CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 6 octobre 2025, n° 25/02338
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
LEGRAND (SNC), LEGRAND FRANCE (SA), LEGRAND (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jollec
Vice-présidents :
M. Barbier, Mme Fenayrou
Avocats :
Me Boccon Gibod, SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Me Helfer, SAS BREDIN PRAT
A. Les investigations et la procédure de concurrence relatives au groupe Legrand
1.Le groupe Legrand est un groupe français, implanté dans près de 90 pays, spécialiste des infrastructures électriques et numériques du bâtiment dans les secteurs résidentiels, tertiaire et industriel. Il a réalisé en 2021, un chiffre d'affaires mondial de 6,9 milliards d'euros. En France, ses activités sont regroupées autour de trois pôles : la production matérielle électrique, l'équipement de salles informatiques, et la production de solutions pour la qualité de l'énergie.
2.Le 5 avril 2018, le quotidien Médiapart a publié un article révélant l'existence d'un mécanisme de « prix dérogés » permettant notamment au groupe Legrand de contrôler les prix facturés aux clients finals par son distributeur Rexel.
3.Le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après, « l'Autorité ») a ouvert une enquête sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce à la suite de cet article. Les services d'enquête ont procédé à l'audition de deux témoins ayant souhaité conserver l'anonymat.
4.Le 23 avril 2018, le rapporteur général a adressé un signalement au procureur de la République de Paris sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Celui-ci a ouvert une information judiciaire du chef, notamment, d’ententes illicites.
5.Le juge d'instruction a délivré deux commissions rogatoires en dates des 13 juin et 1er août 2018 à plusieurs personnes relevant des services de l'instruction de l'Autorité, en application de l'article L. 450-1 II bis du code de commerce.
6.En exécution de ces commissions rogatoires, plusieurs sociétés du groupe Legrand ont fait l'objet de perquisitions le 6 septembre 2018 sur le fondement des articles 92 à 99-5 du code de procédure pénale.
7.Les commissions rogatoires ont été clôturées et retournées au juge d'instruction avec l'ensemble des pièces afférentes, le 6 juillet 2021.
8.Le 7 juillet 2021, par une décision n° 21-SO-12, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du matériel électrique basse tension et a demandé au juge d'instruction la communication des pièces de ce dossier ayant un lien direct avec les faits dont elle s'est saisie, en application de l'article L. 463-5 du code de commerce.
9.Le 17 septembre 2021, la juge d'instruction a transmis à l'Autorité les pièces du dossier pénal demandées et l'a autorisée à prendre copie de scellés.
10.Le 1er juillet 2022, une notification de griefs a été adressée, notamment, aux sociétés Legrand SNC, Legrand France SA et Legrand SA (collectivement désignées ci-après « le groupe Legrand »). Le rapport leur a été notifié le 26 octobre 2023.
B. La décision attaquée
11.Par sa décision n° 24-D-09 du 29 octobre 2024 (ci-après, « la décision attaquée »), l'Autorité de la concurrence a sanctionné deux ententes verticales sur les prix entre fabricants et distributeurs dans le secteur du matériel électrique basse tension.
12.L'une de ces deux ententes, qui s'est étendue du 24 mai 2012 au 14 septembre 2015, a concerné les sociétés Legrand SNC, Legrand France SA et Legrand SA. L'Autorité leur a infligé, solidairement, une sanction financière de 43 millions d'euros.
