'appel du 12/12/2013
En conséquence :
Déclarer la Sci la Capellane irrecevable en toutes ses demandes
Rejeter toutes les demandes de la Sci la Capellane comme étant irrecevables et infondées
Condamner la Sci la Capellane pour procédure abusive à payer à la Sci la Carretiere la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts ;
Condamner la Sci la Capellane à payer à la Sci la Carretiere la somme de 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
Subsidiairement concernant la Sci la Carretiere et au fond pour les deux requérantes :
Juger qu'il n'y a pas lieu à démolition et rejeter toute demande de la Sci la Capellane de ce chef
Reconventionnellement :
Rejeter la demande en condamnation à payer une somme de 150.000 € ;
Condamner la Sci la Capellane à payer à la Sci la Carretiere et à la Rsb Volx la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts ;
condamner la Sci la Capellane à payer à la Sci la Carretiere la somme de 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance au profit de Maître Mathieu PATERNOT, Avocat, sur son affirmation de droit.
Elles soutiennent':
- sur l'irrecevabilité de la Sci la Capellane à agir contre la Sci la Carretiere, qu'il ressort de l'attestation notariale établie le 10 juillet 2013 par Maître [X] [Y] que la Sci la Carretiere a cédé à cette date la jouissance de la parcelle cadastrée AI [Cadastre 1] à la Sci Rsb Volx,
- sur l'empiétement que la construction sur la parcelle AI [Cadastre 1] a été achevée par déclaration du 7 mars 1989, qu'elle a acquis par usucapion la fraction de terrain concernée par l'empiétement';
- que la Sci la Capellane a introduit cette demande de dommages-intérêts en raison de l'empiétement alors qu'elle avait déjà soutenu ce moyen dans l'instance ayant conduit à l'arrêt de cette Cour du 12 décembre 2013 afin de solliciter réparation pour un montant évalué à 15.000€ ,
- que les travaux constatés par l'expert en 2016 sont des travaux de finition qui créent un empiétement de 3 à 6 cm';
- que le caractère marginal de l'empiétement ne peut conduire à leur condamnation à une somme de 10.000 €,
- que la cessation de l'empiétement aurait des conséquences graves car il est techniquement impossible d'aller plus loin et de scier la dalle au ras de l'immeuble pour des questions de sécurité de l'opérateur et de protection du bâtiment.
- qu'il ne ressort pas des écritures produites par la Sci la Capellane en première instance comme sur son appel incident que les empiétements qu'elle reproche soient distincts de ceux constatés dans l'arrêt de cette Cour du 12 décembre 2013';
- que la demande de démolition est disproportionnée'au regard du caractère minime de l'empiétement';
- sur la demande indemnitaire au titre de la procédure abusive, que la Sci la Capellane n'a pas depuis 2013 vérifié l'état de propriété cadastrale de la parcelle AI [Cadastre 1]';
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2024 la Sci la Capellane demande à la cour de'
Sur la forme,
DIRE nulle la déclaration d'appel formée par la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx;
A défaut, au fond,
1- Sur l'appel principal,
in limine litis,
DEBOUTER la Sci la Carretiere et la SCI Rsb Volx de toutes leurs demandes fins et prétentions,
CONFIRMER le jugement du 17 novembre 2021 en ce qu'il a:
REJETÉ la fin de non-recevoir de la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ,
CONDAMNE solidairement le Sci la Carretiere et la SCI Rsb Volx à lui payer la somme de 750 euros au titre des frais irrépétibles et outre les dépens';
2- Sur l'appel incident,
REFORMER le jugement du 17 novembre 2021 en ce que le Premier Juge a:
Dit que la nouvelle demande de démolition porte sur les différents ouvrages empiétant matériellement sur la parcelle de la Sci [Adresse 7] est irrecevable en l'état de l'autorité de la chose déjà jugée de ces chefs ;.