C. La présente instance
13.Au soutien du recours qu'il a exercé contre la décision attaquée, le groupe Legrand a déposé le 7 février 2025 un mémoire spécial par lequel il demande à la Cour de transmettre à la Cour de cassation, en vue de son renvoi devant le Conseil constitutionnel, une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après, « la QPC ») portant sur les articles 92 à 99-5 du code de procédure pénale dans leur version applicable le 6 septembre 2018 :
14.Le dispositif de ce mémoire est ainsi rédigé :
« TRANSMETTRE à la Cour de cassation la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 92 à 99-5 du code de procédure pénale dans leur version applicable le 6 septembre 2018, notamment :
' en ce qu'ils ne prévoient pas une voie de recours permettant aux personnes ayant fait l'objet de perquisitions d'en contester effectivement la légalité ou la validité, en violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, dont découle le droit à un recours effectif, et de l'article 34 de la Constitution, qui définit la compétence qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement ;
' en ce qu'ils ne prévoient pas les garanties suffisantes pour éviter que soient saisis, à l'occasion des perquisitions qu'ils permettent de réaliser, des documents relevant du secret professionnel des avocats, en violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen dont découlent les droits de la défense et de l'article 34 de la Constitution qui définit la compétence qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement. ».
15.Le groupe Legrand demande à la Cour de surseoir à statuer « jusqu'à la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel, répondant à la question prioritaire de constitutionnalité susmentionnée ».
16.L'Autorité et le ministère public invitent la Cour à rejeter ces demandes.
MOTIVATION
17.À titre préliminaire, la Cour considère que le groupe Legrand l'a saisie d'une seule QPC, articulée en deux parties.
A. Sur les conditions régissant la transmission d'une QPC
18.Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la QPC est transmise à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
19.En l'espèce, tant le groupe Legrand que l'Autorité s'accordent sur le fait que les deux premières conditions prévues par l'article 23-2 de l'ordonnance précitée sont remplies.
20.La Cour relève que les pièces qui ont été opposées au groupe Legrand dans le cadre de la procédure de concurrence, émanent des perquisitions qui ont été menées en application des textes qui font l'objet de la QPC. Elles sont applicables au litige. En outre, les dispositions critiquées n'ont pas déjà été déclarées, dans leur globalité, conformes à la Constitution sous l'angle de la question telle qu'elle est posée par le groupe Legrand.
21.Il convient en conséquence de déterminer si la troisième condition, tenant au caractère sérieux de la question, est également satisfaite, les parties s'opposant sur ce point.
B. Sur le caractère sérieux de la QPC
22.Le groupe Legrand reproche aux articles 92 à 99-5 du code de procédure pénale de ne pas prévoir « une voie de recours permettant aux personnes ayant fait l'objet de perquisitions d'en contester effectivement la légalité ou la validité, en violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, dont découle le droit à un recours effectif, et de l'article 34 de la Constitution, qui définit la compétence qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement.».
23.Il rappelle que le Conseil constitutionnel reconnaît qu'il « ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » (CC, déc. n° 96-373 DC du 9 avril 1996, cons.83). S'agissant plus particulièrement des perquisitions, le groupe Legrand précise que les personnes qui ont fait l'objet d'une telle mesure doivent disposer de la possibilité de former un recours effectif, ce que le Conseil constitutionnel a admis (CC, déc. n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014, cons. 7 ; CC, déc. n° 2013-375 QPC du 29 novembre 2013). Il établit un parallèle entre la doctrine du Conseil constitutionnel et celle de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt Ravon contre France, 21 février 2008).
24.En l'espèce, s'il expose que la perquisition ayant été ordonnée dans le cadre d'une information judiciaire, il existe la possibilité d'en contester la légalité ou la validité dans le cadre d'une requête en nullité auprès de la chambre de l'instruction sur le fondement des articles 170 et suivants du code de procédure pénale, il rappelle que ce recours n'est qu'indirect et qu'il ne peut être engagé que par une personne mise en examen ou placée sous le statut de témoin assisté(outre qu'elle peut encore l'être par le juge d'instruction et le procureur de la République). Ainsi, dans le cas où la personne ayant fait l'objet de la mesure de perquisition n'a ni le statut procédural de mise en examen ou de témoin assisté, aucune voie de droit ne lui permet de contester le déroulement des opérations.
25.Une telle situation est à l'évidence contraire au droit à un recours effectif tel qu'il découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
26.Le groupe Legrand souligne que le nouvel article 808-2 du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, ouvre aux personnes ayant fait l'objet d'une mesure de perquisition judiciaire une voie de recours devant le juge des libertés et de la détention dans le cas où la personne concernée n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement dans certaines conditions de délai. Il soutient que ce texte vise précisément à combler la lacune qu'il déplore.
27.Il récuse enfin toute pertinence aux observations de l'Autorité.
28.Il expose que dans le cas, comme en l'espèce, où les pièces issues de la perquisition sont transmises à l'Autorité sur le fondement de l'article L. 463-5 du code de commerce, il est possible que la procédure se poursuive sur le plan administratif mais non sur le plan pénal et qu'ainsi aucun recours ne puisse être formé pour contester le déroulement de la mesure de perquisition, l'Autorité n'admettant pas sa compétence pour apprécier de la légalité de pièces issues d'un dossier pénal.
29.Il soutient encore que l'exercice de la voie de recours prévue par les articles 170 et suivants du code de procédure pénale ne lui a été ouverte, puisqu'une société du groupe a été mise en examen, en tout état de cause, que trop tardivement pour être considérée comme utile, donc effective, dès lors que l'Autorité, d'une part, ne s'est pas estimée compétente pour juger de la régularité de la mesure de perquisition, d'autre part, a sanctionné le groupe Legrand sans attendre l'issue de son recours devant la chambre de l'instruction.
30.Le groupe Legrand ajoute que la possibilité prévue par l'article 99 du code de procédure pénale, qui prévoit la possibilité pour le juge d'instruction de restituer certains objets placés sous main de justice, ne saurait s'analyser en une voie de recours effective à l'encontre des opérations de perquisitions.
31.Il rappelle que, selon le Conseil d'État, au sujet de la loi du 23 mars 2019 précitée, « [l']assouplissement du recours aux perquisitions et au régime de l'enquête de flagrance ne peut être admis que si le régime des perquisitions prévu par le code de procédure pénale est mis en conformité avec les exigences du droit à un recours juridictionnel effectif. Les personnes qui ont fait l'objet d'une perquisition et à l'encontre desquelles l'action publique n'est pas mise en mouvement doivent, comme les personnes poursuivies, disposer du droit de faire juger de la légalité et de la régularité, en droit et en fait, de la mesure dont elles ont fait l'objet ».
32.Le groupe Legrand soutient enfin que l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution se double d'une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa propre compétence. Il précise que le vice d'incompétence négative peut être utilement invoqué à l'appui d'une QPC dès lors « qu'est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit » (CC, déc. n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010).
33.En l'espèce, il considère que les dispositions litigieuses n'ont pas apporté toutes les garanties requises au titre de l'article 34 de la Constitution en ce qu'elles n'ont pas prévu une voie de droit ouverte aux personnes ayant fait l'objet de perquisitions dans certains cas.
34.L'Autorité fait valoir dans ses observations en réponse, en premier lieu, que les décisions du Conseil constitutionnel que le groupe Legrand invoque portent sur des dispositions qui ne sont pas applicables aux perquisitions ordonnées par un juge d'instruction, en sorte qu'elles ne sont pas pertinentes.
35.Elle ajoute que dans le cas où une information judiciaire est ouverte, il est permis aux personnes mises en examen ou placées sous le statut de témoin assisté de former un recours en nullité des actes d'instruction, en ce compris les perquisitions, en sorte qu'il existe un recours effectif, fût-il indirect.
36.En deuxième lieu, l'Autorité rappelle que le parallèle que le groupe Legrand fait avec la jurisprudence de la CEDH n'est pas pertinent, le Conseil constitutionnel ne contrôlant pas la conformité des lois à la jurisprudence de la CEDH et le législateur ayant déjà tiré les conséquences de l'arrêt « Ravon » mentionné par le requérant.
37.En troisième lieu, elle dénie toute pertinence à l'invocation du nouvel article 802-2 du code de procédure pénale, lequel vient équilibrer la procédure applicable aux perquisitions ordonnées hors information judiciaire.