Rejeté la demande de démolition de la totalité du bâtiment litigieux qui n'empiète pas au-delà des empiétements déjà caractérisés par des décisions revêtues de l'autorité de la chose jugée ;
Fixé le montant des dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance démontré à la somme de 10'000 euros
VOIR ORDONNER la démolition du bâtiment litigieux qui empiète sur son fonds;
VOIR CONDAMNER solidairement les sociétés appelantes à lui verser la somme de 150.000,00 euros au titre de dommages et intérêts consécutifs au trouble de jouissance dû à l'empiétement;
Y ajoutant
VOIR CONDAMNER solidairement les sociétés appelantes à lui verser la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens distraits au profit de Maître Jean-Didier Kissambou-M'Bamby.
Elle réplique':
- que la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ont interjeté appel du jugement critiqué le 24 février 2022, qu'elles doivent justifier que leurs gérants respectifs ont été autorisés par une délibération d'assemblée générale à interjeter appel';
- que dans toutes les procédures l'opposant à la Sci la Carretiere celle-ci n'a jamais soulevé son défaut de qualité à agir,
- que la procédure abusive n'est pas démontrée à son encontre car depuis 2016 elle tente de parvenir à une solution amiable';
- que sur l'usucapion il est admis que le voisin auteur de l'empiétement ne peut justifier de la qualité de propriétaire;
- qu'elle demande désormais la démolition du bâtiment entier sur le fondement de l'article 545 du code civil empiétant sur son fonds et que cette question n'a jamais été tranchée dans les décisions produites';
- que les travaux sous astreinte imposés par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 décembre 2013 n'ont toujours pas été réalisés,
- qu'il est admis que le propriétaire victime d'un empiétement peut demander la destruction de la partie empiétant chez lui, et ce même s'il ne subit aucun préjudice,
- que les plots présents sous la dalle n'ont pas été enlevés conformément aux prescriptions des décisions de justice et dépassent sur son fonds'comme l'a relevé le constat d'huissier du 19 janvier 2015';
- qu'en sus de la démolition de la construction qui empiète sur son fonds il apparaît légitime de solliciter des dommages intérêts complémentaires sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil , notamment en réparation du préjudice de jouissance';
- que ce préjudice est démontré par les photographies annexées aux constats d'huissiers et l'existence d'un dénivelé important entre les deux parcelles, la dégradation du terrain par des engins de chantier ayant nécessité la remise en état de sa parcelle louée à l'Onf';
La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la déclaration d'appel
La Sci la Capellane soutient que la Sci la Carretiere et la Sci Rsb Volx ont interjeté appel du jugement critiqué le 24 février 2022, et qu'à défaut de justifier que leurs gérants respectifs ont été autorisés par une délibération d'assemblée générale à interjeter appel, la déclaration d'appel est nulle.
Le moyen de nullité est inopérant puisque les sociétés appelantes disposent de la personnalité morale leur permettant d'interjeter appel indépendamment d'une quelconque autorisation de leurs gérants en ce sens.
Le moyen de nullité est donc rejeté.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir contre la Sci la Carretiere
Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
L'article 122 du même code prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée .
Enfin l'existence du droit invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de la demande mais de son succès.
La Sci la Carretiere soutient que la Sci la Capellane est dépourvue d'intérêt à agir à son encontre en raison de la vente de la parcelle AI [Cadastre 1] à la Sci Rsb Volx le 10 juillet 2013.
En l'espèce il ressort de l'attestation notariale établie le 10 juillet 2013 par Maître [X] [Y], notaire à Marseille, que la Sci la Carretiere a cédé la parcelle cadastrée AI [Cadastre 2] la Sci Rsb Volx, la perte de qualité de propriétaire de la Sci la Carretiere de la parcelle litigieuse est dès lors rapportée.
Pour autant, il est constant que la situation ayant donné lieu aux empiétements prend naissance au moment de l'acquisition de la parcelle [Cadastre 5] par la Sci la Carretiere en 1994 s'agissant de travaux réalisés par celle-ci, conduisant le tribunal de grande instance de Digne le 9 janvier 2013 puis la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 12 décembre 2013 à la condamner au retrait des éléments empiétant sur le fonds de la Sci la Capellane.