38.Enfin, s'agissant du grief pris de la méconnaissance par le législateur de sa compétence, l'Autorité rappelle que le Conseil constitutionnel exige que la méconnaissance, à la supposer avérée, affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
39.Le ministère public partage ces analyses et conclut à l'absence de caractère sérieux de la première partie de la question.
Sur ce, la Cour :
40.Les textes visés par la QPC sont les articles 92 à 99-5 du code de procédure pénale, dans leur version applicable le 6 septembre 2018 (ci-après, « les dispositions litigieuses »). Celles-ci sont ainsi rédigées :
« Article 92
Le juge d'instruction peut se transporter sur les lieux pour y effectuer toutes constatations utiles ou procéder à des perquisitions. Il en donne avis au procureur de la République, qui a la faculté de l'accompagner.
Le juge d'instruction est toujours assisté d'un greffier.
Il dresse un procès-verbal de ses opérations.
Article 93
Si les nécessités de l'information l'exigent, le juge d'instruction peut, après en avoir donné avis au procureur de la République de son tribunal, se transporter avec son greffier dans toute l'étendue du territoire national, à effet d'y procéder à tous actes d'instruction, à charge par lui d'aviser, au préalable, le procureur de la République du tribunal dans le ressort duquel il se transporte. Il mentionne sur son procès-verbal les motifs de son transport.
Article 93-1
Si les nécessités de l'instruction l'exigent, le juge d'instruction peut, dans le cadre d'une commission rogatoire adressée à un Etat étranger ou d'une décision d'enquête européenne adressée à un Etat membre de l'Union européenne et avec l'accord des autorités compétentes de l'Etat concerné, se transporter avec son greffier sur le territoire de cet Etat aux fins de procéder à des auditions.
Il en donne préalablement avis au procureur de la République de son tribunal.
Article 94
Les perquisitions sont effectuées dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets ou des données informatiques dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité, ou des biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal.
Article 95
Si la perquisition a lieu au domicile de la personne mise en examen, le juge d'instruction doit se conformer auxdispositions des articles 57 et 59.
Article 96
Si la perquisition a lieu dans un domicile autre que celui de la personne mise en examen, la personne chez laquelle elle doit s'effectuer est invitée à y assister. Si cette personne est absente ou refuse d'y assister, la perquisition a lieu en présence de deux de ses parents ou alliés présents sur les lieux, ou à défaut, en présence de deux témoins.
Le juge d'instruction doit se conformer aux dispositions des articles 57 (alinéa 2) et 59.
Toutefois, il a l'obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense.
Les dispositions des articles 56 et 56-1 à 56-5 sont applicables aux perquisitions effectuées par le juge d'instruction.
Article 97
Lorsqu'il y a lieu, en cours d'information, de rechercher des documents ou des données informatiques et sous réserve des nécessités de l'information et du respect, le cas échéant, de l'obligation stipulée par l'alinéa 3 de l'article précédent, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire par lui commis a seul le droit d'en prendre connaissance avant de procéder à la saisie.
Tous les objets, documents ou données informatiques placés sous main de justice sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, l'officier de police judiciaire procède comme il est dit au quatrième alinéa de l'article 56.
Il est procédé à la saisie des données informatiques nécessaires à la manifestation de la vérité en plaçant sous main de justice soit le support physique de ces données, soit une copie réalisée en présence des personnes qui assistent à la perquisition.
Si une copie est réalisée dans le cadre de cette procédure, il peut être procédé, sur ordre du juge d'instruction, à l'effacement définitif, sur le support physique qui n'a pas été placé sous main de justice, des données informatiques dont la détention ou l'usage est illégal ou dangereux pour la sécurité des personnes ou des biens.
Avec l'accord du juge d'instruction, l'officier de police judiciaire ne maintient que la saisie des objets, documents et données informatiques utiles à la manifestation de la vérité, ainsi que des biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal.
Lorsque ces scellés sont fermés, ils ne peuvent être ouverts et les documents dépouillés qu'en présence de la personne mise en examen, assistée de son avocat, ou eux dûment appelés. Le tiers chez lequel la saisie a été faite est également invité à assister à cette opération.