Si bien que s'agissant du contentieux portant sur la responsabilité des empiétements et leurs cessations, l'intérêt à agir de la Sci la Capellane, en tant que propriétaire du fonds subissant les empiétements, à l'encontre de la Sci la Carretiere en sa qualité de propriétaire au moment de l'émergence de la situation litigieuse est démontré.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point par une substitution de motifs.
Sur les demandes au titre de l'empiétement et de la démolition
Conformément à l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La Sci Carretiere soutient en cause d'appel qu'elle a acquis par prescription acquisitive la fraction de terrain concernée par l'empiétement à la date du 6 mars 1999, de sorte que la demande indemnitaire présentée par la Sci la Capellane au titre du préjudice de jouissance est irrecevable.
L'article 2261 du code civil prévoit que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
En l'espèce il est constant que la Sci la Carretiere a acquis le 4 mars 1994 la parcelle AI [Cadastre 1] d'une consistance de 15a00ca, et que selon l'attestation notariale du 10 juillet 2013, elle a vendu à la Sci Rsb Volx la parcelle AI [Cadastre 1] d'une contenance strictement identique à celle précédemment acquise.
Elle ne peut donc soutenir s'être comportée comme le propriétaire légitime de la fraction de la parcelle supportant les empiétements puisqu'il est établi qu'elle a vendu la parcelle AI [Cadastre 1] avec une consistance inchangée.
Ce moyen sera donc rejeté et la demande indemnitaire présentée par la Sci la Capellane sera déclarée recevable.
Sur la fin de non-recevoir de la demande de démolition tirée de l'autorité de la chose jugée
L'article 1355 du code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Conformément à l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La Sci la Carretiere soutient que la demande de démolition des ouvrages empiétant sur le fonds AI [Cadastre 3] est irrecevable puisque selon elle les empiétements reprochés sont ceux déjà constatés et sanctionnés par des précédentes décisions de justice.
En l'espèce, par jugement du 9 janvier 2013 le tribunal de grande instance de Digne a condamné la Sci la Carretiere à procéder au retrait de diverses installations empiétant sur le fonds de la Sci la Capellane, à savoir la dalle de béton, les câbles électriques, les cheminées métalliques, le tuyau d'aération et à réaliser un mur de soutènement en limite séparative des deux fonds, le tout sous astreinte.
Par décision du 12 décembre 2013 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé la décision à l'exception de la question du mur de soutènement. Dès lors il est établi que les empiétements litigieux ont été définitivement constatés et que la Sci la Carretiere est tenue de procéder à leurs retraits.
La question de la dépose des ouvrages litigieux est suivie par le juge de l'exécution qui a à cette fin désigné un expert judiciaire, ce dernier ayant rendu son rapport le 16 septembre 2016. Par suite, ce magistrat a constaté dans la décision du 11 mai 2017 que les travaux mis à la charge de la Sci la Carretiere par les décisions précitées n'ont pas été exécutés en leur entier et que les travaux n'ont pas été réalisés conformément aux règles de l'art.
Il s'évince ainsi du rapport d'expertise que les travaux listés par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 décembre 2013 à savoir procéder au retrait de la dalle de béton, des câbles électriques, de la cheminée métallique, du tuyau d'aération sont réalisés à l'exception de l'arase du débord de dalle qui dépasse de 3 à 6 cm le long du bardage, en pied de mur métallique, tandis qu'un tuyau doit être enlevé, et que des massifs de fondation du bâtiment de la Sci la Carretiere continuent d'empiéter sur le fonds voisin.
La Sci la Capellane sollicite la démolition du bâtiment édifié sur la parcelle AI [Cadastre 1] au titre de l'empiétement, alors même qu'il est démontré que seule une partie de ses fondations empiète réellement sur son fonds, que cette situation est connue depuis 2013 telle que constatée par les décisions de justice. Ainsi la lecture de ces décisions conduit à relever que la Sci la Capellane n'a jamais sollicité la démolition du bâtiment voisin dans son entier mais uniquement la disparition des ouvrages provenant de ce bâtiment qui empiètent sur son fonds, demande qui a été favorablement accueillie.