Si les nécessités de l'instruction ne s'y opposent pas, copie ou photocopie des documents ou des données informatiques placés sous main de justice peuvent être délivrées à leurs frais, dans le plus bref délai, aux intéressés qui en font la demande.
Si la saisie porte sur des espèces, lingots, effets ou valeurs dont la conservation en nature n'est pas nécessaire à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, il peut autoriser leur dépôt à la Caisse des dépôts et consignations ou à la Banque de France ou sur un compte ouvert auprès d'un établissement bancaire par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Lorsque la saisie porte sur des billets de banque ou pièces de monnaie libellés en euros contrefaisants, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire par lui commis doit transmettre, pour analyse et identification, au moins un exemplaire de chaque type de billets ou pièces suspectés faux au centre d'analyse national habilité à cette fin. Le centre d'analyse national peut procéder à l'ouverture des scellés. Il en dresse inventaire dans un rapport qui doit mentionner toute ouverture ou réouverture des scellés. Lorsque les opérations sont terminées, le rapport et les scellés sont déposés entre les mains du greffier de la juridiction compétente. Ce dépôt est constaté par procès-verbal.
Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsqu'il n'existe qu'un seul exemplaire d'un type de billets ou de pièces suspectés faux, tant que celui-ci est nécessaire à la manifestation de la vérité.
Article 97-1
L'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, procéder aux opérations prévues par l'article 57-1.
Article 98
Sous réserve des nécessités de l'information judiciaire, toute communication ou toute divulgation sans autorisation de la personne mise en examen ou de ses ayants droit ou du signataire ou du destinataire d'un document provenant d'une perquisition, à une personne non qualifiée par la loi pour en prendre connaissance, est punie de 4 500 euros d'amende et de deux ans d'emprisonnement.
Article 99
Au cours de l'information, le juge d'instruction est compétent pour décider de la restitution des objets placés sous main de justice.
Il statue, par ordonnance motivée, soit sur réquisitions du procureur de la République, soit, après avis de ce dernier, d'office ou sur requête de la personne mise en examen, de la partie civile ou de toute autre personne qui prétend avoir droit sur l'objet. Lorsque la requête est formée conformément à l'avant-dernier alinéa de l'article 81, faute pour le juge d'instruction d'avoir statué dans un délai d'un mois, la personne peut saisir directement le président de la chambre de l'instruction, qui statue conformément aux trois derniers alinéas de l'article 186-1.
Il peut également, avec l'accord du procureur de la République, décider d'office de restituer ou de faire restituer à la victime de l'infraction les objets placés sous main de justice dont la propriété n'est pas contestée.
Il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction ou lorsqu'elle présente un danger pour les personnes ou les biens. Elle peut être refusée lorsque la confiscation de l'objet est prévue par la loi.
L'ordonnance du juge d'instruction mentionnée au deuxième alinéa du présent article est notifiée soit au requérant en cas de rejet de la demande, soit au ministère public et à toute autre partie intéressée en cas de décision de restitution.
Elle peut être déférée à la chambre de l'instruction, sur simple requête déposée au greffe du tribunal, dans le délai et selon les modalités prévues par le quatrième alinéa de l'article 186. Ce délai est suspensif.
Le tiers peut, au même titre que les parties, être entendu par la chambre de l'instruction en ses observations, mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure.
Article 99-1
Lorsque, au cours d'une procédure judiciaire ou des contrôles mentionnés à l'article L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime, il a été procédé à la saisie ou au retrait, à quelque titre que ce soit, d'un ou plusieurs animaux vivants, le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l'infraction ou, lorsqu'il est saisi, le juge d'instruction peut placer l'animal dans un lieu de dépôt prévu à cet effet ou le confier à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée. La décision mentionne le lieu de placement et vaut jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'infraction.