Le fait que l'expert ait constaté la persistance de certains empiétements relève de l'instance pendante devant le juge de l'exécution chargé du suivi de mesures prononcées à l'encontre de la Sci la Carretiere, et ne peut fonder désormais une demande de démolition. Cette demande telle que présentée par la partie intimée est en effet la conséquence de la persistance des désordres constatés et sanctionnés précédemment, et est donc soumise au principe de l'autorité de la chose jugée. Elle ne peut solliciter une mesure de démolition fondée sur des empiétements déjà sanctionnés par une décision de justice, aux motifs que les mesures réparatoires judiciairement ordonnées ne sont pas encore accomplies.
En ce sens, la demande de démolition est irrecevable et le jugement sera confirmé sur ce point sans qu'il ne soit nécessaire de statuer sur son bien fondé.
Sur la demande au titre de la procédure abusive
La Sci la Carretiere sollicite la condamnation de la Sci la Capellane à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts, au titre de la procédure abusive aux motifs principalement que la Sci la Capellane n'a pas vérifié l'état de propriété cadastrale de la parcelle [Cadastre 5].
Il est constant que l'exercice d'une action en justice constitue un droit, qui ne peut dégénérer en abus que s'il est démontré une volonté de nuire de la partie adverse ou sa mauvaise foi ou une erreur ou négligence blâmable équipollente au dol, ce qui suppose de rapporter la preuve de ce type de faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux, dans les conditions prévues par l'article 1240 du code civil.
En l'espèce, il n'est pas démontré que la Sci la Capellane a poursuivi une action à l'encontre de la Sci la Carretiere dans une intention de nuire ou en méconnaissance fautive de l'existence d'un nouveau propriétaire puisqu'il résulte des pièces produites que les parties sont actuellement réunies dans une instance devant le juge de l'exécution portant sur le suivi des condamnations mises à la charge de la Sci la Carretiere, que celle-ci a participé à l'expertise ordonnée par ce magistrat en 2015 sans contester sa qualité de propriétaire du bâtiment litigieux, alors même qu'il est constant qu'elle ne dispose plus de cette qualité depuis 2013. Elle ne peut dès lors arguer d'une faute commise par l'intimée dans le fait de l'avoir attraite à une nouvelle procédure.
La Sci la Carretiere sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande indemnitaire au titre du préjudice de jouissance
Le jugement querellé a octroyé à la Sci la Capellane la somme de 10'000 euros en indemnisation de son préjudice de jouissance en raison de la persistance des empiétements.
La Sci la Capellane sollicite que ce montant soit fixé à la somme de 150'000 euros. Elle indique que la parcelle [Cadastre 6] était louée à l'Onf et que l'existence d'un trou de 2 mètres de profondeur a empêché son locataire de clôturer la parcelle et l'a conduit à résilier le bail.
Pour autant, la Sci la Capellane n'entend pas fonder sa demande indemnitaire au titre d'un préjudice financier lié à la perte de revenus locatifs mais uniquement sur le préjudice de jouissance de la parcelle consécutif aux empiétements constatés depuis 2013.
Si le principe de l'indemnisation du préjudice de jouissance est établi puisque les empiétements sont définitivement constatés et sanctionnés, la Sci la Capellane ne produit aucun élément pour remettre en cause l'indemnisation fixée par le premier juge et pour considérer la somme de 150'000 euros comme bien fondée.
Il conviendra en conséquence de confirmer le jugement sur ce point en ce qu'il a tenu compte de l'ancienneté des empiétements et de leurs importances pour retenir la somme de 10'000 euros.
Sur les demandes accessoires
En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel il convient de faire masse des dépens et de les partager par moitié entre les appelants et les intimés, avec distraction éventuelle au profit des avocats des deux parties qui la réclament.
De fait les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la demande formée par la Sci la Capellane au titre de la nullité de la déclaration d'appel';
Déclare la Sci la Capellane recevable en sa demande indemnitaire';
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour et y ajoutant,
Déboute la Sci la Carretiere de la demande indemnitaire au titre de la procédure abusive';
Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre la Sci la Carretiere d'une part et la Sci la Capellane d'autre part, avec distraction éventuelle au profit de Maître Mathieu Paternot'et Maître Jean-Didier Kissambou-M'Bamby';
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
LE GREFFIER LE PRESIDENT