Lorsque les conditions du placement sont susceptibles de rendre l'animal dangereux ou de mettre sa santé en péril, le juge d'instruction, lorsqu'il est saisi, ou le président du tribunal de grande instance ou un magistrat du siège délégué par lui peut, par ordonnance motivée prise sur les réquisitions du procureur de la République et après avis d'un vétérinaire, ordonner qu'il sera cédé à titre onéreux ou confié à un tiers ou qu'il sera procédé à son euthanasie.
Cette ordonnance est notifiée au propriétaire s'il est connu, qui peut la déférer soit au premier président de la cour d'appel du ressort ou à un magistrat de cette cour désigné par lui, soit, lorsqu'il s'agit d'une ordonnance du juge d'instruction, à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99.
Le produit de la vente de l'animal est consigné pendant une durée de cinq ans. Lorsque l'instance judiciaire qui a motivé la saisie se conclut par un non-lieu ou par une décision de relaxe, le produit de la vente est restitué à la personne qui était propriétaire de l'animal au moment de la saisie si celle-ci en fait la demande. Dans le cas où l'animal a été confié à un tiers, son propriétaire peut saisir le magistrat désigné au deuxième alinéa d'une requête tendant à la restitution de l'animal.
Les frais exposés pour la garde de l'animal dans le lieu de dépôt sont à la charge du propriétaire, sauf décision contraire du magistrat désigné au deuxième alinéa saisi d'une demande d'exonération ou du tribunal statuant sur le fond. Cette exonération peut également être accordée en cas de non-lieu ou de relaxe.
Lorsque, au cours de la procédure judiciaire, la conservation de l'animal saisi ou retiré n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et que l'animal est susceptible de présenter un danger grave et immédiat pour les personnes ou les animaux domestiques, le procureur de la République ou le juge d'instruction lorsqu'il est saisi ordonne la remise de l'animal à l'autorité administrative afin que celle-ci mette en oeuvre les mesures
Article 99-2
Lorsque, au cours de l'instruction, la restitution des biens meubles placés sous main de justice et dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité s'avère impossible, soit parce que le propriétaire ne peut être identifié, soit parce que le propriétaire ne réclame pas l'objet dans un délai d'un mois à compter d'une mise en demeure adressée à son domicile, le juge d'instruction peut ordonner, sous réserve des droits des tiers, la destruction de ces biens ou leur remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués aux fins d'aliénation.
Le juge d'instruction peut également ordonner, sous réserve des droits des tiers, de remettre à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, en vue de leur aliénation, des biens meubles placés sous main de justice, dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien. S'il est procédé à la vente du bien, le produit de celle-ci est consigné pendant une durée de dix ans. En cas de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, ou lorsque la peine de confiscation n'est pas prononcée, ce produit est restitué au propriétaire des objets s'il en fait la demande.
Lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien, le juge d'instruction peut également ordonner, sous réserve des droits des tiers, de remettre au service des domaines, en vue de leur affectation à titre gratuit par l'autorité administrative et après que leur valeur a été estimée, à des services de police, des unités de gendarmerie ou des services de l'administration des douanes qui effectuent des missions de police judiciaire, des biens meubles placés sous main de justice, dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi. En cas de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, ou lorsque la peine de confiscation n'est pas prononcée, le propriétaire qui en fait la demande obtient la restitution du bien, assortie s'il y a lieu d'une indemnité compensant la perte de valeur qui a pu résulter de l'usage du bien.
Le juge d'instruction peut également ordonner la destruction des biens meubles placés sous main de justice dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, lorsqu'il s'agit d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou de nuisibles, ou dont la détention est illicite.
Les décisions prises en application du présent article font l'objet d'une ordonnance motivée. Cette ordonnance est prise soit sur réquisitions du procureur de la République, soit d'office après avis de ce dernier. Elle est notifiée au ministère public, aux parties intéressées et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant des droits sur le bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99. Toutefois, en cas de notification orale d'une décision, prise en application du quatrième alinéa du présent article, de destruction de produits stupéfiants susceptibles d'être saisis à l'occasion de l'exécution d'une commission rogatoire, cette décision peut être déférée dans un délai de vingt-quatre heures devant la chambre de l'instruction, par déclaration au greffe du juge d'instruction ou à l'autorité qui a procédé à cette notification. Ces délais et l'exercice du recours sont suspensifs.
Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article.
Article 99-3
Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire par lui commis peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'instruction, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 et à l'article 56-5, la remise des documents ne peut intervenir qu'avec leur accord.
En l'absence de réponse de la personne aux réquisitions, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 60-1 sont applicables.
Le dernier alinéa de l'article 60-1 est également applicable.
Article 99-4
Pour les nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, l'officier de police judiciaire peut procéder aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l'article 60-2.
Avec l'autorisation expresse du juge d'instruction, l'officier de police peut procéder aux réquisitions prévues par le deuxième alinéa de l'article 60-2.
Les organismes ou personnes concernés mettent à disposition les informations requises par voie télématique ou informatique dans les meilleurs délais.
Le fait de refuser de répondre sans motif légitime à ces réquisitions est puni conformément aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 60-2.
Article 99-5
Pour les nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, l'officier de police judiciaire peut, avec l'autorisation expresse du juge d'instruction, procéder aux réquisitions prévues à l'article 60-3 ».
41.La Cour relève que les décisions du Conseil constitutionnel dont le groupe Legrand se prévaut portent sur des opérations menées dans des cadres procéduraux qui ne sont pas celui qui a été appliqué dans la présente affaire, puisqu'en l'espèce, une information judiciaire avait été ouverte lorsque le juge d'instruction a ordonné les perquisitions litigieuses.
42.La référence à l'article 808-2 du code de procédure pénale n'est pas non plus pertinente. En effet, ce texte n'est applicable que si, dans certaines conditions de délais, la personne qui a fait l'objet d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire en application du code de procédure pénale n'a pas été poursuivie, soit devant une juridiction d'instruction, soit devant une formation de jugement.
43.C'est dans le seul cadre de l'ouverture d'une information judiciaire que doit s'apprécier le caractère sérieux de la question posée.
44.Il existe une possibilité de recours dans ce cadre. En effet, aux termes de l'article 170 du code de procédure pénale, « [e]n toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté ».
45.La Cour observe, en considération du seul cadre de l'information judiciaire, qu'en réservant au juge d'instruction, au procureur de la République, au témoin assisté ou aux parties la possibilité de contester la régularité d'actes ou de pièces versés au dossier de la procédure, le législateur a entendu préserver le secret de l'enquête et de l'instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entendu garantir les droits au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résultent des articles 2 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (en ce sens, CC, déc. n° 2022-1021 du 28 octobre 2022, § 13).
46.Pour autant, la Cour considère que la question se pose de savoir si ladite conciliation s'étend au cas où le juge d'instruction communique les pièces issues d'une perquisition à une autorité administrative indépendante telle que l'Autorité, habilitée à prononcer des sanctions financières et qui, à cet égard, peut être assimilée à une autorité répressive.
47.En effet, l'absence de décision sur la légalité et la régularité, en droit et en fait, de la mesure de perquisition, est susceptible de porter atteinte aux droits de la défense de la personne qui en a fait l'objet lorsque les pièces saisies à cette occasion constituent le support nécessaire des griefs qui lui sont notifiés devant l'Autorité.
48.La Cour conclut de ces développements que la question, considérée en sa première partie, relative au droit à un recours effectif, n'est pas dépourvue de caractère sérieux au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.
49.Il y a lieu, dès lors, de renvoyer la question à la Cour de cassation. Dans l'attente de la décision de la Cour de cassation sur la QPC, et le cas échéant de la décision du Conseil constitutionnel, il sera sursis à statuer. Les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée par les sociétés Legrand SNC, Legrand France SA et Legrand SA ;
SURSOIT à statuer sur le fond dans l'attente de la décision de la Cour de cassation sur la question prioritaire de constitutionnalité, et le cas échéant de la décision du Conseil constitutionnel ;
RÉSERVE les dépens.